Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2004-4032(IT)G

 

ENTRE :

DAVID NISKER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appels entendus à Montréal (Québec), le 7 septembre 2006.

 

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Aaron Rodgers

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 2000 et 2001 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de décembre 2006.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Le juge Lamarre Proulx

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'avril 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2006CCI651

Date : 20061204

Dossier : 2004-4032(IT)G

 

ENTRE :

DAVID NISKER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre Proulx

 

[1]     Les présents appels concernent les années d'imposition 2000 et 2001.

 

[2]     La question en litige est celle de savoir si un paiement effectué pour régler une action en responsabilité délictuelle intentée contre l'appelant peut être déduit dans le calcul de son revenu, si les événements qui ont engagé sa responsabilité se sont produits au sein de la société.

 

[3]     Les faits ne sont pas réellement contestés. Au début de l'audience, un exposé conjoint des faits a été déposé devant la Cour. Il est rédigé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'appelant travaille dans le domaine de l'immobilier depuis cinquante ans. Il a été promoteur immobilier et il a possédé et géré des immeubles, la plupart du temps avec d'autres personnes. Par le passé, il a notamment construit des résidences et des immeubles d'appartements et de bureaux et il a aussi été propriétaire d'hôtels, d'hôtels‑résidences et de centres commerciaux.

 

2.         En ce qui a trait aux années d'imposition 2000 et 2001, ses affaires ont généré un revenu de location d'environ douze millions de dollars par année.

 

3.         Les investissements, les projets de développement et les entreprises mis en oeuvre par l'appelant l'ont généralement été avec le concours d'autres personnes.

 

4.         Le 12 mai 2003, une nouvelle cotisation établie à l'égard des années d'imposition 2000 et 2001 refusait à l'appelant les déductions demandées à la suite du paiement d'un montant de 350 000 $ en règlement d'une procédure judiciaire.

 

5.         Le 29 mai 2003, l'appelant a déposé un avis d'opposition visant les nouvelles cotisations établies à l'égard de ces deux années d'imposition.

 

6.         Le 19 avril 2004, l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a ratifié les nouvelles cotisations datées du 12 mai 2003, à l'égard des années d'imposition 2000 et 2001, en invoquant les motifs suivants :

 

Dans le cas de l'exercice se terminant le 31 décembre 2000, le montant du prêt de 350 000 $ n'a pas été versé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Par conséquent, ce montant ne peut être déduit du revenu conformément à l'alinéa 18(1)a). Il ne peut être qualifié de perte déductible au titre d'un placement d'entreprise aux termes des alinéas 39(1)c), 50(1)a) et 111(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et, aux termes du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, toute perte en capital résultante est réputée nulle.

 

7.         Le 27 novembre 1987, en vertu d'un bail emphytéotique, La Corporation Trisud inc. (« Trisud ») a vendu ses droits à 152817 Canada inc. pour la somme de 8 000 000 $ payable en deux versements.

 

8.         En vertu de l'entente, 152817 Canada inc. devait verser à Trisud le montant de 2 000 000 $ le sixième anniversaire de la clôture, avec les intérêts.

 

9.         Dans le marché conclu le 27 novembre 1987, 152817 Canada inc. agissait comme fiduciaire pour le compte de 149788 Canada inc.

 

10.       Le 1er décembre 1987, 149788 Canada inc. a vendu ses droits dans le bail emphytéotique à Saviva Holdings Ltd., à 157699 Canada inc., à 146236 Canada inc. et à 144945 Canada inc.

 

11.       Le même jour, par une entente de prête‑nom conclue à l'insu de Trisud, 152817 Canada inc. reconnaissait agir comme fiduciaire pour les nouveaux propriétaires, soit Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada inc., 146236 Canada inc. et 144945 Canada inc.

 

12.       Depuis 1997, l'appelant est un dirigeant et un administrateur de 157699 Canada inc.

 

13.       La fille de l'appelant était le seul actionnaire de 157699 Canada inc. de 1987 jusqu'en 1990, année où l'épouse de l'appelant en est devenue actionnaire.

 

14.       Lors du marché du 1er décembre 1987, 157699 Canada inc., à l'insu de Trisud, a agi comme prête‑nom pour le compte de 81008 Canada inc., qui a acquis une part indivise de 10 p. 100 dans le bail emphytéotique.

 

15.       Jusqu'au 1er juin 1992, l'appelant détenait 163 000 actions privilégiées de catégorie C de 81008 Canada inc., dont il n'était plus actionnaire par la suite.

 

16.       Le 14 janvier 1988, la Banque Nationale du Canada a accordé à 152817 Canada inc. un prêt de 5 350 000 $ garanti en partie par des cautionnements personnels.

 

17.       L'appelant s'est porté garant personnellement de 10 p. 100 des montants dus à la Banque Nationale du Canada.

 

18.       En 1993, 152817 Canada inc. a manqué à ses engagements et la Banque Nationale du Canada a réalisé sa sûreté en prenant possession des droits rattachés au bail emphytéotique.

 

19.       Le 20 décembre 1993, Trisud a présenté une mise en demeure visant le remboursement du solde du prix de vente.

 

20.       Le 29 mars 1994, Trisud a déposé à la Cour supérieure un bref d'assignation et une déclaration, à l'endroit de 152817 Canada inc. et de David Stein, portant le numéro de dossier 500‑05‑003691‑944.

 

21.       Le 9 décembre 1996, Trisud a déposé un bref d'assignation et une déclaration modifiés dans lesquels elle ajoutait Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada inc. et 144945 Canada inc. comme parties défenderesses dans le dossier numéro 500‑05‑003691-944.

 

22.       Le 10 décembre 1999, la Cour supérieure du Québec a statué sur le dossier numéro 500-05-003691-944 et a condamné 152817 Canada inc., Saviva Holdings Ltd., 157699 Canada inc. et 144945 Canada inc. solidairement à payer à Trisud la somme de 2 570 024 $, plus les intérêts et les dépens. Dans le même jugement, David Stein a été condamné solidairement avec les autres parties défenderesses à payer la somme de 500 000 $, plus les intérêts et les dépens.

 

23.       Le 7 janvier 2000, 157699 Canada inc., Saviva Holdings Ltd. et 144945 Canada inc. ont inscrit le jugement en appel sous le numéro de dossier 500‑09‑009116‑005.

 

24.       Le 28 janvier 2000, Trisud a intenté une action à la Cour supérieure, portant le numéro de dossier 500-05-055612‑004, contre Sam Greenberg, contre l'appelant, et contre Pinchos Freund, Saviva Holdings Ltd., 2853523 Canada inc. et 2630‑1374 Québec inc., en vue de faire établir la responsabilité solidaire de ces parties défenderesses avec celles désignées au dossier numéro 500‑05‑003691‑944 (appel numéro 500‑09‑009116‑005).

 

25.       Le 30 novembre 2000, Trisud, Sam Greenberg, l'appelant, Saviva Holdings Inc., 2853523 Canada inc., 2630-1374 Québec inc. et 157699 Canada inc. ont signé une entente de règlement visant les dossiers 500‑05‑003691‑944 (appel numéro 500‑09‑009116‑005) et 500‑05‑055612‑004.

 

26.       En vertu de cette transaction, 157699 Canada inc. et Saviva Holdings Ltd. se sont engagées solidairement à payer à Trisud la somme de 700 000 $ pour le règlement définitif du dossier 500‑05‑003691‑944 (appel numéro 500‑09‑009116‑005), en contrepartie de laquelle Trisud acceptait que 157699 Canada inc. et Saviva Holdings Ltd. soient subrogées, à 50 p. 100 chacune, dans ses droits contre 152817 Canada inc., David Stein, 144945 Canada inc. et Pinchos Freund.

 

27.       Dans cette transaction, l'appelant et Sam Greenberg se sont engagés solidairement avec Saviva Holdings Ltd. et 157699 Canada inc. à payer à Trisud la somme de 700 000 $.

 

28.       En vertu de la transaction, l'appelant a payé un montant de 350 000 $.

 

29.       En contrepartie du paiement de 700 000 $ fait à Trisud, une déclaration de règlement à l'égard du dossier 500‑05‑009116‑005 a été signée.

 

30.       En contrepartie de ce paiement, Trisud a abandonné son action dans le dossier 500‑05‑055612‑004, sans dépens ni autre recours contre toutes les parties défenderesses, y compris l'appelant.

 

[4]     En résumé, le 27 novembre 1987, La Corporation Trisud inc. (« Trisud ») a vendu ses droits dans la Place Pierre Dupuy, à Longueuil, à 152817 Canada inc. (« 152817 ») pour la somme de 8 000 000 $ payable en deux versements.

 

[5]     Le 9 décembre 1987, la Banque Nationale du Canada a consenti à 152817 un prêt de 5 350 000 $ garanti par une hypothèque, une cession des loyers et la sûreté personnelle des actionnaires de 152817, à savoir M. Stein (45 p. 100), M. Greenberg (30 p. 100), M. Nisker (10 p. 100) et M. Freund (15 p. 100).

 

[6]     Trisud a accusé réception du montant de 5 350 000 $ remis par 152817 et a accordé une priorité de rang à la Banque Nationale relativement à toute hypothèque en sa faveur.

 

[7]     Le solde du prix d'achat était dû à Trisud et exigible le sixième anniversaire de la clôture. Toutefois, il ne lui a pas été payé parce que 152817 avait fait faillite. De plus, à l'insu de Trisud, 152817 avait vendu ses droits à quatre personnes morales.

 

[8]     En 1993, à la suite d'un défaut, la banque a repris possession du bien et des droits relatifs au bail emphytéotique.

 

[9]     Le 20 décembre 1993, Trisud a envoyé une mise en demeure à 152817 en vue du paiement du solde du prix d'achat. Elle a subséquemment actionné 152817, David Stein, Saviva Holdings, 157699 Canada inc. et 144945 Canada inc.

 

[10]    Dans un jugement rendu le 10 décembre 1999, le juge Pierre Dalphond de la Cour supérieure du Québec a conclu que les acheteurs n'avaient pas agi de bonne foi envers la venderesse. Je cite quatre conclusions de ce jugement :

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

En ce qui a trait à MM. Nisker et Freund, ils étaient présents à la clôture lorsque l'acte de vente a été signé, ils ont discuté du marché avec MM. Stein et Greenberg et ils ont signé les documents subséquents dans lesquels ils reconnaissaient l'existence de l'acte de vente et son enregistrement. Messieurs Stein et Greenberg ont témoigné qu'ils ne voulaient pas être tenus responsables du solde du prix d'achat. La Cour peut inférer qu'ils étaient au courant de la teneur de l'acte de vente et des obligations de 152817 en vertu de celui‑ci (article 2828 C.C.Q.). Cette connaissance peut également être imputée à leur société respective.

 

De plus, la preuve démontre que MM. Stein, Greenberg, Nisker et Freund avaient, de façon intentionnelle, fait rédiger l'acte de cession de manière que leurs sociétés ne soient pas tenues responsables envers Trisud du solde du prix d'achat.

 

En résumé, les nouveaux propriétaires étaient au courant de la teneur de l'acte de vente conclu par 152817 et Trisud et ils ont fait en sorte qu'ils ne puissent aucunement être tenus responsables du solde du prix d'achat.

 

Eu égard aux circonstances, la Cour est d'avis que les nouveaux propriétaires ont commis un délit (article 1053 du C.C.B.C.) qui engage leur responsabilité.

 

[11]    Les défendeurs ont été condamnés solidairement à payer à Trisud la somme de 2 570 024 $, plus les intérêts au taux de 9½ % par année à partir de novembre 1993. Ce jugement a été porté en appel le 7 janvier 2000.

 

[12]    Il est à noter que l'appelant n'était pas désigné comme défendeur à l'action intentée devant la Cour supérieure et que, par conséquent, il n'a pas été condamné dans le jugement. Toutefois, on a jugé, sur le fondement de la preuve, qu'il avait intentionnellement fait rédiger l'acte de cession de manière que sa société ne soit pas tenue responsable envers Trisud du solde du prix d'achat.

 

[13]    À la suite de ce jugement, le 28 janvier 2000, Trisud a intenté une action devant la Cour supérieure en vue de constituer comme parties défenderesses d'autres personnes physiques, dont l'appelant, qui seraient tenues solidairement responsables, avec les parties défenderesses déjà désignées, du paiement du solde du prix d'achat.

 

[14]    Je reproduis ci‑dessous certains passages de la déclaration dans cette action :

 

[TRADUCTION]

 

4.         Les particuliers défendeurs à la présente action sont les principaux responsables et les âmes dirigeantes des sociétés défenderesses désignées dans le dossier CSM 500‑05‑003691‑944, tel qu'il sera exposé plus amplement ci‑dessous;

 

[...]

 

11.       Au cours de l'instance, Trisud a découvert que, même si 152817 Canada était et demeurait le propriétaire inscrit de l'immeuble, la propriété de l'immeuble avait été transférée à quatre autres sociétés – Saviva, 157699 Canada inc., 144945 Canada inc. et 146236 Canada inc. – sans que Trisud ait été avisée comme le prévoyait le contrat et sans que les cessionnaires se soient personnellement engagés à respecter les conditions de l'acte de vente P‑2, le tout en violation de l'acte de vente P‑2;

 

[...]

 

18.       Les âmes dirigeantes des acheteurs subséquents étaient :

 

•           David Stein, pour 144945 Canada;

•           Sam Greenberg, pour Saviva;

•           David Nisker, pour 157699 Canada;

•           Pinchos Freund, pour 146236 Canada;

 

tel que l'a déterminé l'honorable juge Dalphond dans le jugement;

 

[...]

 

28.       Monsieur Stein et les défendeurs Greenberg, Nisker et Freund étaient bien au courant des obligations créées par l'acte de vente P‑2, notamment l'obligation de 152817 Canada de s'assurer que tout acheteur subséquent s'engage expressément dans l'acte d'acquisition à être lié par toutes les conditions de l'acte de vente P‑2 et d'aviser Trisud de [toute] transaction subséquente;

 

[...]

 

30.       Dans ses motifs de jugement, l'honorable juge Dalphond a conclu à la responsabilité des acheteurs subséquents en raison de ce que savaient leurs principaux responsables, MM. Stein, Greenberg, Nisker et Freund;

 

31.       Par conséquent, les actes pour lesquels Saviva, 144945 Canada et 157699 Canada ont été jugées responsables ont été en fait conçus et commis par les âmes dirigeantes de ces sociétés, à savoir David Stein, Sam Greenberg et David Nisker respectivement, tel que l'a conclu l'honorable juge Dalphond dans le jugement;

 

[...]

 

34.       Il s'ensuit que David Stein et les défendeurs Sam Greenberg, David Nisker et Pinchos Freund, en tant qu'âmes dirigeantes de leur société respective, sont solidairement responsables, avec les acheteurs subséquents, envers Trisud du montant du jugement, parce qu'ils ont sciemment participé à la violation des conditions de l'acte de vente P‑2 ou ont encouragé pareille violation;

 

[...]

 

CONDAMNE les défendeurs Sam Greenberg, David Nisker et Pinchos Freund solidairement à payer à la demanderesse, La Corporation Trisud inc., la somme de 2 570 024 $ en capital, avec les intérêts au taux de 9½ % par année, calculés mensuellement à partir du 20 novembre 1993, ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du C.C.Q.;

 

[15]    Le 30 novembre 2000, un règlement a été convenu par Trisud et les défendeurs, dont faisait partie l'appelant. Les trois premiers paragraphes de la transaction sont rédigés comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Saviva Holdings Ltd. (« Saviva ») et 157699 Canada inc. (« 157699 ») s'engagent solidairement à payer à La Corporation Trisud Ltd. (« Trisud ») la somme de sept cent mille dollars en règlement définitif, au titre du capital, des intérêts et des dépens, des dossiers 500‑05‑003691‑944 et 500‑09‑009116‑005, en contrepartie de laquelle Trisud consent, par les présentes, à ce que Saviva et 157699 soient subrogées, à 50 % chacune, dans ses droits contre 152817 Canada inc., David Stein, 144945 Canada inc. et Pinchos Freund;

 

2.         Ladite somme de 700 000 $ sera payée par chèque certifié payable à OGILVY RENAULT EN FIDUCIE, au plus tard le 28 février 2001 avec, par les présentes, renonciation au bénéfice de discussion et au bénéfice de division;

 

3.         Messieurs Greenberg et Nisker s'engagent solidairement avec Saviva et 157699 à payer à Trisud ladite somme de 700 000 $.

 

[16]    Le reçu remis le 27 décembre 2000 est rédigé en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

Par les présentes, nous accusons réception, de David Nisker, de la somme de trois cent cinquante mille dollars par chèque daté du 22 décembre 2000, en paiement d'une partie du règlement conclu avec La Corporation Trisud inc.

 

Ce 27e jour de décembre 2000

 

ADESSKY POULIN, s.e.n.c.

 

(Signature)

 

[17]    Maître Gilles Poulin a témoigné que MM. Greenberg et Nisker lui avaient demandé de les représenter dans l'action en responsabilité délictuelle intentée contre eux à la suite de la décision dans laquelle la Cour supérieure affirmait qu'ils étaient les âmes dirigeantes des sociétés visées et avaient agi à dessein.

 

[18]    Maître Poulin a déclaré que, quelque temps après, une séance de médiation intensive, qui a duré une journée entière, a eu lieu. Elle était présidée par un juge à la retraite. Au cours de la soirée, les parties en sont arrivées à un règlement dont le montant se chiffrait à 700 000 $.

 

[19]    La difficulté consistait à évaluer le risque personnel de MM. Greenberg et Nisker — qui semblent avoir été les seuls à disposer de ressources financières — à la lumière de la conclusion de fait du juge du procès. C'est ce risque qui a fait que le règlement a été accepté. Messieurs Greenberg et Nisker avaient confirmé à Me Poulin qu'ils étaient effectivement les âmes dirigeantes des sociétés visées, en l'occurrence 157699 Canada inc. (« 157699 ») et 81008 Canada inc. (« 81008 »). L'appelant n'était actionnaire d'aucune de ces sociétés.

 

[20]    Madame Joyce Nisker Takefman a été le deuxième témoin. Elle est la fille de l'appelant. Elle a confirmé que son père n'était pas en mesure de comparaître devant la Cour en raison de son mauvais état de santé. Il y a 17 ans, elle a commencé à travailler dans l'entreprise de son père, qui est une société immobilière dont les activités intéressent notamment les immeubles locatifs, les centres commerciaux et les immeubles d'appartements. Son travail a évolué au fil du temps mais, lorsque son père était présent, elle était son adjointe. C'était son père qui gérait l'entreprise et prenait les décisions.

 

[21]    Elle n'a rien eu à voir avec les affaires intéressant Trisud, même si elle était l'unique actionnaire de 157699 de 1987 à 1990, et actionnaire de 81008 avec son frère.

 

[22]    Les états financiers de 81008 (onglet 29 de la pièce A‑1) datés du 31 décembre 2000 font état d'un prêt payable à l'actionnaire, au montant de 350 000 $, pour les années 1999 et 2000. Au moment où le prêt a été consenti, les actionnaires étaient Mme Nisker Takefman et son frère. Elle ne croit pas que 81008 était une société active en 2000.

 

[23]    Monsieur Donald Hersh est le comptable de l'appelant depuis 1997. Il décrit les activités commerciales exercées par l'appelant dans les termes suivants, à la page 99 de la transcription :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Il a déclaré environ quinze immeubles dans sa déclaration de revenus personnelle, c'est‑à‑dire sa part proportionnelle de quinze immeubles, et il avait des sociétés qui avaient au moins onze autres immeubles à l'égard desquels des revenus étaient déclarés [...]

 

[24]    Il a également expliqué que 81008 n'exerçait aucune autre activité que celle liée à ses intérêts dans Place Pierre Dupuy. Il a énuméré les diverses façons de traiter le paiement de 350 000 $ qui ont été envisagées. Il trouvait vraiment étrange qu'un paiement de cette nature ne puisse être déduit d'une façon ou d'une autre (page 128 de la transcription) :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Je veux dire qu'il ne s'agissait pas d'une dépense personnelle, ce n'était pas un règlement de dommages‑intérêts personnels résultant d'un acte commis en dehors de l'entreprise; cela avait quelque chose à voir avec ce qu'il faisait pour gagner sa vie.

 

[25]    Les déclarations de revenus de l'appelant pour les années 2000 et 2001 faisaient état d'un revenu de location très élevé, tant brut que net.

 

[26]    Le ministre est d'avis que, si le montant payé par l'appelant a été prêté à 81008, tel que l'a déclaré le comptable, il n'était pas déductible. Au moment où le prêt a été consenti, les actionnaires de 81008 étaient l'épouse de l'appelant, sa fille et son fils. L'appelant n'était plus actionnaire de 81008 depuis 1992. Je reproduis ci‑dessous un extrait d'une lettre d'un agent des appels, datée du 15 mars 2004, laquelle figure à l'onglet 17 de la pièce A‑1.

 

[TRADUCTION]

 

En ce qui concerne l'argument voulant que le montant soit déductible au titre des pertes ordinaires d'entreprise, nous n'arrivons pas à trouver de justifications à cette position. Monsieur Nisker a prêté un montant de 350 000 $ à une entreprise dont sa famille avait le contrôle, 81008 Canada inc., qui, selon les faits et observations consignés au dossier, n'est pas active depuis 1996 et n'a aucun revenu ou actif, ni aucune possibilité de générer des revenus, ni même aucune ressource pour rembourser le prêt en question. De plus, dans vos observations, vous déclarez que 81008 Canada inc. est insolvable.

 

Nous avons de la difficulté à comprendre pourquoi une personne prêterait 350 000 $ à une société insolvable. En l'absence de toute preuve contraire et compte tenu des observations formulées précédemment, il est difficile de ne pas inférer que le prêt a été fait en raison d'une relation personnelle particulière entre le contribuable et les actionnaires de 81008 Canada inc. Par conséquent, peu importe la nature de la transaction, il faut conclure que le prêt consenti à 81008 Canada inc. n'est pas une transaction commerciale et que le contribuable n'a pas démontré, suivant la prépondérance des probabilités, que le prêt a été accordé à des fins commerciales.

 

[27]    À l'audience, l'appelant a plaidé que ce montant avait été payé dans le cours normal de ses activités commerciales et qu'il était entièrement déductible en vertu des articles 9 et 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). L'avocat de l'appelant a fait valoir que l'appelant avait payé ce montant pour protéger sa réputation et ainsi protéger son entreprise. Il s'agit d'un risque qui découle de l'exercice de ses activités commerciales, telles qu'il les exerçait depuis cinquante ans.

 

[28]    L'avocat de l'intimée a soutenu que, pour qu'une dépense soit déductible, il doit exister un lien entre la dépense et le revenu. Le montant payé par l'appelant n'avait aucun lien avec son propre revenu de location. L'avocat a invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695. Il a reconnu que, suivant les arrêts 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, et McNeill c. La Reine, 2000 D.T.C. 6211, no A‑709‑98, 8 mars 2000 (C.A.F.), les dommages‑intérêts délictuels peuvent être déduits mais, à son avis, ils doivent l'être par la société qui exerce les activités. Le paiement fait par l'appelant ne l'a pas été pour les affaires. Il n'a pas été fait dans l'exercice des activités à partir desquelles le contribuable tirait son revenu. Il n'existait aucun lien direct entre le paiement et le revenu d'entreprise.

 

Analyse et conclusion

 

[29]    Une dépense peut être déduite dans le calcul du revenu si elle a été engagée ou effectuée dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien : voir l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

 

[30]    Je suis d'avis que la dépense engagée par l'appelant l'a été dans ce but. Deux motifs m'amènent à tirer cette conclusion. Premièrement, la dépense a été engagée pour protéger les entreprises de l'appelant et, deuxièmement, la levée du voile corporatif a permis de constater que l'appelant et la société exerçaient tous deux les activités commerciales à l'égard desquelles l'acte délictueux a été commis.

 

[31]    Le jour de la médiation, l'appelant s'est rendu compte qu'il devait ou bien indemniser les vendeurs ou encore, après un long supplice devant les tribunaux, risquer de perdre ses propres immeubles locatifs ainsi que sa réputation de dirigeant de société. Il a opté, non sans hésitation, pour un règlement.

 

[32]    L'appelant avait ses propres immeubles locatifs dont il tirait un revenu direct, mais il était également dirigeant de société. Il exerçait la plupart de ses activités commerciales en cette qualité. Même si cela ne lui rapportait aucun revenu direct, il s'agissait d'une activité importante relativement au revenu généré par chaque société dont il était dirigeant. Il s'agissait d'une activité commerciale. (Voir Mitchell et al. v. U.S., 69‑1USTC 9275.) Si, dans l'exécution de ses fonctions de dirigeant, une personne engage sa responsabilité délictuelle personnelle, il apparaîtrait approprié et normal, et conforme à l'esprit de la Loi, que cette personne ait le droit, dans le calcul de son revenu, de déduire le montant payé en dommages‑intérêts, au titre d'une dépense effectuée en vue de tirer un revenu d'une activité commerciale.

 

[33]    En tout état de cause, le revenu de location constituait un revenu direct. Des immeubles locatifs de l'envergure de ceux dont l'appelant était propriétaire exigent beaucoup d'argent, ainsi qu'une bonne cote de crédit et une solide réputation.

 

[34]    Il n'est pas inhabituel pour une personne dans les affaires d'avoir à faire un paiement pour remplir les obligations d'une autre personne ou d'une société liée à ses propres affaires, afin de protéger et de favoriser ses propres intérêts commerciaux. Il s'agit d'une décision d'affaires prise pour protéger la survaleur ou la cote de crédit, ou encore l'entreprise elle‑même. (Voir Piggott Investments Ltd. v. The Queen, 73 D.T.C. 5507 (C.F. 1re inst.), et Williams Gold Refining Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [2000] C.T.C. 2193, 2000 D.T.C. 1829, no 96‑4709(IT)G, 14 janvier 2000 (C.C.I.), au paragraphe 17.) Il est également intéressant de noter que la jurisprudence américaine abonde dans le sens de ces décisions. (Voir United States Tax Reporter, volume 4A, 1624.026 et 1624.027.)

 

[35]    Le paiement effectué dans la présente affaire l'a été à des fins commerciales. Mais, eu égard aux circonstances particulières de ce paiement, la Cour doit également examiner l'origine de la réclamation. Celle‑ci résulte des activités commerciales de l'appelant, à savoir ses activités en tant que dirigeant de société. La somme d'argent en question n'est pas une somme qui provenait d'une affaire personnelle de l'appelant, telle qu'une action en divorce.

 

[36]    La Cour doit également déterminer si le paiement est imputable au capital. J'estime qu'il ne s'agit pas d'une dépense en immobilisations parce qu'elle n'a pas été effectuée pour l'acquisition d'une immobilisation. Elle a plutôt été engagée au sein d'un processus de réalisation de bénéfices. Il faut également mentionner que, comme ce fut le cas dans McNeill, précité, au paragraphe 17, le ministre n'a pas établi la cotisation en partant du principe qu'il s'agissait d'un paiement au titre du capital.

 

[37]    Je vais maintenant examiner la seconde question. Nous sommes en présence d'une situation où une personne a été poursuivie pour un acte commis par une société dont elle était l'âme dirigeante, ce qui fait intervenir la notion de levée du voile corporatif.

 

[38]    En ce qui a trait à la responsabilité délictuelle de l'appelant, je dois dire que la conclusion suivant laquelle les défendeurs avaient agi de mauvaise foi était fortement contestée dans l'inscription du jugement en appel (pièce A‑2). De l'avis des défendeurs, le problème est attribuable au fait que le bien en question n'a pas généré suffisamment de revenus pour permettre à la société qui en était propriétaire de payer le prix d'achat.

 

[39]    Toutefois, dans son analyse, qui se fondait d'ailleurs sur divers facteurs, le juge du procès a été amené à conclure à la mauvaise foi. Sur la foi de ce jugement, la demanderesse venderesse a intenté une action devant la Cour supérieure pour constituer comme défendeurs les particuliers qui étaient les âmes dirigeantes des personnes morales et elle a demandé au tribunal de les déclarer responsables avec ces personnes morales.

 

[40]    Un jugement en faveur de la demanderesse aurait signifié que non seulement les personnes morales mais aussi les particuliers visés étaient les auteurs du délit. À mon avis, pour l'application de la Loi, cela signifie que l'appelant était associé à la personne morale dans l'exercice des activités commerciales concernant l'acte délictueux.

 

[41]    En d'autres termes, lorsque, dans une affaire donnée, le voile corporatif est levé dans une décision judiciaire et que la responsabilité distincte d'une société est de ce fait écartée de manière à inclure le particulier qui en est le cerveau et à conclure ainsi à la responsabilité délictuelle du particulier et de la personne morale, cela sous‑entend que, eu égard à cette affaire en particulier, l'activité en question a été exercée par les deux. Si la société avait le droit de déduire la dépense au titre qu'elle avait été engagée en vue d'exercer des activités commerciales, il s'ensuit que, de la même manière, la personne qui a payé les dommages‑intérêts délictuels a droit à une déduction au titre d'une dépense engagée en vue d'exercer des activités commerciales.

 

[42]    Il n'a pas été contesté que la société aurait eu droit à la déduction du montant, en vertu des articles 3 et 9 de la Loi (65302 British Columbia Ltd., précité, et McNeill, précité). Je suis donc d'avis que l'appelant, qui s'exposait au risque de se voir tenu responsable conjointement avec la société dont il était dirigeant et qui a décidé de régler l'affaire et de payer le montant personnellement, a droit, à l'instar de la personne morale, de demander la déduction comme si l'activité avait été exercée par le contribuable lui‑même.

 

[43]    Pour ces motifs, les appels sont accueillis avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de décembre 2006.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

Le juge Lamarre Proulx

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'avril 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI651

 

NO DE DOSSIER DE LA COUR :      2004-4032(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              DAVID NISKER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 7 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 décembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Aaron Rodgers

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                   Nom :                             Me Aaron Rodgers

 

                   Cabinet :                         Spiegel Sohmer Inc.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l'intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.