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Référence : 2003CCI297

Date : 20030506

Dossier : 2002-4617(IT)I

ENTRE :

DONALD E. BORDEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l'audience à

Edmonton (Alberta), le 10 avril 2003)

Le juge Miller

[1]      M. Donald Borden interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, de la cotisation établie à son égard par le ministre du Revenu national (le ministre) pour l'année d'imposition 200, dans laquelle il a demandé un crédit pour personne à charge relativement à son fils adulte. Le ministre a refusé le crédit demandé par M. Borden en vertu de l'alinéa 118(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[2]      Le fils de M. Borden, Glen, était âgé de 29 ans en 2001. Deux ans plus tôt, il avait commencé à montrer des signes d'instabilité. M. Borden a indiqué que le problème a mis beaucoup de temps à se manifester. Il a fait surface en 1999, causant un changement marqué dans la personnalité de Glen, qui se croyait pourchassé par des étrangers. Ses parents ont été obligés de faire appel à une équipe d'intervention en cas de crise. En août 1999, Glen a été admis à l'hôpital Royal Alexandra, avant d'être transféré à l'hôpital de l'Université de l'Alberta, où il a été soigné par des psychiatres. Est reproduit ci-après un rapport du Dr B. Sowa, professeur clinicien, concernant cette hospitalisation[1] :

          [TRADUCTION]

J'ai examiné le dossier hospitalier de Glen. Il a effectivement été hospitalisé du 4 au 10 septembre 1999, et c'est moi qui l'ai soigné.

Diagnostic :        Psychose paranoïaque, ? causée par l'usage de stéroïdes.

Selon mes notes, son comportement donnait aussi à penser qu'il souffrait de schizophrénie. Je n'ai pas revu Glen depuis et il m'est donc impossible de donner d'autres précisions sur sa maladie ou son état mental actuel - d'après les renseignements que vous m'avez fournis, il me semble être encore très malade.

[3]      Le Dr Sowa s'interroge sur la possibilité que le comportement de Glen soit causé par l'usage de stéroïdes. M. Borden a admis que son fils s'entraînait beaucoup et qu'il avait commencé à prendre des stéroïdes.

[4]      Peu de temps après son séjour à l'hôpital, Glen est allé habiter chez sa soeur et a menacé de tuer son petit ami. Il a alors quitté la ville pour aller s'installer dans l'est du Canada. La famille ne l'a pas revu depuis. Avant son départ, il prenait des médicaments qui semblaient l'aider, selon M. Borden, mais Glen se plaignait qu'ils lui faisaient faire des choses qu'il ne voulait pas faire. Ces dernières années, y compris en 2001, les contacts prennent la forme d'appels téléphoniques quotidienne. Glen avait une voiture quand il a quitté le Canada pour les États-Unis, où il a parcouru le pays d'un océan à l'autre dans les deux sens. En autant que M. Borden le sache, Glen n'a jamais travaillé.

[5]      M. Borden a versé 50 000 $ à Glen sur une période de trois ans, en plus de lui envoyer des vêtements, de payer ses factures d'essence et de téléphone, autrement dit, de subvenir à ses besoins. M. Borden a déclaré : « Je lui donnais de l'argent pour le garder en vie » . Quand M. Borden informe son fils au téléphone qu'il ne peut plus subvenir à ses besoins, Glen lui fait des menaces. M. Borden a eu de très nombreux contacts avec son fils, ce qui lui permet de dire que son état empire. Même s'il n'est pas médecin, M. Borden croit que son fils souffre de schizophrénie. À son point de vue, Glen n'a pas travaillé depuis qu'il a quitté le Canada; il serait incapable d'occuper un emploi. C'est par les appels téléphoniques, les relevés bancaires et les factures de carte de crédit que les Borden sont tenus au courant des allées et venues de Glen. M. Borden ne possédait aucune preuve médicale pour l'année 2001 et les années subséquentes.

[6]      L'argument de l'intimée comporte deux volets. Le premier, c'est que la preuve est insuffisante pour établir que Glen souffrait d'une infirmité mentale. La seconde, c'est que, même s'il y avait une infirmité, il n'a pas été prouvé que l'état de personne à charge était attribuable à cette infirmité.

[7]      Dans le cas du premier volet, l'intimée s'appuie sur le rapport du Dr Sowa, selon lequel la psychose paranoïaque était attribuable à l'usage de stéroïdes, ce qui en fait donc un état temporaire. Aucune autre preuve médicale n'a été produite pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Au surplus, si les médicaments prescrits ont apporté un certain soulagement, c'est probablement parce que l'infirmité peut être contrôlée.

[8]      En ce qui concerne la seconde question, il était évident que le fils pouvait se débrouiller tout seul. La Couronne a admis qu'il était à la charge de son père, mais le fait qu'il a été capable de se tirer d'affaires pendant plus de trois ans sans retourner chez lui est un indice que l'état de personne à charge n'est pas attribuable à l'infirmité.

[9]      Les dispositions en litige sont l'alinéa 118(1)d) et le paragraphe 118(6). Comme elles sont courtes, je vais les citer :

118(1)d)           pour chaque personne qui a atteint l'âge de 18 ans avant la fin de l'année et qui était à la charge du particulier pour l'année en raison d'une infirmité mentale ou physique, le résultat du calcul suivant : [...]

Est ensuite énoncée une formule. Le paragraphe 118(6) est libellé comme suit :

Pour l'application des alinéas (1)d) [...], la personne aux besoins de laquelle un particulier subvient au cours d'une année d'imposition est une personne à charge relativement au particulier à un moment de l'année si elle est, par rapport au particulier [...] :

a)          son enfant ou petit-enfant;

Il n'est pas nécessaire que je lise le reste.

[10]     La question à trancher est de savoir si, en 2001, Glen Borden avait une infirmité mentale. Je conviens qu'on dispose de bien peu d'éléments de preuve sur son état en 2001, mais c'est attribuable aux circonstances tout simplement. Nous avons toutefois un diagnostic de psychose paranoïaque, probablement causée par l'usage de stéroïdes, de même qu'une observation selon laquelle Glen pourrait souffrir de schizophrénie. Nous avons ensuite le témoignage de M. Borden, le père, qui a constaté, au fil des ans, que l'état de son fils, quel qu'en fût la cause, empirait.

[11]     Dans l'affaire Mahoney c. La Reine[2], le juge Hershfield s'est penché sur le sens à attribuer au mot « infirmité » . La première chose à retenir, c'est qu'il n'est pas nécessaire de fournir une preuve médicale pour conclure à l'existence d'une infirmité. Au paragraphe 33 de ses motifs, le juge Hershfield dit ceci :

[...] La Loi ne dit pas qu'il ne serait pas raisonnable d'exiger ou de fournir une preuve médicale concernant l'état de santé général de la personne à charge. Elle ne suggère pas non plus qu'une preuve médicale n'aiderait pas le contribuable à établir l'état de santé ou de vitalité de la soi-disant personne à charge. Toutefois, quand on donne un sens contextuel au mot « infirmité » , il faut garder à l'esprit le fait que le fardeau de la preuve prévu par la disposition en question est assez léger par rapport à d'autres dispositions de la Loi concernant la santé.

Il est également inutile de chercher à connaître la cause de l'infirmité. À ce propos, le juge Hershfield fait observer ce qui suit :

[...] je retourne à mes commentaires précédents selon lesquels le législateur, lorsqu'il utilise le mot, n'exige pas que nous connaissions la cause de la condition. J'apprécie que l'intimée veuille savoir ce qui a causé l'infirmité afin de mieux distinguer les demandes valables des demandes douteuses, mais la Loi n'impose pas cette exigence[3].

[12]     Le juge Hershfield conclut que le mot infirmité désigne un état de santé anormalement mauvais ou une vitalité affaiblie, avant d'ajouter ce qui suit[4] :

Dans l'affaire Tomlinson v. Prudential Insurance Co., une cause du droit des assurances, le juge Laidlaw de la Cour d'appel de l'Ontario a dit ceci :

... le mot « infirmité » doit être interprété dans son sens ordinaire comme signifiant la faiblesse physique, la débilité, la fragilité ou l'asthénie produite par un défaut de constitution.

Ce que j'aime dans cette définition, c'est sa référence à un « défaut de constitution » : la « constitution » physique et mentale d'une personne est, pour les non initiés, l'ensemble de la santé et de la vitalité d'une personne. C'est la source indéfinissable de force, dont la diminution n'est pas forcément expliquée par un problème de santé pouvant être diagnostiqué.

[13]     L'affaire en l'instance est un cas limite en raison de l'absence de preuve pour déterminer si l'état mental de Glen constituait un état de santé anormalement mauvais ou une faiblesse de constitution et, dès lors, une infirmité. Tout compte fait, je réponds par l'affirmative. L'évaluation de M. Borden est étayée par un diagnostic médical, même s'il n'est certainement pas aussi récent qu'on aurait pu le souhaiter. N'empêche, les menaces de mort, la peur des autres, les menaces adressées à la famille ne cadrent pas avec ce qu'on appelle une santé mentale normale. Je conclus que ce sont des éléments suffisants pour conclure que Glen est atteint d'une infirmité.

[14]     Glen était-il à la charge de son père à cause de cette infirmité? Pour commencer, l'intimée ne prétend pas que Glen n'est pas une personne à charge. Elle admet qu'il y avait une prise en charge et je partage son point de vue. M. Borden a bien résumé la situation en disant qu'il fournissait de l'argent et des vêtements à son fils et payait ses autres dépenses pour le garder en vie. Cela me semble concorder en tous points avec la définition de personne aux besoins de qui un autre subvient énoncée par le juge Marceau dans l'arrêt Canada c. Robichaud[5]; le soutien apporté était un moyen de subsistance ou de vie.

[15]     Cependant, Glen était-il une personne à charge à cause de son infirmité? Si ce n'était pas à cause de son infirmité, à cause de quoi alors? Était-il juste un vaurien s'étant aventuré sur une pente glissante? Tout compte fait, je conclus que la prépondérance de la preuve m'incite à conclure qu'il était à charge en raison de son infirmité mentale. Rien dans les antécédents de Glen ou dans les propos qu'il tenait lors des entretiens téléphoniques quotidiens ne me permet de penser que c'était un enfant normal qui se plaisait juste à manipuler ses parents. Même si M. Borden a indiqué qu'il envisageait de couper les vivres à son fils, il n'a jamais abandonné sa thèse que c'était à cause de l'état de Glen que la famille se trouvait dans cette situation on ne peut plus difficile.

[16]     Ce n'est pas une affaire facile à trancher parce que c'est un cas limite et que les preuves sont rares. Je conclus toutefois en votre faveur, mais tout juste, et j'admettrai l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mai 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2004.

Ginette Côté, trad. a.



[1]           Pièce A-1.

[2]           C.C.I. nos 1999-4876(IT)G, 2000-2842(IT)G), 19 novembre 2002 (2002 DTC 2203).

[3]           précitée, au paragraphe 37.

[4]           précitée, aux paragraphes 39 et 40.

[5]           [1983] A.C.F. no 312.

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