Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2004CCI235

Date : 20040331

Dossier : 2003-3659(IT)I

ENTRE :

TEFIK SHABANI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Représentante de l'appelant : Margareta Hinrichsen

Avocat de l'intimée : Louis A. T. Williams

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à

Edmonton (Alberta), le 3 février 2004)

Le juge Bowie

[1]      Je vais d'abord m'attarder aux quatre points soulevés dans l'avis d'appel. Le premier parmi ceux-ci est que vous avez signifié un avis d'opposition et qu'il n'a pas été traité de manière satisfaisante. Je crois comprendre de cette affirmation que vous estimez que l'on aurait pu sûrement en disposer beaucoup plus rapidement, et je partage entièrement votre avis. Que l'on ait mis deux ans et demi pour ratifier une cotisation dans un cas comme le vôtre me paraît être un délai démesurément long, qui mérite à tout le moins une certaine justification de la part de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). À ma connaissance, rien ne justifie ce délai. Toutefois, il n'est pas de ma compétence de vous accorder une quelconque réparation.

[2]      La Cour et la Cour d'appel fédérale se sont toutes deux penchées sur cette question, et la Cour d'appel fédérale a clairement indiqué que le délai déraisonnable dans le traitement, par Revenu Canada (maintenant connu sous l'appellation ADRC), d'un avis d'opposition ne donne pas droit à un moyen de redressement que la Cour est en mesure d'accorder. La Cour d'appel fédérale en est arrivée à cette conclusion en partie à la lumière du fait que le paragraphe 169(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu accorde un recours au contribuable. Cette disposition prévoit que le contribuable qui a déposé un avis d'opposition peut, s'il n'a pas reçu de réponse dans les 90 jours qui suivent, déposer un avis d'appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, qui l'entendra dans les plus brefs délais. Malheureusement, il s'agit d'une disposition peu comme la Loi. J'ignore si l'avis de cotisation et les autres documents acheminés habituellement aux contribuables par l'ADRC portent ladite disposition à l'attention de ces derniers. Je me permets d'en douter, puisque si tel était le cas, davantage de contribuables en tireraient parti et se présenteraient directement devant la Cour plutôt que d'attendre que la soi-disant Direction générale des appels de l'ADRC donne, après des délais qui s'avèrent parfois déraisonnables, signe de vie. Je reviendrai plus loin à la question du délai, mais celui-ci ne constitue pas un moyen qui me permet d'accueillir l'appel.

[3]      Le deuxième point soulevé dans l'avis d'appel, et il importe peut-être en cette instance d'en lire le libellé précis, est le suivant :

[TRADUCTION]

[...] Je souhaite faire savoir que lorsque le gouvernement du Canada m'a engagé, on ne m'a pas avisé que je travaillerais à titre d'expert-conseil ni que je serais considéré comme un travailleur autonome. J'ai été rémunéré en fonction des fiches de présence que j'ai remplies.

Alors, comme je l'ai souligné lors de l'audience, le sous-procureur général du Canada a, par l'entremise de son mandataire, C. Ritchie, auteur de la réponse à l'avis d'appel, formulé de façon inexacte la question litigieuse comme étant la qualification du revenu comme un revenu d'emploi plutôt que comme un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Là n'est pas la question en l'espèce. Il importe peu de savoir si le revenu en est un d'emploi, d'entreprise ou de bien. S'il s'agit d'un revenu, celui-ci est imposable. Bien sûr, s'il s'agissait d'un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, se poserait la question de savoir si certaines dépenses ont été engagées afin de générer le revenu en question. Cependant, il n'a jamais été suggéré ni dans l'avis d'appel, ni lors de l'audience, que M. Shabani ait eu à engager des dépenses qui ne lui avaient pas été remboursées. Ainsi, qu'il ait été tiré d'un emploi ou d'un contrat d'entreprise, le revenu, c'est-à-dire les 42 000 $, constitue, de toute façon, un revenu.

[4]      Le troisième point soulevé dans l'avis d'appel est, et je cite à nouveau, le suivant :

[TRADUCTION]

[...] si cette somme est réputée être un revenu d'entreprise, ne devrait-on pas me permettre d'en déduire les dépenses engagées dans le cadre de l'exploitation de cette entreprise, en l'occurrence les dépenses liées à l'hébergement, aux repas, aux déplacements et aux communications par téléphone, entre autres?

S'il s'agissait d'un revenu d'entreprise, les dépenses défrayées par M. Shabani lui-même seraient déductibles. Toutefois, la preuve démontre assez clairement que M. Shabani a été remboursé de ses frais. On lui a accordé une allocation de dépenses, ses frais d'hébergement à l'hôtel ont été payés, et il n'a nullement été question à quelque moment que ce soit qu'il ait été tenu de payer lui-même ces dépenses.

[5]      Le quatrième point soulevé dans l'avis d'appel est le délai de quatre années qui s'est écoulé.

[TRADUCTION]

[...] et je n'ait été avisé de la décision de Calgary au sujet de mon avis d'opposition que le 1er mai 2003, [...] et ce, malgré le fait que le dépôt de l'avis d'opposition initial remontait au 26 novembre 2001. [...]

Et ce point ne fait que reprendre le premier, c'est-à-dire qu'on a mis beaucoup trop de temps pour régler ce dossier. Pendant l'audience, l'appelant a fait valoir qu'il croyait que le revenu en question lui avait été versé à titre d'employé des Nations Unies. Sur ce propos, je n'émettrai que deux commentaires. D'abord, je me permets de douter sérieusement de la véracité de cette prétention, et ce, pour deux raisons. Premièrement, nulle part dans l'avis d'appel en est-il fait mention, et j'ose croire que si M. Shabani avait à son tour cru, pendant toute la période écoulée depuis 1999, année pendant laquelle le revenu visé en l'espèce a été gagné, que ce revenu était exempt d'impôt à titre de revenu d'emploi tiré d'un emploi exercé pour le compte des Nations Unies, il en aurait fait mention dans son avis d'appel, ce qu'il n'a pas fait. Il s'agit donc, à mon avis, d'une réflexion après coup. Et si M. Shabani s'était sérieusement posé des questions sur la provenance de son revenu, il lui aurait suffit, à mon avis, de regarder son chèque de paie de plus près, afin d'y voir dans la marge gauche « Canada » en grosses lettres et au haut « Citizenship and Immigration Canada/Citoyenneté et Immigration Canada » , ce qui lui aurait permis de conclure que son revenu ne provenait effectivement pas des Nations Unies. Je doute donc sérieusement des propos de M. Shabani lorsqu'il affirme avoir cru que son revenu lui avait été versé par les Nations Unies.

[6]      De toute manière, ce n'est pas ce que croyait M. Shabani qui fait que son revenu soit imposable ou non, et il est certes clair, d'après la preuve dont j'ai été saisi, que, peu importe ce qu'il croyait, le revenu visé en l'espèce ne lui avait pas été versé par les Nations Unies. Il était au service d'un organisme du gouvernement du Canada et par conséquent, son revenu n'est pas exempt d'impôt en application de l'article 81 de la Loi ou de toute autre disposition.

[7]      L'autre question soulevée pour le compte de M. Shabani pendant la présente instance est qu'Emploi et Immigration Canada n'a pas effectué de retenues d'impôt à la source. Cette façon de faire s'explique possiblement par le fait que l'emploi qu'exerçait M. Shabani était occasionnel. Avant l'expiration de la première période de deux mois, l'emploi en question ne faisait pas l'objet d'un contrat écrit. Un contrat de travail avait apparemment été rédigé par la suite. Il est possible de faire valoir que des retenues à la source auraient dû être effectuées dès lors. Cependant, je n'ai pas à trancher ici la question de l'obligation d'Immigration Canada d'effectuer des retenues d'impôt à la source.

[8]      La Loi de l'impôt sur le revenu stipule très clairement que tout revenu est imposable et qu'il incombe au contribuable qui en gagne un de payer l'impôt sur ce revenu. Dans certains cas, il incombe à l'employeur d'effectuer des retenues d'impôt à la source, mais le défaut par l'employeur de ce faire ne signifie pas pour autant que la personne employée est dégagée de son obligation de payer l'impôt. Je reconnais volontiers que le fait qu'un employeur omette d'effectuer les retenues à la source peut amener l'employé à croire qu'il est dégagé de son obligation. Cependant, cet argument est dénué de fondement en droit. L'employé peut dépenser, certes à son propre préjudice, les sommes non retenues mais il n'est pas pour autant dégagé de son obligation de payer l'impôt. L'obligation première de payer l'impôt sur le revenu découle des articles 2 et 3 de la Loi. L'article 2 stipule qu'un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu'il est prévu par la Loi, pour chaque année d'imposition, sur le revenu imposable de toute personne résidant au Canada à un moment donné au cours de l'année; l'article 3 stipule que

[p]our déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer [...]

Et il ressort très clairement de ces calculs, si compliqués soient-ils, que les revenus d'emploi et les revenus tirés d'une entreprise sont tous deux compris dans les revenus assujettis à l'impôt en application de l'article 2. Par conséquent, je n'ai d'autre choix que de rejeter le présent appel.

[9]      Enfin, j'avais indiqué plus tôt que je reviendrais sur la question du délai. M. Shabani, Revenu Canada a fait preuve, à mon avis, de négligence dans sa façon de traiter l'avis d'opposition que vous avez déposé. En outre, aucune preuve ne m'a été présentée qui puisse expliquer pourquoi Immigration Canada n'a pas effectué les retenues d'impôt à la source qui s'imposaient. Cependant, la combinaison de ces deux éléments a probablement eu pour résultat d'accroître considérablement votre endettement eu égards aux intérêts qui viennent s'ajouter à l'impôt exigible. Comme le ministre du Revenu national dispose, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, du pouvoir discrétionnaire de dispenser dans certains cas appropriés du paiement des intérêts et, qu'à mon avis, il s'agit en l'espèce d'un tel cas, je vous invite à formuler une demande en ce sens à l'ADRC afin que celle-ci renonce aux intérêts accumulés sur votre dette fiscale, car force est d'admettre que la conduite, du moins en bonne partie, d'au moins un des deux organismes du gouvernement en cause dans le présent appel a contribué à l'accroissement de votre dette fiscale eu égard à ces intérêts.

[10]     M. Williams pourrait vous prêter secours en vous indiquant les modalités d'une telle demande. Cependant, comme il s'agit d'une question qui relève entièrement de la compétence du ministre du Revenu national, la Cour n'a pas compétence à cet égard.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2004.

« E. A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de septembre 2004.

Daniel E. Renaud, traducteur

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