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Dossier : 2003-529(IT)G

ENTRE :

JACK GREENBERG,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 14 et 15 juin 2006, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Fred A.A. Baker

Avocat de l’intimée :

Me Bobby Sood

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation d’impôt établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est accueilli avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelant a le droit de déduire le montant 226 750 $ au titre du revenu dans le calcul de son revenu.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de novembre 2006.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de décembre 2006.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2006CCI608

Date : 20061106

Dossier : 2003-529(IT)G

ENTRE :

JACK GREENBERG,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 1997 dans le cadre de laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rajusté le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement de l’appelant en refusant la déduction d’une créance estimée irrécouvrable de 226 750 $ et en requalifiant ce montant de montant déductible au titre du capital.

 

[2]     L’appelant, Jack Greenberg, est un avocat qui exerce à Toronto. Dans le cadre de sa pratique du droit, il cherchait des entreprises débutantes ayant du potentiel, les aidait à prendre de l’essor et les préparait à s’introduire en bourse. Dans le cadre de ce processus, l’appelant avançait lui‑même des fonds à la société en lui consentant des prêts jusqu’à ce qu’elle devienne une société publique, et les prêts lui étaient remboursés lorsque la société était en mesure d’amasser des fonds sans son aide. En contrepartie de ces services, il recevait habituellement 50 % des actions émises par la société qu’il payait un cent chacune. Il appelait ces actions des actions de fondateur. Si la société  prospérait, il était récompensé. Si la société faisait faillite, il perdait l’argent avancé. L’appelant cherche à radier une telle perte en tant que dépense de revenu.

 

[3]     Zynex Systems Inc. (la société « Zynex »), qui était une société privée sous contrôle canadien pendant toute la période en cause, est une des sociétés à qui l’appelant a consenti de tels prêts. Zynex a été constituée en société par M. Marc Lowman pour le développement de progiciels de formation vidéo interactifs et a été exploitée activement dans le domaine de la conception et de la vente des progiciels en question. M. Lowman avait besoin d’argent et il a contacté l’appelant, car il savait que celui‑ci prêtait de l’argent aux entreprises pour qu’elles puissent poursuivre leurs activités jusqu’à ce qu’elles fassent un appel public à l’épargne ou effectuent un placement privé. L’appelant a vu que l’entreprise de M. Lowman avait de l’avenir et a commencé à prêter de l’argent provenant de ses fonds personnels à la société en lui avançant 20 000 $ en janvier 1998. Zynex a été acquise par Zynex Corporation (la « société publique »). Les avances consenties à Zynex par l’appelant totalisaient 291 750 $. Zynex et Zynex Corporation n’ont pas réussi à prospérer et ont fini par cesser leurs activités. L’appelant a vendu les créances le 2 janvier 1997 pour 65 000 $ à un tiers indépendant et a subi une perte de 226 750 $. Il a consigné le produit de disposition de 65 000 $ en tant que revenu dans sa déclaration de revenu pour 1997 et a porté en charges les avances nettes.

 

[4]     Il a témoigné au sujet d’autres sociétés débutantes qu’il a préparées de manière semblable avant l’affaire Zynex ou en même temps que celle‑ci. Il a présenté deux grosses reliures comportant des éléments de preuve documentaire à l’appui de son témoignage oral.

 

[5]     La question générale est de savoir si la perte de 226 750 $ subie par l’appelant lors de la disposition de la créance était déductible au titre du revenu ou du capital. La question précise est de savoir si les avances consenties à Zynex par l’appelant faisaient partie d’une affaire de caractère commercial[1].

 

[6]     La position de M. Greenberg est qu’il a le droit de déduire sa perte de 226 750 $ en tant que créance estimée irrécouvrable. Il a tout d’abord allégué que l’argent qu’il avait avancé à Zynex faisait partie intégrante d’une opération plus importante, laquelle avait été effectuée dans le but de tirer un revenu d’une affaire de caractère commercial. Il a présenté deux arguments subsidiaires : a) les avances ont été faites dans le cours normal des activités de son entreprise et il détenait les créances comme s’il s’agissait d’un titre de crédit, et b) il a le droit de déduire la créance estimée irrécouvrable parce que son activité d’entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l’argent au sens de la division 20(1)p)(ii)(A) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Au début de l’instruction, il s.est désisté de sa demande de perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (« PDTPE ») présentée en application de l’article 39 de la Loi.

 

[7]     La position de l’intimée est que la perte de 226 750 $ de l’appelant était déductible au titre du capital et non au titre du revenu, et que les avances de l’appelant ne constituaient pas une affaire de caractère commercial. Subsidiairement, l’avocat de l’intimée a allégué que l’appelant n’avait satisfait à aucun des deux critères énoncés dans l’arrêt Easton v. Canada[2] et qui consistent à se demander : (i) si les prêts ont été consentis dans le cours normal des activités de l’entreprise de l’appelant, et (ii) si celui‑ci possédait les actions comme un titre de crédit et non pas comme un placement. Subsidiairement encore, l’intimée a allégué que l’entreprise habituelle de l’appelant ne comprenait pas le prêt d’argent et que, par conséquent, l’appelant n’avait pas le droit de déduire la créance estimée irrécouvrable de 226 750 $ conformément à la division 20(1)p)(ii)(A) de la Loi.

 

[8]     L’intimée cherche à isoler le financement que l’appelant à consenti à Zynex de l’ensemble de l’opération. Cela n’est pas réaliste parce que les prêts ne peuvent pas être considérés comme indépendants et ne le sont pas. Ils ne représentent qu’une partie de l’ensemble des services fournis par l’appelant à Zynex, lesquels constituent une entente complète. L’appelant n’aurait pas envisagé de prêter de l’argent à Zynex s’il n’avait pas eu le contrôle de la société en vue de la transformer en société publique et s’il n’avait pas été en mesure de vendre ses actions moyennant un profit substantiel. Zynex avait besoin d’un financement provisoire pour pouvoir exercer ses activités jusqu’à ce qu’un financement plus important puisse être obtenu. Les avances étaient propres à l’entreprise commerciale de l’appelant qui consistait à préparer des sociétés débutantes à court d’argent qui avaient du potentiel. La réponse aux deux questions découlant des critères énoncés dans l’arrêt Easton est affirmative. Tout d’abord, les prêts ont été consentis dans le cours normal des activités de l’entreprise de l’appelant. Ensuite, l’appelant détenait les actions comme un titre de crédit, pas un comme un placement.

 

[9]     Je suis d’accord avec l’appelant pour ce qui est du fait que sa situation est semblable à celle dans l’affaire M.R.N. c. Freud[3]. Dans cette affaire, le contribuable pratiquait le droit. Lui et son associé avaient entrepris de mettre au point un prototype de voiture de sport dans l’intention de vendre leur idée à quelqu’un qui serait intéressé à la mettre en production. De temps en temps, le contribuable avançait de l’argent à la société. Ses efforts n’ont pas porté fruit, et il a demandé que les avances soient déduites de son revenu. La Cour suprême du Canada a conclu que l’opération était une affaire de caractère commercial et que la perte subie était déductible au titre du revenu.

 

[10]    Le juge Pigeon de la Cour suprême du Canada (qui a rédigé la décision unanime de la Cour suprême) a dit ce qui suit à la page 440 :

 

[traduction]

 

Il faut également noter que la Loi de l’impôt sur le revenu définit une entreprise de façon à inclure « une initiative ou une affaire d’un caractère commercial » (alinéa 139(1)e) [disposition antérieure au paragraphe 248(1) actuel]). Selon cette définition, une opération unique doit être considérée comme une entreprise, même s’il s’agit d’une opération isolée qui n’a aucun lien avec la profession ou l’emploi du contribuable. Cette conséquence de la définition a été reconnue et on y a donné effet dans de nombreuses décisions, mais je ne ferai mention que de l’une d’entre elles, soit l’arrêt McIntosh c. Ministre du Revenu national, [1958] R.C.S. 119, [1958] C.T.C. 18. Dans cet arrêt, il a été statué qu’une opération unique de spéculation foncière donnait lieu à un revenu imposable lorsque des profits étaient réalisés à la suite d’une acquisition effectuée en vue de tirer un profit à la revente. Le juge en chef Kerwin a dit ce qui suit (aux pp. 120‑121; p. 20) :

[traduction]

Il est tout à fait vrai que la position d’un individu est différente de celle d’une compagnie et que, comme l’a dit le maître des rôles Jessel dans la décision Smith c. Anderson (confirmée par la Cour dans l’arrêt Argue c. Ministre du Revenu national).

[traduction]

ainsi, ce qui arrive normalement en matière de placements est que celui qui a de l'argent à placer le place et il peut à l'occasion vendre ses placements pour en acheter d'autres, mais il n'exploite pas à ce moment-là une entreprise. 

Toutefois, il est également vrai que les profits réalisés dans le cadre d’une opération isolée peuvent être imposés que ce soit dans le cas d’un individu ou d’une compagnie : Edwards (Inspector of Taxes) v. Bairstow et al. Il est impossible d’établir un critère qui correspondrait aux diverses circonstances qu’il peut y avoir dans tous les secteurs de l’activité humaine. Comme il est souligné dans l’arrêt Noak c. Ministre du Revenu national, il s’agit toujours d’une question de fait, ce dont témoignent l’arrêt Argue, précité, et l’arrêt Campbell c. Ministre du Revenu national. On peut ajouter à ces affaires l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Kennedy c. Ministre du Revenu national, qui a confirmé la décision de la Cour de l’Échiquier.

En l’espèce, je souscris aux conclusions tirées par M. le juge Hyndman en ce qui concerne l’appelant :

[traduction]

Après avoir acquis ledit bien, il n’avait aucunement l’intention de le conserver à titre de placement. Il voulait plutôt vendre les lots, dans la mesure où il pourrait obtenir un prix acceptable pour ceux‑ci.

On applique donc ces principes dans les cas où des profits sont réalisés, et il faut suivre les mêmes règles lorsqu’une perte a été subie. Pour faire preuve d’équité envers les contribuables, il faut éviter soigneusement d’imposer des profits en tant que revenu, mais de traiter des pertes en tant que pertes en capital, qui ne sont donc pas déductibles du revenu, lorsque la situation est sensiblement la même.

 

[11]    Le présent appel repose sur un fondement plus solide que celui dont il est question dans l’arrêt Freud étant donné que Zynex n’est qu’une des diverses autres entreprises semblables auxquelles l’appelant a participé. Je suis certain que si Zynex avait prospéré et que l’appelant avait été capable de convertir ses prêts en actions, puis de vendre les actions, les bénéfices réalisés sur la vente auraient été imposables au titre du revenu. Il n’avait pas l’intention de conserver les actions en tant que placement. Si Zynex avait racheté sa dette à l’appelant, et si l’appelant avait vendu ses actions de fondateur, l’intérêt et les bénéfices réalisés à la vente de ces actions auraient également été imposables au titre du revenu. L’intimée est souvent prête à participer aux bénéfices d’un contribuable, mais pas à ses pertes.

 

[12]    Le juge Pigeon a ajouté ce qui suit à la page 442 :

 

[traduction]

 

                        Il est clair que si l'acquisition d'actions peut être un placement […], elle peut aussi, selon les circonstances, être une opération commerciale […]. Puisque la définition de l'entreprise comporte une affaire d’un caractère commercial, il n'est pas nécessaire que l'acquisition d'actions soit une opération commerciale plutôt qu'un placement pour qu'il s'agisse d'un type d'opérations commerciales ordinaires. Dans l'affaire Fraser, l'opération principale était l'acquisition de terrains en vue de réaliser un profit à la revente, de sorte que les terrains devenaient un actif commercial. La conclusion de la Cour implique que l'acquisition d'actions de compagnies constituées en corporations afin de posséder des terrains était de la même nature, vu qu'à la vente des actions au lieu des terrains, le profit était un bénéfice d’exploitation et non un bénéfice en capital relatif à la réalisation d'un placement. Ce principe semble également applicable dans les circonstances de la présente affaire. Si l’intimé et ses amis avaient réalisé un profit en vendant le prototype de voiture sport, ils auraient tout aussi bien pu le réaliser en vendant leurs actions de la compagnie qu’en faisant vendre le prototype par la compagnie, et, il n’y a aucun doute que si un profit avait été ainsi réalisé, il aurait été imposable. Comme ils n’ont pas réussi à vendre le prototype, l’intimé et ses amis ne se sont de toute évidence jamais penchés sur la question de savoir quelle méthode serait adoptée pour la réalisation des profits. Cela ne doit rien changer à la situation parce que l’arrêt dans l’affaire Fraser laisse entendre que, peu importe la méthode adoptée, tout profit réalisé constituerait un revenu, pas un gain en capital.

 

Comme dans l’affaire Freud, les circonstances de la présente affaire sont inhabituelles. Dès le début, il s’agissait d’une affaire de caractère commercial et il en est resté ainsi tout au long de la période en cause. Les fonds avancés ne constituaient pas un placement. Les commentaires suivants, tirés de la suite des motifs du juge Pigeon figurant à la page 444, s’appliquent également en l’espèce :

 

          [traduction]

 

[…] Par conséquent, dès ses débuts, l’opération n’avait pas pour but de permettre à l’intimé de tirer un revenu d’un placement. Elle avait plutôt pour but de lui permettre de réaliser un profit à la revente, ce qui est caractéristique d’une affaire d’un caractère commercial. Rien n’indique que le caractère de l’opération avait changé lorsque les déboursements examinés avaient été effectués. Au contraire, le caractère spéculatif de l’affaire était devenu plus important. Il était très clair que l’intimé n’avait aucune chance de recouvrer quoi que ce soit à moins que le prototype ne soit vendu. Les déboursements ne peuvent pas être considérés comme une opération distincte de l’opération initiale, ils ne présentaient aucune des caractéristiques d’un prêt ordinaire.

Selon moi, les paiements effectués par l’intimé ne pouvaient pas être considérés comme un placement dans les circonstances où ils avaient été faits. Il s’agissait de paiements purement spéculatifs. Si un profit avait été réalisé, il aurait été imposable qu’elle qu’ait été la méthode employée pour le réaliser. Par conséquent, ces montants doivent être considérés comme des sommes déboursées en vue de tirer un revenu d’une affaire d’un caractère commercial, c’est‑à‑dire une entreprise au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, et non pas comme un déboursé ou une perte de capital.

 

[13]    J’ai cité un long extrait de l’arrêt Freud en raison de son importance en ce qui concerne les prétentions de l’appelant et du fait qu’il a été cité et approuvé par le juge Robertson dans l’arrêt Easton, sur lequel l’intimée s’est fondée.

 

[14]    L’activité principale de l’appelant était la pratique du droit. Dans le cadre de sa pratique, il s’est servi de ses compétences pour préparer des petites sociétés qui présentaient des possibilités de croissance. Ses services étaient payés au moyen de l’émission d’actions. Le fait de prêter de l’argent à la société était une partie nécessaire du processus global. L’appelant pouvait être remboursé en transformant une société privée en société publique au moyen de ses compétences juridiques et de ses connaissances spécialisées du monde des affaires. Il prélevait des intérêts, mais les taux n’étaient pas élevés si l’on tient compte du fait qu’il s’agissait de prêts à haut risque[4]. Cette évolution était facilitée par le fait qu’il utilisait le contrôle qu’il avait sur la société afin de pouvoir prendre les décisions nécessaires pour atteindre les objectifs de ses clients. Je n’ai aucun doute qu’il s’occupait de transformer les sociétés privées en sociétés publiques. Le fait de prêter de l’argent aux sociétés privées pour répondre à leurs besoins financiers immédiats était une des étapes nécessaires en cours de route. Je crois son témoignage selon lequel après avoir permis à la société de devenir une société publique, il se serait départi de ses actions.

 

[15]    Il ne m’est pas difficile de conclure que son entreprise qui consistait dans la préparation et le financement des entreprises débutantes, puis dans la vente des actions lorsque la société prospèrait, ne visait pas à lui permettre de tirer un revenu d’un placement, mais à réaliser des bénéfices à la vente des actions. Cela est propre à une affaire de caractère commercial.

 

[16]    L’intimée a également renvoyé à un arrêt plus récent de la Cour d’appel fédérale, qui établit un principe général concernant les avances faites par un actionnaire à une société ou au nom d'une société. Dans l’arrêt Easton, le juge Robertson formule les commentaires suivants à la page 5468 :

 

                        En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Les mêmes considérations s'appliquent aux garanties données par les actionnaires à l'occasion de prêts consentis à des sociétés. Dans l'arrêt The Minister of National Revenue c. Steer, [1967] R.C.S. 34, il a été statué que la garantie donnée à une banque par un contribuable relativement à la dette d'une société en contrepartie d'actions de la société devait être traitée comme un prêt différé consenti à la société et que le paiement effectué pour régler cette dette devait être considéré comme une perte en capital. Cet arrêt n'appuie toutefois pas la proposition que chaque fois qu'une société omet de rembourser un actionnaire relativement à une avance, à une dépense ou à un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, la perte est nécessairement une perte en capital. Il existe simplement une présomption réfutable à cet égard. J'en viens maintenant aux circonstances dans lesquelles cette présomption peut être réfutée.

 

 

[17]    Puis, le juge Robertson énonce deux exceptions au principe général à la page 5468 :

 

Il existe deux exceptions reconnues au principe général que des pertes semblables à celles dont il vient d'être question sont des pertes en capital. Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L'exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. Cette exception s'applique toutefois aussi aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à la propre entreprise du contribuable et non à celle de la société dont le contribuable est actionnaire. À titre d'exemple, dans l'affaire L. Berman & Co. Ltd. c. M.R.N., [1961] C.T.C. 237 (C. de l'É.), la société contribuable avait volontairement effectué des paiements aux fournisseurs de sa filiale afin de protéger sa clientèle. La filiale avait manqué à ses obligations et comme la contribuable avait traité avec les fournisseurs, elle désirait continuer de le faire plus tard. [La Cour suprême a cité et paru approuver la décision Berman dans l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, à la p. 479.]

La deuxième exception est exposée dans l'arrêt Freud. Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Cette exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Les personnes qui n'appartiennent pas à cette catégorie devront prouver qu'elles ont acquis les actions dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Selon moi, cette « circonstance exceptionnelle » ne constitue pas une solution pour les contribuables qui cherchent à déduire des pertes. Je dis cela parce qu'il existe une présomption réfutable voulant que les actions aient été acquises à titre d'immobilisations : voir l'arrêt Mandryk c. La Reine, 92 DTC 6329 (C.A.F.), à la p. 6634.

[Non souligné dans l’original]

 

[18]    L’avocat de l’intimée a également allégué que, étant donné que l’appelant n’était pas un contribuable dont l’activité d’entreprise habituelle consistait en tout ou en partie à prêter de l’argent, il n’était pas visé par la division 20(1)p)(ii)(A) de la Loi. Il n’avait donc pas le droit de déduire la perte en litige en tant que créance estimée irrécouvrable.

 

[19]    Comme j’ai conclu que les activités de l’appelant constituaient une affaire de caractère commercial au sens qui est donné à cette expression dans l’arrêt Freud, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser la division 20(1)p)(ii)(A) de la Loi ou bien de se référer davantage à l’arrêt Easton.

 

[20]    Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la perte que l’appelant a subie lors de la disposition de sa créance de 226 750 $ est déductible au titre du revenu.

 

[21]    Par conséquent, l’appel est accueilli avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelant a le droit de déduire le montant de 226 750 $ au titre du revenu.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de novembre 2006.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de décembre 2006.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI608

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2003-529(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JACK GREENBERG c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 14 et 15 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 novembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Fred A.A. Baker

Avocat de l’intimée :

Me Bobby Sood

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Me Fred A.A. Baker

 

                   Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Parfois, les deux sociétés sont appelées « Zynex ».

 

[2]           [1998] 3 C.T.C. 26; 97 DTC 5464.

 

[3]           [1969] R.C.S. 75; (1968) C.T.C. 438.

 

[4]           Compte tenu du haut niveau de risque qui semblait être lié aux prêts consentis à Zynex, je ne crois pas qu’un prêteur ordinaire aurait consenti des prêts à quelque taux d’intérêt que ce soit.

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