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Dossier : 2004-4331(GST)I

ENTRE :

SCIERIE ST-ELZÉAR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 25 août 2005 à New Carlisle (Québec).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Michel Bernier

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

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JUGEMENT

L'appel de la cotisation en date du 24 mars 2004 visant la période du 1er février 2000 au 31 juillet 2003, qui a été établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et dont l'avis porte le numéro 0254968, est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de décembre 2005.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2005CCI738

Date : 20051202

Dossier : 2004-4331(GST)I

ENTRE :

SCIERIE ST-ELZÉAR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation, dont l'avis porte le numéro 0254968, établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) le 24 mars 2004 et exigeant le paiement d'un montant de 19 466,43 $ de taxe, plus des pénalités de 263,73 $ et des intérêts de 131,92 $. Cette cotisation a été établie pour la période du 1er février 2000 au 31 juillet 2003. Par décision sur opposition en date du 24 août 2004, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a ratifié la cotisation qu'il avait établie. L'appelante ne porte toutefois en appel que le refus d'accorder un crédit de taxe sur les intrants (CTI) de l'ordre de 1 120 $ à l'égard d'honoraires reliés à la préparation d'états financiers pour des sociétés apparentées à l'appelante, le motif du refus étant que ces honoraires n'ont pas été payés dans le cadre des activités commerciales de l'appelante conformément au paragraphe 169(1) de la Loi. Il faut comprendre que c'est l'appelante qui paie les honoraires reliés à la préparation des états financiers et des déclarations de revenus des sociétés de gestion, et cela comprend, évidemment, les déclarations relatives à la taxe sur les produits et services (TPS).

[2]      L'appelante, de son côté, soutient que le paiement des frais relatifs au maintien de la structure de son entreprise fait partie de ses activités commerciales, étant donnée la réduction importante des frais financiers qui en résulte, et que, de façon accessoire, cette structure assure un bien-être futur à ses actionnaires, qui pourront bénéficier des liquidités accumulées dans le groupe de sociétés.

[3]      La structure dont on parle a vu le jour en 1996, soit l'année où l'appelante a été constituée en société. Les actions de catégorie A de l'appelante sont toutes détenues par l'Association Coopérative forestière de St-Elzéar Inc. (Coopérative), société qui existe depuis 1944. Selon le témoignage du contrôleur de l'appelante, une structure de société par actions s'est avérée nécessaire pour contourner la difficulté que présente le fait que, dans une coopérative, les bénéfices et les liquidités réalisés ne peuvent être conservés puisqu'ils font l'objet de distribution aux membres ou de dépôt dans ce qui est appelé une réserve générale. Dans cette dernière situation, les bénéfices sont gelés.

[4]      Sans reproduire le schéma de la structure de l'entreprise, qu'il suffise de dire qu'ont été constituées cinq sociétés de gestion, dont les actions sont détenues par les membres de la Coopérative. Ces cinq sociétés de gestion détiennent un certain nombre d'actions privilégiées de l'appelante. De son côté, l'appelante détient des actions de deux autres sociétés, dont le rôle n'a pas été expliqué. Le résultat de cette structure a été de permettre à la Coopérative d'éviter les difficultés financières que connaissent certaines coopératives forestières semblables au Québec, et, selon le témoin, 75 à 80% d'entre elles ont de telles difficultés. Elle permet donc à l'appelante de profiter de liquidités suffisantes aux fins de ses opérations et, par le fait même, permet une réduction importante des frais financiers reliés à ses opérations. Le financement des activités de l'appelante se fait à l'intérieur du groupe, sans qu'il y ait besoin de recourir à des services bancaires. La légalité de cette façon de faire n'est pas mise en question par l'intimée.

[5]      Les états financiers des sociétés de gestion, dont les actions sont détenues par les membres de la Coopérative, appuient ce qui vient d'être dit concernant le financement, et on peut voir dans les états le montant total des bénéfices non répartis. Cette façon de faire est considéré comme un incitatif pour les membres à conserver l'argent aux fins des opérations de l'appelante, puisqu'à l'âge de 60 ans, ils pourront commencer à toucher de cet argent. Selon les états financiers de la Coopérative au 31 janvier 2002, l'avoir des titulaires d'actions privilégiées représente 41% de la valeur nette qui totalise près de six millions de dollars.

[6]      Les activités quotidiennes de l'appelante consistent à exploiter une scierie et à faire de l'aménagement forestier; de plus, elle détient des droits de coupe. Elle s'occupe de travaux de sylviculture et dirige son personnel. Elle acquitte les honoraires reliés à la préparation des états financiers et les frais de comptable relatifs à ses opérations et elle acquitte aussi les mêmes honoraires et frais pour les cinq sociétés de gestion et paye la TPS y afférente. L'appelante a récupéré sous forme de crédit de taxe sur les intrants la TPS sur les honoraires reliés à la préparation des états financiers des cinq sociétés de gestion et la question est de savoir si elle avait droit à ce crédit? Pour y répondre, il faut se demander si le paiement des honoraires pour les services acquis afin de tenir la structure de l'entreprise en place peut être considéré comme se rapportant à un intrant acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre des activités commerciales de l'appelante.

[7]      Les dispositions législatives pertinentes sont celles du paragraphe 169(1) de la Loi, qui énonce la règle générale en vertu de laquelle un inscrit peut avoir droit à un crédit de taxe sur les intrants; est également pertinente la définition d' « activité commerciale » qui se trouve à l'article 123 de la Loi.

169.(1) Règle générale - Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d'une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est uninscrit, relativement à un bien ou à un service qu'elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, lataxe relative à lafourniture, à l'importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable :

A × B

A représente la taxe relative à la fourniture, à l'importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable;

B :

a) dans le cas où lataxe est réputée, par le paragraphe 202(4), avoir été payée relativement au bien le dernier jour d'une année d'imposition de la personne, le pourcentage que représente l'utilisation que la personne faisait du bien dans le cadre de ses activités commerciales au cours de cette année par rapport à l'utilisation totale qu'elle en faisait alors dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises;

b) dans le cas où lebien ou le service est acquis, importé ou transféré dans la province, selon le cas, par la personne pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l'immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l'immobilisation;

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l'a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

123. (1) Définitions

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l'exploitation d'une entreprise [...] sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées [...]

[8]      L'appelante et l'intimée ont tous les deux appuyé leur point de vue sur l'affaire BJ Services Co. c. Canada, [2002] A.C.I. no 599 (QL) (CCI), [2002] GSTC 124, dans laquelle une compagnie très profitable, Nowsco Well Services Ltd. (Nowsco), a dû payer des honoraires à des conseillers financiers et juridiques à la suite d'une offre publique d'achat hostile. Dans cette affaire, Nowsco avait réclamé des CTI à l'égard desdits honoraires, sur lesquels elle avait payé de la TPS, le motif de la réclamation étant que ces honoraires rapportaient à des intrants qui avaient été utilisés dans le cadre de ses activités commerciales. Les services des professionnels avaient été retenus par Nowsco dans l'intention de maximiser la valeur de ses actions, comme étaient tenus de le faire les administrateurs de cette société. L'intimée soutenait, dans l'affaire BJ Services, que ces dépenses avaient été faites uniquement dans le but de faire augmenter la valeur des actions au bénéfice des actionnaires et ne l'avaient pas été dans le cadre d'activités commerciales. La Cour a toutefois statué que les services professionnels en question avaient été utilisés dans le cadre des activités commerciales de Nowsco, puisque l'acquisition des services ne s'était pas faite seulement au bénéfice des actionnaires, mais avait été faite aussi dans le but d'établir et de maintenir la confiance des marchés boursiers, et ce, pour le bien de Nowsco.

[9]      En l'espèce, l'intimée invoque essentiellement le même argument qu'elle a avancé dans BJ Services, à savoir qu'il faut que l'intrant soit directement lié à la réalisation de fournitures taxables pour que l'inscrit soit admissible aux CTI. Elle soutient que, puisque l'appelante est dans l'industrie de l'aménagement forestier et qu'elle exploite une scierie, il est impossible de faire un lien entre l'intrant et les activités commerciales de l'appelante. L'intimée demande, en effet, si on peut prétendre que les états financiers et les déclarations de revenus des sociétés de gestion peuvent être utilisés dans le cadre des activités commerciales de l'appelante.

[10]     Il n'est pas contesté en l'espèce que toutes les fournitures de l'appelante faites dans le cadre de ses opérations sont des fournitures taxables. La seule question qui se pose est de savoir si les intrants ont été utilisés dans le cadre des activités commerciales de l'entreprise; il ne s'agit pas de chercher un lien direct entre l'intrant et les fournitures taxables. Ce n'est que lorsque l'inscrit réalise des fournitures taxables et des fournitures exonérées que se pose la question de savoir s'il y a un lien direct entre l'intrant et les fournitures taxables, car à ce moment-là un tel lien doit exister pour que l'inscrit ait droit aux CTI.

[11]     Selon la décision BJ Services, lorsque l'inscrit ne réalise aucune fourniture exonérée, les honoraires seront considérés comme des dépenses faites dans le cadre de ses activités commerciales, à moins qu'ils ne comportent un élément non commercial ou personnel.

[12]     Toujours selon la décision BJ Services, quatre éléments doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si un intrant est de nature commerciale. Il faut regarder l'objet de l'intrant, les bénéficiaires de l'intrant, le contexte et la jurisprudence.

[13]     Il y a, à mon avis, une distinction évidente entre BJ Services et la présente en l'espèce. Dans BJ Services, les services de professionnels avaient été retenus par les administrateurs et ces services étaient nécessaires afin de satisfaire à l'obligation des administrateurs de maximiser la valeur des actions et de maintenir la confiance du marché boursier, alors qu'en l'espèce les services professionnels rendus satisfont aux obligations des cinq sociétés de gestion de produire des déclarations de revenus et des états financiers et non à des obligations de l'appelante. Les cinq sociétés de gestion sont celles qui ont besoin de services professionnels comme ceux rendus en l'espèce et qui devraient, à mon avis, en assumer le paiement. Le fait que l'appelante permette que la facture pour ces services lui soit envoyée et le fait qu'elle en fasse le paiement témoigne de son intérêt économique à maintenir les sociétés de gestion en existence plutôt que d'indiquer l'existence d'une nécessité ou d'une obligation légale d'assurer le bon fonctionnement de son entreprise, nécessité ou obligation qui commanderait la conclusion que le paiement fait partie intégrante des activités commerciales de l'appelante. L'objet et le contexte de l'intrant n'ont pas de rapport avec les activités commerciales de l'appelante, pas plus que le fait que les bénéficiaires de l'intrant en l'espèce sont la Coopérative et ses membres, en raison du bénéfice qui sera attribué à ces derniers à l'âge de 60 ans.

[14]     Je ne crois pas que la définition d'activité commerciale puisse aller aussi loin que d'inclure le paiement d'honoraires pour des services nécessaires au maintien d'entités juridiques distinctes et de permettre de réclamer des CTI à l'égard de ces honoraires. L'intérêt économique à maintenir la structure de l'entreprise de l'appelante peut justifier le paiement des honoraires en question, mais aller jusqu'à dire qu'il s'agit là d'une dépense faite dans le cadre de ses activités commerciales serait, à mon avis, exagéré.

[15]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de décembre 2005.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :

2005CCI738

No DE DOSSIER DE LA COUR :

2004-4331(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Scierie St-Elzéar Inc. c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

New Carlisle (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 août 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

l'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 2 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Michel Bernier

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Cabinet :

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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