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Dossier : 2003-238(IT)G

 

ENTRE :

JOHN KRPAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus les 12 et 13 juin 2006, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge M. A. Mogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Allan D. Powell

Avocat de l'intimée :

Me A'Amer Ather

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001 sont accueillis, avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que, dans le calcul de son revenu, l'appelant a le droit de déduire les montants de 4 000 $ versés mensuellement en vertu du paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal (dont il est
fait mention dans les motifs du jugement) et les montants de 500 $ versés mensuellement en vertu du paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2006.

 

 

« M. A. Mogan »

Le juge suppléant Mogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2006CCI595

Date : 20061101

Dossier : 2003-238(IT)G

 

ENTRE :

JOHN KRPAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Mogan

 

[1]     L'appelant et son épouse Nancy se sont séparés en avril 1998. En novembre 1998, un juge de la Cour supérieure de l'Ontario a rendu une ordonnance enjoignant à l'appelant de verser mensuellement un certain montant à son épouse et un autre montant à un concessionnaire d'automobiles pour la location d'un véhicule pour l'épouse. L'appelant a versé ces montants mensuellement et les a déduits, à titre de pension alimentaire au profit de l'épouse, dans le calcul de son revenu pour les années 1999, 2000 et 2001. La déduction de ces montants a été refusée par Revenu Canada dans les nouvelles cotisations établies à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001. L'appelant conteste ces nouvelles cotisations devant la Cour.

 

[2]     La question en litige dans les présents appels est de savoir si ces montants sont déductibles, en totalité ou en partie, à titre de pension alimentaire au profit de l'épouse, dans le calcul du revenu. Ordinairement, j'examinerais d'abord la preuve pour établir les faits avant d'appliquer le droit, mais, eu égard aux circonstances de l'espèce, la preuve apparaîtra dans un contexte plus pertinent si les dispositions légales sont examinées en premier lieu.

 

 

Les dispositions légales

 

[3]     Pendant de nombreuses années avant 1997, les montants de pension alimentaire versés par un époux à l'autre époux, à la suite de la rupture de leur mariage, étaient déductibles dans le calcul du revenu du payeur et inclus dans le revenu du bénéficiaire si les trois conditions suivantes étaient réunies :

 

(i)      les montants étaient payables périodiquement;

 

(ii)      les époux vivaient séparés l'un de l'autre au moment où les montants étaient versés et durant tout le reste de l'année;

 

(iii)     les montants étaient versés en vertu de l'ordonnance d'un tribunal ou d'un accord écrit.

 

Le droit antérieur à 1997, résumé ci‑dessus, s'appuyait sur les alinéas 56(1)b) et c) et 60b) et c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) telle qu'elle s'appliquait à l'époque.

 

[4]     À la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Thibaudeau, [1995] 2 R.C.S. 627, 95 D.T.C. 5273, la Loi a été modifiée afin qu'il y soit apporté des changements au régime de déduction et d'inclusion des montants de pension alimentaire, dont l'application dépendrait de la question de savoir si la pension sert à subvenir aux besoins des enfants ou exclusivement aux besoins de l'époux. Le nouveau régime repose essentiellement sur deux définitions figurant au paragraphe 56.1(4) de la Loi :

 

56.1(4) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

 

[...]

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui‑ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a) le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex‑époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui‑ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

 

b) le payeur est légalement le père ou la mère d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

 

« pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex‑époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur, soit le parent, père ou mère, d'un enfant dont le payeur est légalement l'autre parent.

 

[5]     En vertu d'une formule plutôt compliquée énoncée aux alinéas 56(1)b) et 60b) de la Loi, le bénéficiaire des aliments n'est pas tenu d'inclure les montants de « pension alimentaire pour enfants » dans le calcul de son revenu et le payeur des aliments ne peut pas déduire les montants de « pension alimentaire pour enfants » dans le calcul de son revenu. La définition de la « pension alimentaire pour enfants » pose un certain défi aux avocats en droit de la famille, parce que les mots « n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire » font en sorte que tous les versements d'une pension alimentaire commune au parent ayant la garde et aux enfants soient considérés comme des montants de « pension alimentaire pour enfants ». En d'autres termes, si un montant de pension alimentaire doit être déduit, en totalité ou en partie, dans le calcul du revenu du payeur et inclus dans le revenu du bénéficiaire, il doit être précisé qu'il est destiné uniquement à subvenir aux besoins de l'époux bénéficiaire, à savoir une « pension alimentaire au profit de l'époux ». Si aucune partie du versement mensuel de la pension alimentaire commune au parent ayant la garde et aux enfants n'est expressément réservée à la « pension alimentaire au profit de l'époux », la totalité du versement sera considérée comme une pension alimentaire pour enfants. Le nouveau régime, qui restreint la déduction et l'inclusion des versements de pension alimentaire, est entré en vigueur le 1er mai 1997.

 

[6]     Les dispositions légales dont il a été question précédemment sont au coeur des présents appels parce que la question fondamentale est de savoir si certains versements mensuels faits par l'appelant à son épouse, ou au profit de cette dernière, peuvent être considérés comme une « pension alimentaire au profit de l'époux ». L'ordonnance de paiement prononcée par le tribunal est datée du 5 novembre 1998. L'appelant a été le premier témoin à comparaître et son avocat a appelé, comme autres témoins, Herbert E. Huffman, l'avocat en droit de la famille qui représentait l'appelant en novembre 1998, et John D. Redfearn, l'avocat en droit de la famille qui représentait l'épouse Nancy en novembre 1998. L'avocat de l'intimée a appelé comme seul témoin Nancy Cassady, ex‑épouse de l'appelant. Dans les présents appels, j'ai donc entendu le témoignage des deux époux et des avocats en droit de la famille qui les représentaient respectivement à l'époque où le tribunal a prononcé l'ordonnance. À la demande des avocats, la Cour a rendu une ordonnance d'exclusion des témoins, sauf l'appelant, qui était le premier à témoigner.

 

Les faits

 

[7]     L'appelant et Nancy Cassady se sont mariés en 1990. Ils ont eu deux enfants : John Anthony, né le 18 juin 1991, et Jennifer Kay, née le 9 décembre 1993. Le couple a commencé à éprouver des problèmes conjugaux en janvier 1997. Voir la pièce R‑2, onglets B et D. Ils se sont séparés le 20 avril 1998. Après la rupture, l'appelant a versé mensuellement à Mme Cassady des aliments dont le montant variait de 3 700 $ à 4 000 $, mais son avocat, Me Huffman, l'a avisé de cesser de faire les versements mensuels à compter du 15 octobre 1998, parce que les parties n'avaient pas conclu d'accord écrit ou obtenu d'ordonnance d'un tribunal qui permettrait à l'appelant de déduire une partie de ces versements aux fins de l'impôt sur le revenu.

 

[8]     Après avoir refusé de verser d'autres aliments à Mme Cassady (le 15 octobre 1998 ou vers cette date), l'appelant a présenté une requête devant la Cour de l'Ontario pour obtenir une ordonnance réglant un certain nombre de questions, notamment son droit de visite à l'égard des deux enfants qui résidaient toujours avec leur mère, la vente du foyer conjugal, les versements de pension alimentaire et une évaluation au titre de l'article 30 relativement aux besoins des deux enfants et à la capacité des parents à répondre à ces besoins. Cette requête a fait aboutir le litige entre l'appelant et son épouse à la Cour de l'Ontario, à Milton (Ontario), le 5 novembre 1998.

 

[9]     Ce jour‑là, Me Huffman, qui représentait l'appelant, et Me Redfearn, qui représentait Mme Cassady, se sont présentés au tribunal à Milton. À l'ouverture du tribunal, à 10 h, les personnes dont les causes étaient inscrites pour audition ce jour‑là ont été informées que le juge présidant les audiences devait se rendre à Brampton pour 14 h 30 et que, par conséquent, le tribunal de Milton fermerait à 14 h. Le juge T. M. Dunn (le juge présidant les audiences) a demandé aux diverses parties de régler le plus grand nombre de questions possible.

 

[10]    Lorsque Mes Huffman et Redfearn ont appris que le juge présidant l'audience devait quitter le tribunal à 14 h, ils ont entrepris des négociations sérieuses et de bonne foi afin de tenter de régler les différends. Ils se sont rendus au casse‑croûte situé au sous‑sol du palais de justice de Milton et ont commencé à négocier les modalités d'une ordonnance par consentement qu'ils espéraient régler, signer et présenter au juge avant 14 h. Leurs clients (l'appelant et Mme Cassady) n'étaient pas présents au palais de justice, mais les avocats se sont entretenus par téléphone séparément avec leur client respectif plus d'une fois au cours des négociations qui ont duré toute la matinée et toute l'heure du dîner. Ils ont finalement réussi à négocier les modalités d'une ordonnance par consentement qu'ils ont présentées au juge Dunn avant son départ pour Brampton. Maître Huffman ou Me Redfearn semblait se rappeler avoir signé le document manuscrit dans l'ascenseur qu'ils ont pris pour se rendre du casse‑croûte situé au sous‑sol jusqu'à la salle d'audience.

 

[11]    L'ordonnance par consentement manuscrite finale, signée par Me Huffman et Me Redfearn (pièce A‑4, onglet B), dont certains passages avaient été raturés et remplacés, a été présentée au juge Dunn et a servi de fondement à l'ordonnance du tribunal datée du 5 novembre 1998, délivrée au nom du juge T. M. Dunn, mais signée à une date ultérieure par un officier de justice (pièce A‑4, onglet D). Aux fins des présents appels, les paragraphes les plus pertinents de l'ordonnance du tribunal sont les suivants :

 

[TRADUCTION]

 

7.         LA COUR ORDONNE que le mari paie à l'épouse la somme de 5 000 $ à la signature, par le mari et l'épouse, d'un nouveau contrat de location d'un véhicule de remplacement à l'usage de l'épouse, lequel contrat aura une durée n'excédant pas deux ans et des versements mensuels dépassant 500 $ incluant le capital, les intérêts et les taxes, sans le consentement du mari. Dès réception du véhicule de remplacement, l'épouse remettra au mari la voiture Mercedes Benz qu'elle conduit actuellement et les parties signeront un autre compte rendu de règlement ou accord de séparation prévoyant que, comme pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse, le mari fera les versements de location à la société de location.

 

8.         LA COUR ORDONNE que, sous réserve d'un changement important dans sa situation, le mari paiera à l'épouse la somme de 4 000 $ à compter du 10 novembre 1998 et tous les mois par la suite. Les parties conviennent qu'en cas de survenance de l'un des événements suivants, sans limiter ce qui précède, l'une ou l'autre des parties pourra demander des modifications aux aliments :

 

a)         le défaut de l'entreprise du mari de percevoir les 25 000 $ qui lui sont dus ou de commencer à toucher les honoraires de gestion de 160 000 $ prévus pour le 1er mars 1998;

 

b)         le refus de la banque de reporter les versements hypothécaires.

 

11.       LA COUR ORDONNE que le mari paie à titre de pension alimentaire pour enfants les frais scolaires d'environ 1 000 $ par mois, montant qui ne sera donc pas imposable pour l'épouse.

 

[12]    En vertu du paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal, l'appelant a versé la somme de 4 000 $ par mois à Mme Cassady durant les années visées par les appels et, en vertu du paragraphe 11, il a versé le montant de 1 000 $ par mois. En vertu du paragraphe 7, l'appelant a versé à un concessionnaire Ford la somme de 500 $ par mois pendant une période d'au moins 24 mois pour la location d'une voiture utilisée par Mme Cassady. Selon les actes de procédure, la déduction des montants de 4 000 $ versés mensuellement à Mme Cassady a été refusée à l'appelant parce que : (i) Revenu Canada les a considérés comme une pension alimentaire pour enfants au sens de la Loi; (ii) Revenu Canada n'a pas reconnu que l'appelant avait versé un montant de 48 000 $ à Mme Cassady à titre de pension alimentaire au profit de l'épouse durant les années visées par les présents appels. La déduction relative aux montants de 500 $ par mois versés à un concessionnaire Ford pour la voiture a été refusée parce que : (i) Revenu Canada a considéré les montants comme des paiements relatifs à un bien corporel; (ii) l'ordonnance du tribunal ne mentionnait pas les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi; (iii) Revenu Canada a cru que l'appelant et Mme Cassady n'avaient pas réfléchi aux conséquences fiscales des versements pour la location de la voiture.

 

[13]    Je souligne que la définition de « pension alimentaire pour enfants » n'est pas une disposition « déterminative ». Les mots « n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire » ne dénotent pas une présomption irréfragable. Les deux avocats ont présenté leur cause en invoquant qu'une preuve extrinsèque pouvait être produite pour interpréter le libellé de l'ordonnance du tribunal (pièce A‑4, onglet D). Par conséquent, j'ai entendu le témoignage de vive voix des quatre témoins mentionnés au paragraphe 6 et reçu en preuve bon nombre de documents pertinents. M'appuyant sur les témoignages de vive voix et les documents déposés en preuve, j'ai conclu que les versements de 4 000 $ par mois aux termes du paragraphe 8 de la pièce A‑4, onglet D, et les versements de 500 $ par mois aux termes du paragraphe 7 du même document sont des pensions alimentaires au profit de l'épouse et non pas des pensions alimentaires pour enfants. Les motifs de cette conclusion sont expliqués ci‑dessous.

 

[14]    La preuve la plus convaincante a été fournie par les deux avocats en droit de la famille : Me Huffman (l'avocat de l'appelant) et Me Redfearn (l'avocat de Mme Cassady). Maître Redfearn a été assigné à comparaître par l'avocat de l'appelant dans les présents appels. Je vais d'abord analyser le témoignage de Me Huffman.

 

[15]    Maître Huffman a été admis au Barreau de l'Ontario en 1980. Il pratique toujours le droit dans un cabinet composé de trois avocats. Il consacre soixante pour cent de sa pratique au droit de la famille et le reste à des litiges civils. En 1997, il était très au fait des modifications importantes apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu concernant les pensions alimentaires dont les montants pouvaient être déduits dans le calcul du revenu et dont les montants correspondants devaient être inclus dans le revenu du bénéficiaire. Ses services ont d'abord été retenus par l'appelant en décembre 1996 lorsque ce dernier et Mme Cassady ont demandé l'aide d'un conseiller matrimonial.

 

[16]    Maître Huffman a revu l'appelant pour des questions importantes en avril 1998 lorsque lui et Mme Cassady se sont séparés et qu'il a quitté le foyer conjugal. À l'époque, Me Catherine Haber représentait Mme Cassady. La pièce R‑2, onglet E, est une lettre que Me Haber a envoyée à Me Huffman, en date du 23 avril 1998, pour discuter de certains aspects de la séparation de l'appelant et de Mme Cassady. L'appelant a déclaré dans son affidavit (pièce R‑2, paragraphe 9(x)) que d'avril à octobre 1998, il avait déposé des sommes variant de 3 700 $ à 4 000 $ dans le compte de son épouse pour subvenir à ses besoins personnels. En octobre 1998, Me Huffman a avisé l'appelant de cesser de faire les versements à Mme Cassady, de se pourvoir en justice par voie de requête pour résoudre les questions en suspens et, le plus important, d'obtenir une ordonnance d'un « tribunal compétent » afin de pouvoir déduire certains montants de pension alimentaire. L'ordonnance du tribunal (pièce A‑4, onglet D) découle directement de la requête de l'appelant.

 

[17]    Le 5 novembre 1998, lorsque Mes Huffman et Redfearn ont entrepris leurs négociations dans le casse‑croûte situé au sous‑sol du palais de justice de Milton, il a été convenu que Me Huffman écrirait à la main la version préliminaire des modalités à partir desquelles ils espéraient régler les questions en suspens. Les notes manuscrites de Me Huffman sont présentées sous la cote A‑4, onglet B. Il s'agit d'un élément de preuve important.

 

[18]    Étant donné que, dans les paragraphes qui suivent, il sera souvent question des notes manuscrites de Me Huffman (pièce A‑4, onglet B) et de l'ordonnance du tribunal fondée sur ces notes (pièce A‑4, onglet D), je vais les désigner respectivement comme étant « les notes » et « l'ordonnance du tribunal ». Les notes ont été relativement bien écrites à la main en ce sens que l'on peut les comprendre sans trop de difficulté. Elles témoignent des contraintes de temps dans lesquelles les diverses conditions ont été négociées parce que, aux pages 3 et 4, plusieurs lignes ont été raturées et remplacées par d'autres phrases. Cela est particulièrement vrai pour les paragraphes qui sont devenus les paragraphes 7 et 8 de l'ordonnance du tribunal. Le paragraphe 12, au bas de la page 5 des notes, semble avoir été écrit par Me Redfearn. Il est rédigé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Ajournement sine die pour le reste des questions, préavis de 4 jours.

 

Les signatures de Me Redfearn et de Me Huffman apparaissent, dans cet ordre, immédiatement après ce paragraphe. L'un des avocats se souvenait avoir signé les notes dans l'ascenseur en se rendant à la salle d'audience juste avant 14 heures, moment où le juge devait quitter pour Brampton. Le paragraphe 12 de l'ordonnance du tribunal est rédigé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

12.       La Cour ordonne que le reste des questions soient reportées sine die moyennant préavis de quatre jours.

 

[19]    À titre de témoin dans le présent appel, Me Huffman a déclaré qu'il a toujours été entendu que les versements mensuels prévus aux paragraphes 7 et 8 de l'ordonnance du tribunal étaient faits à titre de « pension alimentaire au profit de l'époux ». Il a invoqué les notes et d'autres documents à l'appui de sa position. Aux pages 1 et 2 des notes, des mots ont été écrits, puis raturés, comme on pourrait s'y attendre lorsque le rédacteur tente à la fois de négocier et d'inscrire les conditions d'une entente. Au bas de la page 3, Me Huffman a commencé à rédiger ce qui devait être le paragraphe 7 en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

7.         Fondé sur l'hypothèse que la société Jatlam appartenant au mari

 

a)         reçoit les 25 000 $ qui lui sont dus

b)         reçoit les 160 000 $ qui lui sont dus concernant le contrat de Krpan Group au plus tard en mars 1998

c)         n'a pas à faire les versements hypothécaires du foyer conjugal

 

le mari paiera à l'épouse pour subvenir à ses besoins la somme de 4 000 $ par mois à compter du 15e jour de novembre et tous les mois par la suite.

 

La version préliminaire de ce paragraphe a été rayée au cours de la négociation, mais il est important de souligner : (i) que le paragraphe s'articule autour du versement à Mme Cassady de 4 000 $ par mois; (ii) qu'il y est précisé que l'appelant [TRADUCTION] « paiera à l'épouse pour subvenir à ses besoins » la somme en question.

 

[20]    Le paragraphe qui vient tout de suite après, à la page 4 des notes, est également désigné comme étant le paragraphe 7, parce que le paragraphe précédent a été rayé. Ce nouveau paragraphe 7 a été accepté par les parties puisqu'il n'a pas été rayé et qu'il est devenu le paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal. Il porte sur le montant de 500 $ versé mensuellement pour la location d'une voiture que Mme Cassady utiliserait et ce montant est décrit tant dans les notes que dans l'ordonnance du tribunal comme une [TRADUCTION] « pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse ». Maître Huffman a déclaré que le mot [TRADUCTION] « additionnelle » a été employé lors de la rédaction parce que les parties avaient déjà accepté l'idée que les versements de 4 000 $ par mois constitueraient une pension alimentaire au profit de l'épouse. Voir la première version du paragraphe 7, aux pages 3 et 4 des notes, laquelle a été rayée avant la rédaction d'un nouveau paragraphe 7 traitant des versements relatifs à la location de la voiture.

 

[21]    À la page 4 des notes, immédiatement après le paragraphe 7 se rapportant aux versements relatifs à la location de la voiture, Me Huffman a commencé à écrire le paragraphe 8 dans les termes suivants :

 

[TRADUCTION]

 

8.         Le mari paiera une pension alimentaire au profit de l'épouse à compter du 10 novembre 1998 et tous les mois par la suite sous réserve d'une somme substantielle de 4 000 de laquelle l'épouse à condition que la pension alimentaire sera

 

Les mots sont raturés, mais, encore une fois, Me Huffman a fait état de l'emploi des mots [TRADUCTION] « paiera une pension alimentaire au profit de l'épouse » en relation avec les versements mensuels de 4 000 $. Au bas de la page 4 des notes, immédiatement après la première version du paragraphe 8 qui a été rayée, Me Huffman a commencé à rédiger un nouveau paragraphe 8 qui se poursuivait à la page 5. Celui‑ci a été accepté par les parties et il est devenu le paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal. La version manuscrite du paragraphe 8 est ainsi libellée dans les notes :

 

[TRADUCTION]

 

8.         Sous réserve d'un changement important dans sa situation, le mari paiera à l'épouse la somme de 4 000 $ à compter du 10 novembre 1998 et tous les mois par la suite. Les parties conviennent qu'en cas de survenance de l'un des événements suivants, sans limiter ce qui précède, l'une ou l'autre des parties pourra demander des modifications aux aliments :

 

a)         le défaut de l'entreprise du mari de percevoir les 25 000 $ qui lui sont dus ou de commencer à toucher les honoraires de gestion de 160 000 $ prévus pour le 1er mars 1998;

 

b)         le refus de la banque de reporter les versements hypothécaires.

 

Le paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal reprend presque mot pour mot le libellé du paragraphe 8 des notes.

 

[22]    Il est important de souligner que les mots [TRADUCTION] « pour subvenir à ses besoins » qui figurent dans la première version du paragraphe 7 (qui a été rayée par la suite), aux pages 3 et 4 des notes, et les mots [TRADUCTION] « pension alimentaire au profit de l'épouse » qui figurent dans la première version du paragraphe 8 (qui a été rayée par la suite), à la page 4 des notes, ne figurent pas dans la version finale du paragraphe 8 des notes ou dans le paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal. Maître Huffman a expliqué qu'il s'agissait d'un oubli attribuable aux contraintes de temps subies au moment de la rédaction de l'ordonnance par consentement. Il a également souligné que le mot [TRADUCTION] « additionnelle » qui figure au paragraphe 7 des notes et de l'ordonnance du tribunal n'aurait aucun sens s'il n'y avait pas un autre montant (autre que les versements relatifs à la location de la voiture) que les parties entendaient considérer comme étant une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

[23]    Il serait facile de conclure que des mots tels que « pension alimentaire au profit de l'épouse » ont été omis volontairement de la version définitive du paragraphe 8 lors du processus de négociation, mais tous les éléments de preuve accessoires qui seront examinés ci‑dessous indiquent qu'il ne s'agissait pas d'une omission volontaire. J'estime que l'omission était en fait un oubli. Pour poursuivre avec les notes et l'ordonnance du tribunal, le paragraphe 8 ne fait pas état, contrairement au paragraphe 11, d'un montant versé [TRADUCTION] « à titre de pension alimentaire pour enfants [...], montant qui ne sera donc pas imposable pour l'épouse ». En outre, tel que je l'ai déjà mentionné, le paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal parle d'une [TRADUCTION] « pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse », ce qui indique qu'il doit y avoir un autre montant dans le document qui constitue une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

[24]    Je me penche maintenant sur le témoignage de Me Redfearn, qui représentait Mme Cassady lors des négociations avec Me Huffman. Maître Redfearn a été assigné à comparaître par l'avocat de l'appelant pour témoigner à l'audition des présents appels. Madame Cassady a retenu ses services pour la première fois en juillet 1998. Au début de 1999 (probablement en mars), un avis de constitution d'un nouvel avocat lui a été signifié. Au moment de comparaître comme témoin devant la Cour, il était toujours tenu au secret professionnel de l'avocat envers Mme Cassady. En conséquence, il a refusé de répondre à certaines questions. Il a toutefois témoigné quant à la question des négociations qui ont eu lieu au palais de justice de Milton le 5 novembre 1998. À l'interrogatoire principal, l'échange suivant a eu lieu entre Me Redfearn et l'avocat de l'appelant :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Nous voulions assurément établir une distinction entre la pension alimentaire pour les enfants et la pension alimentaire au profit de l'épouse. Nous savions que la pension alimentaire pour les enfants ne serait pas imposable. Nous avons inclus une clause distincte à l'égard de la pension alimentaire pour les enfants, après que j'eus insisté parce que je ne voulais pas que le versement effectué soit jugé imposable entre les mains de ma cliente.

 

Q.        Qu'en était‑il de la question de la pension alimentaire au profit de l'épouse?

 

R.         À ma connaissance, les autres montants dont il était question dans le compte rendu de règlement constituaient la pension alimentaire au profit de l'épouse. Comme il s'agissait d'une pension alimentaire pour subvenir aux besoins de l'épouse, elle devait lui être imposable. C'est pourquoi nous avons rédigé une clause distincte qui prévoyait que l'autre montant de 1 000 $ par mois ne serait pas imposable entre ses mains.

 

Q.        La question de l'assujettissement à l'impôt est‑elle entrée en jeu entre vous et Me Huffman lors de la négociation du montant qui devait être versé par M. Krpan?

 

R.         Je ne m'en souvient pas précisément. Il est certain que, en ce qui concerne le montant de 4 000 $, lui et moi en avons toujours discuté comme s'il s'agissait d'une pension alimentaire au profit de l'épouse. Le montant de 1 000 $ constituait une pension alimentaire pour les enfants et l'autre montant a toujours été considéré comme étant une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

(Transcription, page 15, ligne 11 – page 16, ligne 13)

 

Q.        Quel était le montant global de pension alimentaire au profit de l'épouse dont vous avez discuté?

 

R.         4 500 $.

 

Q.        Comment se fait‑il alors qu'un paragraphe distinct disjoignant les versements de 500 $ pour un véhicule ait été inclus dans le compte rendu qui se trouve devant vous, dans les notes manuscrites?

 

R.         Je crois que tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit du résultat des négociations entre Me Huffman et moi.

 

Q.        D'accord. Eu égard au montant global de 4 500 $, étiez‑vous d'avis que le montant de 500 $ était également destiné à faire partie de la pension alimentaire au profit de l'épouse?

 

R.         Je pense que nous l'avons qualifié de pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse. Si je peux arriver à m'en souvenir. Oui, je crois que c'est au paragraphe 7, nous avons parlé de ce montant de 500 $ comme un autre montant de pension alimentaire au profit de l'épouse, en plus du montant de 4 000 $.

 

C'est un peu confus parce que le temps que nous avons pris pour négocier les modalités de la clause relative à la pension alimentaire au profit de l'épouse a fait qu'elle est apparue plus tard dans l'entente. Le mot « additionnelle » renvoyait d'abord au paragraphe précédent; je n'étais pas très satisfait de son libellé et j'ai insisté pour qu'il soit modifié. Le paragraphe que Herb avait d'abord écrit, je le lui ai fait raturer. Il a essayé de le réécrire, après ce paragraphe 7, mais j'étais encore insatisfait.

 

Nous l'avons en fin de compte intégré au paragraphe suivant, à savoir le paragraphe 8 actuel.

 

(Transcription, page 17, ligne 20 – page 19, ligne 3)

 

R.         [...] Encore une fois, je n'étais pas à l'aise avec le libellé. J'ai insisté pour que le paragraphe soit rédigé suivant des termes indiquant qu'il s'agirait d'un versement mensuel régulier de pension alimentaire au profit de l'épouse sur lequel il n'aurait aucun contrôle en soi. Mais si l'un ou l'autre de ces événements, c'est‑à‑dire le défaut de la société d'obtenir les 25 000 $ ou de recevoir le montant de 160 000 $, ou le refus de la banque de reporter les versements hypothécaires, si l'un de ces événements ne se produisait pas, il pouvait revenir et demander une modification en raison d'un changement important dans sa situation. Je pensais qu'il était beaucoup plus avantageux pour ma cliente que ce paragraphe soit ainsi rédigé.

 

Q.        En ce qui concerne les mots que vous avez employés dans votre témoignage, vous avez bien dit « pension alimentaire au profit de l'épouse ».

 

R.         Oui.

 

Q.        Pourtant, lorsque je lis ce paragraphe, il n'y a aucun mot qui l'évoque; rien n'indique qu'il s'agit d'une pension alimentaire au profit de l'épouse. Pouvez‑vous préciser?

 

R.         Il s'agissait d'une pension alimentaire au profit de l'épouse. Il ne le disait pas, peut‑être. Cette autre version du paragraphe ne comporte pas les mots « pension alimentaire au profit de l'épouse », mais il était entendu qu'il s'agissait d'une pension alimentaire pour subvenir à ses besoins à elle.

 

(Transcription, page 29, ligne 7 – page 30, ligne 7)

 

Q.        Dans les diverses versions des paragraphes traitant de la pension alimentaire au profit de l'épouse ou dans l'avant‑dernier paragraphe que vous avez identifié, même s'il n'y est pas fait mention de la pension alimentaire au profit de l'épouse, votre intention était qu'il s'agisse d'une pension alimentaire au profit de l'épouse, il n'est fait mention des conséquences fiscales dans aucune des versions. Y avait‑il une raison?

 

R.         Non, pas du tout, parce que cela allait de soi. La pension alimentaire au profit de l'époux est imposable entre les mains du bénéficiaire si elle est versée conformément à l'ordonnance et qu'elle est périodique, ce qui était le cas, et elle est déductible pour le payeur.

 

Q.        À ce moment‑là, et avec votre expérience comme avocat en droit de la famille, y avait‑il un écart à votre pratique en ce qui a trait à l'ajout d'une mention traitant des conséquences fiscales dans l'ordonnance lorsque vous parlez de la pension alimentaire au profit de l'épouse?

 

R.         Il aurait été extrêmement inusité d'ajouter une mention concernant l'imposition de la pension alimentaire entre les mains de l'épouse bénéficiaire; il n'y avait pas lieu de le faire.

 

Q.        Mais pourtant vous l'avez fait dans le cas de la pension alimentaire pour les enfants, n'est‑ce pas?

 

R.         Nous l'avons fait à l'égard de la pension alimentaire pour les enfants parce que j'estimais que c'était un moyen de protéger ma cliente et d'établir très clairement qu'il s'agissait d'un montant de 1 000 $ à l'égard duquel elle ne serait pas imposée.

 

Je voulais établir une distinction entre ce paiement de pension alimentaire pour les enfants et les autres paiements parce que, dans mon esprit, ces autres paiements constituaient une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

(Transcription, page 32, ligne 12 – page 33, ligne 20)

 

Q.        Dans la présente instance, l'ARC s'est dite d'avis que l'acquisition de la fourgonnette Ford Windstar constituait l'acquisition d'un bien corporel. Sans déroger aux instructions reçues de Mme Cassady, pouvez‑vous formuler des observations sur cette interprétation de la clause concernant la fourgonnette Ford Windstar figurant dans ces documents?

 

R.         Je ne suis pas vraiment sûr de comprendre votre question. Je peux dire que le compte rendu de règlement, à l'onglet B, visait à faire en sorte qu'au total, la pension alimentaire au profit de l'épouse se chiffrerait à 4 500 $. À la fin de la négociation, une partie de ce montant, à savoir 500 $, a été attribuée à la location du véhicule, au lieu de lui être payée directement.

 

Cette réponse est‑elle satisfaisante? Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à la question; je ne veux pas l'esquiver.

 

(Transcription, page 38, lignes 2 à 15)

 

Q.        Lorsqu'il a été question du paiement relatif à la Ford Windstar, à votre connaissance et dans votre esprit, ce paiement faisait‑il partie de la somme de 4 500 $?

 

R.         Oui.

 

(Transcription, page 39, lignes 12 à16)

 

[25]    Le témoignage de Me Redfearn se rapportait essentiellement au fait qu'il considérait le montant global de 4 500 $ par mois comme une « pension alimentaire au profit de l'épouse » même si un montant de 500 $ avait été isolé pour le paiement mensuel de la location de la voiture de Mme Cassady. De plus, en sa qualité d'avocat chevronné en droit de la famille, Me Redfearn était au courant de la distinction importante qui existe entre la pension alimentaire au profit de l'épouse et la pension alimentaire au profit des enfants. L'avocat de l'intimée n'a pas contre‑interrogé Me Redfearn.

 

[26]    J'ai été très satisfait des témoignages de Me Huffman et de Me Redfearn. J'en conclus qu'ils sont des avocats intelligents, compétents et honorables, bien informés relativement aux conséquences fiscales des montants de pension alimentaire payés par un époux à l'autre époux après leur séparation. Mis à part les témoignages de Mes Huffman et Redfearn, il existait une autre preuve convaincante démontant que les versements de 500 $ et de 4 000 $ par mois prévus aux paragraphes 7 et 8 (respectivement) de l'ordonnance du tribunal constituaient une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

[27]    En novembre 1999, un an après la rédaction des notes et la délivrance de l'ordonnance du tribunal, Mme Cassady a fait signifier un avis de requête incidente et souscrit un affidavit (pièce A‑4, onglet H) dans lequel elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 22 :

 

[TRADUCTION]

 

22.       Le 7 octobre 1999, mon avocate a reçu une lettre disant que mon mari cesserait de verser les pensions alimentaires. Le 10 novembre, il a remis aux enfants le chèque de ma pension alimentaire d'épouse. Le 12 novembre 1999, je suis allée à la banque de mon mari pour faire certifier le chèque de ma pension et on m'a avisé que les fonds du compte étaient insuffisants. Mon avocate a donc avisé, en ma présence, l'adjoint de Me Huffman que les fonds devaient se trouver dans son compte bancaire ce jour‑là pour couvrir le chèque de ma pension, sinon elle présenterait une requête le jeudi 18 novembre 1999 puisque les montants de pension alimentaire constituent ma seule source de revenu.

 

Je note que Mme Cassady emploie les mots « le chèque de ma pension alimentaire d'épouse » et « le chèque de ma pension », en parlant de « sa seule source de revenu ».

 

[28]    L'année civile 1999 a été la première année complète où Mme Cassady a touché les montants de 4 000 $ par mois, parce qu'elle a commencé à les recevoir en novembre 1998 seulement. Lorsque Mme Cassady a produit, au printemps 2000, sa déclaration de revenus pour l'année 1999, elle a déclaré un montant de 30 000 $ en [TRADUCTION] « pension alimentaire reçue ». Voir la pièce A‑4, onglet O. À ce moment, elle était représentée par Me Constance Brown. Interrogée à savoir comment elle avait établi le montant de 30 000 $ déclaré pour 1999, Mme Cassady a témoigné qu'elle en avait discuté avec Me Brown qui lui avait dit d'inscrire un montant [TRADUCTION] « pris au hasard ». Ainsi, elle a choisi 30 000 $ comme montant à inscrire dans sa déclaration de revenus pour l'année 1999.

 

[29]    En mars 1999, Constance Brown avait écrit à Me Huffman une lettre concernant le litige, dans laquelle elle affirmait ce qui suit : [TRADUCTION] « Je viens d'apprendre de ma cliente qu'elle n'a reçu aucun chèque postdaté pour les aliments provisoires de l'épouse et des enfants. » Voir la pièce A‑4, onglet K. Étant donné que les versements de 500 $ par mois pour la location de la voiture étaient faits directement au concessionnaire Ford, les seuls chèques postdatés destinés à Mme Cassady seraient les chèques pour les montants de 4 000 $ prévus au paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal et les chèques pour les montants de 1 000 $ prévus au paragraphe 11. Je conclus que ces montants sont en fait les chèques auxquels Mme Brown faisait allusion en parlant des « aliments provisoires de l'épouse et des enfants ».

 

[30]    Finalement, en avril 2000, Mme Cassady a signé pour le Bureau des obligations familiales de l'Ontario un document dans lequel elle reconnaissait avoir reçu [TRADUCTION] « directement ma pension alimentaire de 4 000 $ pour le mois d'avril 2000 ». Voir la pièce A‑4, onglet L. Apparemment, elle considérait le versement de 4 000 $ comme un montant servant à subvenir à ses besoins. Madame Cassady a cependant affirmé à l'interrogatoire principal qu'elle qualifiait le versement de 4 000 $ par mois comme un montant de pension alimentaire pour les enfants et un montant pour le paiement des services publics et de la nourriture, mais dans les documents contemporains de 1998, 1999 et 2000, Mme Cassady et ses avocats (John D. Redfearn et Constance Brown) considéraient le montant de 4 000 $ par mois comme étant une pension alimentaire au profit de l'épouse.

 

Le droit

 

[31]    Les avocats des deux parties ont invoqué des décisions sur la question de l'« ambiguïté » dans un document et sur la question de savoir quand le tribunal peut utiliser des éléments de preuve extrinsèques pour l'aider à déterminer l'intention des parties. Dans Bell ExpressVu c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour, a fait la déclaration suivante aux paragraphes 29 et 30, pages 581 et 582 :

 

29        Qu'est‑ce donc qu'une ambiguïté en droit? Une ambiguïté doit être « réelle » (Marcotte, précité, p. 115). Le texte de la disposition doit être [TRADUCTION] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d'une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. Sont pertinents à cet égard les propos suivants, prononcés par le juge Major dans l'arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14 : « C'est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s'harmonisent chacune également avec l'intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d'interprétation externes » (je souligne), propos auxquels j'ajouterais ce qui suit : « y compris d'autres principes d'interprétation ».

 

30        [...] Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l'analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [TRADUCTION] « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » (Willis, loc. cit., p. 4‑5).

 

De plus, dans Re Noranda Metal Industries Ltd. and I.B.E.W., 44 O.R. (2d) 529, le juge Dubin, s'exprimant au nom de la Cour, a tenu les propos suivants aux pages 535 et 536 :

 

[TRADUCTION]       

 

[...] Je suis d'accord avec le juge White pour dire que la clause était manifestement ambiguë et que l'arbitre était fondé à recourir à une preuve extrinsèque pour l'aider à déterminer l'intention véritable des parties, mais, quoi qu'il en soit, il était fondé à recourir à une preuve extrinsèque pour déterminer s'il existait une ambiguïté latente dans le libellé de la clause ou dans son application aux faits.

 

Cette proposition a été avancée par le juge en chef Gale dans Leitch Gold Mines Ltd. et al. v. Texas Gulf Sulphur Co. (Inc.) et al., [1969] 1 O.R. 469, à la page 524, 3 D.L.R. (3d) 161, en ces termes :

 

La preuve extrinsèque peut être admise pour dévoiler une ambiguïté latente, que ce soit dans le libellé de l'instrument ou dans son application aux faits, et également pour la dissiper, mais il doit être souligné que la preuve admise en vue d'éliminer l'ambiguïté peut être plus élaborée que celle qui la révèle. Par conséquent, la preuve des circonstances pertinentes de l'espèce peut être admise pour déterminer le sens du document et elle peut clarifier le sens en dévoilant indirectement l'intention des parties.

 

[32]    À mon avis, il n'y a pas d'ambiguïté manifeste au paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal (pris isolément) parce qu'il exige tout simplement que le mari verse un montant de 4 000 $ mensuellement à son épouse, en prévoyant des circonstances particulières où l'une ou l'autre des parties pourrait demander que le montant soit modifié. Par ailleurs, il existe une ambiguïté latente relativement à la question de savoir si le montant de 4 000 $ constitue une « pension alimentaire pour enfants » en vertu de la Loi. Les seuls paragraphes de l'ordonnance du tribunal qui traitent de versements pécuniaires sont les paragraphes 7, 8 et 11. Au paragraphe 7, le montant dont il est question est clairement une « pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse ». Au paragraphe 11, il s'agit clairement d'une « pension alimentaire pour enfants ». Au paragraphe 8, le libellé ne révèle pas clairement si les 4 000 $ sont destinés à subvenir aux besoins de l'épouse uniquement, des enfants uniquement, ou de l'épouse et des enfants conjointement. Compte tenu de la clarté des paragraphes 7 et 11, le libellé du paragraphe 8 comporte une ambiguïté latente.

 

[33]    D'une certaine façon, la discussion sur l'ambiguïté semble redondante parce que, dans la preuve, les deux avocats ont présumé que je devais entendre les deux époux et leur avocat respectif afin de déterminer l'intention véritable des parties. Après avoir entendu ces quatre personnes et examiné les documents contemporains de 1998, 1999 et 2000, je n'hésite pas à conclure que le versement mensuel de 4 000 $ prévu au paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal constitue une pension alimentaire au profit de l'épouse. Suivant les termes de la Loi, il est « destiné uniquement à subvenir aux besoins » de Mme Cassady.

 

[34]    L'avocat de l'intimée a allégué que le montant de 500 $ versé mensuellement au concessionnaire Ford en vertu du paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal n'était pas suffisamment rattaché au paragraphe 60.1(2) de la Loi. Bien que cette disposition ne soit pas expressément mentionnée au paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal, le montant de 500 $ est décrit comme une « pension alimentaire additionnelle au profit de l'épouse » et peut être distingué du montant du paragraphe 11 qui est décrit comme une « pension alimentaire pour les enfants ». De plus, Mes Huffman et Redfearn sont des avocats chevronnés en matière de droit de la famille. Au paragraphe 24 des présents motifs, les propos suivants de Me Redfearn ont été cités :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Il aurait été extrêmement inusité d'ajouter une mention concernant l'imposition de la pension alimentaire entre les mains de l'épouse bénéficiaire; il n'y avait pas lieu de le faire.

 

(Transcription, page 32, ligne 12 – page 33, ligne 20)

 

Je suis d'avis que Mes Huffman et Redfearn ont songé aux conséquences fiscales lorsqu'ils ont fixé les modalités du paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal.

 

[35]    Suivant les actes de procédure, Revenu Canada n'a pas admis que l'appelant a versé un montant de 48 000 $ à Mme Cassady, en vertu du paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal, pour chaque année visée par les appels. L'appelant a produit en preuve, sous les cotes A‑6 et A‑7, des copies de nombreux chèques de 4 000 $ payables en 2000 et 2001 à Mme Cassady ou à son profit. De plus, lorsque Mme Cassady a témoigné, elle n'a présenté aucune preuve démontrant qu'elle n'avait pas reçu les versements mensuels de 4 000 $ ou que ces versements étaient en retard.

 

[36]    Les appels sont accueillis quant aux années 1999, 2000 et 2001 au motif que le montant de 4 000 $ versé mensuellement en vertu du paragraphe 8 de l'ordonnance du tribunal ne constitue pas une « pension alimentaire pour enfants », au sens de la Loi. De plus, le montant de 500 $ versé mensuellement en vertu du paragraphe 7 de l'ordonnance du tribunal constitue une pension alimentaire au profit de l'épouse quant aux 24 mois de la durée du contrat de location de la voiture et quant à une période plus longue si d'autres versements ont été faits. Selon le
contrat de location (pièce A‑2), les versements peuvent avoir été faits pendant 24 mois seulement. L'appelant a droit aux dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2006.

 

 

« M. A. Mogan »

Le juge suppléant Mogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI595

 

NO DE DOSSIER DE LA COUR :      2003-238(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              John Krpan c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 12 et 13 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge M.A. Mogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 1er novembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Allan D. Powell

Avocat de l'intimée :

A'Amer Ather

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :                              Allan D. Powell

                    Cabinet :                         McLean & Kerr LLP

 

          Pour l'intimée :                          John H. Sims, c.r.

                                                           Sous‑procureur général du Canada

                                                           Ottawa, Canada

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