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Dossier : 2003-1171(IT)G

ENTRE :

GEORGE CLIFFORD PEARCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 18 novembre 2004, à Nanaimo (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge G. Sheridan

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Peter M. Kremer, c.r.

JUGEMENT

            L'appel interjeté à l'égard de l'avis de nouvelle cotisation daté du 12 avril 2002 et établi en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est annulé, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de janvier 2005.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de septembre 2005.

Sara Tasset


Référence : 2005CCI38

Date : 20050117

Dossier : 2003-1171(IT)G

ENTRE :

GEORGE CLIFFORD PEARCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Sheridan

[1]      L'appelant, George Clifford Pearce, a produit un avis d'appel relativement au refus du ministre du Revenu national d'examiner à nouveau sa demande au titre d'une perte d'entreprise subie en 1996. Il a produit un avis d'opposition à l'avis de nouvelle cotisation établi par le ministre le 12 avril 2002. Le ministre a rejeté l'avis d'opposition en application du paragraphe 165(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu au motif que M. Pearce avait signé une renonciation à son droit de produire une opposition quant à la perte d'entreprise de 1996. Le ministre avance que M. Pearce ne peut interjeter appel de cette question devant la Cour selon le paragraphe 169(2.2) de la Loi. M. Pearce reconnaît avoir signé la renonciation, mais il conteste la validité de cette dernière parce que sa signature aurait été obtenue sous la contrainte en raison de menaces d'emprisonnement qu'il aurait reçues d'un fonctionnaire de l'Agence du revenu du Canada, M. Brad Anderson. Son avis d'appel ne donne aucun renseignement sur le bien-fondé de sa demande au titre de la perte d'entreprise de 1996. La seule question dont la Cour était saisie à l'audience était celle de la validité de la renonciation.

[2]      Le paragraphe 169(2.2) est ainsi rédigé :

169(2.2) Questions faisant l'objet d'une renonciation. Malgré les paragraphes (1) et (2), il est entendu qu'un contribuable ne peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier une cotisation établie en vertu de la présente partie relativement à une question à l'égard de laquelle le contribuable a renoncé par écrit à son droit d'opposition ou d'appel.

Faits

[3]      M. Pearce, maintenant à la retraite, est un ancien promoteur immobilier dont les activités, entre 1994 et 1997, englobaient en outre l'achat et la revente de navires à moteur, y compris un navire appelé Crown Jewel. En août 1997, ses activités commerciales ont fait l'objet d'un examen lié à certaines questions en matière de douane qui n'ont pas de pertinence dans le cadre du présent appel. Cette situation a à son tour donné lieu à une série d'enquêtes et de vérifications de la part de l'ARC. Parmi ces enquêtes, la seule pertinente en l'espèce est celle effectuée par Brad Anderson relativement à la vente du Crown Jewel en 1996. En juillet 1999, après de nombreuses discussions avec M. Pearce, Brad Anderson et son collègue, Ken Anderson (sans lien de parenté), ont rencontré M. Pearce et son avocat, Me Scott, et ont fait à M. Pearce une mise en garde quant à d'éventuelles accusations de fraude fiscale découlant de son omission de déclarer des revenus pour les années d'imposition 1994 à 1997. M. Pearce a admis à l'audience qu'il n'avait pas déclaré de revenus pendant ces années. Après cette mise en garde, Me Scott a conseillé à M. Pearce de ne rien dire de plus et la rencontre a pris fin. Dans les jours qui ont suivi, des discussions ont toutefois été entamées afin de régler l'affaire et une deuxième rencontre s'est tenue à la fin d'août 1999. Étaient présents à cette occasion, Me Scott, M. Pearce et son expert-comptable, M. Crofton, ainsi que MM. Anderson, de l'ARC. Brad Anderson a proposé à M. Pearce certaines modalités de règlement.

[4]      Pendant son témoignage, Me Scott a mentionné que, même si M. Pearce était un client de son cabinet depuis bon nombre d'années, il avait lui-même peu travaillé au dossier de M. Pearce avant juillet 1999 et n'avait aucune connaissance particulière en matière de droit fiscal. En revanche, M. Crofton était depuis longtemps le conseiller fiscal de M. Pearce et il comptait de nombreuses années d'expérience à titre de comptable agréé. Par conséquent, lors de la rencontre d'août 1999, M. Crofton a pris note de la proposition de l'ARC et, après le départ de MM. Brad et Ken Anderson, il a examiné le pour et le contre de cette offre avec M. Pearce et Me Scott. Il les a ensuite laissés pour qu'ils décident s'il était opportun, sur le plan juridique, que M. Pearce accepte l'offre. Le 21 septembre 1999, une dernière rencontre a eu lieu entre M. Pearce, Me Scott et MM. Brad et Ken Anderson de l'ARC. M. Pearce et M. Brad Anderson, en qualité de mandataire de l'ARC, ont signé la renonciation en présence de Me Scott et de M. Ken Anderson, qui ont signé le document à titre de témoins.

[5]      La renonciation comporte la clause suivante en ce qui concerne l'année d'imposition 1996 :

[TRADUCTION]

Année d'imposition 1996

La perte d'entreprise ou perte en capital découlant de la vente du navire à moteur Crown Jewel ne sera pas acceptée, [la perte au titre du Crown Jewel].

Les intérêts hypothécaires non déclarés de 15 671,00 $ feront l'objet d'une nouvelle cotisation en 1996 parce que George Pearce a omis de déclarer ce revenu.

À la fin de la renonciation aux droits d'opposition se trouve le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

George Pearce reconnaît ce qui suit :

1)          il comprend les dispositions du paragraphe 165(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles s'appliquent au présent document;

2)          le nouvel examen, par le ministère, des points énumérés plus haut pourrait donner lieu à des intérêts complémentaires;

3)          le présent document produit des effets qui lieront les héritiers, les exécuteurs testamentaires, les fiduciaires, les successeurs et les administrateurs du contribuable ainsi que toute autre personne susceptible d'être assujettie à l'impôt et responsable des intérêts qui découleront du nouvel examen des points énumérés plus haut;

4)          le présent document est signé librement et volontairement;

5)          des conseils professionnels ont été obtenus quant à la renonciation aux droits d'opposition constatée par le présent document ou le contribuable connaissait son droit d'obtenir de tels conseils.

[6]      M. Crofton savait que M. Pearce [TRADUCTION] « n'était pas content » lorsqu'il a signé la renonciation. Malgré cela et malgré le témoignage de M. Crofton selon lequel ils ont discuté, entre 1999 et 2002, de la perte au titre du Crown Jewel à [TRADUCTION] « plusieurs reprises » , M. Pearce ne lui a jamais donné instruction de produire une opposition relativement à l'avis de nouvelle cotisation de juin 2000 qui a donné effet aux modalités du règlement prévues par la renonciation. Dans son témoignage, M. Crofton a déclaré que, si M. Pearce lui avait donné des instructions en ce sens, il lui aurait rappelé qu'il avait renoncé à son droit de produire une opposition visant n'importe quelle nouvelle cotisation relative à la perte au titre du Crown Jewel au moment de signer la renonciation.

[7]      Le 12 avril 2002, le ministre a établi une nouvelle cotisation touchant certains aspects de l'année d'imposition 1996 qui n'étaient pas visés par la renonciation. Même si, comme l'a signalé M. Pearce au paragraphe 3 de son avis d'appel, il était [TRADUCTION] « contraire aux modalités de la renonciation, l'appelant a demandé une déduction pour perte d'entreprise [au titre de l'opération touchant le Crown Jewel] de 139 703 $ pour 1996 ... » dans cet avis d'opposition. L'avis d'opposition ne fait nullement mention du fait que la renonciation a été signée à la suite d'une menace d'emprisonnement. Cette allégation apparaît pour la première fois dans l'avis d'appel. Quoi qu'il en soit, le ministre a rejeté l'avis d'opposition produit par M. Pearce parce que ce dernier avait signé une renonciation visant la perte au titre du Crown Jewel et que, sur le fondement du paragraphe 165(1.2)[1], aucune opposition ne pouvait être faite relativement à cette question.

Analyse

[8]      L'allégation de M. Pearce voulant que Brad Anderson ait obtenu sa signature sous la menace est très grave et elle est fermement niée par M. Anderson. Dans son témoignage, ce dernier a mentionné que, même s'il a mis M. Pearce en garde lors de la rencontre de juillet 1999 quant à la possibilité que des poursuites soient intentées contre lui pour fraude fiscale en raison de son omission d'avoir déclaré un revenu, il ne l'a, à aucun moment pendant ses discussions avec lui, menacé d'emprisonnement pour lui faire signer la renonciation. En plus de qualifier cette conduite de [TRADUCTION] « contraire à sa pratique courante » , Brad Anderson a précisé dans son témoignage qu'une fois que des discussions sérieuses ont été entamées en vue d'en arriver à un règlement, l'ARC a cessé d'envisager d'intenter des poursuites criminelles contre M. Pearce, et M. Anderson a informé l'avocat de l'appelant de ce fait. Brad Anderson était un témoin digne de foi dont la position n'a pas été ébranlée par le contre-interrogatoire de M. Pearce. Son témoignage était corroboré par celui de son collègue, Ken Anderson.

[9]      En revanche, la preuve présentée par les témoins de M. Pearce n'étaye pas l'allégation de celui-ci. M. Crofton n'était pas présent à la rencontre de septembre au cours de laquelle M. Pearce a signé la renonciation. Dans son témoignage, il a toutefois mentionné qu'il avait examiné les modalités de la renonciation avec M. Pearce et son avocat et les avait présentées de telle sorte qu'elles puissent être utilisées par Me Scott, qui était moins expérimenté, pour préparer le texte du règlement qui a finalement été signé le 21 septembre 1999. En outre, même si on lui a dit que M. Pearce avait signé la renonciation, il n'a jamais eu vent d'une quelconque menace. Au contraire, on lui a demandé d'examiner la nouvelle cotisation de juin 2000 établie par le ministre pour veiller à ce qu'elle soit conforme aux modalités du règlement prévues par la renonciation. Cela permet de conclure non seulement que M. Pearce a accepté les modalités énoncées dans la renonciation, mais également qu'il a agi en prévision de leur mise en oeuvre.

[10]     Me Scott, l'avocat de M. Pearce, ne se souvient pas clairement de la rencontre de septembre 1999. Il n'avait à peu près rien consigné dans son dossier au sujet des détails de la rencontre - et certainement rien pouvant servir à étayer l'allégation de M. Pearce. Si Brad Anderson avait proféré des menaces d'emprisonnement contre M. Pearce en présence de Me Scott, on pourrait légitimement s'attendre à ce que son avocat ait, à tout le moins, inscrit une petite note dans le dossier ou conservé un quelconque souvenir d'un incident aussi extraordinaire, et ait protégé son client d'une renonciation de ses droits sous la contrainte. Or, Me Scott, dont la compétence et l'intégrité professionnelles n'ont en aucune manière été attaquées à l'audience, n'a rien fait de tel. Il faut donc tirer de ce qui précède l'inférence qu'aucune menace n'a été proférée.

[11]     Enfin, il y a le témoignage de M. Pearce lui-même. M. Pearce a mentionné qu'il était un homme d'affaires possédant une vaste expérience et ayant participé à au moins un projet important d'aménagement de terrains, à savoir 69 unités de maisons en rangée à Nanaimo. Vers la même époque, il achetait et vendait des bateaux de plaisance très chers sur le marché international. Il avait la possibilité d'obtenir des conseils juridiques et comptables dans le cadre de ses activités commerciales. Il a eu à maintes reprises l'occasion de traiter avec divers organismes et ministères gouvernementaux, y compris l'ARC, et il a acquis une vaste expérience à cet égard. À l'audience, il avait l'attitude d'une personne peu encline à renoncer à faire valoir ses droits ou à exprimer son point de vue. Tout cela m'incite à conclure que, si sa signature avait été obtenue sous la menace, M. Pearce n'aurait pas été du genre à attendre patiemment pendant plusieurs mois avant d'agir. Au cours de son témoignage, M. Pearce n'avait que de vagues souvenirs des événements qui se sont déroulés entre juillet et septembre 1999. Il n'a donné aucune précision sur le contenu des menaces ni sur l'endroit ou le moment où elles auraient été proférées. Pendant le contre-interrogatoire touchant les incohérences observées dans son témoignage, il a été équivoque, a refusé de répondre ou s'est simplement montré coléreux.

[12]     La preuve révèle qu'il n'était pas un homme heureux le jour où il a signé la renonciation. Cependant, son amertume ne tenait pas au fait qu'il avait été l'objet de menaces. De son propre aveu, un grand nombre de ses problèmes découlaient de sa propre omission de tenir à jour des livres adéquats et de déclarer ses revenus comme l'exige la Loi. Ce n'est qu'après de nombreuses discussions avec des fonctionnaires de l'ARC - en particulier Brad Anderson - et après avoir obtenu l'avis de son avocat et de son comptable qu'il a commencé à voir le bout du tunnel qu'il avait lui-même creusé. Le règlement proposé par l'ARC a été examiné et présenté sous une forme différente par les conseillers professionnels de M. Pearce. À la suite d'autres discussions avec ces fonctionnaires en présence de son avocat, il a signé le règlement le 21 septembre 1999. Cette entente prévoyait notamment la renonciation à son droit de produire une opposition à l'égard de la nouvelle cotisation donnant effet aux modalités convenues. En signant la renonciation, il s'est prévalu des modalités du règlement qui étaient à son avantage et il a reconnu ses obligations. Le ministre, quant à lui, a respecté ses engagements en établissant une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1996 conformément aux modalités du règlement. Lorsqu'il a fait l'objet de la nouvelle cotisation en 2002, M. Pearce s'est servi de ce prétexte pour demander à nouveau une déduction pour la perte de 1996 au titre du Crown Jewel. Évidemment, le paragraphe 169(2.2) l'empêche d'agir ainsi. Lavalidité de cette disposition limitative a été examinée et reconnue par la Cour suprême du Canada en 1977 dans l'arrêt Smerchanski[2] :

Comme il n'est pas contesté qu'un contribuable peut validement renoncer à son droit d'appel contre une cotisation d'impôt et que l'intérêt public ne s'oppose pas à pareille renonciation, la seule question importante en litige dans le présent appel est de savoir si le fisc, lorsqu'il envisage sérieusement des poursuites, par voie d'acte d'accusation comme c'est le cas en l'espèce, peut, sur l'offre faite par le contribuable, imposer comme condition préalable au règlement d'une dette fiscale indubitable la renonciation au droit d'appel et, par voie de conséquence, renoncer lui-même à toute poursuite.

Comme en l'espèce, l'appelant dans l'arrêt Smerchanski attaquait la validité de la renonciation au motif qu'il l'avait signée sous la menace de poursuites criminelles. Même si l'appelant Smerchanski a pu montrer que des poursuites criminelles auraient été intentées s'il n'avait pas accepté le règlement, la Cour suprême du Canada a conclu, à la lumière des faits particuliers de cette affaire, qu'il ne suffisait pas d'invalider la renonciation à son droit d'opposition. Or, la thèse avancée par M. Pearce est bien moins convaincante que celle de M. Smerchanski puisqu'il n'a même pas réussi à persuader la Cour qu'une quelconque menace avait été proférée.

[13]     Comme il est proposé (avec générosité peut-être) par l'avocat de l'intimée, il se peut que le passage du temps ait altéré les souvenirs de M. Pearce et que, dans son esprit, la mise en garde qu'on lui a donnée au cours de la rencontre de juillet 1999 au sujet des possibles accusations de fraude fiscale se soit muée en menace d'emprisonnement destinée à l'obliger à signer la renonciation en septembre 1999. Quoi qu'il en soit, ni son témoignage ni celui de ses propres témoins ne permet de conclure qu'il a fait l'objet de menaces de la part de Brad Anderson. J'accepte le témoignage de ce dernier voulant qu'il n'ait à aucun moment menacé M. Pearce en vue de lui faire signer la renonciation. J'arrive à la conclusion que M. Pearce a valablement signé la renonciation à son droit de produire une opposition et que cette renonciation est valide.

[14]     Dans la réponse à l'avis d'appel de l'intimée, la [TRADUCTION] « réparation demandée » est le rejet de l'appel. Cependant, comme les paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) ont pour effet conjugué de priver M. Pearce de tout droit d'appel à la Cour en ce qui concerne l'avis de nouvelle cotisation de 2002, l'avis d'appel est annulé, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de janvier 2005.

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de septembre 2005.

Sara Tasset



[1] Par. 165(1.2) Restriction. Malgré les paragraphes (1) et (1.1), aucune opposition ne peut être faite par un contribuable à une cotisation établie en application des paragraphes 118.1(11), 152(4.2), 169(3) ou 220(3.1). Il est entendu que cette interdiction vaut pour les oppositions relatives à une question pour laquelle le contribuable a renoncé par écrit à son droit d'opposition.

[2] Smerchanskic. M.R.N., [1977] 2 R.C.S. 23, à la page 31.

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