Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2003CCI688

Date : 20030930

Dossier : 2002-3095(IT)I

ENTRE :

AREF CHAYA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Pour l'appelant : L'appelant lui-même

Représentante de l'intimée : Penny Piper (stagiaire en droit)

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à

Winnipeg (Manitoba), le 10 décembre 2002.)

Le juge Sarchuk

          [Traduction]

MONSIEUR LE JUGE :           J'accepte tout ce que vous avez dit, mais cela ne vous aide pas du tout, malheureusement, parce qu'il s'agit d'un article écrit et interprété très rigoureusement. Je ne rédige pas la loi.

M. CHAYA :                            Je comprends Monsieur le juge.

MONSIEUR LE JUGE :           Je veux dire que ce sont les gens que vous avez élus qui la rédige.

M. CHAYA :                            Je comprends Monsieur le juge, mais j'ai mes - il devrait y avoir des circonstances spéciales.

MONSIEUR LE JUGE :           Il devrait y avoir --

M. CHAYA :                            Par exemple, il y a le décès tragique de mon épouse --

         

[1]      Si j'avais le droit de le faire, en toute équité, vous seriez en bien meilleure position. Je ne possède pas de genre de pouvoir. Vous devez comprendre cela dès le début. Cette Cour n'est pas ce que l'on appelle une cour d'equity ce qui signifie, peut-être en langage simple, une cour où même si la loi dit qu'ABC devrait se produire, dans certains cas un cour d'equity a le droit de dire : « cela crée une situation très injuste et nous allons la corriger, nous allons la rendre meilleure » . Je ne possède pas ce genre de pouvoir.

M. CHAYA :                            Mais, Monsieur le juge --

MONSIEUR LE JUGE :           Je n'ai pas reçu ce genre de pouvoir lorsque j'ai été nommé.

M. CHAYA :                            Monsieur le juge --

MONSIEUR LE JUGE :           Laissez-moi terminer.

M. CHAYA :                            Désolé.

MONSIEUR LE JUGE :           Et ce dont je dois tenir compte c'est la loi telle qu'elle est rédigée, non telle qu'elle devrait l'être, pour être équitable. Vous comprenez?

M. CHAYA :                            Je comprends.

MONSIEUR LE JUGE :           Alors, vous devez garder votre argumentation à l'intérieur de ce type de paramètre.

M. CHAYA :                            D'accord, Monsieur le juge, je comprends que la loi précise que si elle ne réside pas avec moi, je ne suis pas admissible. Mais, il y a certaines circonstances. Je réside avec elle et je subviens à ses besoins. La seule raison, la seule, est que si j'emmène ma fille au Canada, une semaine ou deux semaines pour vivre avec moi au Canada, je suis admissible.

MONSIEUR LE JUGE :           Eh, bien, pourquoi ne faites-vous pas cela?

M. CHAYA :                            Monsieur le juge, cela me coûte 1 800 $ --

MONSIEUR LE JUGE :           Maintenant, je veux dire, ce que vous me dites détruit votre cause, car vous me dites : « si je fais cela, je serais admissible » , ce qui signifie qu'à moins que vous le fassiez, vous n'êtes pas admissible.

M. CHAYA :                            Je comprends, Monsieur le juge, mais --

MONSIEUR LE JUGE :           Que me demandez-vous Monsieur? Vous me demandez --

M. CHAYA :                            Monsieur le juge, simplement de me permettre --

MONSIEUR LE JUGE :           Vous me demandez de permettre quelque chose que je ne peux permettre selon la loi. Je n'ai pas le droit de faire cela. Même si j'aimerais dire que je crois que la façon dont le législateur a rédigé cette loi n'est pas approprié --

M. CHAYA :                            Je comprends.

MONSIEUR LE JUGE :           -- et j'aimerais la changer, mais je ne peux pas le faire.

M. CHAYA :                            Mais, Monsieur le juge, je - c'est la raison pour laquelle je suis venu devant la Cour. Si je dois accepter ce qui est écrit dans la loi, il doit y avoir une disposition spéciale qui --

MONSIEUR LE JUGE :           Il n'y en a pas, c'est ce que j'essaie de vous dire.

M. CHAYA :                            -- qui m'accorderait une certaine marge de manoeuvre.

[2]      C'est exactement ce que j'essaie de vous dire, Monsieur, cette Cour n'a pas le pouvoir, le droit de vous accorder ce que vous demandez, ce que nous appelons un redressement équitable ou redressement, parce qu'il est équitable d'accorder ce redressement. Je n'ai pas le droit de faire cela. Par ailleurs, je peux penser que cet article n'est pas équitable, mais simplement parce que je crois qu'il l'est ne me donne pas le droit de le rédiger de nouveau. C'est mon dilemme. Je crois que votre situation le justifie, qu'elle devrait être prise en considération par le législateur. Cependant, tant que la loi n'est pas changée, je n'ai pas le droit de la modifier. Je ne tente d'être difficile parce que j'entends de nombreuses causes dans le cadre desquelles l'équité devrait être prise en compte et je n'ai pas le pouvoir de faire cela.

M. CHAYA :                            Alors, cela signifie, Monsieur le juge, que la loi ou le gouvernement ne veut pas que les gens travaillent et paient des impôts ---

MONSIEUR LE JUGE :           Eh, bien --

M. CHAYA :                            -- ils veulent que les gens vivent de l'aide sociale et --

[3]      Je n'ai aucune idée de ce que veut le gouvernement. Je veux dire, tout ce que je sais, c'est ce qu'il a écrit ici. Cependant, ce type de cas n'est pas le premier. Il y aura probablement plusieurs dizaines de cas identique au vôtre qui se produiront. L'avocate en a mentionné quelques-uns. Il y en a quelques autres. Il y a une affaire récente, Ruzicka c. La Reine[1], presque identique à votre cause, et elle a été rejetée. Ce type de cas, exactement ce type de cas, s'est retrouvé devant la Cour d'appel fédérale qui a examiné l'affaire La Reine c. Scheller[2]. Dans cette affaire - la simple décision dans tous ces cas est que vous ne pouvez demander cette déduction particulière à moins que votre fille, dans votre cas, habite avec le contribuable dans l'établissement domestique qu'il tient au Canada, où vous vivez. Je veux dire, cela a été répété à maintes reprises parce que c'est ainsi que la loi a été rédigée.

M. CHAYA :                            Alors, si cet argent, l'argent, Monsieur le juge, l'argent que j'envoie à ma fille, si je l'envoie à un enfant en Afrique ou --

MONSIEUR LE JUGE :           Eh bien, vous m'avez dit cela et je --

M. CHAYA :                            -- ailleurs, il est imposable, il est non imposable.

MONSIEUR LE JUGE :           Je suis d'accord avec vous, je reconnais que toute l'histoire n'est peut-être pas correcte, mais je ne peux rien faire pour la corriger. C'est ce que vous devez comprendre.

[4]      Il est intéressant de constater que dans l'affaire Jankowski-Kamac v. The Queen[3], que l'avocat du ministre a citée, c'est le jugement du juge Hershfield, je vais vous le lire parce que je ne suis pas le premier à le dire. Le juge Hershfield avait ceci à dire :

                   [traduction]

En conséquence, l'appel doit être rejeté. Toute iniquité,

et cela signifie l'injustice,

                   [traduction]

[...] Toute iniquité visant cette conclusion relève du Parlement. Comme l'a conclu le juge Cattanach dans l'affaire La Reine c. Scheller

c'est la décision de la Cour d'appel fédérale que j'ai mentionnée,

                   [traduction]

[...] dans le contexte d'une affaire comme celle en l'espèce, lorsque le libellé des dispositions d'une loi est clair, les tribunaux n'ont rien à voir avec la politique, leur justice ou leur injustice. La fonction du juge est d'appliquer la loi telle qu'elle est rédigée, puisque faire le contraire signifierait que l'on renonce à la charge de juge et que l'on assume celle de la branche législative du gouvernement.

C'est exactement ce que je tente de vous dire. Nous n'avons pas le droit de modifier la loi telle qu'elle est écrite, même si nous aimerions beaucoup le faire.

          M. CHAYA :                            Eh bien, merci beaucoup, Monsieur le juge.

[5]      Ce n'est pas la première cause que j'ai entendue en 20 ans de carrière où j'examine un article et des faits particuliers et que je me sens mal à l'aise, je me sens mal à l'aise. Cependant, en raison des faits et de la loi, je n'ai d'autre choix que de rendre une décision conforme, en l'espèce, à la loi. Le ministre a eu raison en établissant la cotisation parce qu'il a suivi les règles qui ont été rédigées par les gens que vous avez élus.

M. CHAYA :                            C'était une erreur.

MONSIEUR LE JUGE :           Je suis désolé de le dire, je dois rejeter l'appel. Je vous le dis franchement, j'éprouve beaucoup de compassion pour votre position, mais la compassion n'est pas ce qui va vous --

M. CHAYA :                            Alors, quoi - je dois communiquer avec le Parlement ou --

MONSIEUR LE JUGE :           Vous devez communiquer avec qui?

M. CHAYA :                            Le Parlement ou mon député.

MONSIEUR LE JUGE :           Eh bien, vous devez parler avec le député et voir si cette loi peut être changée. Je ne dis pas qu'elle le devrait, parce que je n'en connais pas tous les autres aspects, mais il me semble certainement qu'il y a un élément d'injustice dans certaines situations, comme l'a dit le juge Hershfield dans cette affaire.

Je n'aime pas avoir à faire cela, ce n'est pas une chose que j'aime faire, mais je n'ai d'autre choix que de rejeter votre appel.

Soulevez cette question auprès de votre représentant, l'homme ou la femme que vous avez élu au Parlement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de septembre 2003.

« A. A. Sarchuk »

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2004.

Liette Girard, traductrice



[1]           C.C.I., no 93-1285(IT)I, 9 décembre 1993 (95 DTC 365).

[2]           [1976] 1 C.F. 480 (75 DTC 5406).

[3]           [2001] T.C.J. No. 281.

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