Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2001-1769(IT)G

ENTRE :

ANATOLY EPEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

______________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec l'appel de Anatoly Epel

(2001-1771(GST)I) les 28 et 29 novembre 2002 et 19 et 20 juin 2003

à Ottawa (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Avocats de l'appelant :

Me Gregory Sanders et

Me Julie Abraham

Avocat de l'intimée :

Me Charles M. Camirand

_______________________________________________________________

JUGEMENT

Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci-joints.

La présente affaire ayant été entendue conjointement avec l'affaire Anatoly Epel (2001-1771(GST)I), un seul mémoire de dépens est accordé.

                                                                                                        

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 2003.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice


Dossier : 2001-1771(GST)I

ENTRE :

ANATOLY EPEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Anatoly Epel (2001-1769(IT)G) les 28 et 29 novembre 2002 et 19 et 20 juin 2003

à Ottawa (Ontario)

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Avocats de l'appelant :

Me Gregory Sanders et

Me Julie Abraham

Avocat de l'intimée :

Me Charles M. Camirand

_______________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte la date du 30 novembre 1999 et le numéro 00000002220, pour la période allant du 1er septembre 1991 au 31 août 1995 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

La présente affaire ayant été entendue conjointement avec l'affaire Anatoly Epel (2001-1769(IT)G), un seul mémoire de dépens est accordé.

                                                                                                        

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 2003.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice


Référence : 2003CCI707

Date : 20031020

Dossiers : 2001-1769(IT)G

2001-1771(GST)I

ENTRE :

ANATOLY EPEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]      Les présents appels ont été entendus conjointement sur preuve commune. Ils portent sur les années d'imposition 1992 à 1998 incluses et font entrer en jeu la Loi sur la taxe d'accise et la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      En 1998, les déclarations de revenus produites par l'appelant pour les années 1992 à 1995 ont fait l'objet d'une vérification sur la base de la cotisation de valeur nette. Le ministre a ajouté, au revenu de l'appelant, les montants de 71 351 $ pour 1992, 70 817 $ pour 1993, 56 713 $ pour 1994 et 58 481 $ pour 1995 en utilisant la méthode de la valeur nette. L'appelant n'a pas fait de déclaration de revenus pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Pour ces années, le ministre a établi une cotisation arbitraire et a ajouté 50 000 $ à titre de revenu pour chacune de ces trois années d'imposition. Des pénalités ont été imposées pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 en raison du fait que l'appelant avait déclaré en moins une partie de ses revenus pour ces années.

[3]      La cotisation de l'appelant a également été établie de nouveau pour la TPS pour les périodes de déclaration allant du 1er septembre 1991 au 31 août 1995 à l'égard des revenus commerciaux non déclarés découlant de l'établissement de la cotisation de valeur nette, par le ministre, pour ladite période. Des pénalités et des intérêts ont également été imposés. La décision en matière de cotisation de valeur nette établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu tranchera, naturellement, cette question portant sur la TPS. Les avocats ont également convenu, dans leurs observations préliminaires, que la façon dont je traiterai les années d'imposition 1996 à 1998 dépendra de mes conclusions à propos de l'établissement de la cotisation portant sur la valeur nette pour les années d'imposition 1992 à 1995.

Faits et témoignages

[4]      L'appelant est venu au Canada avec sa femme et son fils, en provenance de la Russie, en 1979. Il était cordonnier dans son pays d'origine et, en 1983, il a ouvert une entreprise de réparation de chaussures au Canada. Pendant les périodes en litige, dans les présents appels, il était le propriétaire unique de son entreprise connue sous le nom de « Bells Corner Shoe Repair » .

[5]      L'appelant possède un niveau peu élevé d'instruction et ne peut ni lire ni écrire. Il possède une connaissance pratique élémentaire de l'anglais, acquise après son arrivée au Canada. Cependant, il ne le parle pas couramment et a un accent russe prononcé. En fait, il a décrit sa propre maîtrise de l'anglais comme suit : [TRADUCTION] « [...] Je peux parler un peu l'anglais, aussi bien que je peux. »

[6]      L'appelant a fait des déclarations de revenus pour les années 1992, 1993, 1994 et 1995, déclarant des revenus provenant de son entreprise en propriété unique. Parce que M. Epel ne pouvait ni lire ni écrire, il a déclaré qu'il conservait [TRADUCTION] « [...] chaque papier, chaque billet et tout » et donnait tous ces articles commerciaux chaque mois à un aide-comptable pour qu'il remplisse ses livres. Il a témoigné qu'il ne savait pas si la tenue des livres était correcte ou non. Il n'a pas présenté de déclaration en 1996, 1997 et 1998 bien que lesdites déclarations aient maintenant été faites par son comptable et produites comme représentant les revenus provenant de son entreprise de cordonnerie pour ces années-là.

[7]      Selon le témoignage de l'appelant, il a commencé à jouer en 1987 lorsqu'il a accompagné des amis à un casino privé à Hull dont le propriétaire était John Turmel. Pendant les années en litige, l'appelant jouait dans divers établissements privés propriété de M. Turmel dans les régions de Hull et d'Ottawa. John Turmel a montré le jeu de Texas Holding poker à l'appelant et lui a appris à y jouer. Il jouait quatre ou cinq fois par semaine, du lundi au vendredi après 18 h, après la fermeture de son entreprise. Il a déclaré qu'il gagnait la plupart du temps et que ses gains s'élevaient, en moyenne, à 300 $ ou 400 $ par jour. Il recevait généralement ses gains en argent liquide mais, à l'occasion, il était payé avec un chèque.

[8]      Il a témoigné que, quelquefois, ses gains dépassaient 300 $ ou 400 $ et que parfois ils étaient inférieurs mais qu'il n'en conservait pas de trace, ni de ses pertes occasionnelles. Il s'est décrit comme un buveur occasionnel et a déclaré que la plupart des joueurs à une table buvaient lors d'activités sociales. Dans divers casinos, les personnes qui jouaient apportaient leur propre nourriture et boissons alcoolisées alors que dans d'autres, ils payaient le croupier qui leur achetait de la nourriture et des boissons alcoolisées dans un restaurant extérieur au casino.

[9]      Selon le témoignage de l'appelant, il gagnait plus souvent qu'il ne perdait au jeu. Il a déclaré qu'il utilisait ses gains pour payer ses dettes commerciales et personnelles. Il fréquentait les casinos pour s'amuser, rencontrer des gens et boire avec eux.

[10]     Alors que les efforts déployés au jeu par M. Epel s'avéraient fructueux, ses entreprises commerciales ne l'étaient pas tant. Les revenus commerciaux au cours des années en litige fluctuaient d'un maximum, avant dépenses, de 96 000 $ en 1992 à un minimum de 39 500 $ en 1994.

[11]     Après la réalisation de la vérification par l'ADRC, M. Epel a été informé qu'il devait de l'argent, il a changé d'aide-comptable et a engagé Gary Phomin, un comptable.

[12]     M. Epel, au cours de son témoignage, a indiqué d'autres sources possibles de revenus, en plus des gains générés par ses activités au jeu pendant ces périodes. Elles incluaient des fonds provenant de la vente de son appartement en copropriété en Russie, de l'argent envoyé par des membres de sa famille lors de son arrivée au Canada, le remboursement d'un prêt accordé à un certain M. Vladimir Baker et des fonds provenant du règlement de la demande liée à un accident automobile. Ces autres sources de revenus non imposables ont été remises en question pendant l'audience lorsque l'avocat de l'intimée m'a informé qu'il n'avait pas été en mesure d'examiner ces sources particulières lors de l'interrogatoire préalables, car le jeu était la seule question indiquée dans l'avis d'appel. L'avocat de l'intimée a demandé, et reçu, un ajournement pour effectuer un interrogatoire plus approfondi concernant ces possibles sources de revenus supplémentaires. L'avocat de l'appelant n'a laissé aucun doute quant au fait qu'il ne tentait pas de se fonder sur des sommes exactes provenant de ces autres sources pour [TRADUCTION] « réduire » la valeur nette de la cotisation, mais qu'il s'y référait pour montrer que l'appelant avait reçu d'autres revenus qu'il n'avait pas déclarés, en plus de ses gains au jeu.

[13]     Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a témoigné qu'il était certain d'avoir informé le vérificateur, pendant la vérification, qu'il jouait et avait gagné un peu d'argent. Il a déclaré qu'une année, ses gains au jeu s'élevaient à 20 000 $ mais qu'il n'était jamais certain du montant qu'il gagnait puisque ses gains lui servaient à régler ses factures. Il n'était pas certain d'avoir parlé au vérificateur de toutes ses autres sources de revenus non imposables qu'il déclarait avoir reçues au cours des années en litige. Il a déclaré qu'il avait reçu l'argent de sa famille, en espèces, lorsqu'ils étaient venus au Canada puisque les chèques ne sont pas utilisés en Russie. Un compte joint a été ouvert avec son père et un autre avec sa mère avant leur arrivée au Canada. Lorsqu'il a été interrogé à propos du prêt qu'il avait accordé à Vladimir Baker, l'appelant a témoigné qu'il connaissait la famille Baker depuis 45 ans et qu'il avait accordé le prêt en 1987 lors d'un voyage en Russie. Le prêt avait été accordé en roubles mais remboursé en dollars américains. À part cela, il n'était pas certain du montant initial du prêt et a déclaré que le remboursement pouvait s'être situé aux alentours de 5 000, de 6 000 ou de 7 000 dollars américains. Les relevés bancaires (pièce R-2) indiquaient un dépôt dans le compte de l'appelant à peu près au moment de l'accident automobile, bien qu'il soit inférieur de plusieurs milliers de dollars à la somme déclarée avoir été reçue par l'appelant.

[14]     Diana Livshits et John Turmel ont tous deux témoigné pour l'appelant. Mme Livshits a témoigné que sa famille connaît l'appelant depuis environ 20 ans et qu'il est bien connu au sein de la communauté russe. Elle fréquentait les mêmes casinos exploités par John Turmel, et c'est là qu'elle a vu l'appelant au cours des années en litige. Elle allait généralement aux casinos deux ou trois fois par semaine avec son mari. Elle a déclaré avoir vu M. Epel aux casinos presque chaque fois qu'elle y était et qu'il jouait au poker. Elle s'est rappelée que son mari était le plus souvent payé en espèces, ce qui confirme le témoignage de l'appelant concernant ses gains. Elle s'est souvenue que M. Epel gagnait car il [TRADUCTION] « [...] peut faire beaucoup de bruit » a-t-elle dit à propos des fois où il gagnait.

[15]     Lors du contre-interrogatoire, Mme Livshits a fourni un témoignage contredisant ceux de l'appelant et de M. Turmel en ce qui concerne les divers emplacements des casinos et les dates où ils ouvraient et fermaient.

[16]     John Turmel a témoigné qu'il gagnait sa vie grâce à ses activités liées au jeu. Bien qu'il soit ingénieur, il se décrit comme un joueur professionnel puisque ses gains sont soumis à l'impôt.

[17]     Au cours de sa dernière année d'université en ingénierie, il a pris un cours sur le jeu. Lorsqu'il a réalisé qu'il « avait le tour » et pourrait gagner plus d'argent au jeu que dans le domaine de l'ingénierie, il a décidé de devenir un joueur professionnel et, selon son témoignage, a soutenu une thèse dans ce domaine. Il a soutenu que sept tribunaux l'ont accepté comme expert en matière de jeu et que son surnom dans le milieu du jeu est « Taj Mahal » du jeu. Il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un avec les antécédents de M. Epel, qui ne pouvait ni lire ni écrire puisse [TRADUCTION] « être aussi bon que moi » . M. Turmel, qui joue depuis 1974, a déclaré que M. Epel était l'un des joueurs contre lesquels il s'était mesuré qui lui avait donné le plus de fil à retordre. Il a expliqué que M. Epel avait eu beaucoup de chance au jeu pendant quelques années et que cela expliquait ses nombreux gains. Maintenant que la chance l'a déserté, M. Epel ne joue plus.

[18]     M. Turmel a ouvert son premier casino à la fin des années 70. Selon son témoignage, il a régulièrement fait l'objet des descentes de police. Il a ouvert un casino à Hull en 1991. Les autorités l'ont fermé quelques mois après. Après avoir passé un mois en prison, il a ouvert un autre établissement de jeu dans sa résidence, à Nepean. Il a ensuite exploité son entreprise à partir de différents lieux dans la région d'Ottawa, dont au moins un a finalement été fermé par les autorités.

[19]     Le premier souvenir que M. Turmel a de l'appelant remonte à la fin de 1991. Il s'en souvient, car c'était peu de temps après sa première libération de prison où il a été incarcéré était pour exploitation d'un établissement de jeu. M. Turmel a déclaré que, selon sa première impression, l'appelant était un paysan russe qui ferait une [TRADUCTION] « proie facile » . Cependant, après un mois, l'appelant a mérité la réputation douteuse d'être l'un des cinq meilleurs joueurs de la région d'Ottawa. Il a témoigné qu'il avait joué contre M. Epel pendant des centaines d'heures et qu'il aurait dû rapidement avoir le dessus mais qu'il en avait été incapable. Il a décrit le jeu contre des joueurs inexpérimentés ou [TRADUCTION] « petits nouveaux » comme [TRADUCTION] « merveilleux » par rapport au jeu contre des joueurs chevronnés. Cependant, l'appelant, bien qu'inexpérimenté, n'entrait pas dans cette catégorie. Il a décrit l'appelant comme un [TRADUCTION] « pilier » des établissements. M. Turmel a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'une nuit où M. Epel n'était pas là et, le plus souvent, il gagnait. Il a témoigné que dans une bonne semaine, M. Epel pouvait facilement gagner 4 000 $. Cependant, M. Turmel a décrit cela comme un événement unique et il a ajouté qu'une fois la chance de M. Epel disparue, il n'avait jamais été aussi chanceux. M. Turmel a déclaré qu'il ne servait que de la nourriture dans ses casinos et aucun alcool. Il ne se souvenait pas s'il permettait à ses clients d'apporter leurs propres boissons alcoolisées comme l'avait déclaré M. Epel. Selon son témoignage, la plupart des gains étaient payés en espèces mais il utilisait des chèques de temps en temps s'il ne disposait pas de suffisamment d'espèces.   

[20]     L'intimée a appelé un témoin, Mike Murray, qui travaille pour l'ADRC depuis 1990 et qui est employé en qualité de conseiller technique pour les vérifications de l'économie souterraine, depuis 1993. Lorsqu'il a commencé à travailler sur le dossier Epel, il était vérificateur spécial dans la division des enquêtes. Avant qu'il ne devienne responsable du dossier, un autre vérificateur avait interrogé l'appelant en octobre 1997 et cette première entrevue s'était limitée à l'entreprise de cordonnerie. Il ne pensait pas que la question des gains au jeu avait été posée à M. Epel. Après avoir reçu le dossier, il a rencontré et interrogé M. Epel en juin 1998. L'onglet 17 de la pièce R-1 contenait un questionnaire ne portant aucune date. À la page 7, la question suivante avait été posée à l'appelant : [TRADUCTION] « Des sources de fonds non imposables? ... héritages, gains à la loterie, cadeaux, gains au jeu. » Les notes manuscrites du vérificateur quant à la réponse de M. Epel étaient [TRADUCTION] « non » . M. Murray a déclaré qu'il aurait lu cette question à l'appelant. Il a témoigné que, si l'appelant avait indiqué qu'il avait gagné un peu d'argent au jeu, comme M. Epel l'avait déclaré, il aurait tenté de quantifier le montant plus précisément. Lors du contre-interrogatoire, M. Murray a déclaré que, selon ses habitudes, il aurait fourni un exemple de source de fonds non imposable lorsqu'il avait posé la question du questionnaire. Cependant, il ne se souvient pas précisément de la façon dont il a posé cette question à M. Epel sauf de déclarer ceci : [TRADUCTION] « Je pense que je l'aurais fait » (donner à M. Epel un exemple de sources non imposables). M. Murray a témoigné que les cinq premières pages du questionnaire n'étaient pas remplies, car il pensait que ces renseignements avaient été obtenus par l'autre vérificateur lors de la première entrevue. À la page 9 de ce document, la question suivante a été posée à M. Epel : [TRADUCTION] « Votre famille ou vos amis, etc., vous ont-ils donné de l'argent?    (Obtenir des détails) » . La note manuscrite de M. Murray concernant la réponse de M. Epel était la suivante : pas de documentation, 6-7 ans - donné 10 000 $ - 12 000 $, ne se souvient pas quand il s'est rendu à la banque pour payer dettes, visite du frère venant de la Russie. Selon le témoignage de M. Murray, le frère de M. Epel était venu de Russie et M. Epel avait déclaré qu'il lui avait donné cet argent il y a six ou sept ans mais que M. Epel n'avait pas donné davantage de renseignements lors de l'entrevue quant à d'autres prêts ou fonds reçus.

[21]     En juin 1999, M. Murray a pris des notes manuscrites (pièce R-1, onglet 16) concernant sa conversation avec Gary Phomin qui était alors le comptable de M. Epel. M. Murray a déclaré que c'était la première fois qu'un revenu, des gains au jeu, avait été mentionné. En plus de gains considérables au jeu, cette note indique aussi que M. Phomin a indiqué au vérificateur que des fonds supplémentaires non imposables provenaient de la Russie par l'entremise de la nièce de l'appelant qui était à Toronto, ajoutés à des fonds supplémentaires provenant de remboursements de prêt.

Position de l'appelant

[22]     Aux termes des observations de l'appelant, il a reçu des profits inattendus générés par ses activités de jeu en tant que joueur occasionnel de poker dans divers établissements exploités par John Turmel, à Hull et à Ottawa, au cours des périodes en litige. Les augmentations entre la valeur nette de l'appelant et les revenus déclarés sont largement attribuables aux gains non imposables générés par le jeu occasionnel, ainsi que (mais dans une moindre mesure) aux autres sources de fonds non imposables comme les remboursements de prêt, les cadeaux de la famille et les produits de l'assurance pour un l'accident automobile. Par conséquent, les calculs de la valeur nette effectués par le ministre n'étaient pas corrects.

Position de l'intimée

[23]     L'appelant a déclaré en moins une partie de son revenu pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994 et 1995 de respectivement 71 351 $, 70 817 $, 56 713 $ et 58 $481 $, montants qui ont été calculés grâce à une cotisation de valeur nette. Les pénalités ont été imposées correctement. Étant donné qu'aucune déclaration n'a été produite pour les années 1996, 1997 et 1998, le ministre a eu raison d'évaluer, sur une base arbitraire, le montant du revenu imposable de l'appelant à 50 000 $ pour chacune de ces années. L'appelant ne jouait pas autant qu'il le soutient, et ses activités de jeu ne peuvent pas avoir produit le montant de revenu déterminé grâce à la vérification de la valeur nette. Si la Cour accepte le fait que le jeu a produit certains de ses revenus, elle ne peut expliquer complètement les écarts. En outre, la documentation et les autres preuves de dons d'argent, de remboursements de prêt et de produits de l'assurance après l'accident automobile sont insuffisants pour couvrir les autres sources de revenus non imposables en plus du jeu.

Analyse

[24]     L'appelant soutient que la différence entre la cotisation de valeur nette et le revenu déclaré découle largement des gains générés par le jeu occasionnel. Lesdits gains ne constituent pas une source de revenu en vertu de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Une cotisation de valeur nette est la méthode de dernier recours lorsqu'il n'existe aucun autre moyen pour établir la cotisation. Le juge en chef adjoint Bowman décrit cette méthode de la façon suivante dans sa décision Bigayan c. Canada, [1999] A.C.I. no 778 à la page 1 :

[2] La méthode de la valeur nette est, comme on le faisait observer dans l'affaire Ramey v. The Queen, 93 D.T.C. 791, une solution de dernier recours que l'on emploie lorsque tout le reste a échoué. On l'utilise souvent lorsqu'un contribuable a omis de produire des déclarations de revenus ou n'a pas conservé de documents. C'est un instrument imprécis, exact à l'intérieur d'un registre dont le champ est indéterminé. Elle repose sur le postulat selon lequel, si l'on soustrait la valeur nette d'un contribuable en début d'année à sa valeur nette en fin d'année, si l'on ajoute les dépenses du contribuable durant l'année et si l'on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d'actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l'année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C'est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c'est le seul moyen d'arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d'un contribuable.

[25]     Lorsque le ministre a recours à l'utilisation de la cotisation de valeur nette, elle est présumée valide et le fardeau de la preuve incombe à l'appelant de prouver l'erreur de calcul du ministre (Pal v. Canada, [2002] T.C.J. No. 243, à la page 2) :

                   [traduction]

[11]       Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que les calculs du revenu effectués par le ministre sont erronés. Il est relativement facile de s'acquitter du fardeau de la preuve lorsque le ministre s'est fondé sur un calcul de la valeur nette en raison de l'imprécision inhérente à la méthode. Cependant, il doit exister des éléments de preuve crédibles pour s'acquitter du fardeau.

Dans la décision Chomica c. Canada, [2003] A.C.I. no 57, le juge en chef adjoint Bowman résume ainsi la façon dont le fardeau fonctionne, au paragraphe 17, page 4 :

[17]     La règle de base en matière d'appels fiscaux est que le contribuable a le fardeau de démontrer que les hypothèses de fait sur lesquelles repose la cotisation sont erronées ou n'appuient pas la cotisation. Cette règle est bien établie et je n'ai pas besoin de répéter la jurisprudence qui est habituellement citée pour l'appuyer. Toutefois, la norme de la preuve est de nature civile et une preuve prima facie suffit pour que le contribuable ait gain de cause, si on ne la réfute pas.

[26]     La question est celle de savoir si l'appelant a présenté des éléments de preuve suffisants, sur la base de la prépondérance des probabilités, pour montrer que l'augmentation de sa valeur nette provenait en grande partie de ses gains en tant que joueur de poker et, dans une moindre mesure, de sources non imposables comme des cadeaux et des prêts. S'il est en mesure de le faire et de prouver que ses gains en tant que joueur de poker étaient générés par le jeu occasionnel et non par le jeu en tant que professionnel, l'appelant se sera suffisamment acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombe initialement. Si je qualifie les habitudes de jeu de l'appelant comme l'exploitation d'une entreprise, naturellement, il pourrait s'avérer difficile, sinon impossible de formuler mathématiquement, de façon sensée, le montant exact des gains. La plupart du temps, la seule trace des gains au jeu se trouve dans la mémoire du joueur. Il est donc très difficile, sinon impossible, d'utiliser ces gains pour compenser, dollar pour dollar, le calcul de la valeur nette qui, lui-même, est imprécis. Dans ce cas, les calculs fondés sur la méthode de la valeur nette restent valides.   

[27]     Selon le témoignage de l'appelant, il jouait régulièrement, au cours des années en litige, et il gagnait de fortes sommes, cela en règle générale. Si l'on examine les faits, ces gains, qui étaient fréquents, semblent découler largement de la chance du débutant, plutôt que d'un genre de système ou de connaissances du jeu comme les décrit John Turmel. En fait M. Turmel, dans son témoignage, a indiqué que l'appelant avait été chanceux pendant un certain nombre d'années mais que c'était unique. Il est clair, à la vue du témoignage de M. Turmel, que M. Epel était un joueur habituel qui gagnait toujours, quelquefois jusqu'à 4 000 $ par semaine. Mais il a également indiqué clairement que ses gains n'étaient fondés sur aucun système tel que ceux qu'il pouvait lui-même utiliser. Mme Livshits a également corroboré le témoignage de l'appelant en ce qui concerne ses habitudes de jeu très régulières. Ces deux témoins ont corroboré le témoignage de M. Epel à propos de ses habitudes de jeu et de ses gains. Alors qu'une partie du témoignage était vague ou contradictoire en ce qui concerne l'emplacement des casinos, leurs dates de fermeture et d'ouverture et les dates exactes des gains de M. Epel, je ne pense pas que ces écarts à propos de certains des détails les moins importants justifieraient un refus, de ma part, du témoignage de l'appelant alors qu'il est corroboré par celui de deux témoins en ce qui concerne l'essentiel de l'argument portant sur ses habitudes de jeu : sa présence habituelle en tant que joueur et ses gains réguliers. Aucune preuve ne contredit l'appelant et les deux autres témoins.

[28]     L'appelant a témoigné qu'il n'allait pas au cinéma ou au théâtre à moins que les représentations ne soient en russe étant donné que sa connaissance de l'anglais n'était pas suffisante pour qu'il tire plaisir de ce genre de divertissement. Le jeu était donc son loisir. C'était un passe-temps qu'il aimait. Il n'avait pas besoin d'être très bon en langues lorsqu'il jouait au poker. Bien que ses gains aient été considérables, la preuve indique qu'il ne considérait pas ses activités de jeu comme se rapprochant d'une entreprise. Les témoignages n'indiquent pas qu'il ait utilisé un système ou une façon de s'organiser pour gagner. Pour les années en litige, ses gains semblent découler simplement de la chance, et le plaisir de gagner l'incitait à revenir. Dans l'arrêt de la Cour fédérale rendu dans l'affaire Balanko v. M.N.R., [1988] F.C.J. No. 175, le juge Collier a conclu ce qui suit à la page 2 :

[traduction]

Il ne fait aucun doute que le défendeur était, et semble toujours être, un joueur invétéré. Cela ne signifie pas qu'il faisait commerce du jeu.

Il a ajouté, vers la fin de sa décision, à la page 3 :

[traduction]

Il ne peut faire aucun doute que l'appelant donnait libre cours à sa passion excessive pour le jeu mais je ne puis conclure que, ce faisant, il exploitait une entreprise. L'avocat pour le ministre a souligné que l'appelant jouait en vue d'en tirer un profit. Cependant, il faut remarquer que tous les joueurs jouent dans ce but et que la présence de l'intention de gagner ou de s'enrichir au jeu, partagée par tous les joueurs, n'amène pas à la conclusion que tous ceux qui jouent, ou même que tous ceux qui jouent fréquemment, exploitent une entreprise.

L'avocat pour le ministre a souligné que l'appelant prenait des risques et qu'il empruntait de l'argent pour exercer ses activités de jeu. Même s'il est nécessaire de courir des risques dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, l'activité commerciale se caractérise par la gestion ou l'atténuation des risques.

[29]     Dans l'affaire Luprypa c. Canada, [1997] A.C.I. no 469, le juge McArthur a énoncé, au paragraphe 13, les critères nécessaires pour trancher la question de savoir si la personne est engagée dans une entreprise de jeu. Ce sont les suivants :

a)        Il gérait minutieusement les risques.

b)        Il était un joueur habile.

c)        Il jouait toutes les semaines du lundi au vendredi.

d)        Il passait ses après-midis à jouer au snooker pour améliorer ses compétences.

e)        Il jouait après 23 h lorsque ses adversaires étaient en état d'ébriété, de façon à minimiser son risque.

f)         Il gagnait presque tout le temps, et se faisait environ 200 $ par jour.

g)        Il consommait des boissons alcooliques pendant la fin de semaine seulement, lorsqu'il ne jouait pas au billard, de façon à être sobre lorsqu'il affrontait ses adversaires, qui étaient en état d'ébriété.

h)        Il était calculateur et discipliné.

i)         C'était sa principale source de revenu et il comptait sur ce revenu régulier.

[30]     En ce qui concerne les neuf articles susmentionnés, M. Epel a déclaré qu'il jouait pour s'amuser et que, s'il perdait, il partait. Il buvait en compagnie des autres joueurs. Il ne gérait pas le risque en tentant de reconnaître les joueurs particulièrement mauvais ou ivres. Il n'existe aucune preuve suggérant qu'il tentait d'arranger contre qui il se mesurerait afin d'avoir un avantage. Il ne tentait pas de gérer ou d'atténuer le risque au moyen d'une méthode ou d'un système prévu d'avance. Cela distingue M. Epel, le joueur habituel (et chanceux), de quelqu'un comme M. Turmel, le joueur professionnel. C'était un joueur chanceux mais pas un qui s'escrimait à perfectionner ses capacités. Il jouait car il y prenait plaisir et aimait l'interaction sociale. M. Turmel a témoigné qu'il avait sans aucun doute appris très rapidement, qu'il possédait une capacité naturelle pour le jeu, et que la chance lui avait souri pendant un moment. Cependant, M. Epel n'était pas un joueur chevronné dont le but était de constamment développer et perfectionner ses compétences comme M. Turmel l'avait fait. Selon son témoignage, il considérait encore que son commerce était celui de la cordonnerie et non celui du jeu. Les faits indiquent que l'appelant utilisait ses activités au jeu comme une forme de divertissement social assortie de l'avantage de gagner régulièrement beaucoup d'argent. Je n'ai certainement vu aucune preuve me permettant de conclure qu'il gérait, de quelque manière que ce soit, ses activités de jeu comme une profession. M. Turmel, bien au contraire, a témoigné qu'il avait pris des cours, rédigé des articles, établi des systèmes pour gagner et tenir compte de la cagnotte dans une partie afin de tenter de créer un avantage pour prédire le pourcentage de ses chances de gagner une partie donnée.

[31]     En plus de la preuve concernant le jeu, l'appelant a déposé des éléments de preuve concernant d'autres revenus reçus pendant la période en litige comme des dons en argent effectués par ses parents, le remboursement d'un prêt et les produits de l'assurance pour un accident automobile. L'avocat de l'appelant a soutenu que ces montants fournissaient des explications supplémentaires pour les sources de revenu non imposables pendant ladite période. Alors que certains éléments de preuve concernant ces autres sources étaient vagues et, dans certains domaines, mal documentés, il existait des éléments de preuve selon lesquels l'appelant avait effectivement reçu des fonds supplémentaires pendant la période en litige. Il y avait un dépôt bancaire de 10 000 $ en décembre 1992, bien qu'un document (pièce A-2) apparemment signé par la mère de l'appelant confirme un don s'élevant à un montant différent, soit 11 000 $ américains en 1992. Un document (pièce A-3) du courtier d'assurances de l'appelant déclarait que M. Epel avait effectivement reçu des fonds pour le règlement relatif à un accident automobile en 1994, bien que cela ne confirme pas grand-chose quant au montant reçu par M. Epel. Un dépôt bancaire de 11 358 $ a été effectué peu après l'accident. Le principal argument tourne autour de la question du jeu. J'accepte l'argument de l'appelant selon lequel il existe des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence de sources de revenu non imposables supplémentaires pendant la période en litige, la principale d'entre elles étant les gains habituels et considérables générés par les activités de jeu de M. Epel. Selon ce dernier, il a mentionné au vérificateur qu'il avait gagné de l'argent au jeu. Selon le témoignage du vérificateur, M. Epel ne lui a jamais mentionné cela au cours de l'entrevue et, en fait, lorsqu'on lui a demandé s'il avait des sources de fonds non imposables à sa disposition, l'appelant a répondu par la négative. Il est manifeste que l'appelant avait de grandes difficultés avec la langue anglaise. Je me souviens qu'à un moment, il a déclaré qu'il comprenait environ la moitié de ce qui était dit. En outre, il souffre d'un désavantage important car il ne peut ni lire ni écrire. Je pense qu'il aurait beaucoup de mal à comprendre les questions d'un vérificateur dans le cadre d'une entrevue. Cela peut très bien avoir causé des réponses incomplètes ou incorrectes aux questions posées lors de l'entrevue, à moins que le vérificateur n'ait pris le temps nécessaire pour expliquer en détail ce qui était demandé. Je remarque également qu'une partie importante (les cinq premières pages d'un questionnaire en comportant 10) n'était pas remplie. Ce document était censé, selon l'inscription au bas à gauche, constituer une [TRADUCTION] « entrevue initiale détaillée » . Compte tenu du niveau d'instruction de M. Epel et de ses problèmes de langue, je n'accorde que peu ou pas de crédit à une entrevue se voulant une [TRADUCTION] « entrevue initiale détaillée » qui n'est remplie qu'à moitié.

[32]     L'appelant s'est acquitté avec succès du fardeau de la preuve qui lui incombe en démontrant, sur la base de la prépondérance des probabilités, que l'augmentation des fonds pendant la période en litige était largement attribuable à des gains exceptionnels au jeu occasionnel non imposables et à d'autres sources de fonds non imposables. Ces dernières ne tombent pas sous le coup de l'article 3 de la Loi et ne sont donc pas imposables. Il s'ensuit que la nouvelle cotisation de TPS portant sur les fournitures imposables du 1er septembre 1991 au 31 août 1995 sera annulée et que les cotisations pour les années d'imposition 1996 à 1998 doivent être établies pour le revenu indiqué sur les déclarations telles qu'elles ont été produites par l'appelant. Les pénalités doivent être radiées.

[33]     Les appels sont accueillis, et l'avocat présente un mémoire de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'octobre 2003.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.