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Dossier : 2003-966(IT)G

ENTRE :

L. MARK EVANS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 17 octobre 2005, à Calgary (Alberta)

Devant : L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

Comparutions :

Avocats de l'appelant :                        Me Clyde R. Davis

                                                          Me Robert Donald

Avocats de l'intimée :                          Me John O'Callaghan

                                                          Me Jon Gilbert

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que le paragraphe 245(2) ne s'applique pas aux opérations en question.


Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2005.

« D. G. H. Bowman »

Juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2005CCI684

Date : 20051128

Dossier : 2003-966(IT)G

ENTRE :

L. MARK EVANS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Bowman

[1]      Ces appels sont interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 de l'appelant. Ils feront partie des premières affaires qui seront jugées, compte tenu des décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 et Mathew c. Canada, 2005 CSC 55 ( « arrêt Kaulius » ), qui établissent des paramètres définitifs concernant l'application et l'interprétation de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      Les parties ont convenu d'un exposé conjoint des faits partiel, qui précise en détail les opérations donnant lieu aux cotisations. Il est reproduit à l'annexe A pour les présents motifs. Afin d'exposer les points en litige, toutefois, un bref résumé suffira. L'appelant est dentiste, et il exerce sa profession à Lethbridge, en Alberta. Il était l'unique actionnaire d'une société professionnelle connue sous les noms de L. M. Evans Professional Corporation, 117679 Alberta Ltd. et « Hygiene » . Tout au long des présents motifs, je l'appellerai « la société 117679 » . La société 117679 avait trois activités commerciales, soit la pratique de la médecine dentaire, une entreprise d'hygiène dentaire et la location d'immeubles. M. Evans a transféré l'activité de location et la pratique dentaire à deux nouvelles sociétés. L'activité d'hygiène dentaire est restée liée à la société 117679.

[3]      Aux fins du présent résumé, je ne décrirai pas le transfert de la pratique dentaire et de la location d'immeubles aux nouvelles sociétés, ni celui de certaines actions de catégorie A à la société 117679 que l'appelant a effectué à l'une des sociétés. Ces transferts ont tous été effectués en franchise d'impôt, en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et ils ont été suivis par des rachats d'actions et le versement à des sociétés de dividendes réputés non imposables, et par l'émission ou la réception par les différentes sociétés de billets à ordre. Ces opérations sont décrites en détail dans l'exposé conjoint des faits. Elles sont essentiellement accessoires par rapport aux questions en litige dans les présents appels, bien qu'elles tendent à illustrer la complexité et le degré élevé de subtilité fiscale que la réorganisation de l'entreprise et des affaires professionnelles de M. Evans comportait.

[4]      Ce qui est pertinent, c'est que le 2 décembre 1996, la société 117679 a émis à M. Evans un dividende en actions de 487 actions de catégorie B sans droit de vote, qui étaient rachetables et encaissables par anticipation contre 1 000 $ par action. Ces actions ont été vendues le lendemain à une société en commandite composée de l'épouse de M. Evans, en qualité d'associée commanditée touchant un intérêt de un pour cent, et de trois de ses enfants, à titre de commanditaires touchant chacun un intérêt de 33 p. 100. Le prix était la juste valeur marchande, soit 487 000 $, et la société en commandite a émis à M. Evans un billet à ordre de ce montant.

[5]      Le billet était exigible au 31 décembre 2001, et il portait intérêt au taux prescrit de 5 p. 100 par année. En vertu de l'article 74.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu, les règles d'attribution ne s'appliquaient pas lorsque les biens ont été vendus à leur juste valeur marchande, et l'endettement portait intérêt au taux prescrit. Il n'est pas allégué que les conditions précisées à l'article 74.5 n'étaient pas remplies.

[6]      M. Evans a réalisé un gain en capital de 486 900 $, ou un gain en capital imposable de 365 175 $ au moment de la vente. Il a annulé son gain en capital imposable en déduisant ses gains en capital en vertu de l'article 110.6, de sorte qu'il n'a payé aucun impôt en 1996 au titre du gain en capital imposable.

[7]      Au cours des années 1997, 1998 et 1999, la société 117679 a versé des montants à la société en commandite par le jeu des dividendes et du rachat des actions de catégorie B. Ces montants précis étaient ensuite versés à M. Evans par la société en commandite, à titre de capital et d'intérêts inscrits dans le billet à ordre. M. Evans incluait l'intérêt dans son revenu. Les dividendes et les dividendes réputés étaient inclus dans le revenu de la société en commandite, et celle-ci déduisait l'intérêt versé à M. Evans. Le profit net était attribué aux associés, lesquels incluaient leur part dans leur revenu. En 1996, l'un des associés a payé un impôt de 1 558,05 $. Les autres associés n'ont payé aucun impôt en 1996, et aucun d'eux n'a payé d'impôts en 1997 ou en 1998.

[8]      Dans le cadre de leur argumentation, les avocats de l'intimée ont présenté un organigramme que j'ai joint à l'annexe B. Bien qu'il ne fasse pas partie de l'exposé conjoint des faits, il illustre précisément et succinctement ce qui s'est passé. Les sections argumentatives peuvent être mises de côté.

[9]      L'organigramme figurant à la page 2 de l'annexe B illustre de manière assez claire que les montants versés par la société 117679 à la société en commandite étaient précisément ceux qui étaient versés à M. Evans à titre de capital et intérêts. Rien n'a été distribué aux associés au cours de ces années-là.

[10]     À la fin de l'année 1999, la société en commandite détenait 318,53 actions de catégorie B. D'après le paragraphe 56 de l'exposé conjoint des faits, des paiements sur le principal s'élevant à 158 113 $ avaient été faits, ce qui laissait un endettement de 328 887 $ en vertu du billet à ordre.

[11]     L'appelant considère cet arrangement comme une forme légitime de planification successorale ou de transfert de fortune à sa famille, dans le cadre duquel chaque règle précise de la Loi de l'impôt sur le revenu a été respectée et observée. Je suis d'avis que ce plan a été exécuté avec soin, à vrai dire, méticuleusement. Les articles qui ont été utilisés sont les suivants :

          article 85 - les transferts de biens à une société;

          article 110.6 - l'exemption des gains en capital;

          paragraphe 84(3) - dividende réputé au rachat des actions;

          article 112 - déduction des dividendes imposables reçus par une société;

          paragraphe 52(3) - coût d'un dividende en actions;

          article 74.5 - exclusion des règles d'attribution lorsque la juste valeur du         marché est versée en contrepartie.

[12]     L'intimée allègue que toute cette série d'opérations n'était rien d'autre qu'une distribution de fonds excédentaires, dans le cadre de laquelle il y a eu un recours abusif aux dispositions mentionnées ci-haut, ainsi qu'à la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ensemble. Le ministre du Revenu national a requalifié de dividendes, en vertu de l'article 245, tout ce que l'appelant avait reçu de la société en commandite, y compris le capital et les intérêts.

[13]     Les principes applicables dans les cas où les cotisations ont été établies en vertu de l'article 245 ont été déterminés récemment de manière définitive, dans deux décisions unanimes de la Cour suprême du Canada, Mathew c. Canada, précité(ci-après l'arrêt Kaulius), et Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité. Les avocats ont eu l'occasion de faire des observations concernant ces arrêts. L'approche de la règle générale anti-évitement ( « RGAÉ » ) qui a été établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada est exposée au paragraphe 66 de ce jugement.

66         L'approche relative à l'art. 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu peut se résumer ainsi.

1.        Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s'applique :

(1) il doit exister un avantage fiscal découlant d'une opération ou d'une série d'opérations dont l'opération fait partie (par. 245(1) et (2));

(2) l'opération doit être une opération d'évitement en ce sens qu'il n'est pas raisonnable d'affirmer qu'elle est principalement effectuée pour un objet véritable - l'obtention d'un avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

(3) il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu'il n'est pas raisonnable de conclure qu'un avantage fiscal serait conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

2.        Il incombe au contribuable de démontrer l'inexistence des deux premières conditions, et au ministre d'établir l'existence de la troisième condition.

3.        S'il n'est pas certain qu'il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.

4.        Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l'avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l'avantage a été conféré. Le but est d'en arriver à une interprétation téléologique qui s'harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l'avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l'ensemble de la Loi.

5.        La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d'autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d'évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu'un élément des faits qui sous-tendent l'affaire et serait insuffisante en soi pour établir l'existence d'un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l'interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

6.        On peut conclure à l'existence d'un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l'objet ou à l'esprit des dispositions censées conférer l'avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

7.        Si le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d'appel ne doivent pas intervenir en l'absence d'erreur manifeste et dominante.

[14]     Nous pourrions citer beaucoup d'autres passages des arrêts Hypothèques Trustco Canada et Kaulius. Ils continueront de faire l'objet d'études, d'analyses et de suivi intensif à mesure que de nouvelles situations factuelles se présenteront. Je mentionnerai quelques autres passages qui m'ont frappé, parce qu'ils sont particulièrement utiles dans le présent litige. Les paragraphes 10 à 16 se lisent comme suit :

10         Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois « qu'il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

11         En raison du principe du duc de Westminster (Commissioners of Inland Revenue c.Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.)), selon lequel le contribuable a le droit d'organiser ses affaires de façon à réduire au maximum l'impôt qu'il doit payer, le droit fiscal canadien a reçu une interprétation stricte à une époque où l'interprétation littérale des lois était plus courante qu'aujourd'hui. De nos jours, il ne fait aucun doute que toutes les lois, y compris la Loi de l'impôt sur le revenu, doivent être interprétées de manière textuelle, contextuelle et téléologique. Cependant, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre l'accent sur l'interprétation textuelle. Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu'il a voulu que le contribuable s'appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu'elles prescrivent.

12         Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l'uniformité, la prévisibilité et l'équité requises pour que les contribuables puissent organiser intelligemment leurs affaires. Comme l'affirme la Cour, au par. 45 de l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 :

[E]n l'absence d'une disposition expresse contraire, il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi, pour le motif que ce serait inéquitable à l'égard des contribuables qui n'ont pas opté pour cette solution. [Nous soulignons.]

Voir également l'arrêt 65302 British Columbia, par. 51, où le juge Iacobucci cite P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (2e éd. 1997), p. 475-476 :

[traduction] La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions qui n'y sont pas exprimées, provenant de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition.

13         La Loi de l'impôt sur le revenu demeure un instrument dominé par des dispositions explicites qui prescrivent des conséquences particulières et commandent une interprétation largement textuelle. À cet ensemble de dispositions détaillées, le législateur a greffé une disposition d'un genre bien différent, la RGAÉ, qui est une disposition générale destinée à invalider, pour le motif qu'ils constituent de l'évitement fiscal abusif, des mécanismes qui seraient acceptables selon une interprétation littérale d'autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme l'indique l'arrêt Shell (par. 45), dans la mesure où la RGAÉ constitue une « disposition contraire » , le principe du duc de Westminster et l'accent mis sur l'interprétation textuelle peuvent être atténués. En définitive, comme le précise l'arrêt Shell, « [i]l incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement » (par. 45). Les tribunaux doivent, dans la mesure du possible, donner effet simultanément à la RGAÉ et aux autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables à une opération donnée.

5.2        Interprétation de la RGAÉ

14         La RGAÉ a été édictée en 1988, principalement pour donner suite à l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, où la Cour a rejeté une méthode d'interprétation littérale de la Loi et, en même temps, le critère de l'objet commercial, qui aurait limité la réduction d'impôt aux opérations ayant un objet commercial véritable. La Cour a proposé de remplacer le critère de l'objet commercial par des lignes directrices destinées à limiter les mécanismes d'évitement fiscal inacceptables. Jugeant que l'arrêt Stubart ne réglait pas adéquatement le problème, le législateur a édicté la RGAÉ.

15         Les Notes explicatives sur le projet de loi concernant l'impôt sur le revenu publiées par l'honorable Michael H. Wilson, ministre des Finances (juin 1988) ( « notes explicatives » ) sont un outil d'interprétation. Elles précisent, d'entrée de jeu, qu'elles « n'ont qu'un but d'information et ne doivent pas être prises comme une interprétation officielle des dispositions qu'elles décrivent » . À la page 492, elles définissent ainsi l'objet de la RGAÉ :

Le nouvel article 245 de la Loi établit une règle générale anti-évitement qui vise à prévenir les opérations ou mécanismes abusifs d'évitement fiscal, sans gêner pour autant les opérations commerciales et familiales légitimes. En conséquence, la nouvelle règle vise à distinguer la planification fiscale légitime et l'évitement abusif de l'impôt, de manière à établir un équilibre convenable entre la protection de l'assiette fiscale et le besoin de certitude des contribuables pour la planification de leurs activités.

16         La RGAÉ trace une ligne de démarcation entre la réduction maximale légitime de l'impôt et l'évitement fiscal abusif. Cette ligne est loin d'être nette. La RGAÉ a pour objet de supprimer les avantages fiscaux de certains mécanismes qui sont conformes à une interprétation littérale des dispositions de la Loi, mais qui constituent un abus dans l'application de ces dispositions. Cependant, la question de savoir en quoi consiste exactement un évitement fiscal abusif fait toujours l'objet d'un débat, d'où les présents pourvois.

[15]     Au paragraphe 21, la Cour a fait valoir ce qui suit.

« [...]La RGAÉ, qui représente une mesure de dernier recours destinée à prévenir l'évitement fiscal abusif, ne devait pas créer de l'incertitude en matière de planification fiscale. »

[16]     Les paragraphes 23 à 26 traitent du sens de l'expression « série d'opérations » , et la Cour y adopte le critère énoncé à cet égard par la Chambre des lords dans l'arrêt Craven c. White, [1989] A.C. 398, p. 514. Je ne pense pas que l'on ait des motifs raisonnables nous permettant d'alléguer que la suite d'événements en cause dans l'ensemble d'étapes complexes en l'affaire qui nous occupe n'était pas planifiée de manière à produire le résultat escompté. Manifestement, il s'agissait d'une série, telle qu'elle a été définie par la Cour suprême du Canada.

[17]     La première question est de savoir si un avantage fiscal découlait de l'opération ou d'une partie de l'opération. En vertu de l'alinéa 245(3)b), « l'opération d'évitement » s'entend d'une partie d'une série d'opérations dont, ne serait-ce de l'article 245, découlerait un avantage fiscal. Je pense qu'il y avait un avantage fiscal. Si M. Evans avait simplement touché un dividende s'élevant à plus de 267 000 $ de la société 117679, il aurait payé de l'impôt à ce titre.

[18]     La deuxième question est de savoir si l'opération ou la série d'opérations constitue une opération d'évitement. En termes clairs, est-il « raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable » ?

[19]     Il s'agit essentiellement d'une question de fait. Peut-on raisonnablement supposer que la motivation était surtout de nature non fiscale? L'objectif économique consistait à verser les fonds de la société en commandite entre les mains de M. Evans. Une simple déclaration et un paiement d'un dividende à M. Evans auraient permis d'obtenir le même résultat, mais cela aurait eu de lourdes conséquences fiscales pour lui. Les arrangements passablement complexes de M. Evans avaient pour effet de parvenir au même résultat, sans être frappé par l'impôt que le simple paiement d'un dividende supposerait. Je n'accepte pas l'argumentation de l'appelant selon laquelle le but était principalement un transfert de fortune à ses enfants. Tous les fonds, ou presque, aboutissaient entre les mains de M. Evans. À la fin de l'exercice 1999, l'endettement de la société en commandite à l'endroit de M. Evans excédait la valeur des actions qu'il détenait.

[20]     Alors, quels sont les faits? Un objet non fiscal consistait à verser les fonds de la société en commandite entre les mains de M. Evans, et une méthode permettait d'obtenir ce résultat au moyen d'une série d'opérations dont la principale motivation - sans doute la seule motivation - était de lui verser les fonds avec des prélèvements d'impôts passablement réduits.

[21]     Les paragraphes 27 à 35 de l'arrêt Hypothèques Trustco Canada traitent de la question de savoir si une opération constitue une opération d'évitement. Les paragraphes 30 à 35 soulignent l'importance de préserver le droit d'un contribuable à organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d'impôts. Ils se lisent comme suit.

30         Les tribunaux doivent examiner les rapports entre les parties et les opérations véritablement intervenues entre elles. Les faits des opérations sont cruciaux pour décider s'il y a eu opération d'évitement. Il est utile de se demander ce qui n'est pas suffisant pour établir l'existence d'une opération d'évitement au sens du par. 245(3). Les notes explicatives précisent ceci, à la p. 495 :

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de « requalifier » une opération afin de déterminer s'il s'agit ou non d'une opération d'évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d'évitement parce qu'une autre opération, qui aurait pu permettre d'obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

31         D'après les notes explicatives, le législateur a reconnu le principe du duc de Westminster selon lequel « la planification fiscale - c'est-à-dire le fait d'organiser ses affaires de manière à payer le moins possible d'impôts - est une dimension légitime et admise du droit fiscal canadien » (p. 495). Bien qu'il ait eu l'intention de prévenir l'évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l'équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s'agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l'impôt sur le revenu cherche à promouvoir.

32         Le paragraphe 245(3) ne fait que soustraire à l'application de la RGAÉ les opérations dont il est raisonnable de considérer qu'elles ont été principalement effectuées pour un objet non fiscal. Le législateur n'a pas voulu que le par. 245(3) serve simplement de critère d'objet commercial en vertu duquel les opérations dépourvues de véritable objet commercial indépendant seraient jugées invalides.

33         L'expression « objet non fiscal » a une portée plus large que l'expression « objet commercial » . Par exemple, les opérations dont il est raisonnable de considérer qu'elles ont été principalement effectuées à des fins familiales ou à des fins de placement échapperaient à l'application de la RGAÉ selon le par. 245(3). Le paragraphe 245(3) n'est pas censé protéger uniquement les opérations qui ont un objet commercial véritable. Le législateur voulait que de nombreux régimes dépourvus d'objet commercial subsistent. Les régimes enregistrés d'épargne-retraite (REÉR) en sont un exemple. Le législateur a reconnu que de nombreuses dispositions de la Loi confèrent des avantages fiscaux légitimes malgré l'absence d'objet commercial véritable. C'est ce qui ressort du libellé général de l'art. 245, par opposition à celui dans lesquels aurait été rédigé un critère général anti-évitement assorti d'exceptions applicables à des régimes particuliers, telles les opérations de REÉR.

34         Si au moins une opération qui fait partie d'une série d'opérations constitue une « opération d'évitement » , la RGAÉ permet alors de supprimer l'avantage fiscal qui découle de la série. C'est ce qui ressort du libellé du par. 245(3). À l'inverse, si chaque opération de la série a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux, la RGAÉ ne permet pas de supprimer un avantage fiscal.

35         Comme nous le verrons en détail plus loin, même si l'examen fondé sur le par. 245(3) permet de constater l'existence d'une opération d'évitement, la RGAÉ ne permet pas de supprimer l'avantage fiscal dont il est raisonnable de considérer qu'il ne découle pas d'un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4).

[22]     Je considère comme une question de fait que la motivation principale de la série d'opérations qui nous occupe ici consistait, pour M. Evans, à toucher les fonds de la société en commandite. La méthode choisie était conçue de façon à lui permettre de le faire en payant le moins possible d'impôts. J'aimerais souligner l'importance des termes utilisés dans les notes explicatives que la Cour suprême du Canada a adoptés au paragraphe 30 de l'arrêt Hypothèques Trustco Canada :

Le paragraphe 245(3) ne permet pas de « requalifier » une opération afin de déterminer s'il s'agit ou non d'une opération d'évitement. Autrement dit, il ne permet pas de considérer une opération comme une opération d'évitement parce qu'une autre opération, qui aurait pu permettre d'obtenir un résultat équivalent, se serait traduite par des impôts plus élevés.

[23]     À mon avis, c'est ce que fait la Couronne dans le présent litige. Je me reporte également aux termes du paragraphe 31 de l'arrêt Hypothèques Trustco Canada :

[...] Bien qu'il ait eu l'intention de prévenir l'évitement fiscal abusif en édictant la RGAÉ, le législateur a néanmoins voulu maintenir la prévisibilité, la certitude et l'équité en droit fiscal canadien. Il veut que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux. En fait, il s'agit là de la condition de réussite des différentes politiques que la Loi de l'impôt sur le revenu cherche à promouvoir.

Si je conclus que la série d'opérations pertinente est celle qui a permis le prélèvement en franchise d'impôt des fonds de la société en commandite, et que j'en conclus qu'il s'agissait bien d'une opération d'évitement, je dois alors poursuivre en posant la troisième question, celle de l'évitement fiscal abusif. Si je conclus qu'il n'y a pas eu opération d'évitement, manifestement, cette troisième question est sans objet. Toutefois, si j'ai tort de croire qu'il ne s'agit pas d'une opération d'évitement d'après ma compréhension de ce que la Cour suprême du Canada considère comme une opération d'évitement, la troisième question se pose toujours : s'il s'agit d'une opération d'évitement, est-elle abusive? Je me fonderai sur l'hypothèse selon laquelle la réponse à la deuxième question, au paragraphe 66 de la décision rendue dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada, est qu'il s'agit d'une opération d'évitement.

[24]     Le concept d' « abus » est précisé aux paragraphes 37 à 62 du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada. Je tenterai de résumer les points qui sont nécessaires, à mon avis, pour décider si l'on peut raisonnablement supposer à l'égard de cette série d'opérations (en présumant qu'il s'agit d'une opération d'évitement),

[...] qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble - compte non tenu du présent article - [...],

au sens du paragraphe 245(4)[1].

[25]     Les principes établis par la Cour suprême du Canada relativement à l'application et à l'interprétation de ces termes sont les suivants.

(a)       La version anglaise disjonctive du texte et la version française non disjonctive du texte ne commandent pas deux questions différentes. Il y a une seule question - l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu selon une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée(par. 38, 39 et 40).

(b)      Les tribunaux ne doivent pas chercher une politique prépondérante de la Loi de l'impôt sur le revenu qui pourrait servir à contrecarrer une interprétation de la Loi fondée sur une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée, conforme à la politique du législateur voulant que le droit fiscal soit certain, prévisible et équitable (par. 41, 42 et 43).

(c)      Les tribunaux doivent interpréter les articles qui prévoient des avantages fiscaux, et déterminer si l'opération est conforme à l'objet et à l'esprit des dispositions qui confèrent l'avantage fiscal, ou si elle les contrecarre (par. 44).

[26]     Les paragraphes 45, 46, 49 et 50 sont si importants que les citerai intégralement.

45         Cette analyse aboutit à une conclusion d'évitement fiscal abusif dans le cas où le contribuable se fonde sur des dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu pour obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher. Ainsi, il y a évitement fiscal abusif lorsqu'une opération va à l'encontre de la raison d'être des dispositions invoquées. Un mécanisme qui contourne l'application de certaines dispositions, comme des règles anti-évitement particulières, d'une manière contraire à l'objet ou à l'esprit de ces dispositions peut également donner lieu à un abus. Par contre, l'existence d'un abus n'est pas établie lorsqu'il est raisonnable de conclure qu'une opération d'évitement au sens du par. 245(3) était conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions conférant l'avantage fiscal.

46         Une fois que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sont interprétées correctement, la question de fait à laquelle doit répondre le juge de la Cour de l'impôt est de savoir si, en supprimant l'avantage fiscal, le ministre a établi l'existence d'un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). Pourvu que le juge de la Cour de l'impôt se soit fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d'appel ne doivent pas intervenir en l'absence d'erreur manifeste et dominante.

[...]

49         Dans tous les cas où l'applicabilité du par. 245(4) est en cause, la question centrale est de savoir si, compte tenu du texte, du contexte et de l'objet des dispositions invoquées par le contribuable, l'opération contrecarre l'objet ou l'esprit de ces dispositions. Les points suivants sont dignes de mention :

(1) Bien que les notes explicatives emploient les mots « exploiter, [. . .] détourner ou [. . .] frustrer » , il semble que ces trois termes soit synonymes et que le mot « frustrer » au sens de « contrecarrer » permet le mieux d'en saisir le sens.

(2) Les notes explicatives indiquent que la RGAÉ est censée s'appliquer lorsque, selon une interprétation littérale des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'objet et l'esprit de ces dernières seraient contrecarrés.

(3) Les notes explicatives précisent que la RGAÉ doit être appliquée à la lumière des faits de l'affaire en cause dans le contexte de l'agencement de la Loi de l'impôt sur le revenu.

(4) Les notes explicatives indiquent également que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu visent les opérations ayant une raison d'être économique.

50         Comme nous l'avons vu, le législateur cherchait à prévenir l'évitement fiscal abusif tout en maintenant l'uniformité, la prévisibilité et l'équité en matière de droit fiscal, et la RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que dans les cas où l'opération en cause est manifestement abusive.

[27]     Examinons maintenant les divers articles de la Loi de l'impôt sur le revenu auxquels M. Evans a eu recours pour toucher les fonds de la société en commandite tout en payant le moins possible d'impôts. Je poserai les cinq questions suivantes :

(1)      Y a-t-il abus de ces articles interprétés textuellement, dans le contexte de la Loi et eu égard à leur objet, que de les utiliser tout simplement afin d'obtenir le résultat même pour lequel ils ont été conçus?

(2)      Une interprétation littérale de ces dispositions contrecarre-t-elle leur objet et leur esprit? En d'autres termes, en pareil cas, y a-t-il une autre interprétation, moins littérale, que nous pourrions adopter de façon à ne pas contrecarrer leur objet et leur esprit?

(3)      Y a-t-il des dispositions anti-évitement particulières de la Loi que l'arrangement permet de contourner de manière à contrecarrer leur objet et leur esprit?

(4)      Ces opérations ont-elles une véritable raison d'être économique?

(5)      Le ministre s'est-il acquitté du fardeau consistant à établir que l'objet ou l'esprit de ces provisions avait été contredit ou contrecarré?

J'ai indiqué plus haut les dispositions auxquelles l'appelant a eu recours. Je les rappellerai ici.

         

Article 85 - le transfert de biens à une société;

          article 110.6 - l'exemption des gains en capital;

          paragraphe 84(3) - dividende réputé au rachat des actions;

          article 112 - déduction des dividendes imposables reçus par une société;

          paragraphe 52(3) - coût d'un dividende en actions;

          article 74.5 - exclusion des règles d'attribution lorsque la juste valeur du         marché est versée en contrepartie.

[28]     L'exposé conjoint des faits expose en détails les opérations au cours desquelles ces dispositions ont été utilisées. Elles ont servi précisément le but pour lequel elles ont été conçues dans la Loi. Je ne vois pas comment on peut alléguer que le fait de se fonder sur une disposition permettant un transfert de biens en actions libre d'impôt, donnant lieu à un dividende non imposable versé à des sociétés, peut éventuellement contredire ou contrecarrer l'objet ou l'esprit de ces dispositions dans le contexte de la Loi lue dans son ensemble. Elles ont pour objet et pour esprit de permettre aux gens de faire exactement ce qui a été fait dans ce cas-ci. À vrai dire, elles ne souffrent pas d'autre interprétation. Dans le même ordre d'idées, la Loi est très précise lorsqu'il est question des dividendes en actions. Le résultat global, c'était que les dividendes en actions, lorsqu'ils étaient émis à M. Evans, étaient inclus dans son revenu jusqu'à concurrence de 100 $, qui était son prix de base rajusté et l'augmentation du capital libéré (par. 21 de l'exposé conjoint des faits). Lorsqu'il a vendu les actions à la société en commandite, il a réalisé un gain en capital de 486 900 $, qui a été compensé par la déduction pour gains en capital. Il n'y a pas eu d'abus de la déduction pour gains en capital. Elle a simplement été utilisée. Lorsque les actions de catégorie B ont été rachetées, le dividende réputé n'a pas été assujetti à l'impôt entre les mains des enfants, tout simplement en raison du taux d'imposition dans lequel se situait leur revenu. L'article 74.5 excluait les règles d'attribution, parce qu'il a été conçu dans ce but si ses conditions sont respectées.

[29]     Je ne pense pas que l'on puisse affirmer qu'il y a abus des dispositions de la Loi lorsque chaque article est appliqué exactement comme il doit l'être. La position de la Couronne semble fondée sur le point de vue selon lequel, si tout allait comme sur des roulettes, il doit y avoir eu abus. Nous pouvons répliquer que, si tout n'était pas allé comme sur des roulettes, bien entendu nous ne serions pas ici.

[30]     Le seul fondement que je pourrais invoquer pour confirmer l'application de l'article 245 par le ministre serait de découvrir un principe déterminant du droit fiscal canadien exigeant que la répartition du revenu des sociétés aux actionnaires soit imposée à titre de dividendes, et que, dans les cas où elle ne le serait pas, le ministre soit autorisé à ne pas tenir compte d'une demi-douzaine d'articles précis de la Loi. Selon les décisions de la Cour suprême du Canada, c'est précisément ce que nous ne pouvons pas faire.

[31]     Jusqu'ici, je me suis concentré uniquement sur les termes du paragraphe 245(4), « abus dans l'application des dispositions de la présente loi » , et j'en ai conclu qu'aucun article de la Loi de l'impôt sur le revenu, examiné à titre individuel, n'avait été utilisé de manière abusive. Je suis toutefois conscient du fait que la Cour suprême du Canada a traité la question en vertu du paragraphe 245(4), comme une simple question, et qu'elle a déclaré que la première partie doit être lue à la lumière de la question qui est de savoir si les opérations ont entraîné un « abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble - compte non tenu du présent article [article 245] » . Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, la version française originale n'est pas disjonctive. Elle se lit comme suit :

        (4) Non-application du par. (2). Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble - compte non tenu du présent article - n'est pas visée par le paragraphe (2)[2].

[32]     J'énoncerai les points qui constituent, selon moi, les principes directeurs de l'arrêt Hypothèques Trustco Canada relativement aux opérations abusives :

54         Dans l'interprétation des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, il faut respecter le libellé de la loi et lui donner son sens juridique bien établi. Dans certains cas, une interprétation contextuelle et téléologique peut nuancer le sens juridique bien établi de ce libellé. Le paragraphe 245(4) ne récrit pas les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu; il exige seulement que l'avantage fiscal soit conforme à l'objet et à l'esprit des dispositions invoquées.

55         En résumé, le par. 245(4) prescrit un examen en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l'objet ou l'esprit des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont invoquées pour obtenir l'avantage fiscal, eu égard à l'économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles. La deuxième étape consiste à examiner le contexte factuel de l'affaire pour déterminer si l'opération d'évitement contrecarrait l'objet ou l'esprit des dispositions en cause.

56         Selon les notes explicatives, les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu visent les opérations ayant une raison d'être économique. Bien que l'expression « raison d'être économique » puisse se prêter à différentes interprétations, cet énoncé reconnaît que les dispositions de la Loi visaient les opérations conformes à l'objet et à l'esprit des dispositions invoquées pour obtenir l'avantage fiscal. [...]

57         Les tribunaux doivent se garder de conclure trop hâtivement que l'opération d'évitement résulte d'un évitement fiscal abusif du seul fait que l'objet non fiscal n'est pas manifeste. Même si les notes explicatives emploient l'expression « raison d'être économique » , le par. 245(4) ne considère pas qu'une opération donne lieu à un évitement fiscal abusif du seul fait que l'objet économique ou commercial n'est pas manifeste. Comme nous l'avons vu, la RGAÉ n'était pas censée bannir tous les avantages fiscaux; le législateur voulait que beaucoup d'entre eux subsistent. La question centrale est de savoir si l'opération était conforme à l'objet des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont invoquées par le contribuable, lorsque ces dispositions sont interprétées correctement à la lumière de leur contexte. Il y a évitement fiscal abusif si les opérations contrecarrent ces objets.

58         [...] La question centrale est celle de l'interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet. Il se peut que, lorsqu'elles sont interprétées correctement, les dispositions législatives en cause dans une affaire donnée exigent qu'un avantage fiscal particulier ne puisse s'appliquer qu'aux opérations ayant un certain objet économique, commercial, familial ou un autre objet non fiscal. L'absence de telles considérations peut alors devenir un facteur pertinent pour inférer que les opérations constituaient un abus dans l'application des dispositions en cause, mais il n'existe aucune règle d'or à ce sujet.

[...]

61         Une interprétation correcte du libellé des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ainsi que le contexte factuel pertinent d'une affaire donnée permettent d'établir un équilibre entre la nécessité de prévenir l'évitement fiscal abusif et celle maintenir la certitude, la prévisibilité et l'équité en droit fiscal afin que les contribuables puissent organiser leurs affaires en conséquence. Le législateur souhaite que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi qui confèrent des avantages fiscaux. Il n'a pas voulu que la RGAÉ mine ce précepte fondamental du droit fiscal.

62         La RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que si l'on décide qu'il n'était pas raisonnable de considérer que l'avantage fiscal était conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions invoquées par le contribuable. La formulation négative du par. 245(4) indique que l'analyse part du principe qu'un avantage fiscal qui serait conféré par le texte même de la Loi n'est pas abusif. Cela signifie qu'une conclusion d'abus n'est justifiée que lorsqu'il n'est pas raisonnable de conclure le contraire, c'est-à-dire que l'opération d'évitement était conforme à l'objet ou à l'esprit des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable. Autrement dit, l'opération doit être manifestement abusive. La RGAÉ ne permet pas de supprimer un avantage fiscal s'il est raisonnable de considérer que les opérations étaient conformes à l'objet ou à l'esprit des dispositions de la Loi, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions.

[...]

65         En pratique, c'est le dernier énoncé qui est important. Une fois qu'il a démontré qu'il respecte le libellé d'une disposition, le contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu'il n'a pas, de ce fait, contrevenu à l'objet ou à l'esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente d'invoquer la RGAÉ de décrire l'objet ou l'esprit des dispositions qui auraient été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l'intention du législateur dans le but d'interpréter les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui s'applique à l'opération en cause.

[33]     Je me suis efforcé de trouver, dans l'argumentation de la partie intimée, l'invocation d'une disposition ou d'un ensemble de dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui auraient été utilisées de manière abusive. Je n'y suis pas parvenu. Les procureurs allèguent que l'appelant a dépouillé la société 117679 des surplus, ce qui contrecarrait l'économie de la Loi. En fait, il a vendu les actions à une société dont ses enfants étaient les associés, et il a réalisé un gain en capital. Des dividendes ou des dividendes réputés étaient versés à la société en commandite, mais la raison pour laquelle ils n'étaient pas assujettis à l'impôt entre les mains des enfants, c'est que le taux d'imposition du revenu de ces derniers était faible.

[34]     Les avocats allèguent que les faits de la présente affaire sont similaires aux faits dans l'affaire McNichol c. La Reine, 97 DTC 111, à l'égard de laquelle le juge Bonner a rendu une décision, et aux fait dans l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. La Reine, 97 DTC 302, une décision que j'ai moi-même rendue. Il s'agit de litiges mettant en jeu la règle générale anti-évitement, et nous ne bénéficiions pas des directives de la Cour suprême du Canada que nous avons de nos jours. Si nous avions bénéficié des points de vue de la Cour suprême du Canada, notre analyse aurait pu être passablement différente. Le principal fondement de ma décision dans le dossier RMM Canadian Enterprises Inc, c'était le paragraphe 84(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il faut se rappeler que ce que les appelants tentaient de contourner dans les affaires RMM et McNichol, c'était les dispositions du paragraphe 84(2). Ce n'est pas le cas dans l'affaire qui nous occupe. La société 117679 poursuivait ses activités et, dans les faits, elle versait des dividendes. Le cas n'est pas analogue aux affaires RMM et McNichol. Quoi qu'il en soit, le renvoi à ces deux affaires précoces ne permet pas, à mon avis, à la Couronne de s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe selon la Cour suprême du Canada.

[35]     À la lumière des principes énoncés par la Cour suprême du Canada, j'ai conclu que les opérations en cause dans la présente affaire n'étaient pas abusives pour les raisons suivantes :

(a)      Aucune des opérations ne contrecarre l'objet ou l'esprit de l'une des dispositions.

(b)     Les opérations ont une raison d'être économique. Ces opérations étaient réelles et légalement exécutoires. Elles n'étaient pas fictives. En faisant allusion à la raison d'être économique, mon intention n'est pas de voir ici un critère d'objet commercial. La Cour suprême du Canada ne l'a pas fait. Je crois plutôt que le but était de donner lieu à un véritable changement dans les rapports juridiques et économiques par suite des opérations.

(c)      Considérer ces opérations comme abusives de façon à pouvoir requalifier leurs résultats ne concourrait pas à maintenir la prévisibilité, la certitude et l'équité, bien au contraire, et cela contrecarrerait l'intention du législateur voulant que les contribuables « profitent pleinement des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui confèrent des avantages fiscaux » .

(d)     Il ne serait pas justifié de croire à un abus, parce que nous ne pouvons pas conclure raisonnablement que les opérations ont été exécutées de manière non conforme à l'objet et à l'esprit des diverses dispositions de la Loi.

(e)      La Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau consistant à démontrer que l'objet et l'esprit des diverses dispositions invoquées ont été contrecarrés. Je n'insinue aucune critique à l'endroit des avocats de l'intimée. Ils ont présenté la cause de la Couronne avec beaucoup de compétence. Les termes « fardeau de la preuve » auxquels la Cour suprême du Canada a fait allusion peuvent s'appliquer au fardeau de présentation, mais ils imposent surtout l'exigence selon laquelle la Couronne doit préciser l'objet et l'esprit de la législation pertinente qui auraient été contrecarrés. Cela pourrait être qualifié de « fardeau de persuasion » , bien que ce ne soit pas le sens habituel de l'expression « fardeau de la preuve » . Je pense que dans mon cas, il serait prématuré d'élaborer en détail comment il faut s'acquitter de ce fardeau ou quel genre de preuves il faut présenter. Cela devra être précisé lors de litiges ultérieurs, en présence de faits différents. Il suffit de dire que dans la présente affaire, rien de ce qui a été soumis à la Cour ne m'a persuadé, que ce soit à titre de question de fait ou de question d'argumentation, qu'il y a eu recours abusif à la Loi lue dans son ensemble. À vrai dire, s'il y avait le moindre doute sur ce point, selon la Cour suprême du Canada le bénéfice du doute devrait être accordé au contribuable.

[36]     Les réponses aux cinq questions que j'ai posées plus haut sont les suivantes :

          (1)      Non.

          (2)      Non.

          (3)      Non.

(4)      Oui.

(5)      Non.

[37]     Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu'il effectue un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations au motif que le paragraphe 245(2) ne s'applique pas aux opérations en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2005.

« D. G. H. Bowman »

Juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE A

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS PARTIEL

Les parties conviennent, aux fins du présent litige seulement, des faits suivants sur lesquels la Cour peut fonder sa décision. Les parties seront libres de présenter des faits supplémentaires en preuve lors du procès, sous réserve que les faits qu'elles chercheront à présenter en preuve au procès ne contredisent en aucune façon les faits convenus aux présentes. Tous les renvois à la Loi se rapportent à la Loi de l'impôt sur le revenu.

1.         L'appelant est dentiste et il exerce sa profession depuis 1972.

2.         La société 117679 Alberta Ltd. (anciennement L. M. Evans Professional Corporation) ( « société Hygiene » ) est une société privée sous contrôle canadien, qui a été constituée en personne morale en mai 1978. La fin de l'année d'imposition de la société Hygiene est fixée au 31 mai.

3.         La société Hygiene a changé sa dénomination sociale L. M. Evans Professional Corporation pour la dénomination 117679 Alberta Ltd. le 11 avril 1997.

4.         L'appelant était le seul administrateur de la société Hygiene à toutes les époques en cause.

5.         En date du 31 mai 1995, l'appelant possédait toutes les actions de catégorie A émises et en circulation de la société Hygiene, dont le prix de base rajusté (PBR) et le capital versé (CV) étaient de 11 $ à l'époque.

6.         Au 31 mai 1995 et au 31 mai 1996, la société Hygiene possédait des bénéfices non répartis d'environ 235 000 $ et 300 000 $ respectivement.

7.         Avant le mois d'octobre 1996, la société Hygiene gérait une entreprise d'art dentaire et d'hygiène dentaire, et elle possédait des biens locatifs.

8.         En octobre 1996, la société Hygiene a disposé de ses biens locatifs.

9.         En décembre 1996, la société Hygiene a disposé de son entreprise d'art dentaire et, par la suite, elle a géré uniquement une entreprise d'hygiène dentaire.

10.       Le 16 décembre 1994, la société 636276 Alberta Limited ( « société 636276 » ) a été constituée en personne morale. La fin de l'année d'imposition de la société 636276 est fixée au 31 mai.

11.       L'appelant était le seul administrateur et il possédait toutes les actions ordinaires émises et en circulation de la société 636276 à toutes les époques en cause.

12.       Le 30 octobre 1996, la société L. Mark Evans Professional Corporation ( « société MEPC » ) a été constituée en personne morale. La fin de l'année d'imposition de la société MEPC est fixée au 31 juillet.

13.       L'appelant était le seul administrateur et il possédait toutes les actions ordinaires émises et en circulation de la société MEPC à toutes les époques en cause.

14.       Le 30 octobre 1996, les opérations suivantes ont eu lieu :

a)        L'appelant a transféré par roulement 4,01 actions de catégorie A de la société Hygiene à la société 636276, conformément au paragraphe 85(1). Les 4,01 actions de catégorie A ont été transférées selon une somme convenue égale au prix de base rajusté ( « PBR » ) des actions, fixé à 4 $.

b)        En échange des 4,01 actions de catégorie A, l'appelant a reçu 100 actions de catégorie A de la société 636276 (CV et PBR de 4 $). Comme le transfert a été effectué au coût d'achat, il n'y a eu ni gain en capital ni perte. Pour la société 636276, le coût d'achat des 4,01 actions de catégorie A de la société Hygiene était de 4 $

c)        La société Hygiene a transféré ses biens locatifs à la société 636276 par roulement, conformément à l'article 85 de la Loi. La société 636276 a payé les biens locatifs en émettant 2 614,93 actions de catégorie E rachetables au gré de la société contre 100 $ par action, et en prenant à sa charge un prêt hypothécaire.

d)        La société 636276 a racheté les 2 614,93 actions de catégorie E détenues par la société Hygiene en échange d'un billet à ordre au montant de 261 493 $.

e)        La société Hygiene a racheté les 4,01 actions de catégorie A détenues par la société 636276, ce qui a occasionné un produit de 261 493 $. Le rachat a occasionné un dividende réputé de 261 489 $, conformément au paragraphe 84(3) (261 493 $ moins 4 $), dividende que la société 636276 a déclaré à la fin de l'année, au 31 mai 1997. Le paragraphe 112(1) s'appliquait afin de compenser le dividende.

f)         La société Hygiene a émis à la société 636276 un billet à ordre au montant de 261 493 $, payable à titre de contrepartie du rachat des actions. Le billet à ordre reçu a annulé le billet à ordre précédent, mentionné au paragraphe (d) ci-dessus.

15.       Le 22 novembre 1996, l'épouse de l'appelant, Carolyn, en qualité d'associée commanditée, et les trois enfants de l'appelant - Marcie Nielsen, Christopher Evans et Lindsay Evans (les « commanditaires » ) - à titre de commanditaires, ont constitué une société en commandite en vertu d'une entente écrite.

16.       Les enfants ont fait chacun un apport de capital de 1 000 $ à la société en commandite en lui émettant des billets à ordre.

17.       Deux autres enfants de l'appelant, Michael Evans et Wendy Sloan, étaient des associés de la société en commandite lorsqu'elle a été constituée, mais ils se sont désistés le 25 novembre 1996.

18.       Marcie Nielsen était âgée de 27 ans, Christopher Evans était âgé de 19 ans, et Lindsay Evans était âgée de 15 ans lorsque la société en commandite a été constituée.

19.       D'après les comptes de capital respectifs des associés, les commanditaires avaient chacun droit à une part égale de 99 p. 100 du revenu de la société en commandite à toutes les époques en cause.

20.       Le 1er décembre 1996, les opérations suivantes ont eu lieu :

a)        La société Hygiene a transféré l'actif de son entreprise dentaire à la société MEPC par roulement, conformément au paragraphe 85(1). L'actif avait une juste valeur marchande de 422 155 $, et il a été transféré à son PBR de 207 465 $. La contrepartie reçue consistait en 100 actions de catégorie B de la société MEPC, rachetables contre un montant de 4 221,55 $ par action. Le transfert n'a occasionné ni profits ni pertes.

b)        La société MEPC a racheté ses 100 actions de catégorie B, le produit du rachat s'élevant à 422 155 $. La société Hygiene a réalisé un dividende réputé de 214 690 $, conformément au paragraphe 84(3) (422 155 $ - 207 465 $), et elle a demandé une déduction compensatoire en vertu du paragraphe 112(1). La société MEPC a payé le produit du rachat en émettant un billet à ordre au montant de 422 155 $ à la société Hygiene.

21.       Le 2 décembre 1996, la société Hygiene a versé à l'appelant un dividende en actions de 487 actions de catégorie B. Le montant de dividende déclaré s'élevait à 100 $, et les 487 actions de catégorie B avaient un prix de base rajusté pour l'appelant et un capital versé de 100 $.

22.       Le 3 décembre 1996, l'appelant a vendu ses 487 actions de catégorie B de la société Hygiene à la société en commandite. Les 487 actions de catégorie B ont été vendues 487 000 $, et la société en commandite a payé au moyen d'un billet à ordre au montant de 487 000 $, portant intérêt à un taux de 5 p. 100 par année, et payable au 31 décembre 2001, soit le taux prescrit en vigueur au moment où l'endettement a été engagé. Le billet à ordre exigeait que l'intérêt soit versé chaque année, le 30 janvier de l'année suivante au plus tard.

23.       Les actions de catégorie B de la société Hygiene étaient admissibles au paiement de dividendes à la discrétion des administrateurs de cette société, et elles étaient à la fois rachetables et encaissables par anticipation contre 1 000 $ par action.

24.       L'appelant a réalisé un gain en capital de 486, 900 $ (487 000 $ - 100 $) lors de la disposition de ses 487 actions de catégorie B de la société Hygiene. Il a déclaré un gain en capital imposable de 365 175 $, et il a demandé une déduction correspondant à ce montant, en vertu de l'article 110.6, afin de compenser la partie imposable du gain en capital.

25.       En décembre 1996, la société Hygiene a commencé à verser des dividendes et à racheter certaines des actions de catégorie B détenues par la société en commandite.

26.       Le 30 décembre 1996, la société Hygiene a versé un dividende de 12 000 $ sur ses actions de catégorie B détenues par la société en commandite.

27.       Le 31 décembre 1996, la société Hygiene a racheté, contre 42 000 $, 42 actions de catégorie B détenues par la société en commandite. Celle-ci a fait des versements au titre du capital et des intérêts inscrits dans le billet à ordre, qui s'élevaient en tout à 54 000 $ à cette date.

28.       Les commanditaires ont déclaré leur part du revenu de dividendes et des frais d'intérêt de la société en commandite dans leur déclaration pour l'année 1996. Christopher Evans a payé 1 558,05 $ en impôt sur le revenu; les autres associés n'ont payé aucun impôt sur le revenu en 1996.

29.       L'appelant a déclaré le revenu en intérêts qu'il avait touché de la société en commandite dans sa déclaration de revenus.

30.       Le 24 janvier 1997, la société Hygiene a racheté 10,02 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 10 020 $. Celle-ci a fait un versement de 10 000 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

31.       Le 30 décembre 1997, la société Hygiene a versé sur ses actions de catégorie B détenues par la société en commandite un dividende s'élevant à 43 498 $. Celle-ci a fait un versement de 43 498 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

32.       Le 31 décembre 1997, la société Hygiene a haussé de 37 850 $ le capital déclaré des actions de catégorie B.

33.       En 1997, la société en commandite a payé les intérêts courus et inscrits à l'égard du billet à ordre, qui s'élevaient à 21 275 $.

34.       Les commanditaires ont déclaré leur part du revenu effectif, du revenu de dividendes réputés et des frais d'intérêt de la société en commandite dans leur déclaration pour l'année 1997. Aucun des commanditaires n'avait d'impôts à payer en 1997.

35.       L'appelant a indiqué dans sa déclaration de revenus pour l'année 1997 le revenu en intérêts qu'il avait reçu de la société en commandite.

36.       Le 30 mai 1998, la société Hygiene a versé sur ses actions de catégorie B détenues par la société en commandite un dividende s'élevant à 43 490 $. Cette dernière a fait un versement de 43 490 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

37.       Le 31 mai 1998, la société Hygiene a racheté 36,38 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 36 380 $. Celle-ci a fait un versement de $36 380 à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

38.       En 1998, la société en commandite a payé les intérêts courus à l'égard du billet à ordre, qui s'élevaient à 17 787 $.

39.       Les commanditaires ont déclaré leur part du revenu de dividendes et des frais d'intérêts de la société en commandite pour l'année 1998. Aucun des commanditaires n'avait d'impôts à payer en 1998.

40.       L'appelant a déclaré le revenu en intérêts qu'il avait reçu de la société en commandite dans sa déclaration de revenus pour l'année 1998.

41.       Le 27 janvier 1999, la société Hygiene a racheté 18,33 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 18 327,37 $. Celle-ci a fait un versement de 18 327,37 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

42.       Le 1er mars 1999, la société Hygiene a racheté 21,53 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 21 531,37 $. Celle-ci a fait un versement de 21 531,37 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

43.       Le 2 mars 1999, la société Hygiene a racheté 36,38 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 36 380 $. Celle-ci a fait un versement de 36 380 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles à cette date.

44.       Le 20 décembre 1999, la société en commandite a fait un versement de 3 830 $ à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts exigibles.

45.       Le 22 décembre 1999, la société Hygiene a racheté 3,83 des actions de catégorie B détenues par la société en commandite contre 3 834 $.

46.       En 1999, la société en commandite a payé les intérêts courus à l'égard du billet à ordre, qui s'élevaient à 14 299 $.

47.       Les commanditaires ont déclaré leur part du revenu de dividendes et des intérêts débiteurs de la société en commandite pour l'année 1999. Aucun des commanditaires n'avait d'impôts à payer en 1999.

48.       L'appelant a déclaré le revenu en intérêts qu'il avait reçu de la société en commandite dans sa déclaration de revenus pour l'année 1999.

49.       Au 31 décembre 1999, l'actif des associés de la société en commandite s'élevait approximativement à 50 000 $.

50.       Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a établi une première fois les cotisations de l'appelant pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999, dans des avis datés respectivement du 13 juillet 1998, du 6 mai 1999 et du 19 juin 2000.

51.       Dans une lettre en date du 6 février 2001, le Ministre a allégué que l'appelant [TRADUCTION] « avait converti ce qui devait constituer des dividendes de la société ME Prof. Corp. [société Hygiene ] en gains en capital à l'abri de l'impôt » , et il a conclu qu'il s'agissait d'un abus de l'article 38 de la Loi et d'un abus des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

52.       Le Ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999, dans des avis datés du 12 avril 2001 (les « premières nouvelles cotisations » ). Le Ministre a appliqué l'article 245, la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ » ), aux opérations en litige dans le présent appel. Lorsqu'il a déterminé les attributs fiscaux pour l'appelant, le Ministre lui a alloué 99 p. 100 du revenu de dividendes de la société en commandite pour les années 1997, 1998 et 1999, et il a déduit de son revenu les intérêts courus que la société en commandite devait lui verser au cours de ces années-là.

53.       Dans les premières nouvelles cotisations, le revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 était rajusté comme suit.

1997

1998

1999

Revenu de dividendes établi en vertu de l'article 245

90 451 $

75 768 $

72 355 $

Majoration de 25 p. 100 (article 82)

22 613 $

18 942 $

18 089 $

Montant imposable des dividendes

113 064 $

94 710 $

90 444 $

Annulation des intérêts créditeurs déclarés dans la déclaration T1

(21 274 $)

(17 787 $)

(14 311 $)

Augmentation nette du revenu

91 790 $

76 923 $

76 133 $

54.        L'appelant s'est opposé aux premières nouvelles cotisations dans un avis d'opposition daté du 4 juillet 2001.

55.        Dans des avis datés du 5 mars 2003 (les « nouvelles cotisations » ), le Ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999). Le Ministre a appliqué la RGAÉ et, en déterminant les attributs fiscaux de l'appelant, il a modifié les premières nouvelles cotisations en requalifiant de dividendes tous les versements (y compris les montants que l'appelant avait déclarés comme revenu en intérêts dans sa déclaration T1) que l'appelant avait reçus de la société en commandite en 1997, en 1998 et en 1999. Le Ministre a allégué que « les opérations résultaient d'un abus de l'article 110.6 et des paragraphes 84(3), 82(1), 52(3) et 85(1) » ainsi que d'un recours abusif à la Loi lue dans son ensemble.

56.        Dans les nouvelles cotisations, le revenu de l'appelant établi dans les premières nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 a été rajusté comme suit.

1997

1998

1999

Versements requalifiés de

dividendes (article 245) :

      Intérêts courus à l'égard

21 274 $

17 787 $

14 294 $

      du billet à ordre

      Remboursements à l'égard du

      billet à ordre au titre du capital

30 301 $

62 081 $

65 731 $

Revenu de dividendes révisé

51 575 $

79 868 $

80 025 $

Majoration de 25 % (article 82)

12 894 $

19 967 $

   20 006 $

Montant imposable de

dividendes révisé

64 469 $

99 835 $

100 031 $

Revenu en intérêts complémentaires

néant

néant

17 $

Montant imposable de dividendes requalifié dans les premières nouvelles cotisations

(113 064 $)

(94 710 $)

(90 044)

Augmentation/(baisse) du revenu par rapport aux

premières nouvelles cotisations

(48 595 $)

5 125 $

9 604 $

57.        Le montant de revenu établi dans la nouvelle cotisation datée du 5 mars 2003 pour l'année 1998 représentait une augmentation de 5 125 $ par rapport au montant établi dans la première nouvelle cotisation, et il a été déterminé plus de trois ans après que la cotisation originale a été établie pour l'année 1998.






Effet final : L'appelant a converti ce qui aurait dû constituer des dividendes provenant de sa société professionnelle en un gain en capital à l'abri de l'impôt (en recourant à l'art. 110.6). Les dividendes sont déguisés en produits de la vente d'actions. Ces produits sont versés à l'appelant au fil du temps, comme paiements à l'égard du billet à ordre au titre du capital et des intérêts.

Détails des troisième et quatrième étapes : La société Hygiene rachète des actions de catégorie B détenues par la société en commandite (SC) et lui verse des dividendes. La SC transfère ensuite ces versements à l'appelant.


Date

Déc. 96

24 janv. 97

30 déc. 97*

30 mai 98

31 mai 98

27 janv. 99

1er mars 99

2 mars 99

20 déc. 99

22 déc. 99

Total
Actions rachetées

42

10,02

36,38

18,33

21,53

36,38

3,83
Montant du rachat

(en dollars)

42 000

10 020

36 380

18 327.37

21 531.37

36 380

3 834
Dividendes déclarés

(en dollars)

12 000

43 498

43 490
Versements de la société Hygiene à la SC

(en dollars)

54 000

10 020

43 498

43 490

36 380

18 327.37

21 531.37

36 380

3 834

267 460.74
Versements de la SC à l'appelant

(en dollars)

54 000

10 000

43 498

43 490

36 380

18 327.37

21 531.37

36 380

3 830

267 436.74


* Le lendemain, soit le 31 décembre 1997, la société Hygiene a haussé de 37 850 $ le capital déclaré des actions de catégorie B.


RÉFÉRENCE :

2005CCI684

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-966(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

L. Mark Evans c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 17 octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

DATE DU JUGEMENT :

le 28 novembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Me Clyde R. Davis

Me Robert Donald

Avocats de l'intimée :

Me Jon Gilbert

Me John O'Callaghan

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Clyde R. David

Étude :

Olson Lemons

177 4 Ave. S.W.

Calgary (Alberta) T2P 3T4

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)



[1]          Le paragraphe 245(4) a été modifié le 25 février 2005 en ce qui concerne les opérations inscrites après le 12 septembre 1988. La modification avait pour but de supprimer la double négation de la version originale, d'y distinguer (dans la version anglaise) les concepts de « misuse » et d' « abuse » , et d'ajouter des renvois à d'autres textes législatifs, dont notamment des conventions fiscales. Bien que, contrairement à l'arrêt Hypothèques TrustcoCanada, cet appel a été entendu par la présente Cour le 17 octobre 2005, après la modification, je ne propose pas d'examiner la question de la modification rétroactive, parce qu'il ne me semble pas, à la lumière des faits de l'affaire en cause, que cette modification change de manière importante mes conclusions sur le plan du droit ou des faits. Je note que, même si la version française devient disjonctive en vertu de la modification, les alinéas a) et b) contiennent tous deux le terme « abus » . En outre, l'avocat de l'intimée a allégué dans ses observations écrites que [TRADUCTION] « la nouvelle formulation n'a pas d'incidence sur l'application des arrêts de la Cour suprême du Canada à l'analyse de la RGAÉ dans le présent appel. » Je suis d'accord avec lui.

[2]      Comme nous l'avons mentionné plus haut, la version française de la modification est disjonctive. Bien que dans les deux cas le terme « abus » soit utilisé, je ne crois pas que la modification, dans l'une ou l'autre langue, aille à l'encontre de la conclusion de la Cour suprême du Canada selon laquelle le paragraphe 245(4) ne contient qu'une seule question.

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