Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2002-3536(IT)G

ENTRE :

W.B. PLETCH COMPANY LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appels entendus à London (Ontario), le 3 juin 2005

Devant : L'honorable juge J. E. Hershfield

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me David J. Thompson

Avocat de l'intimée :

Me Peter M. Kremer, c.r.

________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels à l'encontre des cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont rejetés avec dépens pour les motifs énoncés dans les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2005.

« J. E. Hershfield »

Le juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de novembre 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2005CCI400

Date : 20051210

Dossier : 2002-3536(IT)G

ENTRE :

W.B. PLETCH COMPANY LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

[1]      Il s'agit d'appels se rapportant aux années d'imposition 1998 et 1999 de l'appelante. Au cours de chaque année, la société appelante a gagné et déclaré un revenu tiré de services fournis à une société connue sous le nom de Thyssen Elevator Limited ( « Thyssen » ). L'intimée a établi une cotisation à l'égard du revenu de l'appelante en tenant compte du fait qu'il s'agissait d'un revenu tiré d'une entreprise de prestation de services personnels selon la définition figurant au paragraphe 125(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). La définition est libellée comme suit :

« entreprise de prestation de services personnels » S'agissant d'une entreprise de prestation de services personnels exploitée par une société au cours d'une année d'imposition, entreprise de fourniture de services dans les cas où :

a) soit un particulier qui fournit des services pour le compte de la société - appelé « employé constitué en société » à la présente définition et à l'alinéa 18(1)p);

b) soit une personne liée à l'employé constitué en société,

est un actionnaire déterminé de la société, et où il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société comme étant un cadre ou un employé de la personne ou de la société de personnes à laquelle les services sont fournis, si ce n'était de l'existence de la société, à moins :

c) soit que la société n'emploie dans l'entreprise tout au long de l'année plus de cinq employés à temps plein;

d) soit que le montant payé ou payable à la société au cours de l'année pour les services ne soit reçu ou à recevoir par celle-ci d'une société à laquelle elle était associée au cours de l'année.

[2]      Dans ces appels, la seule question en litige se rapporte à un aspect de cette définition, à savoir s'il serait raisonnable de considérer M. Gary Pletch, qui avait été engagé par l'appelante pour fournir à Thyssen les services visés par le contrat, comme étant un cadre ou un employé de Thyssen, si ce n'était de l'existence de la société appelante. Dans l'affirmative, le revenu que l'appelante a reçu de Thyssen ne serait pas considéré comme un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement et ne donnerait pas droit à un taux d'imposition inférieur comme le prévoit l'article 125 de la Loi.

[3]      La plupart des hypothèses énoncées dans la réponse à l'avis d'appel n'étaient pas contestées et un exposé conjoint des faits (l' « exposé conjoint des faits » ) a été présenté; M. Pletch a toutefois comparu comme témoin afin de compléter la preuve. J'ai joint à ces motifs l'exposé conjoint des faits. Le résumé suivant comprend le témoignage fourni par M. Pletch :

a)        L'appelante appartient à M. Pletch et à la femme de celui-ci.

b)       L'appelante a été constituée au mois de juillet 1980 en vue d'exploiter une entreprise agricole qui était antérieurement exploitée à titre personnel.

c)        En plus de se livrer à des activités agricoles, M. Pletch travaillait dans le domaine des ascenseurs depuis 1968. Initialement soudeur, il est devenu mécanicien, puis superviseur, puis contremaître chargé de grands projets, et ce, à titre d'employé d'une société que j'appellerai « Armor Elevator » . Cet engagement a duré du moins jusqu'à quelques mois avant la fin de la durée prévue, au mois de septembre 1980. M. Pletch a témoigné que lorsque l'appelante a été créée au mois de juillet 1980, il a insisté pour travailler auprès d'Armor Elevator non plus à titre d'employé, mais à titre d'entrepreneur indépendant, ses services devant être offerts par l'entremise de la société appelante qui venait d'être créée.

d)       Monsieur Pletch a commencé à travailler pour une société qui venait d'être créée ( « Northern » ) au mois de septembre 1980. Northern a été créée pour assurer l'entretien d'ascenseurs et pour moderniser des ascenseurs. Monsieur Pletch détenait une part de 10 p. 100 dans la société et, selon ce qu'il a témoigné, il avait été engagé à titre d'entrepreneur indépendant. Il n'y avait pas d'entente écrite formelle. Rien ne montre que l'engagement ait été avec la société appelante.

e)        Northern a été acquise par une société allemande ( « Thyssen M.A.N. » ) en 1986. Lors de l'acquisition de Northern par Thyssen M.A.N. en 1986, un contrat de gestion a été conclu par Northern, l'appelante, M. Pletch et Thyssen M.A.N., selon lequel l'appelante offrait les services de M. Pletch à plein temps aux fins de la fourniture de services de gestion en faveur de Northern. Northern a par la suite changé de nom pour adopter celui de « Thyssen » .

f)        La durée du contrat était de cinq ans et le contrat a été renouvelé chaque année depuis l'expiration de son premier terme. Une note modifiant ce contrat a été signée au mois de mai 1997 (la « note modificative » ).

g)        Monsieur Pletch était président et administrateur de Thyssen jusqu'à l'été 1999. Le contrat de gestion et la note modificative font état du fait que M. Pletch devait agir à titre de président de Thyssen. Pendant l'été 1999, M. Pletch a été remplacé comme président, mais il a continué à agir à titre de vice-président et d'administrateur de Thyssen pendant toute la période pertinente. Ses responsabilités après qu'il eut été remplacé comme président étaient fondamentalement les mêmes[1]. Monsieur Pletch n'a jamais touché de rémunération à titre de cadre de Thyssen.

h)        Monsieur Pletch était également membre du conseil d'administration de sept des 13 sociétés liées à Thyssen (le « groupe Thyssen » ), qui étaient toutes indirectement contrôlées par Thyssen M.A.N.[2] En vertu du contrat de gestion conclu avec Thyssen, M. Pletch fournissait des services à toutes les sociétés du groupe Thyssen et il possédait et exerçait le pouvoir de diriger les activités de ces sociétés. Il était assujetti à la direction générale et aux instructions de Thyssen M.A.N. dans l'exécution de ses tâches et, en sa qualité de président de Thyssen, il était assujetti à la direction du conseil d'administration de Thyssen, qui se réunissait deux fois l'an et comprenait deux membres venant de l'Allemagne.

i)         Même si M. Pletch était assujetti à une telle direction et malgré le fait que le contrat exigeait que l'appelante fasse en sorte que M. Pletch consacre tout son temps et toute son attention à l'entreprise et aux affaires de Thyssen et qu'il prenne uniquement quatre semaines de vacances, M. Pletch était indépendant dans l'exécution des obligations qui lui incombaient en vertu du contrat. Il allait et venait largement selon les exigences de son horaire et il prenait notamment de six à huit semaines de vacances ainsi que des jours de congé sans demander l'autorisation de le faire ou sans avoir à demander d'autorisation. De fait, compte tenu du témoignage de M. Pletch, il est juste de dire que le degré d'indépendance dont jouissait M. Pletch en ce qui concerne son horaire de travail n'est pas habituel pour la plupart des cadres supérieurs de direction.

j)         Quant au travail exécuté, M. Pletch a témoigné d'une façon sincère et crédible. Après avoir reconnu qu'en vertu du contrat, il était sous la direction du conseil d'administration de Thyssen, il a témoigné au sujet de ce à quoi on s'attendait de lui :

[TRADUCTION]

Q.         Et comment saviez-vous ce à quoi on s'attendait de vous à un moment donné?

R.          C'était un livre passablement - passablement ouvert. En fait, selon notre entente de base, je rencontrais le conseil d'administration environ deux fois l'an. De plus, à ce moment-là, le conseil d'administration comprenait deux membres qui venaient de l'Allemagne.

Mon travail à ce moment-là consistait à m'occuper de l'entreprise de Northern Elevator au Canada. Je crois que je m'occupais également de l'entreprise mexicaine, de l'exploitation de l'usine de Mexicala, ainsi que des diverses succursales, dont deux à New York.

J'examinais chaque mois leurs états financiers et je prenais - s'il y en avait 13 ou 14 - les deux ou trois derniers, ceux qui indiquaient les pires résultats financiers, et j'allais leur rendre visite.

Mon travail consistait à déterminer quels étaient les clients avec qui ils traitaient, à examiner le style de gestion, à déterminer quels étaient selon moi les problèmes, à évaluer les directeurs qui étaient en place ainsi que la supervision et à élaborer un plan, avec les gens de l'endroit, pour résoudre leurs problèmes. Je devais déterminer leurs problèmes et déterminer ce qui, selon moi, devrait être amélioré.

Et j'établissais ensuite un échéancier. C'était uniquement entre eux et moi - on ne l'envoyait jamais au conseil d'administration - pour montrer les étapes à franchir et là où nous devrions être dans 30 jours ou dans 60 jours.

Dans certains cas, il pouvait y avoir un directeur qui n'avait pas beaucoup d'aptitude pour ce qui est de la lecture des états financiers ou qui n'avait pas beaucoup d'aptitude en ce qui concerne les relations avec les clients. Je leur demandais peut-être de suivre des cours du soir ou de demander de l'aide ou encore je les prenais sous mon aile.

Puis, je leur accordais un délai d'environ 90 jours pour franchir les étapes et pour voir comment ils s'en tiraient. Si tout allait bien, et c'était le cas pour 80 p. 100 d'entre eux, je passais au suivant.

Les directeurs, dans une proportion de 20 p. 100, au fil des ans, probablement 20 p. 100 des directeurs ne réussissaient pas tellement. Le mauvais directeur était probablement en place initialement, un directeur que quelqu'un d'autre avait choisi. Je cherchais alors un remplaçant et j'assurais la formation du nouveau directeur pour qu'il dirige cette entreprise.

Et j'allais et venais plus ou moins à ma guise. Si j'avais besoin de prendre congé pour des travaux agricoles, je le faisais ou j'établissais mon horaire en conséquence.

k)        Pendant le contre-interrogatoire, M. Pletch a reconnu qu'en sa qualité de président de Thyssen, il était responsable de l'exploitation des 13 sociétés dont était composé le groupe Thyssen, qu'il exerçait un pouvoir sur ces sociétés et qu'il pouvait donner des directives aux directeurs. De fait, il a reconnu qu'il pouvait mettre fin aux services des directeurs. Il croyait comprendre qu'il était un cadre qui avait envers Thyssen la responsabilité de diriger et de superviser les activités de la société.

l)         Initialement, après l'acquisition par Thyssen M.A.N., il y avait un second cadre à Northern, un certain M. Elliot, qui était responsable des finances et de la fabrication au sein des activités canadiennes de Thyssen M.A.N. Monsieur Elliot s'est en fin de compte installé en Allemagne pour assumer des fonctions plus importantes. Lorsque cela est arrivé, M. Pletch a assumé une bonne partie des fonctions de M. Elliot, mais il a témoigné avoir de l'expérience sur le terrain, et non en matière de fabrication, un domaine qui a finalement été pris en charge par le nouveau président qui a remplacé M. Pletch à la fin de l'année 1999.

m)       L'indépendance dont jouissait M. Pletch découlait du fait qu'il était capable de s'acquitter de ses responsabilités à la satisfaction apparente de Thyssen ainsi que de Thyssen M.A.N. sans que celles-ci lui imposent un horaire de travail strict et découlait également du fait qu'il remplissait de toute évidence son rôle avec compétence, sans avoir besoin de direction. Son éthique du travail et son énergie personnelle lui permettaient de consacrer à Thyssen une cinquantaine d'heures par semaine tout en ayant le temps de diriger l'un des plus gros ranchs du pays.

n)        Le ranch appartenait à l'appelante et, au cours des années en cause, il comptait l'un des plus gros cheptels du pays. Il y avait notamment un parc d'engraissement et l'on y faisait également la culture du sol. Monsieur Pletch, pour le compte de l'appelante, s'occupait essentiellement à plein temps à diriger ces activités, c'est-à-dire qu'il avait deux postes à plein temps, la nature saisonnière des activités au ranch et la souplesse qui lui était accordée par Thyssen lui permettant plus facilement de le faire. Monsieur Pletch effectuait des voyages d'affaires pour Thyssen pour le compte de l'appelante pendant toute l'année, sauf lorsqu'il était obligé d'être au ranch à l'époque des semailles et des récoltes. Cependant, même pendant qu'il s'absentait pour s'occuper des affaires de Thyssen, il s'occupait de façon presque quotidienne des autres questions liées au ranch, par téléphone et par d'autres moyens de communication. Compte tenu de tout cela, je conclus que M. Pletch était un travailleur à plein temps qui s'impliquait vraiment tant dans les activités au ranch de l'appelante que dans le contrat conclu avec Thyssen.

o)       Ni l'appelante ni M. Pletch ne fournissaient d'autres services que ceux dont il a ci-dessus été fait mention.

p)       L'appelante ne fournissait pas d'instruments de travail relativement au contrat conclu avec Thyssen. L'appelante (M. Pletch agissant pour le compte de l'appelante) disposait à Toronto d'un bureau que M. Pletch n'utilisait pas de façon quotidienne ou régulière. Monsieur Pletch n'avait pas recours à des adjoints, pas même aux services d'une secrétaire. Toutes ses dépenses, qui étaient en bonne partie composées des frais de déplacement engagés pour se rendre aux divers lieux d'exploitation, étaient remboursées par Thyssen lorsque l'appelante facturait celle-ci. L'exposé conjoint des faits énonçait une vaste gamme de responsabilités, mais le témoignage de M. Pletch donne à entendre que la majeure partie du temps qu'il consacrait à l'appelante était passé à rendre visite aux directeurs des entreprises régionales d'ascenseurs qui appartenaient au groupe Thyssen et à trouver des façons d'améliorer leur rentabilité. Le travail exécuté pour des sociétés faisant partie du groupe Thyssen n'a jamais été distingué du travail effectué pour Thyssen elle-même, même si le contrat de gestion avait uniquement été conclu avec Thyssen.

q)       Une bonne partie du témoignage de M. Pletch m'amènerait à conclure que l'entreprise de Thyssen était dirigée par ses directeurs régionaux et que le rôle de M. Pletch, pour le compte de l'appelante, consistait à donner des conseils en vue d'améliorer l'exploitation, un domaine dans lequel il avait acquis une expertise réelle, mais selon l'exposé conjoint des faits, M. Pletch avait un rôle plus important - un rôle compatible avec celui de cadre supérieur de direction et un rôle que M. Pletch a par ailleurs admis dans son témoignage.

r)        La rémunération payable à l'appelante, en vertu du contrat qu'elle avait conclu avec Thyssen, était à la fois fixe et fondée sur le rendement. Des honoraires mensuels fixes de 12 500 $ étaient facturés par l'appelante; quant à la rémunération annuelle fondée sur le rendement, au cours de chacune des années en cause, elle donnait chaque année un revenu total environ trois fois supérieur aux montants fixes annuels. La rémunération fondée sur le rendement était calculée par Thyssen et elle aurait été fonction du redressement ou de l'amélioration de la rentabilité des sociétés dont M. Pletch était responsable pour le compte de l'appelante. Pourtant, je note que les gratifications étaient basées, du moins en partie, sur des bénéfices et sur un chiffre d'affaires consolidés, ce qui donne à entendre que la rémunération de M. Pletch était basée sur le rendement de l'entreprise plutôt qu'uniquement sur son rendement personnel.

s)        Ni l'appelante ni M. Pletch ne participaient aux régimes d'avantages sociaux des employés du groupe Thyssen, notamment l'assurance-vie collective, le régime d'invalidité de longue durée et de courte durée, le régime de pension ainsi que le régime de participation différée aux bénéfices.

L'argumentation

[4]      L'avocat de l'intimée invoque la décision Bruce E. Morley Law Corporation c. La Reine[3] à l'appui de la position de l'intimée selon laquelle les tâches accomplies par M. Pletch aux termes du contrat en question sont compatibles avec les tâches que M. Pletch serait tenu d'exécuter en qualité de cadre de Thyssen. La société appelante agissait donc à titre de cadre. C'est là tout ce que la disposition pertinente de la Loi exige : qu'il soit raisonnable de considérer M. Pletch (l'employé constitué en société) comme étant un cadre, si ce n'était de l'existence de la société. De fait, l'avocat de l'intimée est allé encore plus loin dans son argumentation; il a soutenu que le simple fait que M. Pletch occupait une charge portait un coup fatal à la cause de l'appelante. Il a soutenu que si l'on fait abstraction de la société, il reste un cadre. Si ce n'était de l'existence de la société, il serait raisonnable de considérer M. Pletch comme étant un cadre simplement parce qu'il en est un. L'avocat de l'intimée s'appuie également sur les critères de common law voulant qu'une distinction soit faite entre les contrats de louage de services et les contrats d'entreprise.

[5]      L'avocat de l'appelante s'appuie sur la décision Criterion Capital Corp. c. Canada[4] à l'appui de la position de sa cliente selon laquelle lorsque l'entrepreneur qui est une société exerce des activités commerciales, il convient de considérer les services de gestion qu'il fournit comme une activité commerciale exercée par cette société. L'appelante s'appuie également sur les arrêts et ouvrages de common law dans lesquels une distinction est faite entre les contrats de louage de services et les contrats militant en faveur du statut d'entrepreneur indépendant.

Analyse

[6]      La question que soulève la définition de l'expression « entreprise de prestation de services personnels » exige qu'il ne soit pas tenu compte de l'existence d'une société et que l'on examine la relation existant entre le travailleur et la partie qui conclut un contrat visant le travail. Cette relation hypothétique, pendant la période en cause, est déterminante[5]. Si, selon cette analyse, il est raisonnable, compte tenu des services fournis, de considérer le travailleur comme étant un cadre plutôt que comme un entrepreneur indépendant fournissant des services qui peuvent être distingués des services fournis par un cadre, l'imposition de l'appelante, à titre de partie intermédiaire, exigerait alors que l'on conclue que celle-ci fournit ses services au sein d'une entreprise de prestation de services personnels. Telle est la question qui a été formulée dans les décisions Morley Law Corporation et Criterion Capital.

[7]      Dans la décision Morley Law Corporation, on ne pouvait faire de distinction entre le travail accompli par la société et celui que le travailleur constitué en société était tenu de faire en sa qualité de cadre de la société. Dans la décision Criterion Capital, une distinction a été faite entre le travail exécuté par la société et celui que le travailleur constitué en société était tenu de faire en sa qualité de cadre de la société. Dans les deux cas, il existait des contrats distincts comportant des dispositions distinctes au sujet de la rémunération. Dans la décision Criterion Capital, la division des services a été reconnue parce que la société intermédiaire exploitait une entreprise distincte à son compte, laquelle n'empiétait pas sur le travail de direction accompli par le travailleur. Il existait de fait une division à l'égard du travail accompli. Dans la décision Morley Law Corporation, aucune division des services n'a été reconnue, étant donné que le travail accompli par la société intermédiaire était le travail même que le travailleur devait faire en sa qualité de cadre. Le cas qui nous occupe se situe quelque part entre les situations en cause dans ces deux décisions. En l'espèce, il semble y avoir des services distincts susceptibles d'être séparés. Toutefois, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Criterion Capital, aucune tentative n'a été faite pour séparer les services. Tous les services, y compris les services de direction, étaient fournis par l'appelante. Contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Criterion Capital, M. Pletch ne touchait pas de rémunération à titre de cadre de Thyssen.

[8]      À mon avis, l'issue de la présente affaire dépend de la question de savoir s'il était raisonnable de considérer le travailleur constitué en société, M. Pletch, comme étant un cadre (par opposition à tout autre type d'employé), si ce n'était de l'existence de la société appelante, mais il faut également examiner la question de savoir si la relation met en cause un entrepreneur indépendant ou si elle met en cause un employé, abstraction faite de la société appelante et de la charge occupée par M. Pletch. Il faut le faire parce que, indépendamment de la question de savoir s'il y a une charge ou non, il s'agit toujours en fait de savoir s'il est raisonnable, compte tenu des services réellement fournis par le travailleur pour la société, de considérer le rôle de la société comme compatible avec la charge (hypothétique ou réelle) ou comme se rapportant à cette charge d'une façon importante[6]. En formulant ainsi la question, on assure qu'un service fourni par un travailleur en dehors des services de la société, et indépendamment de ces services, n'embrouille pas les choses. En se demandant s'il est possible de considérer le rôle de la société tel qu'il est assumé par le travailleur comme compatible avec la charge ou comme se rapportant à cette charge, il faut examiner la nature des services dans le contexte de la relation dans son ensemble. Si la relation met en cause un entrepreneur indépendant, il ne serait peut-être pas raisonnable de considérer les services de la société comme étant compatibles avec une charge ou comme se rapportant à une charge. Il faut tirer cette conclusion en suivant les lignes directrices énoncées dans des décisions telles que l'arrêt Wiebe Door[7], l'arrêt Sagaz[8] et d'autres décisions citées par les parties[9].

[9]      Dans l'arrêt Sagaz, on a affirmé que la question cruciale, aux fins de la conclusion à tirer, est de savoir si le travailleur travaille comme une personne exploitant une entreprise à son compte. Lorsque cette question est examinée, le degré de contrôle exercé par celui qui a engagé le travailleur entrera toujours en ligne de compte. L'application de ce critère soulève un problème qui se pose souvent, à savoir qu'il faut déterminer si l'indépendance du travailleur dans l'exécution de sa tâche est attribuable à la liberté qui découle de la nature de la relation, du fait que celui qui est en mesure d'exercer un contrôle décide de ne pas le faire, ou si elle est attribuable à la nature des tâches assignées et aux compétences particulières que possède le travailleur lorsqu'il s'agit d'accomplir ces tâches sans direction. En l'espèce, la liberté du travailleur découle principalement de la nature de la relation que le travailleur a imposée et des compétences qu'il possède lorsqu'il s'agit d'exécuter le travail. Même si le contrat prévoit l'engagement à plein temps de M. Pletch, et même si, dans certains cas du moins, M. Pletch se rend là où on l'envoie, il est clair que c'est lui qui décide dans une certaine mesure du temps où il est disponible pour travailler. Monsieur Pletch prend plus de temps que ce qui est prévu pour les vacances et il organise son travail pour Thyssen en fonction des obligations qu'il a envers l'entreprise agricole de l'appelante. Les exigences externes quant au temps de M. Pletch entraînaient un degré de contrôle moins élevé que celui qui s'appliquerait par ailleurs à la relation. Thyssen s'adaptait à M. Pletch à cet égard. En outre, le travailleur jouit d'énormément de latitude et Thyssen exerce fort peu de contrôle sur lui. Il est clairement un homme très compétent et il donne des directives plus qu'il n'en reçoit. Sa tâche primordiale consiste à faire les recommandations qu'il juge indiquées et à surveiller leur mise en oeuvre. Il n'est pas de son ressort de mettre en oeuvre ces recommandations. Cela incombe aux directeurs régulièrement employés. Tout bien considéré, le facteur du contrôle permet de conclure que M. Pletch est un entrepreneur indépendant. Le fait qu'il assume une vaste gamme de tâches et exerce des fonctions de direction n'empêche pas, en soi, de tirer une telle conclusion. Toutefois, cette conclusion n'est pas en soi déterminante pour ce qui est de la nature de la relation hypothétique en question. Ce n'est que l'un des nombreux facteurs à prendre en considération.

[10]     Les facteurs suivants militent en faveur du fait que M. Pletch soit un entrepreneur indépendant :

a)        Monsieur Pletch était indépendant dans l'exécution de ses obligations et il n'était pas responsable de la mise en oeuvre des recommandations qu'il faisait.

b)       Monsieur Pletch ne dépendait pas de Thyssen aux fins de la fourniture des instruments de travail. Je mets ici l'accent sur le fait que, même si un bureau était mis à sa disposition, la façon dont M. Pletch s'acquittait de ses tâches rendait inutiles un bureau ou du soutien de bureau du type généralement fourni à l'employé par l'employeur. Je signale que j'accorde moins d'importance aux autres instruments de travail, tels que la fourniture d'un véhicule par l'appelante, alors que Thyssen remboursait les frais qui y étaient associés.

c)        Le contexte historique de cet appel influe dans une certaine mesure sur la preuve susceptible de militer en faveur d'une conclusion selon laquelle un entrepreneur indépendant était en cause. Lors de l'acquisition de l'appelante, un contrat de gestion de cinq ans a été conclu avec l'un des dirigeants de la société qui était acquise. Il s'agissait d'une acquisition sans lien de dépendance. Il n'est pas inhabituel en pareil cas que le personnel clé d'une société acquise se voie offrir un contrat de gestion pour continuer à agir à titre consultatif pendant la période transitoire. La liberté considérable dont jouissent les cadres sortants qui doivent continuer à exercer leurs fonctions aux fins de la transition peut indiquer qu'ils sont des entrepreneurs indépendants. Il s'agit d'une position défendable dans l'appel ici en cause, du moins au début de la relation. En outre, si l'on retient le témoignage de M. Pletch selon lequel, avant l'acquisition, il n'était pas un employé de Northern, son rôle à titre d'entrepreneur indépendant restant en fonction pour la société qui était acquise est alors défendable. Toutefois, c'est prendre pour un axiome la question à prouver, c'est-à-dire que le fait qu'il continue à jouer un rôle similaire n'aide pas à définir la nature de la relation pendant toute la période en cause.

d)       Il y a des chances de bénéfice, selon le succès remporté par M. Pletch dans l'exécution des tâches qui lui sont assignées. La disposition relative à la gratification n'a pas été bien définie à l'audience, mais la preuve générale tend à être conforme à ce qui est déclaré aux paragraphes 39 et 40 de l'exposé conjoint des faits. La gratification ou la rémunération au rendement dépendaient en partie de la rentabilité attribuée aux initiatives de M. Pletch et en partie de la rentabilité générale du groupe Thyssen. Dans ce dernier cas, cela n'est pas incompatible avec les gratifications accordées aux cadres supérieurs qui occupent un emploi, mais dans l'autre cas, cela n'est pas non plus incompatible avec les arrangements qui sont pris avec un entrepreneur indépendant. Néanmoins, compte tenu du montant des primes de rendement par rapport aux montants fixes, il faut reconnaître qu'il existait dans ce cas-ci des chances de bénéfice qui permettraient de conclure à l'existence d'une relation avec un entrepreneur indépendant.

e)        L'une des principales fonctions de M. Pletch consiste à agir à titre de conseiller, ce qui n'est pas nécessairement lié aux tâches d'une charge. L'indépendance dont jouit M. Pletch montre qu'il en est ainsi. De plus, je note que M. Pletch agit sous la direction de Thyssen M.A.N. (qui est partie au contrat de gestion) et fournit des services de consultation similaires à des sociétés dont il n'est pas cadre ou administrateur en vertu du contrat de gestion. Monsieur Pletch jouait également un rôle similaire auprès du groupe Thyssen, tant pendant qu'il était président qu'après qu'il eut été remplacé à titre de président. Tous ces facteurs indiquent une fonction qui n'est pas nécessairement liée à son rôle de cadre supérieur de Thyssen.

[11]     Les facteurs suivants sont neutres :

a)        L'appelante exploitait une entreprise autre que celle qu'elle exploitait aux termes du contrat qu'elle avait conclu avec Thyssen. Cette entreprise (une entreprise agricole) n'est toutefois pas liée à l'entreprise de prestation de services de gestion que l'appelante exploitait auprès de Thyssen. L'appelante n'exploite aucune autre entreprise de prestation de services de gestion dont le contrat conclu avec Thyssen pourrait faire partie. Si je vais au-delà de l'existence de l'appelante à titre de société, je note également que M. Pletch n'a pas établi qu'il exploitait personnellement une entreprise de gestion qui, si ce n'était de l'existence de l'appelante, pourrait être considérée comme comprenant le contrat conclu avec Thyssen. Le paragraphe 42 de l'exposé conjoint des faits donne à entendre que M. Pletch était un employé de l'appelante plutôt qu'un entrepreneur indépendant fournissant des services de gestion à l'appelante. Si j'applique le critère qui consiste à savoir à qui appartient l'entreprise ou si je réponds à la question de savoir s'il est possible de dire que M. Pletch exploite une entreprise à son compte, il y a peu de choses à l'appui de la position selon laquelle M. Pletch exploitait une entreprise à son compte.

b)       Il est clair que les parties voulaient qu'il y ait une relation d'entrepreneur indépendant et il est clair qu'un effet juridique a été donné à cette intention. Toutefois, cette réalité ne peut pas influer sur la détermination d'une question hypothétique. Soutenir que l'intention devrait être considérée comme un facteur, c'est ne pas saisir pourquoi la question hypothétique se pose, à moins qu'il ne soit clair qu'une telle intention n'est pas fondée sur des considérations d'ordre fiscal. Le but visé ne fait pas partie de l'ensemble général du droit régissant l'interprétation de la Loi, mais il est clair que la relation visée par la définition d' « entreprise de prestation de services personnels » ne peut tout simplement pas découler d'un choix.

c)        Pour reconnaître que le contrat de gestion crée en réalité une relation avec un entrepreneur indépendant, il faut examiner minutieusement l'applicabilité de certains facteurs dont il est normalement tenu compte lorsqu'il s'agit de déterminer la nature du contrat, à savoir s'il s'agit d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise. Le meilleur exemple est le risque de perte associé à l'exécution négligente des tâches prévues dans un contrat d'entreprise. Le fait que l'appelante assume un tel risque et maintient une assurance à cet égard découle de la réalité juridique de la relation, mais cela influe peu sur la question hypothétique qui se pose[10]. Un autre exemple est le manque de sécurité d'emploi associé aux arrangements qui sont pris avec un entrepreneur indépendant. Dans ce cas-ci, M. Pletch ne bénéficie d'aucune sécurité d'emploi, mais cela est fonction de la réalité juridique de l'arrangement. Cela n'a pas nécessairement quelque chose à voir avec la relation hypothétique[11]. De même, la non-participation aux régimes d'avantages sociaux des employés pourrait simplement indiquer qu'il a été donné effet à la réalité de la relation envisagée sans que cela réponde vraiment à la question hypothétique, le cas échéant. Dans un cas comme celui-ci, il est difficile de déterminer si certains facteurs indiquent la nature véritable de la relation hypothétique ou s'ils résultent simplement de la relation juridique véritable.

[12]     Les facteurs suivants militent en faveur du fait que M. Pletch soit un employé :

a)        La nature durable, à long terme, de la relation que M. Pletch entretenait avec Thyssen en sa qualité de travailleur à plein temps n'est pas compatible avec le fait d'être un entrepreneur indépendant qui exploite une entreprise à son compte, eu égard en particulier aux circonstances du présent appel, où rien ne montre que l'appelante ou M. Pletch se soient livrés à des activités similaires auprès d'autres clients.

b)       Le contrat prévoit une période fixe de vacances, ce qui est compatible avec un contrat d'emploi à plein temps.

c)        M. Pletch semblait fort bien être pleinement intégré à l'entreprise de Thyssen. Il s'occupait de toute l'entreprise de Thyssen au Canada (voir le témoignage de M. Pletch à l'alinéa 3j) ci-dessus et le paragraphe préliminaire de la note modificative). Monsieur Pletch évaluait et supervisait les directeurs (voir le témoignage de M. Pletch à l'alinéa 3j) ci-dessus). Il était responsable des opérations non financières de Thyssen (voir l'exposé conjoint des faits, paragraphe 27) et il possédait, et exerçait, le pouvoir de diriger les activités des sociétés du groupe Thyssen (voir l'exposé conjoint des faits, paragraphe 29). Il était notamment chargé de superviser les activités de production, de vente et de service et, dans certains cas, il était chargé des négociations collectives (voir l'exposé conjoint des faits, paragraphe 34). Il était soumis à la direction et aux instructions du conseil d'administration (voir l'exposé conjoint des faits, paragraphe 30). Il était en partie responsable de l'examen général des activités de l'entreprise, notamment des activités mensuelles et de l'évaluation du personnel clé, et il donnait des conseils au sujet de nouvelles acquisitions (voir l'exposé conjoint des faits, paragraphe 33). Lorsque M. Elliot est parti, M. Pletch a assumé la responsabilité des activités de fabrication, ce qui dépassait son rôle de « conseiller » , mais qui était compatible avec sa charge. La plupart de ces fonctions sont tout à fait compatibles avec les tâches assignées aux cadres supérieurs de direction qui n'exploitent pas d'entreprise à leur compte. En outre, fait important, M. Pletch savait qu'il agissait comme cadre supérieur responsable, envers Thyssen, de la direction et de la supervision des affaires de cette dernière (voir le témoignage de M. Pletch à l'alinéa 3k) ci-dessus). Cela étant, la liberté dont jouissait M. Pletch pourrait tout simplement être considérée comme un accommodement envers un cadre supérieur estimé qui fait ce qu'il faut faire et ce à quoi on s'attend de lui - c'est-à-dire qu'il fait ce que sa charge exige de lui sans qu'un contrôle étroit soit exercé. Il travaille néanmoins une cinquantaine d'heures par semaine et il accomplit sa tâche de cadre supérieur, qui consiste à améliorer la rentabilité de la partie qui l'a engagé.

d)       Il existe fort peu de risques entrepreneuriaux associés aux efforts du travailleur au point de vue de ce qu'il doit investir en vertu du contrat. Il n'y a pas d'infrastructure permettant d'accomplir plus de travail du type de celui qui est fait pour Thyssen. Le contrat de gestion occupe M. Pletch personnellement à plein temps, ce qui ne lui laisse pas de marge de manoeuvre, s'il n'y a pas d'infrastructure en place, pour soutenir la croissance nécessaire aux fins de l'exercice d'autres activités commerciales similaires.

e)        L'absence d'investissement de la part de l'appelante ou du travailleur dans cette entente contractuelle ou dans une activité connexe, mis à part le temps consacré par le travailleur, donne à entendre qu'il y a peu de risques de perte. Toutes les dépenses sont remboursées. Ni le travailleur ni l'appelante ne fournissent, relativement à l'engagement, des instruments de travail, du matériel ou quelque infrastructure à l'égard desquels ils ne sont pas dédommagés.

[13]     J'aimerais ici faire observer que l'application des critères traditionnels visant à déterminer la nature de la relation hypothétique en question ressemble certes à une partie de bras de fer. Comme il en a été fait mention, l'une des principales fonctions de M. Pletch consistait à agir à titre de conseiller, ce qui est compatible avec une relation d'entrepreneur. L'indépendance dont il jouissait et les chances de bénéfice sont également compatibles avec l'existence d'une relation d'entrepreneur. D'autre part, M. Pletch exerçait un certain nombre de fonctions qui se rattachent clairement à une charge et qui font nécessairement partie intégrante de la structure de la direction et des activités de Thyssen. C'est ce que montre la reconnaissance des tâches énoncées à l'alinéa 12c) ci-dessus. Monsieur Pletch est la bête de somme du groupe Thyssen sur le plan de la direction. Le critère qui consiste à savoir à qui appartient l'entreprise, s'il est appliqué selon la perspective du travailleur, l'emporte sur le critère de l'intégration selon lequel la même question se pose du point de vue de celui qui retient les services, mais le critère de l'intégration pourrait néanmoins s'appliquer dans un cas comme celui-ci où il semble répondre fortement à un aspect fort important et essentiel de la relation. Tout cela donne à entendre que l'application des critères de common law, aux fins de la détermination de la nature de la relation, n'empêche pas de conclure à une relation d'emploi (à titre de cadre), et ce, malgré la présence d'une fonction du genre de celle d'un entrepreneur indépendant.

[14]     La société appelante cumule deux fonctions dans ce cas-ci : elle agit à titre de conseiller et elle agit à titre de cadre de direction. En sa qualité de cadre, M. Pletch assume les deux rôles pour le compte de l'appelante, mais aucune rémunération n'a été attribuée à l'appelante en sa qualité de seul fournisseur des deux types de services. Même s'il est raisonnable de considérer les services fournis à titre de conseiller comme des services fournis par un entrepreneur indépendant, je ne vois pas comment cette conclusion, en l'espèce, peut aider l'appelante. Les services de l'appelante ont été fusionnés pour ne former qu'une seule source de revenu. Ce revenu se rapporte en bonne partie à la fourniture de services de direction. À mon avis, le fait que les parties n'ont aucunement tenté de faire une distinction entre les deux rôles porte un coup fatal à la cause de l'appelante. Je ne vois pas comment il serait possible d'affirmer que le contrat est divisible, de façon à créer deux sources de revenu, et l'avocat n'a pas avancé cet argument.

[15]     Cela me ramène aux principes exposés ci-dessus, tels qu'ils sont tirés des décisions Morley Law Corporation et Criterion Capital. Ni l'appelante ni M. Pletch n'exploitent une entreprise de prestation de services de gestion, mis à part l'engagement pris avec Thyssen, et les services fournis à la société empiètent d'une façon essentielle et importante sur les tâches de M. Pletch à titre de cadre supérieur de direction. De fait, indépendamment de son titre, le rôle joué par M. Pletch en vertu du contrat de gestion était, dans une large mesure, celui de cadre supérieur de direction de Thyssen. L'exécution de cette tâche fort réelle et essentielle fait partie du contrat par lequel les services de M. Pletch étaient retenus par l'entremise de l'appelante, qui agissait à titre de société intermédiaire. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel on aurait conféré à M. Pletch un simple titre honorifique sans lui confier les tâches connexes[12]. En d'autres termes, dans ce cas-ci, M. Pletch est non seulement cadre supérieur de Thyssen; il exerce en outre de fait cette fonction. Étant donné que ces services de direction sont fournis en vertu du contrat de gestion pour le compte de l'appelante, il est clair que, si ce n'était de l'existence de la société, M. Pletch fournirait ces services à titre de cadre de Thyssen.

[16]     En conclusion, le revenu que l'appelante a tiré du contrat qu'elle a conclu avec Thyssen est un revenu tiré d'une entreprise de prestation de services personnels. Par conséquent, les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2005.

« J. E. Hershfield »

Le juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de novembre 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI400

No DU DOSSIER DE LA COUR :       2002-3536(IT)G

INTITULÉ :                                        W.B. Pletch Company Limited c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    London (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 3 juin 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                L'honorable juge J. E. Hershfield

DATE DU JUGEMENT :                    Le 10 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me David J. Thompson

Avocat de l'intimée :

Me Peter M. Kremer, c.r.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour l'appelante :

                   Nom :                              Me David J. Thompson

                   Cabinet :                          Thompson Corbett Webster LLP

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada


Annexe « A »

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Pour les besoins du présent appel, les parties se sont entendues sur l'exposé partiel des faits suivant :

W.B. Pletch Company Limited

1)          L'appelante est une société qui a été constituée conformément aux lois de l'Ontario le 2 juillet 1980, son exercice prenant fin le 20 juin de chaque année.

2)          Monsieur W. Barry Pletch détient 50 p. 100 des actions émises et en circulation de l'appelante, alors que sa conjointe détient le reste des actions.

3)          Pendant la période pertinente, M. W. Barry Pletch était un actionnaire déterminé de l'appelante, tel que ces mots sont définis aux fins de la définition d' « entreprise de prestation de services personnels » figurant au paragraphe 125(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

4)          L'appelante exerce deux activités, à savoir l'élevage de bétail et la prestation de services de gestion (les « services » ).

L'élevage de bétail

5)          L'activité d'élevage de bétail a généré un revenu brut de 3,5 millions de dollars environ en 1998 et de 4,3 millions de dollars environ en 1999.

6)          L'appelante possédait des actifs agricoles d'une valeur de 4 054 725 $ et de 5 309 709 $ en 1998 et en 1999 respectivement, à l'exclusion des cultures dans les champs, et elle exploite son entreprise sur des terres agricoles non contiguës d'une superficie de 1 300 acres.

7)          L'appelante possédait 1 436 têtes de bétail à la fin de l'année d'imposition 1998 et 1 870 têtes de bétail à la fin de l'année d'imposition 1999.

8)          Une superficie de 1 072 acres était cultivée à la fin de l'année d'imposition 1998 et une superficie de 1 170 acres était cultivée à la fin de l'année d'imposition 1999; l'appelante cultivait du maïs, de l'orge, du soja et du foin.

9)          Monsieur Pletch s'occupait de l'entreprise agricole de l'appelante chaque fin de semaine et parfois le soir. Au printemps et à l'automne de chaque année, il s'occupait d'acquérir du nouveau bétail. Entre autres choses, il vérifiait les enclos et le bétail, il effectuait des travaux de routine la fin de semaine, il s'occupait de l'ensemencement et des récoltes et il se livrait à des travaux agricoles connexes. Ces activités prenaient de six à huit semaines par année. Monsieur Pletch était chargé de semer du maïs sur 1 200 acres, du soja sur 300 acres et du blé sur 100 acres. Il s'occupait également de la récolte et du moissonnage-battage. Monsieur Pletch se faisait aider par trois employés à plein temps et par sa conjointe.

10)        Lorsque les activités agricoles l'exigeaient, M. Pletch leur accordait la priorité plutôt qu'aux services fournis à Thyssen Elevator, mais il organisait ses affaires de façon à éviter qu'il y ait conflit avec les responsabilités qu'il avait auprès de Thyssen Elevator.

Les services de gestion

11)        La prestation de services a généré un revenu brut de 460 541 $ en 1998 et de 560 706 $ en 1999.

12)        L'appelante fournit des services de gestion et donne des conseils par l'entremise de M. Pletch.

13)        Seul M. Pletch fournissait des services à Thyssen Elevator en vertu du contrat.

14)        En 1986, M. Pletch détenait 10 p. 100 des actions de Northern Elevator Service Limited et il agissait également à titre de président et d'administrateur de la société.

Le contrat de prestation de services

15)        Les services étaient fournis aux termes d'un contrat écrit daté du 1er janvier 1986 (le « contrat » ) conclu par l'appelante, Northern Elevator Service Limited, Thyssen, une société allemande non liée et M. Pletch à l'égard de la prestation des services de M. Pletch par l'appelante en faveur de Northern Elevator Service Limited.

16)        Au cours des années d'imposition visées par l'appel, les services étaient fournis à Thyssen Elevator Limited, autrefois Northern Elevator Service Limited, et à ses sociétés affiliées (ci-après appelées collectivement « Thyssen Elevator » ).

17)        La durée initiale du contrat était de cinq ans et le contrat a été renouvelé chaque année sans formalités.

18)        L'appelante ne fournissait pas de services de gestion ou de conseils professionnels à des sociétés autres que Thyssen Elevator.

19)        Pendant les années d'imposition visées par l'appel, le contrat s'appliquait à la relation existant entre l'appelante, Northern Elevator, Thyssen Allemagne et M. Pletch, sous réserve uniquement des changements apportés à la gestion de la gratification et des honoraires.

Les responsabilités de M. Pletch envers Thyssen Elevator

20)        Le groupe Thyssen Elevator est composé de nombreuses sociétés exploitant leur entreprise partout en Amérique du Nord ainsi qu'à l'échelle internationale.

21)        Monsieur Pletch a été président de Thyssen Elevator pendant une partie des années d'imposition pertinentes, et il a été administrateur et cadre de Thyssen Elevator pendant toute la période pertinente.

22)        À l'été 1999, M. Pletch a été remplacé comme président de Thyssen Elevator, mais ses responsabilités n'ont pas sensiblement changé.

23)        Monsieur Pletch était membre du conseil d'administration de sept sociétés du groupe Thyssen Elevator.

24)        Conformément au contrat, M. Pletch fournissait des services à 13 sociétés du groupe Thyssen Elevator.

25)        Toutes les parties considéraient les services fournis par l'appelante, ou par M. Pletch, aux sociétés autres que Thyssen Elevator elle-même comme étant assujettis au contrat; plus précisément, ces services n'étaient pas assujettis à des contrats de gestion distincts conclus avec l'appelante ou avec M. Pletch personnellement.

26)        Monsieur Pletch fournissait ses services pour le compte de l'appelante sans se faire aider, et notamment sans recourir à des services de secrétariat.

27)        Monsieur Pletch était responsable des opérations non financières de la société.

28)        Chacune des sociétés du groupe Thyssen Elevator est dotée de son propre conseil d'administration et de ses propres cadres.

29)        Monsieur Pletch possédait et exerçait le pouvoir de diriger les activités des sociétés au sein du groupe Thyssen Elevator.

30)        Dans l'exécution de ses tâches et de ses responsabilités de supervision, M. Pletch était assujetti à la direction générale et aux instructions du conseil d'administration de la société mère, en Allemagne.

31)        Monsieur Pletch était indépendant dans l'exécution des responsabilités qui lui incombaient aux termes du contrat.

32)        Monsieur Pletch recevait des états financiers détaillés et des rapports concernant toutes les activités de Thyssen Elevator. Ces documents étaient conservés aux bureaux de Thyssen Elevator. Monsieur Pletch conservait chez lui des copies des états financiers annuels. Il utilisait ces rapports financiers aux fins de prises de décisions en vue de déterminer qui avait un rendement médiocre ainsi qu'à des fins d'analyse.

33)        Monsieur Pletch était en partie responsable de l'examen général des activités de l'entreprise pour des entités expressément désignées, de l'évaluation du personnel clé, de l'examen des activités mensuelles et de la prestation de conseils au sujet de nouvelles acquisitions.

34)        Monsieur Pletch était notamment chargé de superviser les activités de production, de vente et de service au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Dans certains cas, il était également responsable des négociations collectives.

Les honoraires versés en vertu du contrat

35)        Le contrat n'a jamais été modifié en vue d'inclure des changements apportés aux gratifications ou aux honoraires.

36)        Les changements apportés aux gratifications et aux honoraires étaient indiqués dans un contrat daté du 15 mai 1997.

37)        Pendant les années d'imposition 1998 et 1999, l'appelante a envoyé chaque mois à Thyssen Elevator une facture pour des honoraires de gestion de 12 500 $, ainsi que pour des dépenses engagées par M. Pletch et elle.

38)        Les honoraires de gestion payables à l'appelante n'étaient pas ramenés à un montant inférieur ou n'étaient pas par ailleurs rajustés afin de tenir compte des vacances ou des congés fériés ou encore d'une réduction du temps pendant lequel les services étaient fournis à Thyssen Elevator.

39)        L'appelante recevait en outre une prime de rendement directement liée au succès que remportait M. Pletch, lorsqu'il s'agissait d'améliorer la rentabilité des sociétés dont il était responsable. Les primes de rendement étaient fixées par le vérificateur de la société et elles étaient payées chaque année en deux versements.

40)        La prime de rendement était directement liée à la rentabilité du groupe de sociétés et n'était pas versée si les sociétés n'étaient pas rentables; il n'y a toutefois eu aucune année au cours de laquelle l'appelante n'a pas reçu de prime de rendement.

41)        Tous les paiements reçus par l'appelante au titre des honoraires de gestion et des primes de rendement étaient déposés dans le compte bancaire de l'appelante.

42)        Monsieur Pletch était directement rémunéré par l'appelante au moyen d'un salaire, de dividendes ou d'autres paiements.

Avantages et dépenses

43)        Monsieur Pletch voyageait énormément en rendant les services à Thyssen Elevator pour le compte de l'appelante.

44)        Thyssen Elevator s'occupait elle-même des réservations pour les voyages en avion effectués par M. Pletch et elle payait directement les frais y afférents.

45)        Monsieur Pletch utilisait une carte de crédit personnelle pour les frais d'hébergement ainsi que les dépenses connexes engagés alors qu'il rendait des services à Thyssen Elevator; l'appelante facturait ces frais à Thyssen Elevator.

46)        En 1998 et en 1999, M. Pletch a consacré environ 50 à 60 heures par semaine, à l'exclusion des vacances, à l'entreprise et aux activités de Thyssen Elevator.

47)        Aux termes du contrat conclu par l'appelante et Thyssen Elevator, M. Pletch avait droit à quatre semaines de vacances.

48)        Au cours des années d'imposition visées par l'appel, M. Pletch a pris de six à huit semaines de vacances des services fournis à Thyssen. Monsieur Pletch ne s'adressait pas à d'autres personnes, chez Thyssen Elevator, pour décider des dates auxquelles il prenait des vacances. Il les informait tout simplement des dates où il prendrait un congé. De plus, M. Pletch prenait de temps à autre des jours de congé s'il le jugeait bon.

49)        Thyssen Elevator ne maintient pas d'assurance-responsabilité pour le compte de ses administrateurs ainsi que de ses cadres et M. Pletch n'est pas couvert par une telle assurance.

50)        Thyssen Elevator accordait à ses employés une gamme d'avantages, notamment l'assurance-soins dentaires, la participation différée aux bénéfices, une pension, l'assurance-maladie ainsi que d'autres avantages sociaux.

51)        Monsieur Pletch ne participait pas aux régimes d'avantages sociaux des employés de Thyssen Elevator.

52)        L'appelante fournissait une voiture à M. Pletch; elle payait les dépenses associées à l'utilisation de la voiture ainsi que les autres frais que M. Pletch engageait dans l'exécution de ses tâches pour le compte de Thyssen Elevator et Thyssen Elevator remboursait ces frais à l'appelante.

53)        Monsieur Pletch ou l'appelante a acheté un téléphone portable pour qu'il l'utilise lorsqu'il fournissait des services à Thyssen Elevator. L'appelante facturait probablement Thyssen Elevator pour les frais associés au téléphone et Thyssen Elevator payait tous les frais associés à son entreprise.



[1] Le témoignage que M. Pletch a présenté à l'audience était incompatible sur ce point; toutefois, au paragraphe 22 de l'exposé conjoint de faits, il est déclaré que ses responsabilités n'ont pas sensiblement changé lorsqu'il était devenu vice-président.

[2] La preuve ne comprenait pas suffisamment de détails au sujet de l'organisation des sociétés pour me permettre d'identifier toutes ces sociétés liées. Toutefois, je crois comprendre que, sur les 13 sociétés liées que j'ai désignées sous le nom de groupe Thyssen, au moins cinq étaient des sociétés canadiennes et au moins six étaient des sociétés américaines. Les cinq sociétés canadiennes comprenaient Thyssen, les quatre autres étant directement ou indirectement contrôlées par Thyssen. Toutes les sociétés étaient indirectement contrôlées par Thyssen M.A.N.

[3] no 1999-4538(IT)G, 21 mars 2002, 2002 D.T.C. 1547 (C.C.I.).

[4] no 1999-4603(IT)G, 12 octobre 2001, [2001] A.C.I. no 697 (C.C.I.).

[5] Voir l'arrêt Dynamic Industries Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 2005 CAF 211.

[6] Cela réfute l'argument subsidiaire de l'intimée selon lequel le simple fait d'occuper une charge porte un coup fatal à la position prise par l'appelante.

[7] Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.).

[8] Sagaz Industries Canada c. 67112 Ontario Limited, [2001] 2 R.C.S. 983, [2001] A.C.S. no 61 (C.S.C.).

[9] Wolf c. Canada, 2002 C.A.F. 96; Poulin c. Canada, 2003 C.A.F. 50; Precision Gutters Ltd. c. Canada, 2002 C.A.F. 207; S & C Ross Enterprises Ltd. c. La Reine, no 1999-4601(IT)G, 13 septembre 2002, 2002 D.T.C. 2078, [2002] 4 C.T.C. 2598 (C.C.I.); Healy Financial Corporation c. La Reine, no 92-374(IT)G, 18 mai 1994, 94 D.T.C. 1705 (C.C.I.); Moauro c. M.R.N., no 90-1487(IT), 17 décembre 1991, 92 D.T.C. 1071, [1991] A.C.I. no 1113 (QL) (C.C.I.); Kenneth Murray c. M.R.N., no 84-2526, 19 novembre 1986, 87 D.T.C. 559 (C.C.I.); Scott c. La Reine, no A-352-91, 5 janvier 1994, 94 D.T.C. 6193 (C.A.F.); Meredith c. Canada, 2002 C.A.F. 258; Dewdney Transport Group Ltd. c M.R.N., 2004 C.A.F. 183.

[10]Monsieur Pletch a affirmé croire que l'appelante maintenait une assurance pour couvrir l'engagement auprès de Thyssen.

[11] Le contrat de gestion prévoit qu'un préavis d'un an doit être donné.

[12]L'avocat de l'appelante a fait valoir que M. Pletch devait avoir un titre officiel afin d'être en mesure de s'acquitter des responsabilités de gestion qu'on lui avait confiées pour le compte de l'appelante. Je ne puis rien trouver dans la preuve à l'appui de cette position.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.