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Dossier : 2002-4011(GST)I

ENTRE :

COFAMEK INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 9 avril 2003 à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Richard Généreux

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

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JUGEMENT

          L'appel d'une cotisation établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, concernant la taxe sur les produits et services pour la période du 1er août 1997 au 31 juillet 2001, dont l'avis est en date du 29 octobre 2001 et porte le numéro 02306054, est admis et la cotisation est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2003CCI466

Date : 20030704

Dossier : 2002-4011(GST)I

ENTRE :

COFAMEK INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation dont l'avis est en date du 29 octobre 2001 et porte le numéro 02306054 relativement à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) pour la période du 1er août 1997 au 31 juillet 2001.

[2]      L'appelante, Cofamek Inc. ( « Cofamek » ou la « compagnie » ) prétend que par cette cotisation, le ministre du Revenu national lui a refusé un crédit de taxe sur intrants ( « CTI » ) au motif qu'elle est propriétaire d'une automobile qui a été mise à la disposition d'un de ses actionnaires et que celui-ci l'a utilisée à des fins personnelles. La cotisation a été établie en application de l'article 173 de la Loi sur la taxe d'accise ( « Loi » ). Cet article réfère aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les avantages imposables pour les salariés et les actionnaires relativement au droit d'usage et au fonctionnement d'une automobile.

[3]      Le paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

9.          En cotisant l'appelante, le Ministre s'est notamment fondé sur les conclusions et les hypothèses de faits suivants :

a)          L'appelante est un inscrit aux fins de l'application de la TPS;

b)          L'appelante exploite une entreprise de génie conseil dans le domaine manufacturier;

c)          L'appelante est propriétaire d'un véhicule automobile qu'elle met à la disposition d'un de ses actionnaires;

d)          L'actionnaire utilise le véhicule automobile mis à sa disposition par l'appelante à des fins personnelles;

e)          L'appelante n'a pas droit au crédit de taxe sur intrants (CTI) sur les dépenses automobiles personnelles d'un de ses actionnaires;

[4]      En réalité, l'article 173 de la Loi n'apporte pas une restriction directe concernant les CTI, comme le fait l'article 170. Il établit plutôt une présomption qu'un inscrit a effectué une fourniture et a perçu la taxe sur l'avantage imposable résultant de l'utilisation d'une automobile pour fins personnelles par un salarié ou un actionnaire ce qui a pour effet d'annuler pour autant les CTI réclamés antérieurement par l'inscrit, à l'égard de ses dépenses d'automobile. La taxe ainsi établie en vertu du paragraphe 173(1) de la Loi est ici de 824,75 $ (pièce I-1, onglet 3).

[5]      La vérificatrice, Line Lauzon, a calculé l'avantage dont a bénéficié monsieur François Thibault, l'actionnaire de l'appelante, en déterminant que sur les 18 000 kilomètres parcourus annuellement, l'utilisation pour fins personnelles par monsieur Thibault s'établissait à 3 840 kilomètres par année.

[6]      Lors de son témoignage, madame Lauzon a affirmé qu'on lui avait remis un registre du kilométrage personnel de monsieur Thibault pour 1997 ainsi qu'un registre incomplet pour 1998. Ces registres ne comportaient aucune indication des déplacements quotidiens aller et retour de la résidence à ce que l'on peut désigner comme étant le bureau technique de la compagnie. Madame Lauzon a dit n'avoir pas tenu compte du kilométrage pour fins personnelles établi par monsieur Thibault et avoir simplement calculé le kilométrage personnel minimum, en considérant que le trajet « aller-retour » de la résidence de monsieur Thibault au bureau technique de la compagnie était pour fins personnelles. Comme elle a estimé le trajet à huit kilomètres entre les deux endroits, elle a donc simplement procédé au calcul suivant :

8 kms x 2 fois/jour x 5 jours/semaine x 48 semaines/année = 3 840 kms

[7]      Comme le nombre de kilomètres pour fins personnelles dit « minimum » représentait un pourcentage important des 18 000 kilomètres parcourus annuellement, il n'y avait pas lieu de calculer un avantage réduit, selon le paragraphe 6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8]      En réalité, la réduction de l'avantage en vertu du paragraphe 6(2) ne peut survenir que si moins de 1 000 kilomètres par mois sont parcourus autrement que dans l'accomplissement des fonctions et que les conditions suivantes sont remplies :

[la Société] « exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue par l'automobile pendant le nombre de jours ci-dessus est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge de l'emploi » ...

[9]      La distance totale de 18 000 kilomètres par année parcourue par l'automobile n'est pas contestée par l'appelante. Jusqu'à l'audition, les chiffres et calculs utilisés par madame Lauzon ne l'ont pas été non plus, l'appelante se contentant de prétendre que le trajet « aller-retour » de la résidence au bureau technique n'était pas effectué par monsieur Thibault pour des fins personnelles, mais plutôt pour des fins d'affaires en ce que la compagnie avait son « principal lieu d'affaires » à la résidence de celui-ci, laquelle était située au 955, rue Maurice à St-Charles de Drummond (Québec) et que les autres places d'affaires ou bureaux techniques loués à différents endroits au cours de la période en litige étaient « essentiellement temporaires » .

[10]     Lors de l'audition, l'appelante a maintenu ses prétentions concernant le caractère non personnel des déplacements de monsieur Thibault. De plus, elle a prétendu d'une part que le kilométrage moyen entre la résidence et les deux autres places d'affaires ou bureaux techniques utilisés au cours des années en litige était de 6.3 et non de 8 kilomètres selon le trajet normalement utilisé et, d'autre part que deux à trois fois par semaine en moyenne monsieur Thibault quittait la résidence le matin pour se rendre directement chez des clients plutôt qu'au bureau technique de la compagnie ce qui représentait pour lui un trajet dans l'accomplissement de ses fonctions et non un trajet pour fins personnelles.

[11]     Monsieur François Thibault et sa conjointe, madame Lyne Desrosiers, ont témoigné.

[12]     C'est en 1993, après avoir perdu son emploi, que monsieur Thibault alors ingénieur, débuta une entreprise de génie conseil manufacturier dans la région de Drummondville au Québec. La place d'affaires de l'entreprise fut, dès le départ, établie à la résidence de monsieur Thibault et de madame Desrosiers. La déclaration de raison sociale est à cet effet (voir pièce A-1, onglet 25). Au début, monsieur Thibault travaillait seul et s'occupait à la fois des travaux d'ingénierie exécutés généralement chez les clients et du travail administratif effectué à la résidence.

[13]     Au début de 1995, un premier espace pour exécuter le travail technique en ingénierie fut loué par monsieur Thibault de « Les Consultants Audet » dans le but d'obtenir des mandats de cette firme. Au début de 1996, monsieur Thibault a décidé de louer un plus grand local qui a été occupé jusqu'en octobre 1996. Au début de novembre 1996, l'entreprise jusqu'alors exploitée comme une entreprise à propriétaire unique enregistrée, a été constituée en compagnie en vertu de la Partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec, L.R.Q., chap. C-38 et le bureau technique a alors été déménagé à nouveau dans un local plus grand situé au 1800 Goupil à Drummondville; ce local fut utilisé jusqu'en septembre 1999. À compter d'octobre 1999 le bureau technique a été déménagé dans un local situé au 2400 Letendre à Drummondville et a été occupé jusqu'en janvier 2002. Toutefois, depuis le début et au cours de toute cette période débutant en 1993 et se terminant en janvier 2002, la gestion de l'entreprise a été effectuée au bureau de la résidence située au 955 Maurice à St-Charles de Drummond. C'est cette adresse qui a d'ailleurs été désignée comme étant celle du siège social de la compagnie au moment de sa constitution, (pièce A-1, onglet 1). Monsieur Thibault a affirmé que le maintien de la gestion de l'entreprise au bureau de la résidence était pour assurer une certaine stabilité face à la clientèle alors que l'expansion de l'entreprise et l'engagement de nouveaux employés ont exigé les nombreux déménagements du bureau technique au cours des années.

[14]     C'est madame Lyne Desrosiers qui s'occupait de l'administration de l'entreprise au cours de la période en litige. Au début, elle aidait son conjoint de façon plutôt informelle. En 1996, après une année sabbatique pour s'occuper de l'organisation de l'entreprise, elle a quitté son emploi régulier comme inhalothépeute et est devenue une employée à temps complet de Cofamek. Madame Desrosiers travaillait au bureau administratif situé dans la résidence, puisqu'il n'y avait pas d'espace disponible pour le travail administratif au bureau technique. Alors que monsieur Thibault utilisait l'automobile de la compagnie pour ses déplacements, madame Desrosiers utilisait l'automobile familiale pour transporter au besoin des documents d'un bureau à l'autre. Elle était simplement remboursée par la compagnie en fonction des kilomètres parcourus.

[15]     Les documents soumis en preuve démontrent que toute la correspondance non technique et la facturation sont acheminées ou traitées au bureau administratif, (pièce A-1, onglets 7 à 15 et 17 à 21).

[16]     Dans son témoignage, madame Desrosiers a aussi affirmé que les fournisseurs y livraient des pièces et que des clients s'y présentaient pour rencontrer monsieur Thibault. De même, des employés dont les services étaient loués par Cofamek à certaines entreprises y passaient chercher leur chèque de salaire.

[17]     Dans son témoignage, monsieur Thibault a lui aussi affirmé qu'il travaillait au bureau administratif de la compagnie tant le soir que le matin, qu'il y rencontrait des clients et qu'il y faisait des entrevues pour rencontrer des employés dont les services étaient loués aux clients. À cet égard, monsieur Thibault a mentionné que la location de personnel chez les clients était un aspect important de l'entreprise de Cofamek et aurait constitué 50 p. 100 et même à certains moments jusqu'à 60 p. 100 et 70 p. 100 du chiffre d'affaires.

[18]     Alors que madame Desrosiers travaillait au bureau administratif situé à la résidence de la rue Maurice et que les autres employés travaillaient au bureau technique ou auprès des clients, monsieur Thibault a affirmé que lui-même travaillait aux deux endroits puisqu'il devait non seulement s'occuper de l'aspect génie conseil, mais également de la gestion de l'entreprise de la compagnie.

[19]     En ce qui concerne ses déplacements, monsieur Thibault a affirmé que de deux à trois fois par semaine en moyenne, il quittait la résidence le matin pour se rendre directement chez des clients plutôt qu'au bureau technique de la compagnie.

[20]     Selon monsieur Thibault, la distance entre le bureau situé au 1800 Goupil et la résidence était de 6.8 kilomètres et celle entre le bureau situé au 2400 Letendre et la résidence était de 5.8 kilomètres selon le trajet régulièrement utilisé, plutôt que les 8 kilomètres calculés par la vérificatrice madame Line Lauzon en empruntant un trajet par l'autoroute.

[21]     Comment doit-on qualifier les déplacements de la résidence directement chez les clients ? Les mandats de l'entreprise étaient exécutés au bureau technique certes, mais également chez les clients. À cet égard, monsieur Thibault a affirmé que le matin il se rendait directement chez les clients plutôt qu'au bureau technique, et ce, de deux à trois fois par semaine en moyenne. De tels déplacements ne sauraient, en tout état de cause, être considérés comme des déplacements pour fins personnelles. Ils sont, à n'en pas douter, des déplacements dans l'accomplissement des fonctions. Ceci est d'ailleurs reconnu au paragraphe 5 du Bulletin d'interprétation IT-63R5, en date du 21 août 1995, intitulé « Avantages, y compris les frais pour droit d'usage d'une automobile, qui découlent de l'usage à des fins personnelles d'un véhicule à moteur fourni par l'employeur - après 1992 » .

[22]     Qu'en est-il maintenant des déplacements aller et retour de la résidence au bureau technique ? S'il est vrai que les déplacements d'un individu entre sa résidence et son lieu de travail habituel ont traditionnellement été considérés comme étant de nature personnelle, plutôt que des déplacements dans l'accomplissement des fonctions d'une charge ou d'un emploi ou effectués dans le but de gagner un revenu d'entreprise, il ne s'agit pas là d'une règle qui ne peut souffrir d'exceptions.

[23]     En effet, lorsqu'il est établi que les fonctions d'un individu, différentes certes, sont accomplies à deux endroits différents dont l'un est situé dans la résidence personnelle, la conclusion selon laquelle les déplacements entre les deux endroits doivent être considérés de nature personnelle s'avère plus difficile. Elle l'est d'autant plus si la résidence a toujours été le lieu où était située la base des opérations de l'entreprise. C'est la situation qui a prévalu dans la présente affaire. En effet, monsieur Thibault a débuté l'entreprise en utilisant d'abord sa résidence comme unique base de ses opérations. Ensuite, bien qu'il ait ouvert un bureau technique où pouvaient travailler un certain nombre d'employés et que différents locaux aient été loués à cette fin au fur et à mesure de l'expansion de l'entreprise, la direction et la gestion de l'entreprise sont toujours demeurés au même endroit c'est-à-dire à la résidence. Cette résidence est d'ailleurs devenue dès la constitution de Cofamek, le siège social de celle-ci.

[24]     Dans la mesure où l'on peut reconnaître qu'une partie importante du travail de monsieur Thibault, et non seulement celui de sa conjointe, était accomplie au bureau de la résidence, on ne peut affirmer que les déplacements entre la résidence et le bureau technique ne représentaient que des déplacements pour fins personnelles et qu'ils n'étaient pas effectués dans l'accomplissement des fonctions. Arriver à une telle conclusion apparaît d'autant moins justifiée que la résidence a été, depuis le début, la base des opérations de l'entreprise et qu'elle en est devenue le siège social par la suite, lors de la constitution de Cofamek en compagnie. (Voir à cet égard, Cumming v. M.N.R, 67 DTC 5312, The Queen v. Cork, 90 DTC 6358 (C.A.F.) et Forestell v. M.N.R., 91 DTC 998 (C.C.I.).) J'ajouterai que sur cet aspect, les faits de la présente affaire se distinguent de ceux de l'affaire Rioux c. Canada [2002] A.C.I. no 54 (Q.L.).

[25]     En conséquence de ce qui précède, l'appel est admis et la cotisation établie en vertu du paragraphe 173(1) de la Loi est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2003.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


RÉFÉRENCE :

2003CCI466

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4011(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Cofamek Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 9 avril 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P. R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 4 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Richard Généreux

Avocat de l'intimée :

Me Frank Archambault

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Ville :

Me Richard Généreux

Généreux, Côté

Drummondville (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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