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Dossier : 2005-257(IT)I

ENTRE :

DAVID GODLONTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 3 août 2005 à Nanaimo (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Robert Fischer

Avocat de l'intimée :

Me David Everett

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés contre les cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 2005.

« C.H. McArthur »

Le juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2006.

Julie Desrochers, traductrice


Référence : 2005CCI668

Date : 20051013

Dossier : 2005-257(IT)I

ENTRE :

DAVID GODLONTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Les appels sont interjetés contre des cotisations établies par le ministre du Revenu national pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002, lesquelles ont eu pour effet d'augmenter le revenu imposable de l'appelant de 62 562 $, de 45 436 $ et de 58 546 $, respectivement. Après que des concessions ont été faites, les montants visés par les appels ont été réduits à 54 710 $, 36 212 $ et 48 973 $, respectivement. La question est de savoir si ces montants, qui se rapportent à des billets de loterie non payés, sont déductibles en tant que frais d'exploitation d'une entreprise.

[2]      L'appelant était propriétaire d'un dépanneur, appelé « Harbourview Grocery » , qu'il exploitait depuis plus de 20 ans, à Ladysmith, en Colombie-Britannique[1]. C'était un petit établissement, où l'appelant vendait des articles à faible bénéfice, y compris des viandes fraîches, des fruits et légumes, des billets de loterie et des cigarettes. L'appelant et sa femme, Judith, ont vécu au-dessus du magasin pendant plus de 20 ans. Ils sont actuellement séparés. Judith s'occupait de la tenue de livres au quotidien, et un comptable, Robert Fischer, qui a représenté l'appelant dans les appels en question, se chargeait des écritures de journal de fin d'exercice ainsi que des déclarations de revenus de l'appelant[2]. Les livres comptables de l'appelant étaient tenus par Judith d'une façon raisonnable.

[3]      Le problème principal découle du fait que la femme de l'appelant, Judith, jouait à la loterie avec des billets que vendait le dépanneur, mais elle ne payait pas ses billets. Selon l'appelant, Judith avait un problème de dépendance au jeu. M. Fischer a expliqué le manque à gagner de la façon suivante :

          [TRADUCTION]

[...] une des raisons principales qui explique le manque à gagner entre les ventes aux clients et les achats auprès de la B.C. Lottery Commission est que Judy, sa femme, jouait aux machines Keno. Et, selon le fonctionnement du système d'enregistrement, si quelqu'un achète un billet à un dollar au terminal du magasin, le billet est automatiquement enregistré à Victoria (la B.C. Lottery Commission) en tant que vente et, par conséquent, en tant qu'achat. Toutefois, si une personne ne paie pas le dollar pour ce billet, et que le dollar est enregistré dans la caisse, il n'est pas consigné dans les livres du client. Les ventes étaient donc inférieures à ce qu'elles auraient dû être, car les machines Keno étaient utilisées beaucoup.

[4]      La question est de savoir si les paiements de loterie pour les billets gagnants utilisés mais non payés par Judith peuvent être déduits par l'appelant à titre de dépenses liées à l'exploitation d'une entreprise aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre soutient que ces paiements de loterie n'ont pas été effectués en vue de tirer un revenu. L'alinéa 18(1)a) de la Loi est libellé comme suit :

18(1)     Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)          les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien[.]

[5]      Il était presque impossible pour l'entreprise de perdre de l'argent avec son entreprise de jeux de loterie, à moins de vol de billets. Tous les achats et toutes les ventes de billets de loterie étaient traités par une machine de loterie électronique directement rattachée aux bureaux de la Lottery Commission. L'entreprise payait 95 % de la valeur nominale d'un billet. La différence de 5 % était sa commission. Les paiements faits par l'entreprise aux clients ayant des billets gagnants étaient automatiquement remboursés à l'entreprise par la B.C. Lottery Commission. Il n'y avait aucune perte pour les billets non vendus. M. Fischer a déterminé que les achats s'élevaient à environ 300 000 $ par année, mais que les ventes, elles, totalisaient environ 260 000 $ par année. Selon l'appelant, sa femme volait les billets de loterie manquants. Il a fait faire une enquête par la GRC. Sa femme n'a pas témoigné. L'appelant a dit que Judith a déjà été incarcérée pour des infractions liées à sa dépendance au jeu, dont l'exploitation d'une opération pyramidale et la falsification de chèques. Les deux parties ont indiqué qu'elle était une employée, et ce, uniquement parce que l'appelant produisait ses déclarations de revenus en tant que propriétaire unique.

[6]      L'appelant et sa femme travaillaient pendant de très longues heures, et celle-ci agissait davantage à titre d'associée qu'à titre d'employée. En tant que mari et femme, ils mettaient leurs fonds en commun, et c'est elle, en quelque sorte, qui tenait les cordons de la bourse. Elle se chargeait de toutes les activités quotidiennes liées à la tenue des livres de l'entreprise, et c'est elle qui faisait affaire avec le comptable de l'entreprise et la Lottery Commission. L'appelant en savait peu, voire pas du tout, au sujet de leur situation financière. Il pensait que sa femme mettait de l'argent de côté en vue de leur retraite. En fait, la crise est survenue lorsqu'il a appris de leur fille que sa femme avait emprunté 3 000 $ à celle-ci pour joindre les deux bouts. Avant cela, il n'était pas conscient de leurs problèmes financiers. Rien ne permettait d'établir que sa femme recevait un salaire assujetti aux retenues habituelles des employés. Je crois que pour subvenir à leurs besoins, ils prenaient de l'argent dans la caisse enregistreuse ainsi que de la nourriture sur les tablettes de l'épicerie.

[7]      Je n'ai aucun doute que l'entreprise était un bien familial pour les besoins des appels en question. Un bien familial est défini ainsi dans la loi dite Family Relations Act[3] de la Colombie-Britannique :

[TRADUCTION]

58(1)     [...] le présent article définit ce qu'est un bien familial pour l'application de la présente loi.

(2)    Un bien qui appartient à l'un des époux ou aux deux et qui est habituellement utilisé par l'un ou l'autre ou par un enfant mineur de l'un ou l'autre à une fin familiale est un bien familial.

De toute évidence, l'épicerie correspond à cette définition. L'appelant et sa femme travaillaient d'égal à égal dans l'entreprise. Ils utilisaient les biens et les recettes de l'entreprise à des fins familiales.

[8]      L'appelant a résumé ainsi sa compréhension de la situation :

[TRADUCTION]

[...] Je dois plus de 50 000 $ pour la vente de billets de loterie d'une valeur de 139 000 $, qui ont été achetés à la machine de loterie électronique de HarbourView Grocery et qui n'ont pas été passés dans la caisse enregistreuse ni comptabilisés comme il faut. Si tel est le cas, HarbourView Grocery fait 5 % sur la vente de tous les billets de loterie vendus, c'est-à-dire sur 139 000 $. HarbourView Grocery fait donc 7 000 $, et je suis censé payer au gouvernement plus de 50 000 $ en impôt. Je ne comprends pas. Ça me donne une dette d'environ 43 000 $. En plus, HarbourView Grocery paie automatiquement chaque billet qui sort de la machine électronique, ce qui veut dire que 139 000 $ sortent automatiquement du compte en banque de HarbourView Grocery. Cela signifie que HarbourView Grocery perd plus de 182 000 $ parce que c'est une entreprise à propriétaire unique, et le coupable s'en tire indemne. [...]

J'accepte le témoignage de l'appelant, selon lequel sa femme a utilisé des billets de loterie, selon les montants mentionnés, sans les payer. Grâce à la latitude dont elle disposait relativement aux livres et registres, elle n'avait aucun problème à faire cela. Elle n'a pas assisté à l'audience; toutefois, je ne sais pas si elle a été informée de la procédure. J'en déduis que l'appelant a déterminé que le témoignage de sa femme n'aurait pas aidé sa cause. Elle connaissait la situation mieux que quiconque et aurait pu être un témoin essentiel pour appuyer l'argument de l'appelant, soit que sa femme était une employée et que l'entreprise n'était pas un bien familial.

[9]      À mon avis, la femme de l'appelant participait à l'entreprise à titre d'associée de plein droit. Elle ne présentait que très peu des caractéristiques d'une employée. Personne ne contrôlait son travail. Elle ne recevait pas de chèques de paie. Elle travaillait pendant de très longues heures. Je crois qu'elle était libre de prendre des produits qui se trouvaient sur les tablettes de l'épicerie ainsi que de l'argent dans la caisse enregistreuse afin de subvenir aux besoins de la famille. Elle utilisait également des billets de loterie pour ses besoins personnels. À moins d'un vol, il est impossible qu'un manque à gagner découle de la vente de billets de loterie de la B.C. Lottery Commission, sauf si quelqu'un utilise les billets et ne les paie pas. Je ne pense pas que l'on puisse considérer que la femme de l'appelant a volé les billets de loterie alors que l'entreprise, et, par le fait même, les billets, appartenaient à elle et à l'appelant. La femme de l'appelant était libre de faire ce qu'elle voulait avec les biens du magasin. L'appelant et sa femme ont été ensemble pendant 25 ans. Elle n'est pas devenue une employée parce que l'appelant a produit ses déclarations de revenus en tant que propriétaire unique. Il faut tenir compte de la relation de travail (primauté du fond sur la forme).

[10]     Peut-être qu'il aurait pu être avancé que le magasin participait à l'industrie du jeu même si cela n'était pas payant. Compte tenu de la preuve selon laquelle Judith avait un problème de dépendance au jeu, cet argument n'aurait pas pu aller très loin. M. Fischer a fait valoir que le tout se résume à la question suivante : « Que représentent les montants? » . Il a conclu que les montants représentent un vol, c'est-à-dire de l'argent qu'une employée a volé à son employeur, et que, par conséquent, les montants liés au vol sont déductibles. Voici ce qu'il a dit :

          [TRADUCTION]

            En fait, c'est qu'il y a beaucoup de circonstances qui ne sont pas parfaites. Il y a bien une façon de perdre de l'argent avec des transactions de loterie, et c'est que des billets soient achetés auprès de la B.C. Lottery Corporation, mais qu'ils ne soient jamais payés ou vendus à la source, ce qui est une source de revenu pour M. Godlonton et sa déclaration de revenus des particuliers. Le fait est que des éléments de preuve présentés dans les appels en question - qui ont été rejetés - ont montré qu'il y a eu un problème de mauvaise attribution de ventes; mais, en fin de compte, bien après coup, il est ressorti qu'il y a eu un vol important se rapportant uniquement à ces billets de loterie. C'est pourquoi je voulais mettre l'accent uniquement sur ce problème en particulier. Eh oui, il est possible de subir une perte avec des transactions de loterie, comme dans le cas présent. Et, comme je l'ai mentionné, cela découle du fait que des achats sont passés dans la caisse enregistreuse et facturés à l'entreprise, puis sont payés à un prix beaucoup plus bas que le vrai prix. En réalité, des ventes au comptant sont produites sur les ventes des billets de loterie. Voilà ce qui s'est passé.

            L'argent n'est pas allé ailleurs, et, en somme, les revenus ne devraient pas être constatés par l'entreprise de M. Godlonton. C'est lui qui est le plus durement touché et qui est forcé de constater des revenus provenant de ventes au comptant qui n'ont jamais eu lieu dans l'entreprise qu'il exploitait comme propriétaire unique.

[11]     Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée lorsqu'il fait valoir qu'il s'agit d'un bien familial et qu'au moins une partie de ce bien appartenait à juste titre à la femme de l'appelant. Ce n'était pas du vol proprement dit. La femme de l'appelant a droit à certains des fruits de leur mariage; de plus, il a invoqué la Family Relations Act. Je suis conscient que le ministre a accepté qu'il s'agissait d'une entreprise à propriétaire unique, et ce, uniquement en fonction du fait que l'appelant a produit ses déclarations de revenus en tant que propriétaire unique, bien qu'il ait dit qu'il est difficile de classer la femme de l'appelant dans une catégorie donnée. Comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que l'on puisse faire fi de la nature véritable de la relation d'affaires entre l'appelant et sa femme, mais, qu'il s'agisse d'une entreprise à propriétaire unique ou d'associés en parts égales, ma conclusion demeure inchangée.

[12]     Les pertes découlant d'un vol commis par des associés ne sont habituellement pas déductibles. Il est plus approprié de considérer de telles pertes comme des retraits de fonds[4]. Le Bulletin d'interprétation IT-185R indique également ce qui suit :

5           Le traitement des pertes résultant de vols, de détournements de fonds ou de malversation par des employés supérieurs et des gestionnaires est fonction des circonstances particulières à chaque cas : voir la cause Cassidy's Ltd. v. MNR, [1989] 2 C.T.C. 2043, 89DTC686 (C.C.I.). De telles pertes ne sont pas déductibles si, comme c'est souvent le cas, il n'est pas raisonnable de les considérer comme un risque inhérent aux activités génératrices de revenus de l'entreprise. Les éléments pertinents dont il faut tenir compte pour déterminer si des pertes causées par des employés supérieurs sont déductibles comprennent :

a)          la portée des pouvoirs et du contrôle que détient l'employé supérieur; il est à noter que si cet employé est dans une situation où il peut agir comme s'il était propriétaire de l'entreprise, il est peu probable que les pertes soient déductibles[.]

Si Judith était une employée, il ne fait aucun doute qu'elle était une employée supérieure. Par conséquent, le raisonnement énoncé au numéro 5 du bulletin d'interprétation IT-185R, qui est reproduit ci-dessus, s'appliquerait dans le cas présent.

[13]     Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 2005.

« C.H. McArthur »

Le juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2006.

Julie Desrochers, traductrice


RÉFÉRENCE :

2005CCI668

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-257(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

David Godlonton c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Nanaimo (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 3 août 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge C.H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :

Robert Fischer

Avocat de l'intimée :

Me David Everett

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

Nom :

S.O.

Étude :

S.O.

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Les mentions de l'appelant et de son entreprise, Harbourview Grocery, sont interchangeables.

[2]           D'autres membres du cabinet d'experts-comptables de Robert Fischer s'occupaient également des écritures de journal et des déclarations de revenus.

[3]           R.S.B.C. 1996, ch. 12.

[4]           Paraphrase du bulletin d'interprétation IT-185R - Pertes découlant d'un vol, d'un détournement de fonds ou de malversation (dossier des sources invoquées de l'intimée, onglet 2).

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