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2001-4406(IT)G

ENTRE :

EDWARD TOEWS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus le 2 mai 2005, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Paul K. Lail

Avocat de l'intimée :

Me Ron D. F. Wilhelm

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JUGEMENT

Les appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations d'impôt établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995 et 1998 sont rejetés avec dépens.


Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2005.

« E. A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d'août 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2005CCI597

Date : 20050906

Dossier : 2001-4406(IT)G

ENTRE :

EDWARD TOEWS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1998, l'appelant a déduit une perte au titre d'un placement d'entreprise de 170 672,00 $, ce qui a donné lieu à une perte autre qu'une perte en capital de 24 949,00 $ pour cette année et à une autre perte de même nature de 22 493,00 $ devant être reportée à l'année d'imposition 1995. Initialement, l'appelant a fait l'objet de cotisations basées sur ce fondement. Subséquemment, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à son égard, dans lesquelles il a refusé la déduction demandée par l'appelant des pertes autres que des pertes en capital au motif que la perte au titre d'un placement d'entreprise déduite par l'appelant ne répondait pas aux exigences du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu[1] (la « Loi » ). M. Toews interjette maintenant appel des nouvelles cotisations en question.

[2]      Les événements à l'origine de la perte au titre d'un placement d'entreprise déduite par l'appelant découlent de la formation, en juin 1995, d'une société de construction de bateaux, Apollo Industries Ltd. (ci-après « Apollo » ), par l'appelant et deux autres personnes. L'appelant a exploité la société pendant environ trois ans, mais, pour des raisons que je n'ai pas besoin de mentionner dans les présents motifs, l'entreprise a échoué et, le 28 mai 1998, la société a fait faillite. Par conséquent, l'appelant a perdu son placement initial. À l'audience que j'ai présidée, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits auquel trois autres documents étaient joints. L'exposé est ainsi rédigé :

[traduction]

         

1.          De juin 1995 au 1er juin 1998, Apollo Industries Ltd. (ci-après « Apollo » ) exploitait une société de construction et de vente de bateaux.

         

2.          Le 28 mai 1998, Apollo a fait faillite.

3.          Le 1er juin 1998, un syndic a pris en charge Apollo et ses affaires.

4.          Pendant toute la période pertinente, 3362272 Manitoba Inc. (ci-après « Manitoba » ) détenait entre 27,8 % et 34,7 % des actions émises de catégorie A du capital d'Apollo.

         

5.          Les actions de catégorie A d'Apollo étaient des actions avec droit de vote et donnaient à Manitoba le droit à des dividendes.

6.          Manitoba et l'appelant ne contrôlaient pas Apollo et ne pouvaient décider unilatéralement de lui faire payer des dividendes à Manitoba.

7.          Pendant toute la période pertinente, la Toews Family Trust (la « fiducie » ) était propriétaire de 100 % des actions émises de catégorie A du capital de Manitoba.

           

8.          Les actions de catégorie A de Manitoba étaient des actions avec droit de vote et donnaient à la fiducie le droit à des dividendes.

9.          Pendant toute la période pertinente, l'appelant, sa femme et deux autres personnes ont agi comme fiduciaires de la fiducie.

10.        Pendant toute la période pertinente, l'appelant, sa femme et leurs enfants étaient les bénéficiaires de la fiducie.

11.        En vertu de l'acte de fiducie :

a)          toute décision concernant la fiducie devait être prise par la majorité des fiduciaires;

b)          s'il ne restait qu'un seul fiduciaire, il ou elle ne pouvait agir seul, sauf pour poser un acte essentiel pour l'administration de la fiducie ou pour nommer un autre fiduciaire;

c)          les fiduciaires jouissaient du pouvoir discrétionnaire absolu de payer un bénéficiaire sur les fonds de la fiducie, même à l'exclusion de tous les autres bénéficiaires.

12.        L'appelant n'a jamais reçu de paiements de la fiducie.

13.        L'appelant a déduit une perte au titre d'un placement d'entreprise de 170 672 $ pour l'année d'imposition 1998, déduction qui a donné lieu à une perte autre qu'une perte en capital de 22 493 $ reportée à l'année d'imposition 1995.

14.        Au 28 mai 1998, Manitoba avait prêté à Apollo un total de 152 868 $ (le « prêt de Manitoba » ), montant qui reste impayé.

15.        Au 28 mai 1998, l'appelant avait prêté à Apollo un total de 5 592 $ (le « prêt de l'appelant » ), montant qui reste impayé.

16.        À la fois le prêt de Manitoba et le prêt de l'appelant (les « prêts » ) font partie de la perte au titre d'un placement d'entreprise qu'a déduite l'appelant.

17.        Aucun intérêt n'a été payé sur les prêts.

[3]      L'appelant a témoigné qu'il avait laissé à ses conseillers juridiques et à ses conseillers comptables le soin d'établir la structure de la société et qu'il croyait qu'ils l'avaient fait d'une manière qui lui fût avantageuse sur le plan fiscal. Il a affirmé qu'ils avaient organisé la structure tel qu'ils l'avaient fait, dès le début, pour éviter une réorganisation ultérieure qui aurait pu être contestée par Revenu Canada. L'appelant a aussi témoigné qu'il avait effectué son placement initial dans la société en empruntant l'argent nécessaire d'une banque à charte. Il ne semblait pas certain de la façon dont l'argent qu'il avait emprunté avait abouti dans la société exploitante Apollo, mais il est clair, selon les états financiers d'Apollo qui ont été annexés à l'exposé conjoint des faits, que cette société devait à Manitoba un total de 152 086,86 $ à la date de la faillite[2]. J'en déduis que l'appelant, ayant emprunté quelque 150 000,00 $ de la banque, a prêté cette somme à Manitoba, qui l'a prêtée à son tour à Apollo. Selon le témoignage de l'appelant, ni le prêt qu'il a accordé à Manitoba ni celui que Manitoba a consenti à Apollo ne portaient d'intérêt. Manitoba a fourni des services de gestion à Apollo grâce aux efforts de l'appelant.

[4]      Tel que l'indique clairement l'exposé conjoint des faits, l'appelant ne pouvait pas recevoir un revenu de dividendes directement d'Apollo ou de Manitoba. Il aurait bien sûr pu recevoir des attributions de la fiducie si Apollo n'avait pas fait faillite et avait payé des dividendes à Manitoba, et que Manitoba avait à son tour payé des dividendes à la fiducie. Cependant, il ne pouvait pas astreindre la fiducie à effectuer une attribution, que ce soit à lui-même ou à quelqu'un d'autre.

[5]      Pour que l'appelant puisse déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise en vertu de l'article 39 de la Loi, il doit être en mesure de démontrer qu'il a subi une perte en capital et, pour ce faire, il doit prouver qu'il a subi une perte résultant de la disposition d'un bien[3]. Pour justifier la déduction de la perte, l'appelant fait valoir qu'une créance qui lui était due était devenue irrécouvrable pendant l'année 1998[4]. La question soulevée par l'intimée dans les présents appels est de savoir si la perte en question est réputée nulle du fait de l'application du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, dont les passages pertinents prévoient :

40(2)     Malgré le paragraphe (1) :

a)          [...]

g)          est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :

(i)          [...]

(ii)         une perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu [...]

[6]      La position de l'intimée est qu'en l'espèce la créance n'a pas été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, et donc que la perte est réputée nulle, et ce, peu importe si c'est Apollo ou Manitoba qui était la débitrice de l'appelant. Certes, l'appelant ne pouvait toucher un intérêt sur le prêt; cependant, il se fonde sur le principe établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Byram v. The Queen[5]. Dans cette affaire, le contribuable a fait des prêts à une société exploitante dont il possédait des actions, à la fois directement et indirectement par l'intermédiaire d'une autre société dont il détenait les actions et qui était propriétaire d'actions de la société exploitante. Les prêts ont tous été accordés sans intérêt. Lorsque la société exploitante a fait faillite et est devenue insolvable, le contribuable a déclaré une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (la « PDTPE » ) résultant à la fois des prêts directs et des prêts indirects. Il a fait valoir avec succès devant la Cour d'appel fédérale que les deux types de prêts répondaient à l'exigence du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi voulant qu'il les ait accordés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. La Cour d'appel fédérale a statué que la réalité commerciale l'obligeait à reconnaître que le contribuable pouvait s'attendre à recevoir des dividendes si la société exploitante réussissait, et ce, non seulement sur les actions de la société exploitante qu'il détenait, mais aussi sur les actions de la société de portefeuille. Pour que les prêts puissent être considérés comme ayant été accordés en vue de gagner un revenu, il suffisait d'établir l'existence d'un lien entre le revenu et le contribuable. L'appelant soutient que le lien nécessaire existe en l'espèce. Les profits générés par la société exploitante devaient produire des dividendes payables à la société de portefeuille. Étant donné que la fiducie était propriétaire de toutes les actions de la société de portefeuille, elle devait recevoir à son tour un revenu de dividendes de la société de portefeuille, et l'appelant pouvait s'attendre à recevoir des attributions de la fiducie.

[7]      À mon avis, la présente affaire ne tombe pas sous le coup du principe énoncé dans Byram. En vertu de l'acte de fiducie, peu importe le niveau de rentabilité de la société exploitante, il est possible que l'appelant ne touche jamais de revenu de cette provenance. L'appelant n'est qu'un des quatre fiduciaires et l'un des quatre bénéficiaires de la fiducie. Il était loisible aux fiduciaires de payer une partie ou la totalité du revenu de la fiducie à l'un des bénéficiaires, à l'exclusion de tous les autres. Il y a bel et bien un lien entre les profits d'Apollo et la fiducie, mais l'appelant en est exclu. À cet égard, la présente cause correspond en tous points à l'affaire Service v. Canada[6], à l'égard de laquelle la Cour a conclu qu'un prêt sans intérêt accordé par l'appelant à une société de portefeuille dont toutes les actions étaient détenues par sa femme n'avait pas été fait en vue de gagner un revenu étant donné qu'il n'existait aucun lien entre l'actionnaire et la société exploitante. Dans la présente affaire aussi, l'appelant pouvait s'attendre à recevoir une partie des profits de la société, s'il y en avait eu, mais il n'y avait certainement pas droit. En effet, il se trouve dans une position encore plus difficile que l'appelant dans l'affaire Service, qui avait seulement besoin de la coopération de sa femme afin de pouvoir tirer un revenu du prêt. L'appelant ne pouvait recevoir une attribution de la fiducie sans l'accord de deux autres fiduciaires en plus du sien. Je ne suis pas insensible à la situation dans laquelle se trouve maintenant l'appelant. Il a accepté passivement la structure de la société que ses conseillers avaient établie pour lui. Il semble qu'ils aient davantage songé aux conséquences d'un succès futur de l'entreprise qu'à sa faillite possible. Au moment de la mise en place de la fiducie, ils ont apparemment remis à plus tard l'établissement des modalités de la distribution de ses revenus éventuels. Cependant, en procédant ainsi, les conseillers ont privé l'appelant de la possibilité de récupérer quelque chose du désastre financier qu'il a éprouvé en se prévalant d'une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.


[8]      Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2005.

« E. A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d'août 2006.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2005CCI597

N º DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-4406(IT)G

INTITULÉ :

Edward Toews et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 2 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge E. A. Bowie

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Paul K. Lail

Avocat de l'intimée :

Me Ron D. F. Wilhelm

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Paul K. Lail

Cabinet :

Fritz Lail Shireff & Vickers

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée.

[2]           Le paragraphe 14 de l'exposé conjoint des faits indique que ce prêt se chiffrait à 152 868,00 $ à cette date, ce qui semble être une erreur typographique, mais la question de savoir quel nombre est correct n'a pas d'importance.

[3]           Voir l'article 39 de la Loi.

[4]           Voir le paragraphe 50(1) de la Loi.

[5]           [1999] 2 C.T.C. 149.

[6]           2004 DTC 3317; confirmé par 2005 CAF 163 (IIJCan).

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