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Dossier : 2004-3561(IT)G

 

ENTRE :

RONALD ROBERTSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requête entendue à Winnipeg (Manitoba), le 16 février 2006

 

Devant : l’honorable juge Judith Woods

 

 Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelant :

Me J.R. Norman Boudreau

 

Avocat de l’intimée :

Me Gérald L. Chartier

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

 

La requête présentée par l’intimée afin d’obtenir une ordonnance radiant certaines parties de l’avis d’appel est rejetée. Les dépens afférents à la requête seront à la discrétion du juge siégeant à l’instruction.

 

 


Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de mars 2006.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur

 

 


 

 

Référence : 2006CCI147

Date : 20060308

Dossier : 2004-3561(IT)G

 

ENTRE :

RONALD ROBERTSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

La juge Woods

 

[1]     Ronald Robertson, Indien inscrit et membre de la réserve Norway House, a interjeté appel de cotisations fiscales relatives à un revenu de pêche et à des prestations d’emploi. Les cotisations ont été établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications, et elles concernent les années d’imposition 1999, 2000, 2001 et 2002.

 

[2]     L’appelant interjette appel de la cotisation au motif que son revenu de pêche et ses prestations d’emploi ne devraient pas être assujettis à l’impôt soit en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et de l’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu soit, à titre subsidiaire, en vertu de droits ancestraux ou issus de traités.

 

[3]     Il s’agit d’une requête présentée dans le cadre de l’appel et par laquelle l’intimée souhaite obtenir la radiation des parties de l’avis d’appel qui touchent les droits ancestraux ou issus de traités. L’intimée soutient qu’il est évident que ce motif d’appel est dénué de fondement. Elle demande à la Cour de prononcer une ordonnance en application de l’alinéa 58(1)b) (aucun moyen raisonnable d’appel) ou des alinéas 53b) et c) (acte de procédure frivole ou vexatoire et recours abusif) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

 

[4]     L’appelant exploite une entreprise de pêche commerciale dans les eaux adjacentes à sa réserve. Il avance que, traditionnellement, la zone de pêche a été exploitable et utilisée par la Norway House Cree Nation comme source de nourriture et de revenu, ce qui a donné naissance aux droits ancestraux ou issus de traités de l’appelant de pêcher dans ces eaux.

 

[5]     Le fondement de l’argument relatif aux droits ancestraux ou issus de traités avancé par l’appelant est résumé dans l’extrait suivant tiré du paragraphe 7 de ses observations écrites :

 

[TRADUCTION]

[…] L’appelant fait valoir qu’il jouit de droits ancestraux ou issus de traités de poursuivre ses activités dans la région visée par le Traité no 5 dont sa bande est signataire et selon lequel le revenu tiré de ces activités par les membres de la bande n’est pas assujetti à l’impôt de l’intimée.

         

[6]     Selon l’intimée, l’appelant ne jouit plus de droits ancestraux ou issus de traités de pratiquer la pêche commerciale et, par conséquent, l’appel ne peut d’aucune manière être accueilli sur ce fondement. La thèse avancée par l’intimée est résumée dans son avis de requête de la façon suivante :

 

[TRADUCTION]

Les paragraphes ne révèlent aucun moyen raisonnable d’appel puisque, de toute évidence, le droit de pêche ancestral de l’appelant s’est éteint et a été remplacé par les droits énoncés dans le Traité no 5, et que les droits de pêche commerciale par ailleurs garantis par le Traité no 5 ont par la suite été éteints par la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1929, laquelle est inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1930.

 

Analyse

 

[7]     L’argument fondamental de l’intimée est le suivant : les droits ancestraux ou issus de traités de pratiquer la pêche commerciale, dont l’appelant aurait pu jouir, ont manifestement été éteints par la convention de 1929 conclue entre le gouvernement fédéral et la province du Manitoba.

 

[8]     En 1930, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été modifié pour conférer la reconnaissance constitutionnelle à certaines ententes conclues entre le gouvernement fédéral et certaines provinces. Si je comprends bien, l’objet général des ententes consistait à transférer les ressources naturelles du gouvernement fédéral aux provinces contractantes. La convention applicable en l’espèce est celle intervenue entre le gouvernement fédéral et la province du Manitoba (la « Convention sur le transfert au Manitoba »), qui figure à l’annexe 1 de la Loi constitutionnelle de 1930 (anciennement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique).

 

[9]     La Convention sur le transfert au Manitoba comporte des clauses qui s’appliquent expressément aux Indiens même s’ils n’étaient pas parties à l’entente. La clause sur laquelle se fonde l’intimée est l’article 13, dont voici le texte :

 

13. Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leur support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès.

 

[10]    Selon l’intimée, cette disposition a pour effet d’éteindre tous les droits ancestraux ou issus de traités dont l’appelant pouvait avoir joui autrement en matière de pêche commerciale.

 

[11]    L’article 13 comporte deux volets. Premièrement, il garantit aux Indiens qu’ils continueront d’avoir le droit de chasser et de pêcher pour se nourrir (c.‑à‑d. pour des activités non commerciales). Cet aspect n’est pas pertinent dans le cadre de la présente requête puisque l’appelant se livrait à des activités commerciales. Le gouvernement fédéral convient en outre que les dispositions législatives générales [TRADUCTION] « en matière de gibier » s’appliquent aux Indiens, sous réserve de leur droit prépondérant de chasser et de pêcher pour se nourrir.

 

[12]    L’intimée reconnaît que l’article 13 ne mentionne pas explicitement que les droits de pêche commerciale sont éteints, mais l’avocat renvoie à certaines décisions judiciaires – dont un grand nombre rendues par la Cour suprême du Canada – qui étayent cette assertion.

 

[13]    Bon nombre des décisions invoquées par l’intimée énoncent que les droits ancestraux ou issus de traités sont éteints par l’article 13 ou par d’autres clauses libellées de manière analogue et figurant dans des traités conclus avec d’autres provinces. Je signale à titre d’exemple les arrêts suivants : R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, à la page 933 (affaire intéressant la Wildlife Act de l’Alberta); R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au paragraphe 46 (affaire intéressant la Wildlife Act de l’Alberta); R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, au paragraphe 38 (affaire intéressant les règlements de pêche de la Colombie‑Britannique); et R. v. Gladue, [1995] A.A. 1116 (C.A. Alb.), au paragraphe 12 (affaire intéressant les règlements de pêche de l’Alberta).

 

[14]    À mon sens, il est difficile de s’appuyer sur ces décisions parce qu’elles intéressent toutes des dispositions législatives provinciales qui traitent expressément de la réglementation en matière de gibier. L’article 13 concerne expressément ce genre de dispositions. Or, il n’est pas du tout certain que ces décisions ont une quelconque pertinence en ce qui touche les dispositions législatives qui ne portent pas expressément sur la réglementation du gibier, comme celles de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada.

 

[15]    Pendant l’audience, l’intimée a laissé entendre que ce raisonnement découle d’une mauvaise interprétation de l’argument avancé par l’appelant. Même si cela est tout à fait possible, je ne pense pas que l’intimée puisse en tirer un quelconque avantage.

 

[16]    Dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa 58(1)b) ou sur les alinéas 53b) et c), il n’est pas suffisant pour la partie requérante de répondre uniquement aux arguments précis de l’autre partie. La question générale soulevée par l’avis d’appel est celle de savoir si l’appelant peut invoquer les droits ancestraux ou issus de traités pour se soustraire à l’impôt sur le revenu fédéral. À mon avis, le fait de renvoyer à l’article 13 de la Convention sur le transfert au Manitoba n’offre aucune réponse évidente à cette question.

 

[17]    Le fardeau incombant à la partie qui demande la radiation d’actes de procédure aux termes de ces dispositions est onéreux. Les tribunaux ne radient des actes de procédure que si l’autre partie n’a manifestement aucune chance d’obtenir gain de cause : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 (C.S.C.). Selon moi, l’argument de l’intimée ne lui permet pas de s’acquitter de ce lourd fardeau.

 

[18]    J’ajoute que j’ai restreint mon examen de la présente affaire aux arguments soulevés par l’intimée pendant l’audience. Il pourrait exister d’autres arguments à l’appui de sa thèse mais, dans le cadre de la requête en radiation d’un acte de procédure dont je suis saisie, je ne crois pas qu’il soit opportun que je me penche sur des arguments qui n’ont pas été invoqués.

 

[19]    Avant de conclure, je souhaite formuler certaines observations succinctes touchant un argument que l’intimée a avancé pour la première fois à la fin du débat. Cet argument n’a pas été présenté dans les documents produits à la Cour. L’intimée a soutenu que la Cour n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée par l’appelant, à savoir une déclaration selon laquelle la cotisation porte atteinte à ses droits ancestraux ou issus de traités. Comme cette question n’a pas été soulevée plus tôt, j’estime qu’il n’est pas opportun de l’examiner dans le cadre de la présente requête.

 

[20]    La requête de l’intimée est rejetée. Les dépens afférents à la requête sont à la discrétion du juge siégeant à l’instruction.

 

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de mars 2006.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2007.

 

Maurice Audet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                            2006CCI147

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :               2004-3561(IT)G

 

INTITULÉ :                                                 Ronald Robertson

                                                                   c.

                                                                   Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 février 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :               L’honorable juge Judith Woods

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                   Le 8 mars 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :                         Me J.R. Norman Boudreau

 

Avocat de l’intimée :                           Me Gérald L. Chartier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                                       J.R. Norman Boudreau

 

                   Cabinet :                                   Booth, Dennehy LLP

                                                                   Winnipeg (Manitoba)

 

       Pour l’intimée :                                     John H. Sims, c.r.

                                                                   Sous-procureur général du Canada

                                                                   Ottawa, Canada

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