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Dossier : 2003-2088(EI)

ENTRE :

CHAUFFEUR PLUS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 11 mars 2004 à Nicolet (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Pierre Bélisle

Avocate de l'intimé :

Me Julie David

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, qui concerne une détermination du ministre du Revenu national en date 24 mars 2003, est accueilli; la décision rendue par le Ministre est modifiée en ce que les chauffeurs, dont les services étaient retenus par l'appelante, exécutaient leur travail lors des deux années en cause non pas dans le cadre d'un contrat de louage de services, mais d'un contrat d'entreprise.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2004CCI231

Date : 20040415

Dossiers : 2003-2088(EI)

ENTRE :

CHAUFFEUR PLUS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 24 mars 2003, à l'effet que l'appelante avait eu à son emploi pour les années 2001 et 2002 des chauffeurs ayant exécuté du travail pour elle dans le cadre d'un contrat de louage de services.

[2]      L'intimé a justifié sa détermination en s'appuyant sur les hypothèses de faits suivantes :

a)          L'appelante, constituée en société le 31 mai 1994, exploite une entreprise offrant des services de chauffeurs à diverses entreprises.

b)          Durant les années en litige, les actionnaires à parts égales de l'appelante étaient M. Lionel Fréchette et M. Marcel Filion.

c)          L'appelante offre à forfait des services de chauffeur de camions à ses clients.

d)          L'appelante ne possède aucun véhicule automobile ou camion.

e)          L'appelante possède une liste de travailleurs possédant des permis de chauffeur avec qui elle communique lorsque l'un de ses clients réclame un chauffeur de camion.

f)           L'appelante communique initialement avec l'un des travailleurs pour lui proposer une livraison que le travailleur est libre d'accepter ou de refuser.

g)          S'il accepte le travail, l'appelante indique au travailleur l'heure du départ et les endroits où il devra se rendre.

h)          Le travailleur ne possède aucun camion, seulement un permis pour le conduire, et utilise le camion ou véhicule du client du payeur.

i)           L'appelante ne possède aucun contrat écrit avec ses clients ni avec ses travailleurs.

j)           Les clients du payeur confirment ce qui suit :

-     Ils ont recours à des services de chauffeurs de véhicules auprès du payeur.

-     Ils donnent leurs directives au payeur qui s'occupe de les exécuter.

-     Ils ne paient pas les chauffeurs mais le payeur.

k)          L'appelante donne des instructions aux travailleurs quant à l'endroit, à l'heure, au véhicule ainsi qu'aux déplacements à effectuer.

l)           Les travailleurs ne fournissent aucun matériel de travail et n'encourent aucune dépense dans le cadre de leur travail pour l'appelante.

m)         L'appelante remettait aux travailleurs une feuille sur laquelle elle écrivait l'heure de départ et l'heure d'arrivée et les travailleurs la remettaient à l'appelante pour être rémunérés.

n)          Les travailleurs étaient rémunérés selon les heures réellement travaillées et selon un tarif horaire établi par l'appelante.

o)          Les travailleurs étaient rémunérés mensuellement par l'appelante.

p)          L'appelante remboursait les frais de repas occasionnés lorsque les travailleurs faisaient plus de 5 heures de travail ou quand ils se rendaient en région éloignée.

q)          L'appelante possédait une police d'assurance, couvrant les dommages corporels et matériels, collision ou versement et des accidents sans collision ni versement, pour tous les véhicules conduits par ses travailleurs.

r)           Les sommes incluses aux avis de cotisations ne comprennent que des versements de salaires sur lesquels des cotisations à l'assurance-emploi étaient payables (et non les remboursements de dépenses).

[3]      L'appelante a admis comme véridiques les alinéas a), b), d), e), f), i), j) et r).

[4]      Elle a nié pour les autres alinéas tels que rédigés.

[5]      Pour s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait, l'appelante a fait témoigner messieurs Yvan Gagnon et André Laroche, et l'un de ses deux actionnaires, monsieur Lionel Fréchette.

[6]      L'appelante avait mis sur pied une entreprise dont la seule et unique vocation était la location de services de chauffeurs qualifiés et compétents pour conduire tous genres de véhicules, allant de la simple voiture à l'énorme camion semi-remorque avec ou sans chargement pour des déplacements de court ou long trajet et ce, tant pour des allers ou retours simples ou pour des aller-retour.

[7]      Les chauffeurs détenaient différents types de permis de conduire allant de la catégorie I à la catégorie V. Certains permis assujettissaient leur détenteur à certaines exigences, notamment réussir des examens médicaux.

[8]      L'appelante avait deux catégories de clients avec qui elle ne signait aucun contrat. La première catégorie comprenait les clients qui exigeaient un prix déterminé à l'avance, un genre de forfait, clé en main. L'autre catégorie regroupait les clients qui retenaient les services d'un ou de plusieurs chauffeurs par le biais de l'appelante, sans entente préalable quant au coût total des services; l'appelante procédait à la facturation détaillée après l'exécution du travail requis en ajoutant tous les déboursés à la facture.

[9]      En substance, l'appelante a soutenu que les chauffeurs étaient rémunérés moyennant un taux ou un montant déterminé et accepté avant le début du travail. Les deux chauffeurs qui ont témoigné ont affirmé qu'ils étaient totalement libres d'accepter ou de refuser le travail offert. Tous deux ont indiqué que, si le montant offert ne leur convenait pas, ils avaient le loisir de négocier ou tout simplement de refuser l'offre soumise par l'appelante.

[10]     Parmi les éléments qui ne font aucun doute, j'ai relevé de qui suit :

·         Les chauffeurs n'avaient aucun risque de perte.

·         La rémunération qu'ils touchaient était directement et expressément fonction du temps requis pour l'exécution du travail dont les paramètres étaient connus lors de l'acceptation de l'offre.

·         Toutes les dépenses et déboursés effectués par les chauffeurs leur étaient remboursés.

·         Lors de la survenance d'imprévus de toute nature, tels que bris mécanique, congestion anormale, etc., les chauffeurs obtenaient une compensation pour couvrir le temps perdu.

·         Les chauffeurs n'avaient aucun rapport avec le propriétaire du véhicule qu'ils conduisaient, peu importe ce qui arrivait.

·         Il n'y avait aucun engagement d'exclusivité de la part des chauffeurs. Ces derniers pouvaient accepter ou refuser le travail sans aucune restriction.

·         Lorsque survenaient des imprévus, des problèmes ou des complications, les chauffeurs devaient communiquer avec l'appelante; jamais, ils ne communiquaient avec le propriétaire du véhicule qu'ils conduisaient.

·         Une police d'assurance avait été souscrite pour couvrir tous les intervenants.

·         Des vérifications périodiques auprès des autorités, dont la Sûreté du Québec, démontrent qu'il existait une préoccupation constante à l'effet que les chauffeurs soient et demeurent qualifiés et compétents.

·         Les chauffeurs devaient soumettre un rapport détaillé avant d'être payés.

·         L'appelante tenait un registre de chauffeurs, dont les qualifications pouvaient varier.

·         Les chauffeurs ne pouvaient pas se faire remplacer par une personne de leur choix pour effectuer le travail qu'ils avaient accepté d'exécuter.

[11]     L'intimé a accordé beaucoup d'importance au fait que l'appelante avait souscrit une police d'assurance pour couvrir les biens et les personnes, notamment les chauffeurs.

[12]     L'appelante agissait comme courtier ou intermédiaire entre des entreprises qui avaient divers besoins ponctuels de chauffeurs et des personnes ayant les qualifications requises et qui étaient intéressées par les offres qui leur étaient soumises en ce qui concerne le prix, le moment de l'exécution du travail et le genre de trajet à accomplir.

[13]     La preuve a révélé qu'il s'agissait la plupart du temps de revenus additionnels ou de revenus d'appoint pour les chauffeurs. La plupart des chauffeurs semblaient avoir d'autres activités pour gagner leur vie. Ce constat ressort d'ailleurs clairement des montants versés aux différents chauffeurs pour les années en cause. Dans la grande majorité des cas, il s'agissait de montants de peu d'importance. Pour étayer cette affirmation, je reproduis en partie les tableaux à la pièce I-4, page 14.

NOM

RÉMUNÉRATION

ASSURABLE 2001

BÉLIVEAU É

443.00 $

BÉLIVEAU R

115.00 $

BOILARD L

2,173.00 $

BOULANGER G

25,002.00 $

CAMIRÉ J

38.00 $

COMEAU D

61.00 $

CÔTÉ G

7,703.00 $

FILION J.P.

10,561.00 $

FOURNIER Y.

228.00 $

GAGNON Y

315.00 $

GARDNER C.

3,261.00 $

GARDNER G.

831.00 $

GAUTHIER Y.

7,635.00 $

GODBOUT R.

33.00 $

LEBLANC G.

270.00 $

LÉGARÉ C.

95.00 $

MARTEL C.

47.00 $

MASSÉ Y.

151.00 $

NOLIN M.

960.00 $

PLANTE D.

3,370.00 $

ROUX R

44.00 $

TREMBLAY M.

522.00 $

VALLÉE P.

405.00 $

VERVILLE R.

3,837.00 $

NOM

RÉMUNÉRATION

ASSURABLE 2002

BOILARD L

542.18 $

BOULANGER G

5,103.24 $

CÔTÉ G

333.00 $

FILION J.P.

1,603.00 $

FRÉCHETTE C

169.00 $

GARDNER C.

887.50 $

GARDNER G.

454.50 $

GARDNER J.M.

189.00 $

GAUTHIER Y.

843.00 $

LAROCHE A.

772.86 $

LEMIRE R.

187.00 $

PLANTE D.

524.25 $

TREMBLAY M.

356.00 $

VERVILLE R.

739.00 $

[14]     Le cheminement suivi par l'intimé pour conclure que les chauffeurs avaient travaillé dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services a été résumé aux pages 10 et 11 du formulaire CPT110 (pièce I-4). Il m'apparaît utile d'en reproduire le texte intégral :

Contrôle

Durant la période en litige, le payeur a-t-il exercé un contrôle sur les activités des chauffeurs?

Le payeur lorsqu'il reçoit des demandes de service de ses clients. Il contacte des chauffeurs pour leur offrir du travail. Les travailleurs ont le choix d'accepter ou de refuser. Ainsi, l'entente de départ entre les parties est que les travailleurs fonctionnent sur appel téléphonique. S'il accepte, le travailleur se soumet aux demandes du payeur. S'il refuse, le payeur contacte un autre travailleur pour lui offrir les travaux à faire. Les actionnaires du payeur, Lionel Fréchette et Marcel Fillion, ont précisé que ce sont eux qui donnent les instructions aux chauffeurs quant à l'endroit, l'heure, le véhicule ainsi que les déplacements à effectuer. Les chauffeurs contactés ont corroboré la version des actionnaires du payeur dans le déroulement des opérations.

Ces éléments sont appuyés par les lettres des clients, aux onglets M-1 à M-5, qui indiquent que les demandes de services sont données à Chauffeur Plus inc. et qu'ils ne transmettent aucune instruction aux chauffeurs.

Selon les services demandés par ses clients, Chauffeur Plus inc. établit les itinéraires, les horaires de travail des chauffeurs et le nombre de chauffeurs. Ces exigences dénotent que les chauffeurs doivent travailler à des moments précis. Ce qui représente une autre indication qu'ils sont dirigés et contrôlés par le payeur.

L'onglet M, soit les factures préparées par le payeur, nous démontrent que Chauffeur Plus inc. comptabilise les heures travaillées par ses chauffeurs. Ce fait dénote que le payeur exerce un contrôle des heures travaillées et est en mesure de justifier à ses clients les heures facturées et effectuées par ses conducteurs.

Devant ces éléments, nous considérons que le degré de contrôle exercé par Chauffeur Plus inc. auprès des chauffeurs est conforme au critère d'un contrat de louage de services.

Fourniture de l'équipement et des outils

Les parties ont confirmé que les outils de travail étaient fournis par les clients du payeur. Les travailleurs n'avaient rien à fournir dans l'exécution de leurs tâches.

Généralement, le travailleur indépendant est propriétaire de ses outils de travail alors que le travailleur salarié ne l'est pas. Le fait de travailler avec les outils fournis par le payeur ou par ses clients nous indique un travail effectué par un employé dans le cadre d'un contrat de louage de services.

Chance de profits ou risques de pertes

Dans le présent dossier, les camionneurs étaient rémunérés selon les heures travaillées et selon un taux horaire établi par le payeur. Chauffeur Plus inc. accordait également une allocation pour des repas et d'autres dépenses assumées par les camionneurs lorsqu'ils travaillaient dans des régions éloignées.

À l'onglet K, l'assurance des véhicules utilisés pour des dommages corporels et matériels détenus par le payeur démontre que le risque financier pour les chauffeurs est inexistant.

Les chauffeurs n'encouraient aucun risque de pertes ou chances de profits puisqu'ils n'avaient rien à fournir, ils étaient payés à l'heure, leurs dépenses de repas et d'hébergement étaient assumés par le payeur, les clients étaient la clientèle du payeur et les assurances accidents étaient de la responsabilité de Chauffeur Plus inc.

Les employés n'assumaient aucun risque financier. En conséquence, l'absence de tout risque financier à la charge du travailleur indique la présence d'un travail exécuté par un salarié dans le cadre d'un contrat de louage de services.

Intégration

Il faut voir le degré d'intégration du point de vue du travailleur. Sur ce critère, les chauffeurs intégraient leurs services aux activités commerciales de Chauffeur Plus inc. Ainsi, ils effectuaient du travail pour les clients du payeur et, ce tel, que le payeur le demandait.

Nous concluons que les chauffeurs s'intégraient aux activités commerciales du payeur. Puisqu'ils exécutaient des travaux selon les besoins des clients du payeur et non pas pour leurs clients.

Conclusion des emplois des chauffeurs selon l'alinéa 5(1)a) de la LAE.

Après analyse des faits, l'emploi des chauffeurs rencontre les exigences d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la LAE lorsque au service de Chauffeur Plus inc. au cours de la période en litige.

[15]     Le fait que l'appelante a souscrit une police d'assurance responsabilité ne constitue pas un élément déterminant car toute personne avisée et prudente sait qu'il faut se protéger contre les imprévus menant à des demandes d'indemnité qui pourraient entraîner sa ruine financière.

[16]     Souvent d'ailleurs, la seule raison d'être d'une assurance, et il s'agit là d'une mesure largement justifiée, est de se protéger contre d'éventuelles poursuites requérant des déboursés colossaux, notamment pour les frais d'avocats qui doivent être payés même si la poursuite est non fondée, voire même frivole.

[17]     Tout bon père de famille qui décide de se construire une résidence en ayant recours à une kyrielle d'entrepreneurs, dont notamment un plombier, électricien, plâtrier, ébéniste, maçon, etc., prendra une police d'assurance pour se protéger contre tous les aléas d'un chantier et cela, même s'il n'y a aucun équivoque possible quant au statut d'entrepreneur des divers intervenants sur le chantier.

[18]     Pour ce qui est du remboursement des dépenses, encore là, le fait que les dépenses, tels repas, frais d'appels téléphoniques et frais d'hôtel, soient remboursées n'est pas déterminant. En effet, il existe de plus en plus de situations où les entrepreneurs veulent réduire les risques en prévoyant que tous les déboursés devront être remboursés sur production des pièces justificatives.

[19]     Pour ce qui est de la propriété des outils, l'employeur qui déboursait la somme convenue pour l'exécution du travail ne fournissait aucun outil de travail au chauffeur puisque les véhicules-moteur ne lui appartenaient pas; ils étaient la propriété des compagnies à qui les services étaient rendus.

[20]     Finalement, quant aux critères favorisant la thèse du contrat de louage de services, à savoir le pouvoir de contrôle et la présence d'un lien de subordination, l'appelante a appuyé ses prétentions en se référant à la décision rendue dans l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) [1999] A.C.F. no 749. (Q.L.). Dans cet arrêt, l'honorable juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale a abondamment traité de la notion du contrôle. Il a beaucoup insisté sur ce qui n'était pas un contrôle et n'a pas été explicite sur ce qui constituait des faits et gestes caractérisant une manifestation concrète de la notion de contrôle.

[21]     Ainsi, on peut lire dans cet arrêt :

·         que ce n'est pas contrôler un travail que de fixer la rémunération;

·         que ce n'est pas contrôler un travail que de définir le but recherché;

·         que le remboursement des dépenses ne peut servir de fondement au lien de subordination;

·         que le fait de donner des ordres et instructions quant à la manière d'accomplir un travail ne consiste pas nécessairement une preuve qu'il existe un contrôle;

·         que le contrôle ne réside pas dans l'ordre des paiements;

·         qu'il ne faut pas confondre le contrôle du résultat des travaux et le contrôle de l'ouvrier; et

·         que le contrôle de la qualité des travaux n'est pas la même chose que le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser.

[22]     En l'espèce, la vocation de l'entreprise était d'offrir des chauffeurs pour tous genres de véhicules-moteur, allant de la simple automobile aux camions les plus sophistiqués. L'appelante ne possédait aucun véhicule et les chauffeurs conduisaient les véhicules qui étaient la propriété ou la responsabilité de personnes de qui elle obtenait les contrats.

[23]     Il y avait deux types de contrats obtenus qui pouvaient être conclus. Certains prévoyaient une certaine prestation de travail par un chauffeur pour un parcours d'une durée définie moyennant une somme forfaitaire, genre de formule tout compris ou clé en main pour un prix déterminé à l'avance. L'autre formule pourrait être qualifiée de contrat ouvert, c'est-à-dire que le travail était fait selon les instructions fournies.

[24]     Une fois le travail exécuté, le chauffeur soumettait un compte-rendu à l'appelante à partir de quoi la facturation était établie.

[25]     La présence du pouvoir de contrôle est sans aucun doute l'élément le plus fondamental pour déterminer si on est en présence d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise.

[26]     Souvent, il est extrêmement difficile d'identifier précisément les manifestations concrètes de l'exercice du pouvoir de contrôle.

[27]     La Cour d'appel fédérale a clairement et expressément affirmé qu'il suffisait de constater l'existence du pouvoir de contrôle du payeur et l'absence de faits susceptibles de démontrer que le payeur y avait renoncé pour conclure à l'existence d'un contrat de louage de services.

[28]     Il est très fréquent de constater des éléments qui, a première vue, étayent la présence d'un lien de subordination ou l'existence d'une quelconque manifestation du pouvoir de contrôle et qui sont tout aussi compatibles avec un contrat d'entreprise.

[29]     Lors d'une décision de la Cour d'appel fédérale rendus récemment, soit le 13 février 2004, dans Le livreur plus inc. c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 267 (Q.L.), l'honorable juge Létourneau rappelait les différents aspects de la problématique. Il s'exprimait comme suit :

[17]        La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., 2004 C.A.F. 54.

[18]        Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem.

[19]        Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 F.C.A. 394, « rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur » .

[20]        Je suis d'accord avec les prétentions de la demanderesse. Un sous-entrepreneur n'est pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co-contractants et les tiers. Ce n'est pas un dilettante à l'attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il oeuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l'extérieur de celui de l'entreprise de l'entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l'entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n'en est pas altérée pour autant. Et l'entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu'il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

[21]        Enfin, fixer la valeur de la rémunération, définir le but recherché ou effectuer le paiement des travaux par chèque ou autrement n'équivalent pas à contrôler un travail puisque ces éléments se retrouvent autant chez un contrat d'entreprise que chez un contrat de travail : Canada (Procureur général) c. Rousselle et al. (1990), 124 N.R. 339 (C.A.F.).

[30]     Les expressions « pouvoir de contrôle et lien de subordination » laissent sous-entendre que le payeur a le droit et le pouvoir d'intervenir pour réglementer le cadre du travail exécuté. Il peut exiger certaines orientations. Il peut surveiller l'environnement, la propreté, etc. Il peut assujettir l'exécution du travail au respect de normes sécuritaires, tel le port de vêtements spéciaux, de lunettes de sécurité, du casque protecteur, de bouchons pour les oreilles, etc. Il peut y avoir toutes sortes d'exigences quant à l'horaire de travail, quant à la cadence de production, quant au contrôle de la qualité et de la quantité. Le payeur peut exiger le respect d'un code d'éthique quant au langage, ou comportement, etc.

[31]     Par contre, lorsque de tels pouvoirs n'existent pas et que le payeur doit accepter que le travail soit effectué sans droit de regard, si ce n'est quant au résultat, lorsque la personne qui exécute le travail ne peut pas compter sur le fait qu'il y aura une suite et doit vivre avec la possibilité que la relation juridique prendre fin dès la fin des travaux en cours, il est alors probable que le contrat qui lie les parties est non pas un contrat de louage de services mais un contrat d'entreprise.

[32]     Pour qu'il existe un lien de subordination, cela sous-entend qu'il existe une certaine stabilité, régularité et continuité dans la relation juridique entre le donneur d'ouvrage et celui qui exécute le travail.

[33]     Une autre caractéristique importante est le degré d'autonomie des parties à l'entente. Ainsi, lorsque le lien juridique ou le contrat prend effet et forme à partir d'une discussion d'égal à égal où chacune des parties peut faire valoir ses conditions au point de mettre en péril, si les exigences ne sont pas acceptées, la création du contrat envisagé, on imagine mal, en pareil cas, qu'il puisse exister un lien de subordination.

[34]     Lorsque les parties ont, toutes deux, intérêt à être totalement et entièrement satisfaites de leur comportement respectif pour qu'il puisse y avoir une prolongation des travaux ou un renouvellement, il y a des chances que l'on soit en présence de deux entrepreneurs, tous deux subordonnés l'un à l'autre.

[35]     Lorsqu'on est en présence d'un véritable contrat de louage de services, il peut être très difficile d'identifier le lien de subordination surtout si l'employeur pratique les nouvelles philosophies du travail selon lesquelles les travailleurs sont des êtres humains et non des robots sans intelligence; par contre, dans tous les cas, lorsqu'il voudra mettre un terme au contrat, il devra se conformer à des modalités très précises, tels avis, motifs, etc.

[36]     En l'espèce, les chauffeurs étaient totalement autonomes et indépendants; ils possédaient toutes les qualifications et compétences nécessaires pour l'exécution du travail. Ils devaient respecter certaines exigences, notamment des exigences prescrites par les lois et les règlements. Ils devaient être ponctuels et se conformer aux instructions transmises par l'appelante en sa qualité d'intermédiaire et ce, en contrepartie d'un montant pré-déterminé.

[37]     L'appelante n'avait rien à voir avec le teneur du travail et la façon de faire le travail des chauffeurs. Elle ne faisait que transmettre les paramètres du contrat déjà obtenu auprès du ou des propriétaires de camions. Les chauffeurs avaient le droit d'accepter ou de refuser d'exécuter le travail proposé; ils étaient totalement autonomes en ce qu'ils pouvaient faire tout genre de travail pour quelqu'un d'autre. D'ailleurs, certains avaient des activités qui leur étaient propres et acceptaient de façon ponctuelle le travail de chauffeur, sans doute, pour arrondir leur fin de mois.

[38]     À la lumière de tous les éléments de preuve, à partir des conditions qui prévalaient, tant lors de la conclusion du contrat avec les chauffeurs que lors de l'exécution du travail et compte tenu du but recherché, il appert que les chauffeurs agissaient essentiellement comme sous-traitants. Le travail des chauffeurs exécuté pour l'appelante était effectué non pas dans le cadre d'un contrat de louage de services, mais d'un contrat d'entreprise.

[39]     Conséquemment, l'appel est accueilli en ce que les chauffeurs, dont les services étaient retenus par l'appelante, exécutaient leur travail lors des deux années en cause non pas dans le cadre d'un contrat de louage de services, mais d'un contrat d'entreprise.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2004CCI231

No DES DOSSIERS DE LA COUR :

2003-2088(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Chauffeur Plus Inc.

et le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :

Nicolet (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

le 11 mars 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 15 avril 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante:

Me Pierre Bélisle

Avocate de l'intimé:

Me Julie David

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Nom :

Ville :

Me Pierre Bélisle, avocat

Victoriaville (Québec)

Pour l'appelante :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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