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Dossier : 2001-204(IT)G

ENTRE :

JEAN-YVES DUPONT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 13 août 2002 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Richard Laflamme

Avocat de l'intimée :

Me Marie-Andrée Legault

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JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont admis et les cotisations sontt déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que la juste valeur marchande de l'immeuble situé au 75, rue de Hambourg à St-Augustin-de-Desmaures et dont l'appelant a disposé le 8 décembre 1998 était de 3 146 500 $ à cette date. Chaque partie assumera ses propres frais.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2003.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI99

Date : 20030303

Dossier : 2001-204(IT)G

ENTRE :

JEAN-YVES DUPONT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

P. R. Dussault, J.C.C.I.

[1]      Il s'agit d'appels de cotisations établies pour les années d'imposition 1998 et 1999.

[2]      Le 8 décembre 1998, l'appelant a disposé d'une propriété sise au 75, rue de Hambourg à St-Augustin-de-Desmaures (Québec) en faveur de cinq fiducies au bénéfice de ses petits enfants pour le prix de 2 240 000 $.

[3]      L'appelant a retenu les services de la firme d'évaluateurs conseils Dorion, Noël et Hallissey Inc. dont le rapport, signé par monsieur André Côté et daté du 28 décembre 1998, établit la juste valeur marchande de la propriété à 2 225 000 $ au 1er décembre 1998.

[4]      Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a, pour sa part, obtenu une évaluation de monsieur Yvon Ouellet, évaluateur agréé, fixant la juste valeur marchande de la propriété à 3 650 000 $ au 8 décembre 1998. En fonction de cette valeur, le Ministre a établi le produit de disposition réputé du bâtiment à 3 553 736 $ et a réduit la perte finale réclamée par l'appelant pour l'année 1998 de 1 799 683 $ à 389 683 $. En conséquence, les acomptes provisionnels que devait verser l'appelant pour l'année d'imposition 1999 ont été rajustés et des intérêts ainsi qu'une pénalité s'y rapportant ont été cotisés.

[5]      L'appelant ayant disposé d'un bien en faveur de personnes avec lesquelles il avait un lien de dépendance, il s'agit donc de déterminer si la cotisation qui s'appuie sur l'application de l'alinéa 69(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et l'hypothèse d'une juste valeur marchande de 3 650 000 $ en date du 8 décembre 1998 est bien fondée.

[6]      La propriété dont la valeur fait l'objet du litige est située dans le parc industriel de St-Augustin-de-Desmaures à l'extrémité ouest de la Communauté urbaine de Québec à environ 20 kilomètres du centre-ville de Québec. Le parc industriel est accessible d'un côté par l'autoroute de la Rive-Nord (40) et l'autoroute Charest (440) et de l'autre par la route 138. Le terrain d'une superficie de 32 720 m2 est situé à l'angle nord-ouest des rues de Hambourg et de Liverpool. L'édifice d'un étage de type industriel est destiné principalement à l'entreposage. Ses dimensions sont de 105 mètres par 120 mètres avec une aire au sol de 14 052,4 m2 et une hauteur moyenne de 7,3 mètres. Au moment de la transaction, ses aires locatives étaient de 13 400 m2 pour l'entreposage de documents et de 624 m2 pour les bureaux. La dalle au sol est en béton, la structure est en acier et béton, les murs extérieurs sont en tôle d'acier et béton et la toiture est en tôle d'acier. Il n'y a aucune finition au plafond pour la partie entrepôt alors que le plafond est fini en tuiles acoustiques pour la partie bureau. Le plancher est en béton dans la partie entrepôt et en tuiles de vinyle et en tapis pour la partie bureau.

[7]      En décembre 1998, le bâtiment était loué au gouvernement du Canada (Ministère des travaux publics) pour les archives nationales ainsi qu'au gouvernement du Québec [la Société immobilière du Québec ( « SIQ » )] également pour l'entreposage de documents de divers ministères.

[8]      Le bail avec le gouvernement fédéral d'une durée de 10 ans du 1er octobre 1989 (1er avril pour une partie) au 30 septembre 1999, renouvelable deux fois pour cinq ans avec avis de six mois avant l'échéance, était pour une superficie totale de 8 136,27 m2, soit 456,51 m2 pour les bureaux et 7 679,76 m2 pour l'entrepôt. Le loyer annuel était de 499 687 $ rajusté par indexation pour les taxes et l'énergie. En cas de renouvellement, il était prévu que le loyer serait rajusté en fonction du taux hypothécaire du marché par rapport au taux de 11 p. 100 applicable au 1er octobre 1989.

[9]      Le bail avec la SIQ d'une durée de cinq ans du 1er novembre 1995 au 31 octobre 2000[1], renouvelable annuellement à moins d'un avis 12 mois avant l'échéance, était pour une superficie totale de 5 636,25 m2, soit 167,13 m2 pour les bureaux et 5 469,12 m2 pour l'entrepôt. Une clause du bail prévoyait la possibilité de rétrocéder 40 p. 100 de l'espace loué avec un préavis de six mois. Le loyer de base était de 244 798 $ soit 117 707 $ comme loyer plus les taxes de 51 602 $ et les frais d'exploitation de 75 489 $. Les taxes étaient chargées au coût réel et les frais d'exploitation étaient indexés.

[10]     À la page 37 de son rapport, l'évaluateur de l'intimée, monsieur Yvon Ouellet, établit le loyer brut en ces termes :

Le revenu de loyer total perçu pour l'année 1998 est donc de 744 485 $ plus les ajustements de dépenses qui sont de 41 670 $, soit un revenu total de 786 155 $, soit un taux de location brut de 57,08 $ le mètre carré.

[11]     La juste valeur marchande établie par chacun des experts fait suite à une analyse selon les trois méthodes traditionnelles, soit celle du coût, celle de la parité et celle du revenu.

[12]     L'expert de l'appelant a déterminé les valeurs suivantes en fonction des trois méthodes :

-

méthode du coût :

3 000 000 $

-

méthode de la parité :

2 550 000 $

-

méthode du revenu :

2 225 000 $

La valeur obtenue par la méthode du revenu, soit 2 225 000 $, a été considérée comme la plus représentative par l'expert de l'appelant.

[13]     L'expert de l'intimée a déterminé les valeurs suivantes en fonction des trois méthodes :

-

méthode du coût :

7 666 000 $

-

méthode de la parité :

3 650 000 $

-

méthode du revenu :

3 859 000 $

La valeur obtenue par la méthode de la parité, soit 3 650 000 $, a été considérée comme la plus représentative par l'expert de l'intimée.

[14]     Dans les litiges concernant la juste valeur marchande, on a souvent l'impression que les résultats obtenus reflètent une hypothèse de départ plutôt que la conclusion d'une analyse sérieuse de données objectives. Dans certains cas, le choix des hypothèses, l'utilisation de certaines données ainsi que le recours aux rajustements sont très contestables et contribuent à renforcer l'impression d'une manipulation plus ou moins savante des chiffres dans le but d'en arriver à un résultat préétabli. La présente affaire ne fait pas exception. D'emblée, il importe d'affirmer que les rapports des deux experts présentent non seulement plusieurs erreurs, mais aussi des failles importantes dont certaines ont été relevées par les avocats des parties lors de l'audition et même dans leurs observations écrites.

[15]     Je signalerai d'abord que l'expert de l'appelant a surtout utilisé des mesures impériales alors que l'expert de l'intimée a utilisé principalement des mesures métriques. Toutefois, dans les deux rapports, les experts utilisent ici et là des mesures de l'autre système ce qui ne va pas sans affecter la rigueur de l'analyse. L'utilisation de données différentes à l'égard des mêmes choses et plusieurs affirmations incompatibles sinon contradictoires, laissent aussi planer un doute sur le sérieux de l'exercice et la fiabilité des rapports soumis.

[16]     L'expert de l'appelant débute son rapport en énonçant une définition de la valeur marchande qui doit, selon lui, être « envisagée du point de vue de l'acheteur » ce qui est contraire à la définition généralement acceptée selon laquelle la valeur marchande correspond au prix que pourrait obtenir sur le marché libre un vendeur qui n'est pas forcé de vendre d'un acheteur qui n'est pas obligé d'acheter, les parties n'ayant entre elles aucun lien de dépendance.

[17]     L'expert de l'appelant a établi la valeur du terrain à 105 658 $ compte tenu du prix de 0,30 $/pi2 fixé par la Ville de St-Augustin-de-Desmaures pour les terrains dans le parc industriel qui ne sont pas situés en bordure de l'autoroute 40 ou de la voie ferrée. Toutefois, il a ensuite arrondi la valeur à 100 000 $ sans aucune justification. L'expert de l'intimée a établi la valeur du terrain à 106 340 $ arrondie à 106 000 $ en utilisant un taux de 3,25 $/m2 en se basant lui aussi sur le prix fixé par la municipalité. Je reviendrai plus loin sur cette valeur du terrain, à peu près la seule sur laquelle les deux experts ne diffèrent pas totalement d'opinion.

[18]     Aux fins de l'analyse par la méthode du coût, l'expert de l'appelant a ensuite établi le coût de remplacement déprécié de l'édifice à 2 879 776 $ en fonction d'une dépréciation physique de 15 p. 100 et de désuétudes fonctionnelles et économiques de 50 p. 100, en appliquant à l'immeuble en litige les données déterminées en fonction de deux immeubles considérés comparables l'un situé au 95, rue de Rotterdam à St-Augustin-de-Desmaures et l'autre au 650, avenue Godin à Vanier. L'immeuble situé au 95, rue de Rotterdam a été vendu 1 800 000 $ le 12 octobre 1995 et celui situé au 650, avenue Godin a été vendu 4 650 000 $ le 2 juillet 1998. Le montant de 2 879 776 $ ainsi établi par l'expert de l'appelant additionné à celui de 25 000 $ représentant la valeur contributive des améliorations au sol et à celui de 100 000 $ pour la valeur du terrain porte la valeur à 3 004 776 $ que l'expert de l'appelant a arrondi à 3 000 000 $.

[19]     La valeur ainsi déterminée par la méthode du coût de remplacement a toutefois été délaissée par l'expert de l'appelant au motif qu'elle représentait le coût de remplacement d'une classe de construction supérieure justifiable pour le propriétaire initial, la société Michelin, mais non pour l'utilisation actuelle (entreposage de documents) pour laquelle « un bâtiment plus standard ferait tout aussi bien l'affaire » (rapport, page 20).

[20]     Dans sa description du bâtiment, l'expert de l'intimée a d'abord noté que l'aire au sol de l'édifice est de 14 052,4 m2, que 13 400 m2 étaient utilisés pour l'entreposage de documents et que 456 m2 l'étaient pour des bureaux en oubliant que 167,13 m2 additionnels étaient aussi utilisés pour des bureaux par la SIQ (rapport, page 14).

[21]     L'expert de l'intimée, suite à une analyse des coûts comparables pour la construction de l'édifice en arrive d'abord à un coût de 640,04 $pi2, erreur corrigée par la suite puisqu'il s'agit en réalité de 640,04 $/m2 (rapport, page 19). Pour en arriver à ce résultat, l'expert de l'intimée a utilisé quatre constructions qu'il a estimées comparables alors que leur superficie est de 1 337,8 m2, 935,7 m2, 1 790,2 m2, et 1 964,7 m2 respectivement et que le bâtiment de la propriété en litige est de 14 052,4 m2. De plus, la hauteur des murs des constructions dites comparables utilisées est de 10,0584, 7,9248, 9,4488 et 9,1440 mètres alors que les murs du bâtiment en litige n'ont que 7,3152 mètres, hauteur déjà considérée excessive par l'expert de l'intimée. Toutefois, cette hauteur a tantôt été considérée comme une désuétude par l'expert de l'intimée bien qu'aucun rajustement n'ait été apporté à cet égard et, tantôt plutôt comme un avantage, comme nous le verrons plus loin. Ces éléments ont d'ailleurs été relevés par l'avocat de l'appelant à la page 10 de ses observations écrites.

[22]     À la page 20 de son rapport, l'expert de l'intimée a d'abord utilisé un coût de remplacement neuf à 542 $/m2 pour en arriver à un coût de remplacement déprécié de 6 261 915 $. On ne sait pas trop d'où provient ce taux de 542 $/m2 sinon qu'il est importé d'ailleurs. Toutefois, après correction de l'erreur et l'utilisation du taux de 640 $/m2 établi à la page précédente et en appliquant une dépréciation physique de 16 p. 100 et aucune dépréciation fonctionnelle et économique, le coût de remplacement déprécié est passé de 6 261 915 $ à 7 560 000 $, soit une différence de 1 298 085 $ par rapport au calcul initial. Considérant la valeur de 7 666 000 $ obtenue par l'addition de la valeur du terrain (106 000 $) comme valeur maximum de la propriété, l'expert de l'intimée l'a ensuite rejetée sans plus d'explication.

[23]     Bien que les deux experts aient rejeté la valeur obtenue selon la méthode du coût, on aura quand même remarqué que la valeur obtenue par l'expert de l'intimée est plus de deux fois celle de l'expert de l'appelant et s'explique en grande partie du fait que l'expert de l'intimée n'a pas cru opportun d'inscrire quelque dépréciation fonctionnelle et économique que ce soit, alors que l'expert de l'appelant a déterminé des désuétudes fonctionnelles et économiques de l'ordre de 50 p. 100.

[24]     Les experts ont aussi tous deux procédé à l'analyse selon la méthode de la parité, mais seul l'expert de l'intimée a retenu la valeur obtenue selon cette méthode comme étant la plus représentative de la juste valeur marchande.

[25]     Dans son analyse selon la méthode de la parité, l'expert de l'appelant a déterminé qu'il n'y avait que deux immeubles comparables quant à leur superficie, soit les deux mêmes immeubles que ceux considérés aux fins de mesurer la dépréciation physique et les désuétudes fonctionnelles et économiques pour l'application de la méthode du coût. La valeur de 2 550 000 $ obtenue selon la méthode de la parité n'a pas été retenue par l'expert de l'appelant au motif que malgré certaines similitudes, l'application de cette méthode « est compliquée par le faible nombre de transactions impliquant des entrepôts de grand gabarit » (rapport p. 20).

[26]     Il est à remarquer que lors de son calcul de la dépréciation et des désuétudes aux fins de l'analyse par la méthode du coût, l'expert de l'appelant a indiqué en rapport avec la vente à 1 800 000 $ de l'immeuble situé au 95, rue de Rotterdam que la valeur attribuable au terrain et aux aménagements était de 350 000 $ et que celle attribuable au bâtiment était de 1 450 000 $. Concernant la vente à 4 650 000 $ de l'immeuble situé au 650, avenue Godin à Vanier, il a indiqué que 720 000 $ était attribuable au terrain et aux aménagements et que 3 930 000 $ était attribuable au bâtiment (rapport p. 10). Toutefois, aux fins de procéder aux rajustements lors de l'application de la méthode de la parité, la répartition indiquée est différente. Ainsi, quant au prix de vente de 1 800 000 $ de l'immeuble situé au 95, rue de Rotterdam, la valeur indiquée pour le terrain est de 326 000 $ et celle indiquée pour le bâtiment est de 1 474 000 $. Pour ce qui est de l'édifice situé au 650, avenue Godin, 670 000 $ du prix de vente de 4 650 000 $ sont attribués au terrain et 3 980 000 $ sont attribués au bâtiment (rapport p. 13). De plus, dans ses observations écrites, l'avocat de l'appelant fait une proposition qui consiste à appliquer à l'immeuble en litige les données résultant de la vente de l'immeuble situé au 650, avenue Godin avec lequel l'immeuble en litige a beaucoup de similitude, tout en apportant un seul rajustement pour tenir compte de la différence de prix entre les deux terrains. Cette fois, la partie du prix suggérée comme étant attribuable au terrain n'est plus de 670 000 $ ou de 720 000 $ tel qu'indiqué au rapport de son propre expert, mais bien de 787 500 $. Le solde, soit la somme de 3 862 500 $ est attribuée au bâtiment ce qui donne un taux de 209,98 $/m2. L'avocat de l'appelant a appliqué ensuite ce taux à l'immeuble en litige. Ce calcul résulte en une valeur de 2 950 638 $ à laquelle est ajoutée la valeur du terrain à 106 000 $ ce qui donne une valeur totale de 3 056 638 $. Je reviendrai plus loin sur cette position de compromis suggérée par l'avocat de l'appelant.

[27]     L'expert de l'intimée a, pour sa part, établi la juste valeur marchande de la propriété en litige selon la méthode de parité à 3 650 000 $. C'est cette valeur qu'il a retenue comme étant la plus significative puisqu'il a relevé onze (11) transactions différentes d'immeubles industriels de type entrepôt dans la grande région de Québec entre octobre 1995 et janvier 1999. Deux transactions (ventes nos 5 et 7) ont toutefois été écartées puisqu'il s'agissait de ventes de liquidation. Le rapport indique que les taux unitaires observés selon la superficie des édifices varient entre 165,55 $/m2 et 413,01 $/m2. Il semble que ce taux de 413,01 $/m2 ait été importé sans raison d'une étude commandée par le gouvernement fédéral puisque la transaction présentant le taux le plus élevé indiquée est en réalité de 374,39 $/m2. Dans son rapport, l'expert de l'intimée indique que son premier constat l'amène à conclure que « l'âge des bâtiments est un élément important dans la détermination de la valeur » et que l'on peut « constater que les trois ventes présentant les taux unitaires les plus élevés sont les constructions les plus récentes » (rapport p. 35). L'âge apparent indiqué pour les bâtiments des neuf (9) ventes retenues varie de 1967 à 1988.

[28]     L'expert de l'intimée a établi à 263,73 $/m2, le taux moyen observé pour les neuf (9) ventes retenues. Toutefois, il a ensuite comparé la propriété en litige avec celle située au 650, avenue Godin et identifiée comme « vente no 10 » dans les termes suivants à la page 35 de son rapport :

Toutefois la vente no 10 retient davantage notre attention, puisqu'il s'agit de la construction possédant la superficie de plancher se rapprochant le plus de celle de la propriété à l'étude (18 394 M2 / 14 052,4 M2 ). Bien que nous soyons d'opinion que le site de la vente no 10 soit supérieur à celui du sujet, nous croyons que d'autres éléments sont favorables à la propriété à l'étude tel l'âge apparent (1967 / 1986), la hauteur moyenne des murs (+ 4,9 m / 7,3 m) pour une possibilité d'entreposage supérieure, les conditions générales de la bâtisse vendues [sic] sont inférieures à la propriété à l'étude. De plus, au moment de la vente cette propriété était louée à la S.I.Q. et le bail devant [sic] se terminer le 31 décembre 2001, soit environ 2,5 ans suivant la date de la vente.

[29]     À la page 36 de son rapport, il conclut de la façon suivante :

L'unité de comparaison utilisée est le prix de vente par mètre carré de plancher. Suite à l'analyse des ventes énumérées aux pages précédentes. La vente no 10 indique un taux unitaire de 252,80 $ le mètre carré pour un immeuble dont la qualité est inférieure et l'âge effectif est de 1967. De plus tel qu'indiqué précédemment, le taux unitaire moyen est de 263,73 $ le mètre carré. Ainsi, nous sommes d'opinion que le taux unitaire applicable à la propriété à l'étude est de 260,00 $ le mètre carré incluant le terrain :

Valeur indiquée

de la propriété : 14 052,4 mètres carrés @ 260,00 $    =    3 653 624 $

Ainsi, suite à l'analyse des ventes nous sommes d'opinion que celles-ci sont très significatives et que les résultats obtenus sont fiables et représentatifs. C'est pourquoi nous estimons la juste valeur marchande de la propriété à l'aide de la technique de parité à :

INDICATION DE LA VALEUR SELON LA

TECHNIQUE DE PARITÉ, ARRONDIE :                             3 650 000 $

[30]     Cette analyse et cette conclusion suscitent un certain nombre de commentaires, lesquels reprennent d'ailleurs les critiques formulées par l'avocat de l'appelant aux pages 11 à 14 de ses observations écrites.

[31]     D'abord, à la page 16 de son rapport, l'expert de l'intimée a fait la remarque suivante concernant la désuétude fonctionnelle et plus particulièrement dans le cas présent, celle résultant de la hauteur excessive du bâtiment :

La désuétude fonctionnelle signifie une perte de valeur produite par le mauvais agencement des parties de la propriété et qui en réduit l'utilité. La hauteur anormale des pièces et des fondations excessives en sont des exemples. Elle peut aussi être remédiable ou irrémédiable. Dans le présent cas nous estimons qu'il y a lieu de considérer une telle désuétude causée par une hauteur excédentaire soit 7,3 mètres alors que la hauteur utile pour le locataire principal et actuel est estimée à environ 5 mètres.

[32]     Or, à la page 20 de son rapport, aux fins d'établir le coût de remplacement déprécié, il indique « Nil » concernant la désuétude fonctionnelle et économique. Au niveau de l'application de la méthode de parité, la désuétude fonctionnelle pourtant identifiée résultant de la hauteur excessive, mais dont il n'a pas été tenu compte aux fins de la méthode du coût, est transformée en un avantage par rapport à la propriété située au 650, avenue Godin. L'explication fournie a été que la hauteur excessive pour l'usage actuel, soit l'entreposage de documents, aurait pu constituer un avantage pour un propriétaire-occupant si la propriété avait été mise en vente sur le marché libre. Soit. Mais on peut tout aussi bien affirmer qu'elle aurait aussi pu constituer un inconvénient pour un tel propriétaire.

[33]     Un deuxième commentaire concerne également la comparaison faite avec l'édifice situé au 650, avenue Godin. À la dernière phrase de l'extrait reproduit au paragraphe 28 des présents motifs, l'expert de l'intimée, considérant les « conditions générales » de l'édifice de l'avenue Godin « inférieures » à la propriété en litige, affirme qu' « au moment de la vente, cette propriété était louée à la SIQ et le bail devant [sic] se terminer le 31 décembre 2001, soit environ 2,5 ans suivant la date de la vente » . Or, cette propriété a été vendue le 2 juillet 1998. L'échéance du bail était donc de trois ans et demi et non de deux ans et demi à ce moment. Si l'expert de l'intimée se référait plutôt au moment de la vente de l'immeuble en litige, il aurait dû mentionner trois ans et non deux ans et demi. En tout état de cause, on voit mal en quoi cela constitue une condition inférieure par rapport aux baux de l'édifice en litige dont les échéances étaient de 10 mois (gouvernement fédéral) et de 22 mois (SIQ) au moment de sa vente. De plus, la preuve présentée par l'expert de l'appelant établit que le taux du loyer était sensiblement supérieur à ceux de l'édifice en litige, élément sur lequel je reviendrai un peu plus loin.

[34]     Un troisième commentaire tient à la superficie des neuf bâtiments dont les ventes ont été utilisées comme comparables. Quatre bâtiments ont des superficies de moins de 3 000 m2 (ventes nos 2, 8, 9 et 11), deux autres de moins de 4 000 m2 (ventes nos 4 et 6) et un autre de moins de 6 000 m2 (vente no 3)). On peut à juste titre se demander s'il s'agit bien de propriétés comparables au point de départ lorsque l'on sait que le bâtiment en litige compte 14 052,4 m2. Le marché pour les édifices industriels de petite superficie n'est sûrement pas le même que celui des édifices beaucoup plus grands. Quant aux deux autres édifices utilisés comme comparables (ventes nos 1 et 10), il s'agit de l'édifice situé au 95, rue de Rotterdam dont la superficie est de 8 393,0 m2 et de celui situé au 650, avenue Godin dont la superficie est de 18 394,0 m2, deux édifices dont nous avons parlé plus haut.

[35]     Un quatrième commentaire a trait à la localisation. Lors de l'audition, il a été établi que la plupart des propriétés utilisées comme comparables par l'expert de l'intimée n'étaient pas situées dans le même parc industriel que l'immeuble en litige, soit à St-Augustin-de-Desmaures, où le prix des terrains est contrôlé par la municipalité mais dans d'autres parcs industriels situés plus près du centre-ville de Québec et où le prix des terrains est de beaucoup plus élevé. Ainsi, il a été reconnu que si le terrain de l'immeuble en litige valait 106 000 $, soit approximativement 3,25 $/m2, un terrain situé à Vanier, comme celui du 650, avenue Godin pouvait valoir 20 $ et plus/m2, soit au minimum six fois plus cher. Pourtant, l'expert de l'intimée n'a apporté aucun rajustement à cet égard bien qu'il ait plus particulièrement insisté sur la comparaison avec l'immeuble du 650, avenue Godin pour fonder sa conclusion sur la juste valeur marchande de l'immeuble en litige, selon la méthode de parité. De plus, à l'examen des neuf (9) ventes comparables retenues, on remarque effectivement que ce sont les deux bâtiments situés au 95 et au 45, rue de Rotterdam (ventes nos 1 et 2) à St-Augustin-de-Desmaures qui présentent, à une exception près (vente no 6), les taux au mètre carré les plus bas soit 214,46 $/m2 et 208,07 $/m2 respectivement. Il s'agit là, il me semble, d'une autre indication que la localisation ait pu représenter un facteur tout aussi important dans la détermination des prix que l'âge apparent des édifices que l'expert de l'intimée a indiqué comme premier indicateur de la variation des prix

[36]     L'ensemble des éléments relevés ne permet certainement pas de conclure à la fiabilité de l'analyse réalisée par l'expert de l'intimée par la méthode de la parité.

[37]     Les deux experts ont également procédé à l'analyse de la valeur selon la méthode du revenu. Ici encore, les résultats obtenus diffèrent de façon importante en raison d'hypothèses complètement différentes retenues particulièrement quant au renouvellement du bail avec le gouvernement du Canada lequel se terminait le 30 septembre 1999.

[38]     À la page 38 de son rapport, l'expert de l'intimée note qu'à la date de l'évaluation, il existait « une certaine incertitude en ce qui concerne le renouvellement des baux » bien que dans une étude préparée par la firme d'Évaluateurs agréés Drouin, Des Rochers & Associés en date du 1er avril 1999 à la demande de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada, il n'existait à la date de l'évaluation aucun autre bâtiment disponible, dans la région de Québec, pouvant répondre au besoin du gouvernement fédéral pour l'entreposage des archives et même qu'il était connu que ce gouvernement avait un besoin d'espace additionnel. L'expert de l'intimée poursuit ensuite en ces termes :

De ce fait il était donc probable que le bail en vigueur soit à tout le moins prolongé, et possiblement amélioré tant au niveau de la superficie utilisée qu'au niveau des taux de location payé. À cet effet l'étude précitée conclut en page 51 que la tendance de la valeur locative brute pour un bâtiment usagé de 14 515 m.c., d'une hauteur libre de 4,87 mètres est de 81,29 $ le mètre carré.

Nous joignons à l'annexe IV les conclusions de l'étude préparée par la firme d'Évaluateurs agréés Drouin, Des Rochers & Associés.

Suite à l'analyse de ces informations, nous sommes d'opinion qu'un propriétaire normalement informé des conditions de location, et des probabilités de prolongement des baux existants à la date de l'évaluation, désirant vendre son immeuble mais n'étant nullement obligé de le faire, ne céderait pas son immeuble à un prix estimé en fonction d'un immeuble vacant.

De même, aucun acheteur détenant les mêmes informations, ne se porterait acquéreur d'un immeuble à un prix estimé sur la base d'une location potentielle maximale.

Dans la présente évaluation, nous sommes d'opinion que la valeur économique (valeur estimée à l'aide de la technique du revenu) doit être estimée à l'aide du loyer contractuel en vigueur et des dépenses d'opération pour l'année 1997. Afin de tenir compte d'un élément de risque de perte de loyer, nous estimons à 15 % la réserve pour vacances et mauvaises créances. Nous estimons qu'il n'y a pas lieu d'indexer les dépenses d'opération puisque celles-ci sont remboursées par les locataires.

[39]     Suite à ses calculs, l'expert de l'intimée conclu à une valeur de 3 859 000 $ selon la technique du revenu. Bien qu'il ait estimé qu'il était probable que le bail en vigueur avec le gouvernement canadien soit à tout le moins prolongé et possiblement amélioré, l'expert de l'intimée a, malgré tout, considéré l'incertitude quant aux loyers futurs suffisamment grande pour rejeter le résultat obtenu par cette technique au motif qu'il était alors moins significatif; ce qu'il a fait dans les termes suivants à la page 42 de son rapport :

La technique du revenu présente aussi beaucoup d'intérêts dans la présente évaluation. En effet puisqu'il s'agit d'un immeuble à revenu et c'est là le principal intérêt pour tout investisseur averti, et que nous disposons des états financiers pour l'année 1997 ce qui minimise les risques d'erreurs qui pourraient être causé par certaines estimations. Toutefois considérant qu'il existe une certaine incertitude en regard des revenus à percevoir les années à venir, nous estimons que le résultat obtenu par cette technique est moins significatif. Toutefois la valeur obtenue par l'application de cette technique tend, à tout le moins, à confirmer le résultat obtenu par la technique de parité.

[40]     Je n'ai pas l'intention de m'attarder à cette partie du rapport de l'expert de l'intimée puisqu'il n'a pas retenu la valeur obtenue par la technique du revenu. Je tiens quand même à signaler une erreur que l'avocate de l'intimée a tenté de corriger à la page 7 de son argumentation écrite dans les termes suivants :

Dès le départ, l'intimée aimerait indiquer que l'évaluateur Ouellet a révisé à la baisse la J.V.M. qu'il avait établie selon la technique du revenu, et ce, en fonction de la preuve présentée lors de l'audition. Il y est alors apparu que le montant de taxes municipales payées relativement à la propriété de la rue de Hambourg, qu'avait utilisé M. Ouellet afin d'estimer le revenu net de la propriété (voir son rapport, pièce I-8, à la page 39) était erroné. Après vérification à son dossier, il appert que le montant réellement payé au titre de taxes était non pas de 68 042 $, mais bien de 99 208 $, ce qui a comme conséquence qu'une fois tous les calculs refaits, la J.V.M. établie par M. Ouellet en vertu de la technique du revenu passe de 3 859 000 $ à 3 560 000 $.

[41]     Cette fois, une erreur de 299 000 $. Je n'en dirai pas plus.

[42]     Quant à l'expert de l'appelant c'est la valeur obtenue par la méthode du revenu qu'il a finalement retenue, soit une valeur de 2 225 000 $. Les hypothèses utilisées pour en arriver à ce résultat découlent principalement de l'incertitude quant au renouvellement du bail avec le gouvernement fédéral, incertitude qui se transforme toutefois en certitude de non renouvellement et que l'expert de l'appelant traduit dans les termes suivants aux pages 15 et 16 de son rapport :

            En fait, tel que mentionné dans la définition de la méthode du revenu, la valeur représente l'actualisation des revenus nets que l'investisseur anticipe recevoir dans les années futures. La mesure du revenu brut constitue donc un élément déterminant dans le processus d'évaluation. C'est particulièrement vrai dans le cas qui nous concerne étant donné l'échéance prochaine du bail avec les Travaux publics. Dans l'alternative d'un renouvellement, ce locataire doit signifier son intention six mois avant l'échéance, ce qui devrait être effectué d'ici le 31 mars 1999, soit dans quatre mois.

            Selon les informations obtenues lors de notre visite, il y aurait des rumeurs à l'effet que le gouvernement veuille centraliser l'entreposage de ce type de documents dans la région de Montréal. Malgré l'incertitude qui plane sur les possibilités de renouveler le bail, il est cependant certain que si le locataire demeure en place, le loyer sera ajusté à la baisse compte tenu de la diminution des taux d'intérêt depuis 1989. Cette baisse pourrait atteindre près de 1,00 $/pi2.

            Le même problème se posera en octobre 2000 lorsque le bail avec la SIQ arrivera à échéance. Les chances de poursuivre seront tout autant aléatoires compte tenu de la volonté du gouvernement à vouloir transférer sur microfiche toutes les déclarations de revenu (impôt) afin de réduire l'espace d'entreposage.

            Face à cette situation, à moins d'être en possession d'informations privilégiées et parce que ces ententes ont souvent une connotation politique, l'investisseur agira de façon rationnelle et prudente en présumant d'un scénario quelconque. Il serait très optimiste de prétendre que le revenu actuel demeurera fixe à perpétuité de même qu'il est peu probable que les deux locataires quittent l'un après l'autre. Pour les fins de la présente analyse et parce que le bail avec le gouvernement fédéral est, de toute façon, appelé à être modifié, nous allons retenir les hypothèses suivantes :

-            Le gouvernement fédéral ne renouvellera pas son bail et quittera les lieux dans 10 mois (30 septembre 1999). Cet espace restera vacant pour les deux derniers mois de la première année de la projection.

-            Pendant l'année subséquente, une partie (36 378 pi2) de l'espace « autrefois » occupé par le gouvernement fédéral sera relouée au taux du marché (2,25 $/pi2).

-            Lors de la troisième année, une autre partie de 36 378 pieds carrés trouvera preneur de sorte qu'à la fin de ce cycle, le bâtiment sera occupé à 90 %.

-            Nous présumons que la SIQ aura renouvelé son bail au 30 octobre 2000 et qu'elle n'aura rétrocédé aucun espace au propriétaire.

Sans tomber dans la science fiction, nous croyons que ce scénario reflète bien la situation actuelle parce qu'il tient compte à la fois de l'aspect plus récent du bail avec la SIQ, des différentes clauses de réduction de loyer ou d'espace, de la possibilité de perdre un locataire à court terme mais également d'une absorption relativement rapide de l'espace qui pourrait se libérer et ce, sans considération aucune pour réadapter le bâtiment aux besoins de nouveaux occupants.

[43]     L'expert de l'appelant poursuit ensuite ses calculs en réduisant à 2,25 $/pi2 la valeur locative de l'espace « présumément libéré par le gouvernement fédéral » . De plus, il estime à 10 p. 100 le taux d'inoccupation stabilisé. Il établit ensuite les dépenses d'exploitation en utilisant les montants réels pour l'année se terminant le 31 décembre 1997 en les indexant de 1,5 p. 100 par année de 1997 à 2001. En actualisant la valeur du revenu net de trois années et celle de la valeur du produit net de disposition à partir du revenu net stabilisé, il en arrive finalement à une valeur de 2 225 000 $.

[44]     La détermination de la juste valeur marchande par la méthode du revenu par l'expert de l'appelant, monsieur André Côté, a fait l'objet de critiques sévères de la part de l'avocate de l'intimée sur plusieurs points. Dès le départ, elle conteste l'hypothèse de non renouvellement du bail avec le gouvernement fédéral utilisée par monsieur Côté et soutient que la preuve présentée ne permet pas de justifier l'utilisation de cette hypothèse.

[45]     Cette preuve a été présentée par monsieur Michel Dupont, fils de l'appelant et administrateur de l'entreprise familiale, par monsieur Claude Malenfant, gestionnaire et agent de location pour le gouvernement fédéral, par monsieur Michel Ouellette, vice-président pour le développement et les acquisitions de la société Cominar et par monsieur André Côté, l'expert de l'appelant. La transcription de l'interrogatoire préalable de monsieur Michel Dupont en date du 28 mai 2002 a également été soumise en preuve (pièce I-3).

[46]     La société Cominar possède un imposant portefeuille immobilier comptant quelques 90 propriétés dont environ un tiers sont des édifices à bureaux, un tiers des édifices commerciaux et un tiers des édifices à usages multiples, dont des entrepôts. C'est la société Cominar qui a acquis l'immeuble situé au 650, avenue Godin à Vanier le 2 juillet 1998, immeuble auquel se sont abondamment référé les experts dans leur rapport respectif. Monsieur Michel Ouellette a témoigné sur la localisation et certaines particularités de cet immeuble.

[47]     Messieurs Michel Dupont, Claude Malenfant et André Côté ont témoigné en leur qualité respective sur leur perception de la situation en décembre 1998 quant au renouvellement ou non renouvellement du bail du gouvernement fédéral dans l'immeuble en litige, bail qui, on le sait, devait initialement se terminer le 30 septembre 1999.

[48]     Étant tout à fait d'accord avec les critiques formulées par l'avocate de l'intimée particulièrement quant aux hypothèses utilisées par monsieur Côté dans son analyse selon la méthode du revenu, je me permettrai de me référer à ses propos tels que formulés aux pages 2 à 5 de son argumentation écrite dans les termes suivants :

De l'avis de l'intimée, l'évaluation de l'appelante [sic], telle qu'exposée au rapport de l'évaluateur Côté, repose exclusivement sur la présomption que Travaux Publics Canada, locataire d'environ deux tiers de la bâtisse de l'appelant, ne renouvellera pas son bail, qui devait en principe expirer le 30 septembre 1999. C'est cette vision pessimiste (en fait, la plus pessimiste possible dans les circonstances) qui sert de prémisse de base et qui se répercute dans toute l'évaluation, tant au niveau de la méthode de comparaison que de la méthode du revenu1.

Au niveau de la méthode comparative, M. Côté (voir pages 12 et 13 de son rapport, pièce A-3B) compare désavantageusement la propriété sujet à l'indice comparable situé au 650, avenue Godin à Vanier ( « immeuble Godin » ), en présumant que le bail avec Travaux Publics ne sera pas renouvelé. À ce seul titre, M. Côté fait un ajustement désavantageant la propriété sujet d'un minimum de 25 % par rapport à l'immeuble Godin.

D'autre part, dans son analyse selon la méthode du revenu, M. Côté (aux pages 14 à 16 de son rapport), présume que le bail avec Travaux Publics ne sera pas renouvelé, mais que s'il l'est, il le sera nécessairement à la baisse. M. Côté n'a cependant d'aucune façon justifié cette baisse « certaine » qui selon lui pourrait atteindre 1 $ le pi2.. Toujours selon l'évaluateur Côté, la relocation se fera lentement, par étapes, ce qui ne tient pas compte de l'ensemble de la preuve à l'effet qu'il y avait à l'époque, dans la région de Québec, une pénurie de grandes surfaces à louer (voir témoignage de Michel Ouellette, pages 44 à 46, l'analyse de marché produite comme pièce I-9, où aux pages 51 et 52, on indique qu'il n'y a pas d'espaces disponibles selon les scénarios A et B, scénarios décrits à la page 13 du document, et le témoignage de Claude Malenfant, page 15).

Non seulement M. Côté n'envisage pas la possibilité que les locaux se relouent rapidement, mais il est aussi d'avis que cette relocation de l'espace loué se fera à un taux du marché à la baisse, qu'il établit à 2,25 $ le pi2 (ou 24,21 $ le m2) en vertu de 2 indices dont les données ne sont pas vérifiables.2 L'intimée met en doute que ce montant représente véritablement le taux du marché, puisque dans l'étude de marché réalisée par la firme Drouin, Desrochers et Associés (pièce I-9) seulement quelques mois après l'évaluation de M. Côté, on retrouve des taux de loyer nets, pour les grandes surfaces, d'un minimum de 4,55 $ le pi2 (ou 49 $ le m2), soit le double (voir pièce I-9, à la page 51). Pour couronner le tout, M. Côté prévoit qu'en bout de ligne, il y aura un taux d'inoccupation perpétuel de 10 %. C'est à croire que les hypothèses de M. Côté n'étaient pas déjà assez sombres. ...

Afin de déterminer si cette présomption pessimiste de M. Côté est bien fondée, il faut tenir compte des éléments dont il a tenu compte pour retenir cette hypothèse de travail plutôt qu'une autre. Dans son rapport d'évaluation, il fait état de rumeurs de déménagement des archives à Montréal, rumeurs qui lui auraient été transmises lors de sa visite de la propriété. Or, lors de son témoignage, M. Côté a admis d'une part, que c'est plutôt Michel Dupont qui lui aurait fait part de ces rumeurs auprès du principal intéressé, à savoir Travaux Publics. Le rapport de M. Côté perd ainsi quelque peu de son impartialité, puisque l'évaluateur n'a ainsi tenu compte que de la version de son client.

Qu'en est-il des sources d'information de Michel Dupont quant à ces rumeurs? Lors de son interrogatoire préalable, M. Dupont s'est fait passablement moins catégorique qu'au procès quant aux probabilités de non-renouvellement du bail. Il nous a indiqué avoir entendu parler de rumeurs par des employés des Archives Nationales, par des courtiers, ou par des compétiteurs (interrogatoire préalable produit comme pièce I-3, à la page 20). Il semble que l'unique indication qu'il avait quant au renouvellement ou non du bail de Travaux Publics était « les rumeurs de ce qu'on entendait parler un petit peu dans le marché, mais pas plus que ça » (interrogatoire préalable page 20).

Par ailleurs, M. Dupont dit avoir communiqué avec M. Malenfant vers la fin 1998 pour connaître leurs intentions quant au renouvellement du bail, alors que M. Malenfant dit ne pas se souvenir d'une telle communication, d'autant plus qu'il dit toujours mettre des notes au dossier lorsqu'il a un contact avec des parties impliquées, alors qu'ici, il n'a aucune note à cet effet (voir témoignage de Claude Malenfant aux pages 8, 9, 11 et 12). Si M. Dupont avait réellement communiqué avec M. Malenfant, nous ne voyons pas pourquoi ce dernier, même s'il n'avait pas encore reçu mandat concernant le renouvellement du bail comme tel, n'aurait pas pu informer M. Dupont que les rumeurs de centralisation ne touchaient que les locaux de Montréal, ou au plus, l'accroissement de besoins en archives de Québec (voir témoignage de Claude Malenfant, aux pages 7, 8, 15 et 16).

En fait, quand on tient compte du témoignage du représentant de Travaux Publics, M. Claude Malenfant, et de l'expérience du marché que possédait Michel Dupont (tel qu'il en fait état au procès et aussi lors de son interrogatoire préalable, aux pages 21 et 22), il n'est pas difficile d'en arriver à la conclusion que M. Dupont savait ou devait savoir, en décembre 1998, qu'il était peu probable que le bail avec Travaux Publics ne soit pas renouvelé. En effet, M. Malenfant nous a expliqué que pour procéder par appels d'offres pour trouver un espace à louer, le processus pouvait prendre minimum 1 an (voir son témoignage aux pages 6 et 29), et que dans ce genre de situation, la pratique était d'obtenir du propriétaire une extension du bail de 6 mois (témoignage de Claude Malenfant, aux pages 12, 13, 15 et 19), surtout dans un cas comme celui-ci où le locataire occupe un espace de grande envergure. Encore une fois, étant donné son expérience du marché, il est difficile à croire que M. Dupont n'ait pas été au courant de ce qui précède et ait pu sérieusement penser, en décembre 1998, en l'absence de toute indication de non-renouvellement, que les Archives Nationales seraient déménagées pour le 30 septembre 1999. Il pouvait à tout le moins espérer une extension de bail lui laissant l'opportunité de trouver un nouveau locataire aussitôt les lieux libérés, réduisant d'autant les pertes locatives dont fait grand cas l'évaluateur Côté dans l'établissement à la baisse de la J.V.M. de l'immeuble de la rue de Hambourg.

En fonction de ce qui précède, il y avait, au 8 décembre 1998, de l'avis de l'intimée, une plus grande possibilité que le bail avec Travaux Publics soit renouvelé, ne serait-ce que pour une courte période, que l'inverse. Il y avait au pire, une incertitude à cet effet.

En fait, il est permis de penser que M. Dupont se soit empressé de réaliser la vente avant que cette incertitude ne cesse, puisque le but avoué de M. Dupont était de réaliser, sur la disposition de cet immeuble, la plus grosse perte possible, vu le coût élevé payé pour l'acquérir en 1989. On voulait donc profiter de l'incertitude, pour obtenir la valeur la plus basse possible (voir l'interrogatoire préalable de Michel Dupont, aux pages 17 et 24). La réception d'un avis d'intention de renouveler le bail ou une réelle vérification de la situation auprès des personnes concernées à Travaux Publics aurait certainement nui à cet objectif.

Cette intention de réaliser la transaction au plus bas prix possible semble s'être transférée de M. Dupont à l'évaluateur Côté, ce qui expliquerait pourquoi ce dernier, après avoir indiqué (à la page 15 de son rapport) que les rumeurs de centralisation des archives créaient une incertitude quant au renouvellement du bail, transforme, plus loin dans son analyse, cette incertitude en certitude de non-renouvellement.

On peut également se demander si la J.V.M. contenue au rapport de M. Côté a été établi avec toute l'indépendance nécessaire, quand il a été mis en preuve qu'avant même de demander une évaluation, M. Dupont avait déjà établi, au « pif » , selon sa seule expérience (voir son interrogatoire préalable p. 21 ainsi que son témoignage au procès), un ordre de grandeur de J.V.M. entre 2 millions $ et 2,4 millions $, et que M. Côté en arrive à une valeur presque en plein milieu de cet ordre de grandeur. Il ne faut pas oublier que, d'après les feuilles de temps produites par M. Côté (contenues à la pièce A-3A), celui-ci aurait eu son mandat le 30 novembre 1998, aurait visité la propriété le 1er décembre, et aurait fourni un rapport de valeur le 5 ou le 6 décembre, alors que seulement une petite partie du travail avait été effectuée. En vertu de ces feuilles de travail, aucune recherche touchant la méthode comparative n'aurait été effectuée avant le 15 décembre 1998, soit postérieurement à la date de la transaction.3 Ceci explique peut-être pourquoi M. Côté n'a pas retenu la J.V.M. obtenue par la méthode comparative, même si de son propre aveu : « C'est la méthode la plus connue et la plus utilisée et c'est aussi celle qui est la mieux comprise » (voir rapport d'André Côté, pièce A-3B, à la page 12).

                                           

1                       Nous ne ferons aucun commentaire concernant l'analyse selon la méthode du coût dans l'un ou l'autre des rapports d'évaluation, puisque tant l'évaluateur de l'appelant que celui de l'intimée s'entendent pour dire que cette méthode n'est pas représentative de la J.V.M. dans les circonstances.

2               Nous présumons que ce montant représente un loyer net, à savoir qui est établi indépendamment des frais d'exploitation du local loué, lesquels, s'ils étaient ajoutés au loyer net, nous donneraient, grosso modo un montant de loyer brut.

3                       En fait, le rapport écrit n'a été complété que le 19 janvier 1999, date de sa signature, malgré qu'une lettre de présentation au client porte la date du 28 décembre 1998.

[49]     Comme on aura pu le constater le rapport présenté par chacun des experts présente des lacunes importantes. Certaines hypothèses sont hautement contestables tout comme le sont l'utilisation et l'application d'éléments particuliers ou de données d'une méthode ou d'une autre aux fins d'en arriver à déterminer la valeur marchande de l'immeuble en litige.

[50]     À mon avis, ni la valeur marchande établie par l'expert de l'intimée selon la méthode de la parité ni celle établie par l'expert de l'appelant en utilisant la méthode du revenu ne représentent le résultat d'une analyse rigoureuse, fiable et convaincante.

[51]     Tel que mentionné plus haut, dans ses observations écrites, l'avocat de l'appelant propose un compromis qui consiste à appliquer à l'immeuble en litige les données de la vente de l'immeuble situé au 650, avenue Godin à Vanier laquelle est survenue le 2 juillet 1998 tout en tenant cependant compte de la différence de la valeur des terrains. Les deux experts ont en effet déterminé que la valeur du terrain de la propriété en litige était de 106 000 $ (montant que l'expert de l'appelant a toutefois arrondi à 100 000 $) soit un taux de 3,25 $/m2. Par ailleurs, dans son témoignage l'expert de l'intimée a admis que le prix des terrains à Vanier était de 20 $ et plus/m2, soit un taux au moins six fois plus élevé.

[52]     Quant aux avantages et inconvénients d'un édifice par rapport à l'autre et que les deux experts ont estimé comparables à plusieurs égard, chacun y a trouvé ce qui lui paraissait important pour appuyer sa thèse. L'expert de l'appelant a, de façon générale, préféré l'édifice de l'avenue Godin (pages 10, 11, 12 et 13 de son rapport) notamment en raison d'un loyer d'au moins 2,80 $/pi2 de plus que l'édifice en litige et de baux se terminant en 2001. L'expert de l'intimée a préféré l'édifice en litige notamment à cause de sa construction beaucoup plus récente et de la hauteur des murs (page 35 de son rapport). Somme toute, des conclusions assez irréconciliables au niveau des avantages respectifs des deux édifices et à l'égard desquels je ne suis pas en mesure d'apporter des rajustements qui soient fondés sur des données sur lesquelles je puis m'appuyer de façon certaine compte tenu de la preuve présentée.

[53]     Malgré tout, c'est dans la valeur respective des terrains que semble résider la différence la plus significative. Malheureusement, encore là, les inconsistances demeurent. Dans sa proposition d'appliquer les données de la vente de l'immeuble situé au 650, avenue Godin, l'avocat de l'appelant attribue à l'immeuble en litige une valeur de 25 $/m2, soit une valeur de 787 500 $ au terrain. La transaction ayant été réalisée au prix de 4 650 000 $, le solde de 3 862 500 $ est alors appliqué à l'édifice de 18 394 m2 ce qui résulte en un taux de 209,98 $/m2. Ce taux est ensuite appliqué à l'édifice en litige qui compte 14 052 m2 pour une valeur de 2 950 638 $. En additionnant la valeur du terrain, soit 106,000 $, on obtient une valeur globale de 3 056 638 $. (Notes et autorités de l'appelant page 12 et tableau). Le fondement de cette proposition résulte en partie du contre-interrogatoire de monsieur Ouellet, l'expert de l'intimée, qui aurait admis que la valeur des terrains dans le parc industriel de Vanier « pouvait être de l'ordre de 2 $ à 3 $/pi2 soit de 20 $ à 30 $/m2 » (notes et autorités de l'appelant page 12).

[54]     Toutefois, comme je l'ai noté plus haut, l'expert de l'appelant a lui-même établi la valeur du terrain de l'avenue Godin à Vanier tantôt à 720 000 $ (rapport page 10) tantôt à 670 000 $ (rapport page 13) et non à 787 500 $ comme le voudrait l'avocat de l'appelant, ce qui signifie des taux de 23,19 $/m2 et 21,58 $/m2 respectivement et non un taux de 25 $/m2 utilisé par l'avocat de l'appelant.

[55]     Certes, j'estime devoir apporter un rajustement pour tenir compte de la localisation et plus particulièrement de la différence de valeur importante des terrains. Toutefois, c'est quand même l'appelant qui a le fardeau d'établir que la valeur retenue par le Ministre est erronée et de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, la juste valeur marchande de l'immeuble en litige. Bien que j'estime la preuve présentée de part et d'autre par les experts non concluante, je suis prêt à accepter que la comparaison avec l'immeuble de l'avenue Godin est acceptable dans les circonstances sous réserve de l'attribution par l'avocat de l'appelant d'une valeur de 25 $/m2 au terrain. Il n'y a pas de preuve prépondérante que ce terrain valait plus de 23,19 $/m2 ou même plus de 21,58 $/m2 tel qu'établi par l'expert de l'appelant lui-même. Si la certitude mathématique n'est pas possible à cet égard encore faut-il faire preuve d'une certaine consistance dans l'approche aux fins de déterminer la valeur la plus probable.

[56]     L'application du taux de 21,58 $/m2 résulte en une valeur de 670 000 $ pour le terrain situé sur l'avenue Godin. Le prix de vente ayant été de 4 650 000 $, l'attribution du solde à l'édifice soit un montant de 3 980 000 $ résulte en un taux de 216,37 $/m2. Ce taux appliqué à l'édifice en litige donne une valeur de 3 040 518 $ (14 052,4 m2 ´ 216,37 $/m2). En ajoutant la valeur du terrain à 106 000 $ on obtient une valeur globale de 3 146 518 $ arrondie à 3 146 500 $ et un taux global de 223,91 $/m2.

[57]     En conséquence de ce qui précède, les appels sont admis et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que la juste valeur marchande de l'immeuble situé au 75, rue de Hambourg à St-Augustin-de-Desmaures et dont l'appelant a disposé le 8 décembre 1998 était de 3 146 500 $ à cette date. Chaque partie assumera ses propres frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2003.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI99

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-204(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Yves Dupont et

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec

DATES

de l'audience :

des notes et autorités de l'appelant :

de l'argumentation écrite de l'intimée:

le 13 août 2002

le 7 octobre 2002

le 9 octobre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 3 mars 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Richard Laflamme

Pour l'intimée :

Me Marie-Andrée Legault

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Richard Laflamme

Étude :

Huot Laflamme (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           À la page 37 de son rapport, l'expert de l'intimée indique que ce bail se terminait le 31 janvier 2000, ce qui est inexact.

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