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Dossier : 2004-1897(EI)

ENTRE :

ROSANNA CHIARELLA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 24 novembre 2004, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

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JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de janvier 2005.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de septembre 2005.

Sara Tasset


Référence : 2005CCI41

Date : 20050121

Dossier : 2004-1897(EI)

ENTRE :

ROSANNA CHIARELLA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge suppléant Savoie

[1]      Le présent appel a été entendu à Montréal (Québec), le 24 novembre 2004.

[2]      Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) par laquelle ce dernier a informé l'appelante du fait que, même si elle travaillait pour M. George Papanastasoulis, le payeur, du 2 novembre 2002 au 18 juillet 2003, soit la période visée en l'espèce, elle n'occupait pas un emploi assurable.

[3]      Le ministre a également informé l'appelante du fait que, compte tenu de toutes les circonstances, il n'était pas raisonnable de conclure qu'elle et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[4]      Pour en arriver à sa décision, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)                   le payeur exploite une clinique d'orthodontie à Kirkland; (admise)

b)                   le payeur est le mari de l'appelante; (admise)

c)                   le payeur a six employés, soit quatre techniciens dentaires, une secrétaire et une personne chargée de la tenue de livres et de la comptabilité; (admise)

d)                   l'appelante a été embauchée à titre de commis-comptable; (niée)

e)                   l'appelante avait notamment pour fonctions de tenir les livres, de préparer la paie, de se charger des formalités administratives auprès des autorités gouvernementales et de la correspondance avec celles-ci, d'effectuer les opérations bancaires et de superviser la secrétaire; (niée)

f)                     les techniciens dentaires étaient sous la supervision du payeur; (admise)

g)                   le payeur retenait les services d'un expert-comptable de l'extérieur pour la préparation des états financiers annuels et de sa déclaration de revenus personnelle; (admise)

h)                   l'appelante exécutait la plus grande partie de ses fonctions à la clinique; (admise)

i)                     l'appelante travaillait de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi; (admise)

j)                     l'appelante recevait un salaire annuel de 70 000 $; (admise)

k)                   la rétribution versée à l'appelante était sensiblement plus élevée que celle reçue par les autres travailleurs exécutant des fonctions analogues; (niée)

l)                     en 2002, selon l'Institut de la statistique du Québec, le salaire versé pour un emploi analogue à celui de l'appelante allait de 33 398 $ à 43 371 $ par année; (niée)

m)                 le 4 septembre 2004, le payeur a affirmé à un représentant de l'intimé qu'une personne n'ayant pas de lien de dépendance aurait reçu tout au plus 55 000 $ par année pour effectuer le même travail que l'appelante; (admise)

n)                   la rétribution de l'appelante n'était pas raisonnable compte tenu de la charge de travail et de la rétribution versée à d'autres travailleurs assumant des fonctions et des responsabilités analogues; (niée)

o)                   l'appelante a cessé de travailler pour le payeur lorsqu'elle a pris un congé de maternité; (admise)

p)                   après le départ de l'appelante, le payeur n'a pas remplacé cette dernière, ses fonctions étant exécutées par la secrétaire et l'expert-comptable. (niée)

[5]      Dans leur témoignage, l'appelante et le payeur ont déclaré que l'appelante faisait plus que la seule tenue de livres. Elle agissait comme comptable en entreprise et veillait également à la coordination des déjeuners et des séminaires du payeur. Ils ont décrit les fonctions de l'appelante comme celles d'une coordinatrice. Ils ont également affirmé que le salaire versé à l'appelante avait été fixé de concert avec l'expert-comptable du payeur. L'appelante ne possède pas de diplôme en comptabilité, mais elle a suivi quelques cours dans cette matière à l'Université Concordia et elle a travaillé pour un comptable agréé pendant cinq ans.

[6]      En 2001, soit avant qu'elle ne commence à travailler pour le payeur, l'appelante gagnait un salaire de 47 000 $ par année. En 2002 et en 2003, pendant qu'elle était au service du payeur, elle recevait un salaire de 70 000 $ par année. Elle a quitté son emploi auprès du payeur en juillet 2003 pour prendre un congé de maternité. La preuve a révélé qu'au moment de quitter son emploi précédent auprès de la société Scania Imports Ltd., son salaire était de 47 000 $, et que cette entreprise était alors en « période de croissance » . Il a fallu embaucher deux personnes pour la remplacer. Scania Imports Ltd. était disposée à reprendre l'appelante après son congé de maternité à un salaire annuel de 65 000 $. Ce fait est documenté par la pièce A-1, laquelle a été produite en preuve à l'audience.

[7]      D'autres faits découverts dans le cadre de l'enquête qui a précédé le présent appel ont permis d'établir que les fonctions et responsabilités de l'appelante, après que cette dernière a quitté son emploi chez le payeur, ont été assumées par la secrétaire, l'expert-comptable et le payeur lui-même. Après son congé de maternité, l'appelante a été réengagée par le payeur et le salaire qui lui a été versé en 2004 s'élevait à 47 000 $.

[8]      Après l'enquête, le ministre a conclu qu'il existait des relations employeur-employé entre le payeur et l'appelante. Cependant, comme le payeur est le mari de l'appelante, il s'agit de relations entre personnes ayant un lien de dépendance selon l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre a alors conclu que l'emploi de l'appelante est un emploi visé par la restriction prévue à l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[9]      L'appelante demande à la Cour d'annuler la décision du ministre, lequel invoque d'une part les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) ainsi que les paragraphes 5(3) et 93(3) de la Loi sur l'assurance-emploi parce qu'ils s'appliquent à la période en cause, et d'autre part les articles 251 et 252 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre a décidé que, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[10]     À l'issue de son enquête, le ministre est arrivé à la conclusion que, selon l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi, l'emploi de l'appelante n'était pas assurable puisque, comme il a été établi que le payeur est le mari de l'appelante, elle et le payeur avaient un lien de dépendance.

[11]     Pour les besoins de l'analyse, il est utile de renvoyer aux dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur l'assurance-emploi.

L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit notamment ce qui suit :

Article 251. Lien de dépendance

                        (1)         Pour l'application de la présente loi :

                        a)          des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance; et

                        b)          la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2)         Définition de « personnes liées » . Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

                        a)          des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

                        b)          une société et :

                                    (i)          une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

                                    (ii)         une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii)                toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[...]

Voici une partie du texte de l'article 5 de la Loi sur l'assurance-emploi :

(1)         Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

          a)          l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

(2)         N'est pas un emploi assurable :

[...]

i)           l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[12]     La Cour d'appel fédérale a énoncé les directives à suivre lorsqu'il faut régler un problème comme celui en l'espèce. Le juge Marceau, au nom de la Cour, a mentionné ce qui suit dans l'arrêt Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 :

La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[13]     Examinons les faits présentés à la Cour à la lumière des critères énumérés à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[14]     Lorsqu'il a exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi, le ministre n'a éprouvé aucune difficulté particulière à reconnaître que l'une des circonstances énumérées étayait le critère fondé sur la similitude avec les personnes ayant un lien de dépendance.

[15]     En réalité, le ministre a conclu, en ce qui touche la nature et l'importance du travail accompli, qu'il était convaincu que ce travail était important pour la bonne marche des activités du payeur mais, dans son analyse des modalités d'emploi de l'appelante, il a découvert que le payeur n'avait pas remplacé l'appelante au moment de son départ en congé de maternité. Les fonctions de l'appelante étaient assumées par la secrétaire, l'expert-comptable et le payeur lui-même.

[16]     Lorsqu'il a analysé la durée de la période de travail, le ministre s'est aperçu que l'appelante avait quitté son emploi pour prendre un congé de maternité et il a conclu que cette analyse n'était plus pertinente ni nécessaire.

[17]     L'autre circonstance énumérée à l'alinéa 5(3)b) qui a causé certaines difficultés au ministre touche à la rétribution versée.

[18]     La preuve a montré que le payeur lui-même, en réponse à une question que lui a posée l'agent chargé de l'assurabilité, a estimé que le salaire maximal d'un employé sans lien de dépendance faisant le même travail que l'appelante était de 55 000 $ par année.

[19]     Cette réponse du payeur a fait une grande impression sur l'agent chargé de l'assurabilité et sur l'agent des appels, lesquels ont tous deux mentionné que, même si le ministre jouissait d'un certain pouvoir discrétionnaire dans le cadre de son analyse des modalités d'emploi, un pareil écart entre le salaire existant et les salaires comparables payés dans ce secteur n'était tout simplement pas justifié.

[20]     En réponse à l'allégation du payeur voulant que l'appelante fasse davantage que la seule tenue de livres, le ministre a pris en compte les autres fonctions mentionnées par l'appelante et le payeur, puis il a vérifié sur le terrain les emplois équivalents. La description de travail la plus semblable est celle de « professionnelle de gestion financière » . Le ministre s'est alors servi d'un tableau préparé par l'Institut des statistiques du Québec selon lequel la fourchette salariale correspondant à cet emploi pour le niveau I va de 33 398 $ à 43 371 $ par année. À partir de ces chiffres, il est arrivé à une moyenne de 38 385 $ qui, à son avis, constituait le salaire approprié selon cette catégorie.

[21]     Le ministre a ensuite comparé ce chiffre avec la somme de 70 000 $ et conclu que le salaire de 70 000 $ versé à l'appelante était 80 % plus élevé que les salaires pratiqués dans le secteur.

[22]     L'agent des appels, Paul Hyland, a expliqué à la Cour que, dans le cadre de cet exercice, le ministre [TRADUCTION] « doit s'appuyer sur les diktats du marché du travail » . Il a en outre affirmé qu'au cours de sa recherche d'un emploi comparable sur le marché du travail, il a trouvé une description de travail correspondant à celle que lui avait donnée l'appelante.

[23]     Le tableau dressé par l'Institut des statistiques du Québec a été produit en preuve comme pièce R-3.

[24]     Il appartient à l'appelante de prouver que les hypothèses de fait utilisées par le ministre sont erronées. Elle ne s'est pas acquittée de cette obligation. En réalité, elle a admis la plupart des hypothèses avancées par le ministre et les éléments de preuve qu'elle a produits ne suffisent pas pour véritablement attaquer les hypothèses qu'elle a tenté de clarifier.

[25]     Plus haut, la Cour a renvoyé à l'arrêt Légaré de la Cour d'appel fédérale et aux directives à suivre pour trancher les affaires comme celle dont je suis saisi.

[26]     La Cour d'appel fédérale a à nouveau offert une certaine orientation à cet égard dans l'arrêt Pérusse c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310, où elle est arrivée à la conclusion suivante :

            Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[27]     À la lumière de ce qui précède, la Cour doit conclure que l'emploi de l'appelante est visé par la restriction prévue à l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[28]     De plus, la Cour estime que le ministre a légitimement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[29]     Après avoir entendu la preuve présentée à l'audience et après avoir examiné les documents déposés en l'espèce, la Cour est d'avis que la conclusion du ministre, lorsqu'elle est examinée à la lumière de la preuve qui a été produite à l'audience, paraît toujours raisonnable.

[30]     La Cour n'estime donc pas opportun, dans les circonstances, d'intervenir à l'égard de la décision du ministre.

[31]     Par conséquent, l'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de janvier 2005.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de septembre 2005.

Sara Tasset

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