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Dossier : 2003-2064(IT)G

ENTRE :

CORPOR-AIR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 29 novembre 2005 à Sept-Îles (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Charles-Henri Desrosiers

Avocate de l'intimée :

Me Sophie-Lyne Lefebvre

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2006.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2006CCI75

Date : 20060228

Dossier : 2003-2064(IT)G

ENTRE :

CORPOR-AIR INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard

[1]      L'appelante conteste les nouvelles cotisations établies à son égard par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 (la « période pertinente » ). Le ministre a refusé à l'appelante pour les années d'imposition se terminant les 30 juin 1999, 2000 et 2001 les montants de 26 568 $, de 25 059 $ et de 30 297 $ respectivement qu'elle avait réclamés comme déductions accordées aux petites entreprises ( « DAPE » ).

Le contexte

[2]      Pendant la période pertinente, madame Yvette Poirier était l'unique administratrice, actionnaire et dirigeante de l'appelante. Pendant la même période, monsieur Harvey Stever, le conjoint de madame Poirier, contrôlait directement et indirectement les sociétés suivantes (le « groupe Stever » ) :

          -         Les Gestions H.J. Stever inc. ( « Gestion » )

          -         Avitair inc. ( « Avitair » )

          -         Trans sol Aviation Service inc. ( « Transsol » )

          -         Air Sol Mécanique inc. ( « Airsol » )

          -         Hand-Air Inc. ( « Hand Air » )

          -         Contract Air Inc. (sauf en 2001) ( « Contractair » )

[3]      Les sociétés du groupe Stever se sont partagé la totalité du plafond des affaires de 200 000 $ durant les années d'imposition en litige.

[4]      La seule question en litige est de savoir si monsieur Stever exerçait sur l'appelante un contrôle de facto, c'est-à-dire qu'il faut déterminer, tel que le requiert le paragraphe 256(5.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), si monsieur Stever avait, durant la période pertinente, une influence directe ou indirecte dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de l'appelante. Si un tel contrôle de fait existait, monsieur Stever aurait contrôlé l'appelante directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, pendant la période pertinente. Si un tel contrôle existait, l'appelante et le groupe Stever étaient des sociétés associées conformément aux dispositions de l'alinéa 256(1)b) de la Loi et elles doivent alors se partager le plafond des affaires de 200 000 $. Il y aurait alors lieu de confirmer les cotisations du ministre, puisque le plafond des affaires de 200 000 $ avait déjà été attribué en totalité aux sociétés du groupe Stever. Dans le cas contraire, l'appelante aurait droit au plein montant de la DAPE.

Les faits

[5]      Les activités du groupe Stever consistent à rendre différents services à des compagnies aériennes, tel que faire l'approvisionnement et le ravitaillement en carburant, en glycol et en nourriture, louer de l'équipement et de l'espace de hangar, faire le ménage des avions, assurer la manutention des avions et des bagages et voir à l'accueil et à l'embarquement des passagers. Les activités de l'appelante consistent principalement à fournir les services au comptoir (embarquement des passagers, manutention des bagages et émission des billets d'avion ou des cartes d'embarquement) à des compagnies aériennes. Pendant la période pertinente, madame Poirier a déclaré comme seule source de revenu un salaire provenant d'Airsol. L'appelante ne possède aucune immobilisation. L'appelante rend ses services aux établissements commerciaux du groupe Stever situés aux aéroports de Québec et de Sept-Îles et utilise les avoirs du groupe Stever tels les locaux, les camions et l'équipement.

[6]      Pendant la période pertinente, l'actif de l'appelante était composé essentiellement d'encaisse et d'avances au groupe Stever. Les avances consenties par l'appelante au groupe Stever ne portaient pas intérêts et ne comportaient aucune modalité de remboursement. À titre d'exemple, à la fin de son exercice se terminant le 30 juin 2001, l'appelante avait un actif de 1 739 265 $ se répartissant comme suit :

          -         Actif à court terme                92 783 $

          -         Avances à des sociétés              1 646 482 $

                                                                   1 739 265 $

[7]      Les avances suivantes avaient été consenties aux sociétés suivantes :

          -         Transsol                                    1 118 200 $

          -         33881672 Canada inc. (soeur)        112 282 $

          -         Avitair                                          416 000 $

                                                                   1 646 482 $

[8]      Pendant la période pertinente, le passif de l'appelante était composé essentiellement de sommes dues au groupe Stever. Les avances consenties par le groupe Stever à l'appelante ne portaient pas intérêts et ne comportaient aucune modalité de remboursement. À titre d'exemple, à la fin de son exercice se terminant le 30 juin 2001, l'appelante avait un passif de 1 287 452 $ se répartissant comme suit :

          -         Passif à court terme                        81 905 $

          -         Avances de sociétés                   1 205 547 $

                                                                   1 287 452 $

[9]      Les avances avaient été consenties à l'appelante par les sociétés suivantes :

          -         Airsol                                        1 081 742 $

          -         Gestion                                          91 794 $

          -         Hand Air                                        32 011 $

                                                                   1 205 547 $

[10]     Pendant la période pertinente, l'appelante n'a jamais versé de dividendes à madame Poirier.

[11]     Le 30 mai 1993, l'appelante et Airsol ont signé une convention de gestion[1] aux termes de laquelle :

a)          l'appelante devait procéder à l'embauche de l'ensemble des employés d'Airsol, dont cette dernière avait besoin pour la manutention au sol de l'équipement pour le ravitaillement et l'approvisionnement aux aéronefs;

b)          l'appelante devait rémunérer les employés qu'elle avait aussi embauchés selon les exigences du marché;

c)          la rémunération de l'appelante pour les services ainsi rendus était la suivante : le coût des services rendus majoré d'un montant minimal de 12 % et d'un montant maximal de 15 %, et ce, annuellement;

d)          Airsol s'engageait à faire des avances à l'appelante dans le but de financer les activités de cette dernière.

[12]     Le 30 mai 1993, l'appelante et Transsol ont signé une convention de gestion[2] dont les termes étaient essentiellement les mêmes que ceux de l'entente intervenue le même jour entre l'appelante et Airsol.

[13]     Les revenus de gestion de l'appelante et ses dépenses pour les salaires étaient inscrits ou corrigés, respectivement, à la fin de chaque exercice par des écritures de régularisation.

[14]     Les revenus de l'appelante étaient répartis de la façon suivante au 30 juin 2000 :

          -         Consommation électrique              17 500 $     (1)

          -         Location d'équipement                            20 484 $     (1)

          -         Revenus liés au glycol                             58 330 $     (2)

          -         Frais - gain sur charge                             3 188 $

          -         Service                                                142 206 $      (3)

          -         Total des revenus de vol                      241 708 $

          -         Honoraires de gestion                          151 433 $      (4)

                                                                             393 141 $

(1)      Ces revenus provenaient de AOM French Airlines, dont un des appareils était en panne à l'aéroport de Québec en janvier 2000.

(2)      Ces revenus provenaient de AOM French Airlines et de Corsair International pour dégeler les ailes de leurs avions avec du glycol, avions qui étaient stationnés à l'aéroport de Québec.

(3)      Ces revenus provenaient de AOM French Airlines, de Corsair International et de Air Inuit pour différents services liés à l'entretien de leurs avions.

(4)      Ce montant provenait d'une écriture interne à la fin du mois de janvier 2000 qui comptabilisait les honoraires d'Airsol.

[15]     Au 30 juin 2001, les revenus de l'appelante étaient répartis de la façon suivante :

          -         Revenus matériaux                            1 930 $

          -         Autres revenus                                    1 000 000 $ (1)

          -         Revenus de vols                                       72 735 $

                   Sous-total                                           1 074 665 $

                   Honoraires de gestion                              121 200 $ (2)

                   Revenus totaux                                    1 195 865 $

(1) Ce montant provient de l'écriture interne suivante à la fin de l'exercice de l'appelante :

          -         Autres revenus                 1 000 000 $

          -         Avance (due) Airsol              90 000 $

          -         Avance (due) Avitair            410 000 $

          -         Avance (due) Transsol        450 000 $

          -         Avance (due) Tecno              50 000 $

(2)      Ce montant provenait de l'écriture suivante effectuée par le comptable externe :

          -         Honoraires de gestions     121 200 $

          -         Avance (due) Gestion          20 000 $

          -         Avance (due) Transsol     101 200 $

[16]     La majorité des revenus et des honoraires de gestion de l'appelante pour son exercice se terminant le 30 juin 2001 provenait du groupe Stever par le biais d'écritures de régularisation de fin d'exercice.

Remarques préliminaires

[17]     Dans les présents appels, seule madame Poirier a témoigné à l'appui de la position de l'appelante, alors que seul monsieur Pierre Jacques, vérificateur à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a témoigné à l'appui de la position de l'intimée.

[18]     Dans l'appréciation de la preuve fournie par l'appelante, il est nécessaire de commenter l'omission de faire comparaître certains témoins et de fournir de la preuve documentaire qui aurait pu confirmer les affirmations de l'appelante. Dans l'affaire Huneault c. La Reine, 98 DTC 1488, ma collègue la juge Lamarre rappelle au paragraphe 25 certains propos que tiennent les auteurs Sopinka et Lederman dans leur livre « The Law of Evidence in Civil Cases » et qui sont cités par le juge Sarchuk de notre cour dans l'affaire Enns c. M.R.N., no APP-1992(IT), 17 février 1987, 87 DTC 208 à la page 210 :

Dans l'ouvrage de Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases, les auteurs font remarquer ce qui suit au sujet des conséquences de l'omission de faire comparaître un témoin, je cite :

[TRADUCTION]

Dans l'affaire Blatch v. Archer, (1774), 1 Cowp. 63, p. 65, Lord Mansfield a déclaré :

            Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l'une des parties était en mesure de produire et que l'autre partie était en mesure de réfuter.

L'appréciation de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

Dans le cas d'un demandeur auquel il incombe d'établir un point, l'effet de cette déduction peut être que la preuve produite sera insuffisante pour s'acquitter du fardeau de la preuve. (Lévesque et al. c. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010, (1971), 16 D.L.R. (3e) 425.)

[19]     En l'espèce, avant d'analyser en détail les faits pertinents, il est utile de faire certains commentaires généraux sur la crédibilité de madame Poirier qui, je le rappelle, a été la seule à témoigner à l'appui de la position de l'appelante. Je souligne que l'appelante n'a produit que trois documents à l'appui de sa position, soit deux contrats de gestion (pièces A-2 et A-3) et son registre des procès-verbaux (pièce A-1). À mon avis, il serait dangereux d'accorder de la crédibilité au témoignage de madame Poirier sans preuve concrète et probante sous forme de documentation ou de témoignage de témoins crédibles. Les réponses de madame Poirier étaient généralement vagues, imprécises et ambiguës. Trop souvent en contre-interrogatoire, elle ne pouvait donner d'explications valables sur les opérations entre l'appelante et le groupe Stever; elle répétait constamment que seuls les comptables internes et externes de l'appelante étaient en mesure de donner des explications valables, comptables qui, je le rappelle, ne sont pas venus témoigner. Non seulement ses réponses étaient vagues et imprécises, mais elles étaient trop souvent contredites par une preuve documentaire, comme nous le verrons ultérieurement. Pour ces raisons, j'ai accordé peu de valeur probante au témoignage de madame Poirier lorsqu'il n'est pas corroboré par une preuve documentaire sérieuse ou par le témoignage de témoins crédibles.

La position de l'appelante

[20]     L'avocat de l'appelante a soutenu que les concepts d'influence et de contrôle de fait utilisés au paragraphe 256(5.1) de la Loi sont flous et imprécis et qu'il faut ainsi restreindre la portée trop large de cette disposition.

[21]     Il a expliqué que le groupe Stever avait confié à l'appelante le mandat d'exécuter certains contrats qui lui avaient été octroyés par ses clients, parce que madame Poirier avait l'expertise pour les exécuter, expertise que le groupe Stever n'avait pas. Il a donc soutenu que monsieur Stever ne pouvait pas exercer quelque influence sur les activités de l'appelante, ce dernier n'ayant aucune expertise pour le faire.

[22]     L'avocat de l'appelante a soutenu que, bien que les liens familiaux entre madame Poirier et monsieur Stever soient plus susceptibles de donner lieu à un niveau important d'influence, il ne faut pas conclure automatiquement que monsieur Stever contrôlait de facto l'appelante. Il a prétendu que l'appelante avait fait la preuve en l'espèce de son expertise et de son autonomie économique.

[23]     L'avocat de l'appelante a prétendu que le fait que cette dernière ne possède aucune immobilisation et qu'elle utilise plutôt les avoirs du groupe Stever pour exploiter son entreprise n'illustre pas pour autant la dépendance économique de l'appelante. Il a expliqué que l'appelante était une entreprise de services et qu'ainsi elle n'avait pas besoin de beaucoup d'immobilisations pour exploiter son entreprise. Il a ajouté que l'appelante aurait pu louer les avoirs nécessaires à l'exploitation de son entreprise d'une autre personne plutôt que de les louer du groupe Stever.

[24]     L'avocat de l'appelante a soutenu que le fait que cette dernière ait consenti au groupe Stever des prêts qui ne portaient pas intérêts et ne comportaient aucune modalité de remboursement n'illustrait pas nécessairement l'influence de monsieur Stever. Il a expliqué à cet égard que l'argent appartenait à l'appelante et qu'elle pouvait donc faire ce qu'elle voulait avec cet argent. Il a ajouté que le fait que le groupe Stever ait consenti des prêts à l'appelante ne démontre pas la dépendance économique de l'appelante. Il a expliqué que si tel était le cas, les banquiers contrôleraient la plupart des sociétés canadiennes.

[25]     L'avocat de l'appelante a aussi soutenu que le fait que madame Poirier n'ait pas été en mesure de donner quelque explication que ce soit sur les soldes de vérification de l'appelante n'indiquait pas pour autant que madame Poirier ne contrôlait pas la gestion de l'appelante. Il a expliqué que la plupart des contribuables qui contrôlent une société ne sont pas en mesure d'expliquer les écritures de régularisation faites par leurs comptables.

[26]     De façon subsidiaire, le procureur de l'appelante a soutenu qu'il ne peut exister de contrôle de facto d'une société lorsqu'une personne la contrôle de jure, comme c'est le cas en l'espèce.

Analyse

[27]     La seule question en litige est de savoir si monsieur Stever avait, durant la période pertinente, une influence directe ou indirecte dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de l'appelante. Il convient immédiatement de souligner qu'il n'est pas nécessaire que la preuve établisse que monsieur Stever exerçait un contrôle de fait sur l'appelante ou que l'influence dominante était effectivement exercée. Il suffit de constater l'existence d'une telle influence.

[28]     Le paragraphe 256(5.1) de la Loi n'expose pas les circonstances pouvant permettre de conclure à l'existence d'une telle influence. Toutefois, il ressort de l'analyse de ce paragraphe qu'une telle influence peut découler d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable. Le texte prévoit expressément que le seul fait qu'il existe une telle convention ne signifie pas qu'il y a contrôle, si deux conditions sont réunies. Premièrement, il ne doit pas exister de lien de dépendance entre la société et l'entité dominante. Deuxièmement, l'objet principal de la convention dont découle l'influence doit consister à déterminer les liens qui unissent la société et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la société. A contrario, l'existence d'une convention de gestion ou d'un contrat de commercialisation ou d'approvisionnement portant sur la façon de mener une entreprise et liant des parties ayant un lien de dépendance entre elles pourrait donc constituer un facteur pertinent pour établir que l'entité dominante exerce une influence.

[29]     Il faut préciser que la Cour n'est pas limitée à ne tenir compte que de conventions de ces genres pour déterminer si une entité a une influence qui entraînerait le contrôle de fait d'une société. Chaque cas doit être analysé selon les faits pertinents et, même si cela pourrait être souhaitable, il n'est pas possible de fournir une liste exhaustive de tous les facteurs pertinents. Il est utile de rappeler les propos du juge Bowman qui, dans la décision Société foncière d'investissement inc. c. Canada, no 95-1996(IT)I, 6 décembre 1995, [1995] A.C.I. no 1568, 1995 CarswellNat 1504 (angl.), parlait d'une influence soit économique, soit contractuelle, soit morale sur les affaires d'une société. J'ajouterais finalement que l'énoncé que l'on trouve au paragraphe 23 du bulletin d'interprétation IT-64R4 m'apparaît comme un exposé raisonnable de facteurs pertinents pour décider s'il existe une influence dont l'exercice pourrait entraîner un contrôle de fait d'une société.

[30]     À mon avis, la preuve présentée dans ces appels révèle l'existence d'une influence directe ou indirecte de monsieur Stever dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de l'appelante. Le facteur le plus important appuyant la conclusion de l'existence d'une telle influence est la dépendance économique de l'appelante envers le groupe Stever.

[31]     D'abord, avant d'examiner le facteur de la dépendance économique à la lumière de la preuve présentée, je tiens à souligner que mon analyse de la preuve liée aux revenus et aux dépenses de l'appelante me permet de conclure que les opérations entre l'appelante et le groupe Stever sont artificielles et, à mon avis, n'avaient pour objectif que d'augmenter le plafond des affaires de 200 000 $. Premièrement, je note que les services rendus par l'appelante au groupe Stever n'étaient pas facturés. Je note aussi que les revenus de gestion et les salaires étaient inscrits ou corrigés, respectivement, à la fin de chaque exercice par des écritures de régularisation pour lesquelles madame Poirier ne pouvait donner d'explication. Je constate aussi que l'appelante a vendu en l'an 2000 des services à des tiers d'une valeur de 241 708 $, notamment en louant de l'équipement pour 20 484 $ et en vendant du glycol pour 58 330 $. Toutefois, je ne retrouve aucune dépense de cette nature au poste « frais d'exploitation » des états financiers de l'appelante pour son exercice se terminant le 30 juin 2000. Je souligne que madame Poirier n'a pas donné d'explication à cet égard. Ces états financiers démontrent que l'appelante a reçu pendant cet exercice des honoraires de gestion de 141 433 $, dont la totalité provenait d'Airsol. Madame Poirier a témoigné qu'Airsol avait versé ces honoraires à l'appelante conformément à l'entente de gestion qui les liait (pièce A-3). Je rappelle que cette entente stipule ce qui suit : « Corpor-Air inc. procédera à l'embauche de l'ensemble des employés de Airsol Mécanique inc. et rémunérera ceux-ci selon les exigences du marché et refacturera ces mêmes employés incluant les bénéfices marginaux ainsi que toutes les dépenses occasionnées par la gérance de ces employés à Airsol Mécanique inc., majorées d'un montant minimum de 12 % et d'un montant maximum de 15 % et ce, annuellement. » Toutefois, je constate qu'en ajoutant 15 % à toutes les dépenses d'exploitation (qui incluent les salaires) engagées par l'appelante pendant cet exercice, cette dernière aurait tout au plus reçu des honoraires de gestion d'environ 35 000 $. J'ajouterais que la description donnée par madame Poirier, lors de son témoignage, des services que l'appelante avait rendus pendant cet exercice ne correspond qu'en partie à la description des services qui devaient être rendus aux termes de l'entente écrite.

[32]     Tous ces faits me laissent croire que le groupe Stever, avec la complicité de madame Poirier et de monsieur Stever, a tout simplement transféré des revenus substantiels à l'appelante durant la période pertinente dans le but de la faire bénéficier de la déduction accordée aux petites entreprises, et ce, par le jeu d'écritures de régularisation de fin d'année.

[33]     Indépendamment de ma conclusion quant à l'artificialité des opérations entre l'appelante et le groupe Stever, je suis d'avis que la preuve présentée dans ces appels révélait l'existence d'une influence directe ou indirecte de monsieur Stever dont l'exercice aurait entraîné le contrôle de fait de l'appelante. Le facteur le plus important appuyant l'existence d'une telle influence est la dépendance économique de l'appelante envers le groupe Stever.

[34]     Les faits suivants sont, à mon avis, très révélateurs quant à l'existence d'une dépendance économique :

          i)         La preuve a révélé que le groupe Stever était pratiquement le seul client de l'appelante, car les revenus provenant des autres clients de l'appelante (Air Inuit, AOM French Airlines et Corsair International) ne représentaient pendant la période pertinente qu'un infime pourcentage des revenus totaux de l'appelante. À titre d'exemple, l'analyse des revenus de l'appelante en 2001 démontre que, des revenus de 1 195 851 $ générant un profit de 188 895 $, 1 071 000 $ provenaient du groupe Stever.

          ii)        L'appelante ne possédait aucune immobilisation. Non seulement l'appelante rendait ses services au groupe Stever aux établissements de ce dernier, mais elle utilisait aussi ses avoirs, tels les édifices, les camions et l'équipement. Je suis d'accord avec le procureur de l'appelante que ce fait pris isolément ne permet pas de conclure automatiquement à une dépendance économique de l'appelante envers le groupe Stever. Cependant, bien que le fait d'utiliser ou de louer des immobilisations du groupe Stever plutôt que de les louer d'une autre personne ne peut être déterminant en soi, il n'en demeure pas moins que je ne peux en faire abstraction puisqu'il ne s'agit nullement d'un fait isolé, d'autant plus que l'appelante n'a pas été en mesure de démontrer qu'elle avait versé au groupe Stever une contrepartie pour l'utilisation de ses avoirs.

          iii)       L'ampleur des prêts entre les sociétés - prêts qui, je le rappelle, ne comportaient pas de modalités de remboursement et ne portaient pas intérêts - illustre également, à mon avis, le degré de dépendance économique de l'appelante envers le groupe Stever. En effet, je note que la presque totalité des bénéfices non répartis de l'appelante est investie sous forme d'avances ne portant pas intérêts et que les avances dues par l'appelante au groupe Stever représentent la presque totalité du passif de celle-ci.

[35]     Je n'hésite aucunement à conclure ici non seulement que monsieur Stever avait une influence directe ou indirecte sur l'appelante, mais aussi que, dans les faits, c'est monsieur Stever qui avait le contrôle de fait de l'appelante.

[36]     Quant à l'argument subsidiaire soulevé par le procureur de l'appelante, à savoir qu'il ne pouvait y avoir de contrôle de fait de l'appelante lorsqu'il existait un contrôle de jure de cette société, je conclus que le sous-alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi prévoit expressément qu'une personne peut contrôler une société même si une autre la contrôle aussi. Le fait que le paragraphe 256(1.2) ne renvoie pas au paragraphe 256(2.1) de la Loi n'empêche pas la coexistence du contrôle de jure par une personne et du contrôle de facto par une autre. Ces deux notions se retrouvent au paragraphe 256(1) de la Loi. En d'autres mots, il n'est pas nécessaire que le paragraphe 256(2.1) de la Loi fasse référence au paragraphe 256(5.1). Le renvoi au paragraphe 256(1) de la Loi suffit.

[37]     Par conséquent, les appels sont rejetés et les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2006.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2006CCI75

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2064(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Corpor-Air Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sept-Îles (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 29 novembre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 février 2006

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Charles-Henri Desrosiers

Avocate de l'intimée :

Me Sophie-Lyne Lefebvre

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Charles-Henri Desrosiers

Étude :

Desrosiers et Associés

Sept-Îles (Québec)

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Pièce A-3.

[2] Pièce A-2.

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