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Référence : 2006CCI241

Date : 20061204

Dossier : 2005-1071(GST)G

ENTRE :

VILLE DE LÉVIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience le 10 février 2006

à Québec (Québec) et modifiés pour plus de clarté et de précision.)

Le juge Archambault

[1]      La Ville de Lévis (Ville) interjette appel à l'encontre de deux cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (Loi). La première vise la période du 1er mai 2000 au 31 décembre 2001, et la deuxième, la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003. Le ministre, par l'intermédiaire de son mandataire, le ministre du Revenu du Québec, a établi à l'égard de la Ville une cotisation pour des taxes sur les produits et services (TPS) que le ministre prétend que la Ville a perçues, mais n'a pas remises au ministre.

Contexte factuel

[2]      La Ville a fait un appel d'offres à des sociétés de publicité pour louer certains de ses immeubles pour l'affichage de messages publicitaires. L'appel d'offres comprenait un cahier de charges général et un cahier de charges spécial (pièce A-1, onglet 6). Trois sociétés ont répondu à cet appel et la Ville a accepté la proposition la plus avantageuse, soit celle de Pattison-Québec (Pattison). Selon cette proposition, serait versé - sur une période de quinze ans - un loyer global de 4 229 393 $ (pièce A-1, onglet 6). Dans la colonne « Revenu total sur 15 ans incluant indexation annuelle de 3% » du tableau intitulé « Proposition de location d'emplacement Enseignes publicitaires Pattison-Québec » , ce montant est ventilé pour chaque emplacement. À ce loyer s'ajoute un montant forfaitaire de 200 000 $ qui devait être versé lors de la signature de l'entente.

[3]      Monsieur Turgeon, le coordonnateur de l'approvisionnement de la Ville, qui a préparé l'appel d'offres, dit avoir expressément exclu la TPS et la taxe de vente du Québec (TVQ) du tableau sur lequel la ventilation du loyer devait être inscrite. Selon sa compréhension, la location constituait une fourniture exonérée et seulement des montants de loyer devaient apparaître sur ce document. Il ne se rappelait pas qui lui avait donné cette opinion, mais il semblerait que ce soit monsieur Rodrigue, le trésorier de la Ville, qui l'a fait avant de partir en vacances. Mentionnons également que l'on ne trouve aucune mention de TPS ou de TVQ dans l'appel d'offres ni dans la proposition de Pattison.

[4]      Une fois l'ouverture des propositions et le choix de la société d'enseignes publicitaires faits par la Ville, monsieur Turgeon a demandé à sa secrétaire de préparer une résolution du conseil municipal pour aider le service du greffe de la Ville. Pour rédiger cette résolution, la secrétaire a utilisé un modèle qui, malheureusement, décrivait la contrepartie comme « incluant les taxes fédérale et provinciale » . De façon évidente, cette secrétaire ne savait pas que la location par la Ville des emplacements aux fins d'affichage publicitaire constituait une fourniture exonérée. La preuve est imprécise à cet égard, mais il semblerait qu'une autre personne de la Ville ait préparé le contrat de location où il est mentionné que la Ville louait divers emplacements pour des enseignes publicitaires Pattison « pour un montant total approximatif de 4 229 393 $ incluant les taxes, conformément à la soumission [...] au cahier d'appel d'offres [...] comprenant l'appel d'offres, le cahier de charges général, le cahier de charges spécial, l'addenda numéro un, et les annexes incluses audit devis » (pièce A-1, onglet 6, article 1 du contrat de location). À l'article 2 du même contrat, il est mentionné que les documents énumérés à l'article 1 sont joints en liasse au contrat et font partie intégrante du contrat après avoir été paraphés par les parties.

[5]      Lors de son témoignage, monsieur Rodrigue a indiqué qu'il avait été absent au moment de la rédaction de la résolution et du contrat de location. C'est lorsqu'il a reçu le premier chèque de 200 000 $, qui devait être remis lors de la signature du contrat, qu'il a appris que la TPS et la TVQ étaient incluses : mention en aurait été faite sur le chèque. Il savait que la location des immeubles constituait une fourniture exonérée, mais avait un doute quant au montant forfaitaire payé à la signature du contrat de location. Il a alors décidé de demander un avis aux comptables Raymond, Chabot, Grant, Thornton, qui lui ont confirmé qu'il s'agissait bien d'une fourniture exonérée.

[6]      Monsieur Rodrigue a ensuite communiqué avec le directeur général de Pattison, monsieur Ringuette, pour clarifier la situation. Ce dernier a indiqué - tout comme il l'a fait lors de son témoignage - que le montant du loyer dont on avait convenu, à savoir 4 229 393 $, représentait dans son entièreté du loyer et qu'aucune taxe n'était incluse dans ce montant. Monsieur Ringuette a demandé alors à sa contrôleuse d'étudier la question et cette dernière a confirmé à monsieur Rodrigue, dans une lettre du 17 février 2000 (pièce I-1), que les « montants de taxes n'auraient pas dû figurer sur les chèques mais bien faire partie du montant du loyer total pour la location des sites mentionnés » . Le vérificateur du ministre a indiqué qu'il voyait une certaine ambiguïté en ce qui concerne la portée de cette lettre. D'après ce que j'en comprends, la contrôleuse confirmait que les montants qui avaient été indiqués comme taxes auraient dû être considérés comme du loyer et telle est, selon moi, la portée de ce document. Par contre, Pattison a continué à montrer des taxes sur les chèques pour le loyer remis par la suite annuellement à la Ville.

[7]      Lors d'une réunion tenue le 15 juin 2004 relativement à un projet de cotisation du ministre, monsieur Ringuette a réitéré que la proposition qu'avait faite Pattison visait à remettre comme loyer le montant de 4 229 393 $ et que Pattison n'aurait pas dû montrer sur les chèques un montant pour les taxes. De plus, si on n'a pas corrigé la situation par la suite, c'est parce que la comptabilité de Pattison avait été transférée, au cours de l'automne 2000, au bureau de Toronto, qui devenait responsable de la comptabilité pour tout l'Est du Canada. Même si monsieur Ringuette était d'avis que Pattison-Toronto devait prendre les mesures nécessaires pour régulariser la situation, la responsable du bureau de Toronto, madame Ricci, a demandé l'avis d'un de ses propres comptables qui, selon toute vraisemblance, a pris connaissance du contrat et l'a interprété de manière littérale. Comme il était indiqué que le montant de 4 229 393 $ comprenait des taxes, il fallait s'en tenir aux termes du contrat. Il est intéressant de remarquer que madame Ricci, dans une communication à monsieur Ringuette, mentionne que Pattison pourrait cesser d'indiquer des taxes sur ses chèques si on lui fournissait un certificat d'exonération. Il semble clair que Pattison s'en est tenue strictement à l'opinion de son comptable et aux termes du contrat qui était intervenu le 4 août 1999, sans tenir compte de l'intention des personnes qui l'avaient conclu.

[8]      Évidemment, confronté aux demandes de crédit de taxes sur les intrants (CTI) faites par Pattison, le ministre s'est senti tenu de les lui accorder. Par contre, il s'attendait à ce que la Ville lui remette les prétendues taxes qu'elle aurait perçues à même les paiements effectués par Pattison. Il est tout à fait compréhensible que le ministre ait adopté la même position que le comptable de Pattison, à savoir celle consistant à s'en tenir aux termes du contrat, qui stipulait que le loyer comprenait les taxes. Je dois ajouter, pour être juste pour la position défendue par le vérificateur du ministre, qu'il ne s'est pas limité à la lecture du contrat de location, mais a constaté que la Ville avait effectué des écritures de régularisation pour annuler en 2001 un traitement comptable qui correspondait à celui adopté par Pattison, c'est-à-dire qu'on avait déclaré une partie du chèque comme du revenu et une autre comme de la TPS et de la TVQ. Lors de son témoignage, monsieur Rodrigue a précisé qu'une erreur s'était glissée dans la comptabilité en 2001 en raison de la présence de nouveaux employés qui n'étaient pas au courant du traitement qui avait été accordé aux sommes reçues en vertu du contrat dans le passé. Selon monsieur Rodrigue, il avait été convenu avec monsieur Ringuette dès le départ que le loyer ne devait pas comprendre de TPS ni de TVQ et que le plein montant représentait du loyer. Il a indiqué que la Ville comptabilisait de façon générale les chèques qu'elle recevait en vertu du contrat comme représentant entièrement du revenu de loyer. L'année 2001 constituait un cas exceptionnel.

[9]      Ce qui pouvait justifier également la conduite du vérificateur était le fait que Pattison indiquait sur les chèques qu'il y avait des montants de TPS et de TVQ et le fait que ces chèques avaient été encaissés par la Ville. Par contre, la Ville et monsieur Ringuette, qui avait été le directeur général de Pattison au moment de l'adjudication du contrat dans le cadre du processus d'appel d'offres, s'entendaient pour confirmer que le loyer remis par Pattison à la Ville ne comprenait pas de taxes.

[10]     La question que la Cour doit trancher est la suivante : Pattison a-t-elle effectivement versé un montant de TPS faisant partie de la contrepartie qu'elle versait chaque année? Je suis entièrement d'accord avec le procureur de l'intimée, comme le sont d'ailleurs les procureurs de la Ville, que si effectivement Pattison avait versé de la TPS à la Ville, alors que la fourniture était exonérée, cette dernière aurait dû remettre la TPS au ministre parce qu'elle était la mandataire du ministre et que la TPS appartenait au ministre. Plusieurs décisions ont été citées qui vont dans ce sens, notamment ITA Travel Agency Ltd. c. Canada, [2000] A.C.I. no 866 (QL), [2001] G.S.T.C. 5 (C.C.I.) et [2002] A.C.F. no 733 (QL), 2002 G.S.T.C. 58, 2002 G.T.C. 1192 (C.A.F.), et Gastown Actors' Studio Ltd. c. Canada, [2000] A.C.F. no 2047 (QL), [2000] G.S.T.C. 108 (C.A.F.). Dans ces affaires, contrairement à ce qui est le cas en l'espèce, un montant de taxe avait toujours été montré de façon distincte du montant de la contrepartie. Il était donc clair qu'un versement d'une taxe à un fournisseur avait eu lieu, même si c'était par erreur.

[11]     Ici, dans la cause qui nous intéresse, la preuve n'est pas aussi claire. On a stipulé que la contrepartie incluait les taxes. La question qu'il faut se poser est la suivante : est-ce que le contrat tel qu'il est rédigé reflète bien l'intention des parties? À mon avis, l'appel de la Ville doit être accueilli pour les motifs mentionnés par le procureur de la Ville et principalement pour ceux exposés dans ses deux derniers arguments. Tout d'abord, l'intention des parties au contrat était clairement que le montant de 4 229 393 $ ne doive représenter que du loyer. Cette compréhension a été corroborée non seulement par monsieur Turgeon, le coordonnateur de l'approvisionnement de la Ville, qui a participé à la préparation de l'appel d'offres, mais aussi par monsieur Ringuette, qui était le directeur général de Pattison et qui a supervisé la rédaction de la proposition en réponse à l'appel d'offres de la Ville. Comme le montant de 4 229 393 $ ne constituait que du loyer, aucune partie de cette somme versée à la Ville ne représentait des taxes.

[12]     La preuve a révélé que la mention « incluant les taxes » à l'article 1 du contrat de location résulte d'une erreur d'écriture qui remonte à la rédaction de la résolution et, malheureusement, personne ne l'a alors remarquée. Non seulement cette situation est confirmée par le témoignage des représentants des deux parties au contrat de location, mais elle l'est aussi par le communiqué de presse conjoint de Pattison et de la Ville rendu public le 4 août 1999 (pièce A-2). On peut y lire : « [L'entente] générera, au profit de la Ville et ses citoyens, des revenus totalisant 4 429 393 $ sur une période de 15 ans » .

[13]     Le deuxième argument est celui fondé sur le droit administratif en matière de contrats entre une administration publique et ses fournisseurs. Il semble que, tant en droit civil qu'en common law, un contrat doit refléter de façon précise ce que disent les appels d'offres et les propositions rédigés par les parties. Rappelons également que, selon les articles 1425 à 1428 du Code civil du Québec, il ne faut pas interpréter un contrat de façon littérale, mais il faut essayer de déterminer l'intention commune des parties. Ici, le procureur de la Ville s'est dit surpris par la franchise du témoignage de monsieur Ringuette, qui a témoigné à la demande de l'intimée (et non de la Ville) et qui n'a pas cessé de déclarer que le loyer dont Pattison avait convenu ne comprenait aucune TPS.

[14]     Pour ces motifs, je conclus que l'intention véritable des parties était qu'il n'y ait pas de TPS et de TVQ comprises dans le loyer versé par Pattison; je conclus aussi qu'en fait, aucune taxe n'a été remise par Pattison à la Ville[1]. D'ailleurs aucune TPS n'était exigible puisqu'il s'agissait d'une fourniture exonérée. Conséquemment, la Ville n'avait aucune obligation de verser de TPS au ministre et Pattison n'aurait pas droit non plus à des CTI relativement au loyer qu'elle a versé à la Ville. Par contre, comme elle n'est pas partie à cet appel, elle n'est pas liée par cette décision[2].

[15]     Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi - dont la première, en date du 18 juin 2004, pour la période du 1er mai 2000 au 31 décembre 2001, et la deuxième, en date du 9 juillet 2004, pour la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 - sont accueillis, sans dépens, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que la Ville n'a perçu aucune TPS relativement au loyer versé en vertu du contrat du 4 août 1999 et qu'elle n'avait aucune TPS à remettre au ministre à l'égard de ce loyer.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de décembre 2006.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI241

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-1071(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Ville de Lévis c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 10 février 2006

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                    le 17 février 2006

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                               le 4 décembre 2006

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Michel Dupont

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelante :

                   Nom :                              Me Michel Dupont

                   Cabinet :                          Desjardins Ducharme S.E.N.C.R.L.

                                                          Montréal (Québec)

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Il aurait certainement été utile que le contrat de location soit modifié pour refléter l'intention véritable des parties.

[2]           Il aurait été prudent pour le ministre de demander que Pattison soit jointe à l'appel de la Ville de façon à ce que Pattison soit liée par cette décision.

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