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Dossier : 2004-2991(IT)I

ENTRE :

SUSAN KEATING,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu à Toronto (Ontario) le 4 mars 2005.

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Glen Elliott

Représentante de l'intimée :

Mme Susan Keenan (stagiaire en droit)

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

JUGEMENT

          L'appel interjeté contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2000 est admis sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il la réexamine et qu'il en établisse une nouvelle conformément aux motifs de jugement ci-annexés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 2005.

« Diane Campbell »

La juge Campbell


Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2006.

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2005CCI296

Date : 20050429

Dossier : 2004-2991(IT)I

ENTRE :

SUSAN KEATING,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]      L'appelante fait appel d'une cotisation établie pour l'année d'imposition 2000 dans laquelle l'intimée n'a pas admis la déduction de frais judiciaires totalisant 25 975 $. L'appelante interjette également appel contre la décision de l'intimée de lui refuser la déduction comme perte au titre d'un placement d'entreprise (PTPE) du montant d'une perte subie en 1998, qu'elle a voulu reporter à l'année d'imposition 2000.

Éléments de preuve

[2]      L'appelante a rencontré Pierre Lafontaine en 1992, et en juin 1993, ceux-ci habitaient ensemble. En 1993, sur la demande de M. Lafontaine, l'appelante a quitté son emploi pour travailler avec lui dans son entreprise de graphisme. À au moins une occasion, elle a emprunté de l'argent pour l'aider à effectuer la paie de l'entreprise. Comme M. Lafontaine éprouvait des difficultés financières, il a demandé à l'appelante de constituer une entreprise en société, ce qu'elle a fait en novembre 1993. L'appelante était l'unique actionnaire de Visual Synergy Inc., mais c'est M. Lafontaine qui exploitait en réalité l'entreprise en qualité de président et de directeur général. M. Lafontaine s'était occupé de plusieurs petites entreprises auparavant, contrairement à l'appelante. Celle-ci pouvait donc profiter des prêts offerts pour le développement de la petite entreprise. Le montant maximal accordé aux petites entreprises, soit 250 000 $, a été emprunté. L'appelante a signé un cautionnement personnel envers la CIBC et a également hypothéqué sa maison en guise de garantie. En décembre 1993, l'appelante et M. Lafontaine se sont mariés. De 1993 à 1996, l'appelante a travaillé avec M. Lafontaine dans l'entreprise de graphisme. Ils ont fini par se séparer en 1998. L'appelante semble croire que Visual Synergy a exercé ses activités jusqu'en 1998.

[3]      En 1995, M. Lafontaine avait constitué en société une compagnie appelée Sako Graphics Resource Centre Inc. ( « Sako » ). L'appelante, même si elle vivait encore avec M. Lafontaine à cette époque, n'avait rien à voir avec cette société. Avant que l'appelante et lui ne se séparent, M. Lafontaine gérait Visual Synergy et Sako.

[4]      En 1998, Visual Synergy est devenue insolvable. Au cours de l'été 1998, la CIBC a informé l'appelante qu'elle avait l'intention de faire réaliser la garantie et donc de saisir sa maison. En outre, la banque a saisi les actifs restants de Visual Synergy. Toutefois, M. Lafontaine avait transféré la plupart des actifs de la société, le matériel de graphisme, à Sako, à l'insu de l'appelante et sans qu'aucune dette de Visual Synergy ne soit prise en charge ou transférée. L'appelante a été forcée de vendre sa maison pour rembourser le montant de 232 321 $ à la CIBC en réalisation de la garantie qu'elle avait donnée relativement à la dette de Visual Synergy.

[5]      En 1999, l'appelante a intenté deux actions, une contre M. Lafontaine ( « l'action matrimoniale » ) en vue de toucher une pension alimentaire pour enfants et pour épouse, et l'autre contre M. Lafontaine, Sako, Visual Synergy et Sak Graphic Resource Inc. ( « le recours en cas d'abus » ) pour l'épuisement des actifs et l'appauvrissement des activités de Visual Synergy. Cette dernière action avait pour but d'obtenir une explication satisfaisante du transfert des actifs et du fonds commercial de Visual Synergy à Sako, puis à Sak Graphic Resource Inc. ( « Sak » ), une autre société de M. Lafontaine. Sur le plan financier, l'appelante voulait recevoir une indemnité de 450 000 $ en règlement de toutes ses créances. Dans un affidavit à l'appui de sa demande, elle a dit que bien qu'elle fût l'unique actionnaire et la directrice de Visual Synergy, c'était M. Lafontaine qui dirigeait les activités quotidiennes de l'entreprise. En 1995, lorsqu'il a constitué en société la compagnie Sako, il a concentré ses efforts sur cette nouvelle compagnie aux dépens de Visual Synergy. C'était néanmoins les ressources de Visual Synergy qui avaient financé Sako. Au fil du temps, M. Lafontaine a diminué les activités de Visual Synergy et en a transféré les actifs, les clients et les comptes à Sako. Selon l'affidavit de l'appelante, M. Lafontaine a établi Sako avec succès en étant son seul actionnaire, aux dépens de Visual Synergy et au détriment de l'appelante. À la fin de 1997, Visual Synergy ne pouvait plus rembourser ses emprunts tandis que Sako était bien établie, générant un revenu de 890 000 $.

[6]      Tant l'action matrimoniale que le recours en cas d'abus ont été réglés en avril 2001. En ce qui concerne l'action matrimoniale, il avait été mis fin à l'ordonnance provisoire de pension alimentaire. Le consentement de l'appelante à renoncer à toute requête future d'ordre matrimonial à l'égard de M. Lafontaine devait être mis en mains tierces en attendant que tous les paiements qui lui étaient dus en application de l'ordonnance rendue pour le recours en cas d'abus lui soient faits. Selon le procès-verbal du règlement du recours en cas d'abus, il était ordonné à tous les défendeurs, à l'exception de Visual Synergy, de verser 180 000 $ à l'appelante selon un calendrier de versements périodiques commençant en avril 2001 et se terminant en juillet 2003. Il ressort de la preuve présentée par l'appelante qu'elle n'a jamais reçu le dernier versement de 30 000 $ exigible le 30 juillet 2003, bien qu'elle se soit adressée aux tribunaux et qu'elle ait obtenu un jugement contre Sako, Sak et M. Lafontaine (pièce A-1, onglet 10). De plus, elle a intenté une action contre M. Lafontaine pour recevoir une pension alimentaire pour enfants et elle a obtenu une ordonnance de pension alimentaire et le remboursement des dépens. À ce jour, M. Lafontaine n'a fait aucun versement de pension alimentaire et n'a rien payé des 30 000 $ restants qu'il doit à l'appelante par suite du recours en cas d'abus.

[7]      Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 2000, l'appelante a déduit le montant de 25 975,21 $ à titre de frais judiciaires. L'appelante a produit des exemplaires de deux relevés de compte distincts pour les frais judiciaires, un pour l'action matrimoniale (pièce A-1, onglet 14) et l'autre pour le recours en cas d'abus (pièce A-1, onglet 13). Le même cabinet d'avocats a représenté l'appelante dans les deux affaires. Les frais judiciaires relatifs à l'action matrimoniale totalisaient 28 750,55 $, tandis que les frais relatifs au recours en cas d'abus se chiffraient à 53 810,55 $. Si j'ai bien compris les arguments de l'avocat de l'appelante, cette dernière a déduit la plus grande partie des frais judiciaires relatifs à l'action matrimoniale, même si son avocat a convenu qu'elle n'avait pas le droit de déduire la partie des frais judiciaires se rapportant à la pension alimentaire pour épouse. La somme dont l'appelante a demandé la déduction devrait donc être réduite d'un certain montant. L'avocat a aussi souligné que le montant de 53 810,55 $ payé à titre de frais judiciaires dans le cadre du recours en cas d'abus devrait venir réduire le montant de sa récupération de capital de 180 000 $. En plus de déduire ses frais judiciaires, l'appelante veut appliquer les PTPE subies en 1998 en réduction de l'impôt à payer pour l'année d'imposition 2000.

Questions en litige

[8]      Les trois questions suivantes font l'objet du litige :

(1)       Quand l'appelante a-t-elle subi la PTPE?

(2)       À combien se chiffre la PTPE?

(3)       Y a-t-il une partie des frais judiciaires qui est déductible?

Position de l'appelante

[9]      En 1998, Visual Synergy était devenue insolvable. La CIBC a saisi les quelques actifs restants que M. Lafontaine n'avait pas transférés à Sako. La banque a mis en jeu la garantie de l'appelante et a entamé la procédure de saisie immobilière. Pour éviter la saisie, l'appelante a vendu sa maison de son propre chef et a versé 232 321 $ à la CIBC. À la fin de l'année 1998, Visual Synergy n'avait plus d'actifs ni de clients, n'exerçait aucune activité commerciale et ne générait plus de revenus. Le prêt dont il est question est devenu une créance irrécouvrable en 1998, ce qui donnait le droit à l'appelante de déduire une PTPE. L'appelante a fait valoir que le recouvrement de sa créance sur Visual Synergy n'est pas lié au litige ultérieur qui l'a opposée à son ex-mari et ses sociétés, puisque le recours en cas d'abus des actionnaires n'a rien à voir avec cette créance. L'appelante a intenté une action contre M. Lafontaine et plusieurs de ses sociétés puisque ce dernier avait dépouillé Visual Synergy de ses actifs. Le montant auquel l'appelante aurait pu avoir droit dans le cadre du recours en cas d'abus n'a rien à voir avec sa créance sur Visual Synergy. L'appelante fait aussi remarquer que le recours exercé contre son ex-mari n'est pas une affaire de contribution ou d'indemnité relativement à la créance proprement dite. L'appelante a donc émis l'avis que le montant de la perte devrait être établi à 106 190,55 $, c'est-à-dire la différence entre le montant versé à la CIBC (232 321 $) et le montant versé à l'appelante par suite du règlement (180 000 $), soit 52 321 $, additionnée du montant des frais judiciaires engagés pour parvenir au règlement du recours en cas d'abus (53 810,55 $).

[10]     L'appelante a reconnu que dans le cadre de l'action matrimoniale, la partie des frais judiciaires qui se rapporte à la pension alimentaire pour épouse n'est pas déductible, mais que la partie qui se rapporte à la pension alimentaire pour enfants devrait l'être. Selon l'appelante, la moitié de 28 750,55 $ représenterait un montant raisonnable quant aux frais judiciaires engagés pour toucher une pension alimentaire pour enfants (même si, au départ, elle avait déduit la plus grande partie du montant dans sa déclaration). Les frais judiciaires payés dans le cadre du recours en cas d'abus, soit 53 810,55 $, ne sont pas déductibles comme dépense, mais ils réduisent le montant de sa récupération de capital reçu de M. Lafontaine (180 000 $) de façon telle que la PTPE se chiffre à 106 190,55 $ (232 380 $ - 180 000 $ + 53 810,55 $), augmentant ainsi la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE).

Position de l'intimée

[11]     L'intimée fait valoir que les mesures légales prises par l'appelante en 1999 dans le cadre du recours en cas d'abus étaient liées au recouvrement de sa créance, dont elle avait versé le montant à la CIBC. La créance était donc toujours recouvrable en 2001 lorsque le recours en cas d'abus a été réglé. En 1998, l'appelante savait qu'elle allait vraisemblablement recouvrer la créance auprès de son ex-mari. L'intimée a aussi fait remarquer que quelques mois seulement se sont écoulés entre le moment où elle a effectivement payé la CIBC en réalisation de la garantie et le moment où elle a intenté une action contre son ex-mari. Compte tenu de cela, le recouvrement de la créance était raisonnablement possible. Rien n indique que l'appelante aurait intenté une action contre M. Lafontaine et ses sociétés si elle n'avait pas dû payer la CIBC. Il n'est pas raisonnable de la part de l'appelante de soutenir que la créance était irrécouvrable avant d'avoir pris des mesures proactives pour la recouvrer. La seule mesure qu'elle ait finalement prise lui a réussi. La créance n'était donc pas irrécouvrable en 1998. L'intimée est disposée à admettre un montant de 52 320 $ comme PDTPE, c'est-à-dire le montant payé à la CIBC (232 320 $) moins le montant reçu par suite du recours (180 000 $). La créance est demeurée recouvrable jusqu'en 2001. En 2001, seul le montant de 52 320 $ est devenu irrécouvrable à la suite du règlement.

[12]     L'intimée allègue que les frais judiciaires déduits par l'appelante ont été engagés en partie pour régler les requêtes en vue d'obtenir une pension alimentaire pour épouse et pour sauvegarder les droits de l'appelante dans cette affaire, et que pour ces motifs, ils ne sont pas déductibles. Cette partie des frais judiciaires ne représente pas une dépense engagée principalement en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, mais a plutôt servi à faire valoir le droit de l'appelante à une pension alimentaire pour épouse. Pour ces motifs, ces frais ne sont pas déductibles. L'intimée fait valoir que les frais judiciaires relatifs aux deux actions en justice se confondent, et que les deux recours ont été formés en partie comme moyens de pression pour obtenir, dans un cas, une pension alimentaire pour épouse et, dans l'autre cas, réparation d'un tort. Le règlement survenu en 2001 traite le montant forfaitaire exigible à l'issue du recours en cas d'abus comme s'il s'agissait du règlement d'une action en vue d'obtenir une pension alimentaire pour épouse, car il répartit le montant en versements périodiques. Comme les deux recours et les dispositions du règlement se confondent à ce point, il s'ensuit que les frais judiciaires se confondent aussi et qu'ils ne doivent pas être traités différemment les uns des autres. Par conséquent, l'appelante n'a pas montré que les frais judiciaires ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

Analyse

Question en litige no 1 :     Quand l'appelante a-t-elle subi la PTPE?

[13]     L'appelante et l'intimée sont d'accord que la créance de l'appelante sur Visual Synergy se chiffrait à 232 321 $. Pour établir que la PDTPE est survenue en 1998, il faut que la créance de 232 321 $ soit devenue irrécouvrable cette année-là. L'intimée a soutenu que la créance était toujours recouvrable en 1998 et qu'elle n'est devenue irrécouvrable qu'en 2001, lors du règlement des actions qu'avait intentées l'appelante contre son ex-mari. Dans l'arrêt Rich v. The Queen 2003 DTC 5115, la Cour fédérale a énoncé un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en compte lorsqu'on veut savoir si un contribuable a déterminé à juste titre que sa créance était irrécouvrable. Le paragraphe 13 de l'arrêt présente cette liste de facteurs, qui n'est pas forcément exhaustive, comme suit :

1.         l'historique et l'âge de la créance;

2.         la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne-t-il un revenu ou essuie-t-il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3.         l'évolution du chiffre d'affaires total par rapport aux années antérieures;

4.         l'encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l'époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

5.         les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l'époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6.         les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l'ensemble des débiteurs et dans la branche d'activités du débiteur; et

7.         l'expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Certains des facteurs, par exemple l'historique et l'âge de la créance, et l'évolution du chiffre d'affaires total par rapport aux années antérieures, ne présentent pas d'intérêt pour les circonstances du présent appel, car Visual Synergy avait cessé d'exercer ses activités au moment où sa dette a été censément radiée. Toutefois, les facteurs des liquidités et de la situation financière globale du débiteur sont davantage pertinents dans les présentes circonstances. Au regard de ces facteurs, la preuve a indiqué que la dette existait depuis un certain temps dans la compagnie, bien que du point de vue de l'appelante, sa marge de manoeuvre était mince lorsque la CIBC a mis en jeu sa garantie. L'appelante a pris des mesures proactives pour vendre sa maison et en obtenir autant qu'il était possible sur le marché, avant que la banque n'entame la procédure de saisie immobilière. En examinant ces facteurs, je constate que la société n'exerçait plus d'activités commerciales. M. Lafontaine avait soustrait à la société la plupart de ses actifs, et la banque avait saisi les quelques actifs restants. M. Lafontaine dirigeait la compagnie et il a usé de cette situation pour transférer les actifs de celle-ci à une de ses autres compagnies, laissant toute la dette à Visual Synergy. À la fin de l'année 1998, Visual Synergy n'avait ni revenus, ni clients, ni comptes clients, ni trésorerie. Les chances de recouvrer la créance était donc minces.

[14]     Je crois que le recours en cas d'abus qu'a exercé l'appelante parce que M. Lafontaine s'était approprié les actifs de Visual Synergy et le paiement de 232 321 $ qu'elle a fait à la CIBC relèvent de deux opérations indépendantes. Dans le recours en cas d'abus, il n'est pas fait expressément mention du cautionnement de l'appelante, de la saisie immobilière, ni de la vente de la maison, sinon que ces événements se sont produits en 1998. De fait, le montant exact de 232 321 $ qu'elle a versé à la CIBC n'est mentionné nulle part. En réalité, le recours est formé en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario, et son principal objet est une requête en vue d'obtenir une explication satisfaisante de tous les registres d'entreprise, ainsi que du transfert des actifs et du fonds commercial de Visual Synergy à Sako, puis à Sak. La requête de l'appelante se chiffre à 450 000 $. Dans son affidavit à l'appui du recours en cas d'abus, l'appelante dit qu'à la fin de l'année 1997, Visual Synergy avait une dette totale de 403 418 $. Il est manifeste que le recours a été formé contre M. Lafontaine et ses sociétés parce que ce dernier avait dépouillé Visual Synergy de ses actifs. Le montant demandé dans le cadre du recours en cas d'abus n'est aucunement lié au montant versé à la CIBC en réalisation de la garantie. Je suis d'accord avec l'appelante que le recours formé contre son ex-mari n'est pas une affaire de contribution ou d'indemnité relativement à la créance. Il est peut-être vrai qu'en exerçant un recours en cas d'abus, l'appelante avait l'intention de récupérer l'argent qu'elle avait perdu en vendant sa maison pour payer la CIBC. Néanmoins, les intentions ou les motifs de l'appelante ne sont pas déterminants quand il s'agit de savoir si le recours en cas d'abus et le règlement qui l'a suivi se distinguent légalement de la créance. La véritable nature légale de la créance et celle du recours en cas d'abus sont plus pertinentes que la compréhension qu'en a eue l'appelante. Dans les documents juridiques relatifs au recours en cas d'abus, aucune tentative de recouvrer la créance n'est faite. Comme l'appelante l'a souligné avec raison, elle aurait probablement pu exercer un recours en cas d'abus même si elle n'avait pas signé de cautionnement ou qu'elle n'avait pas vendu sa maison pour rembourser la CIBC.

[15]     Selon l'intimée, rien n'indique que l'appelante a pris des mesures pour recouvrer la créance avant de déterminer que la créance était irrécouvrable, en 1998. En revanche, il est souligné dans l'arrêt Rich que cette obligation s'impose seulement s'il y a des indications que le recouvrement de la créance est raisonnablement possible. Dans la présente affaire, les faits donnent à penser que Visual Synergy était incapable de payer cette dette à quelque moment que ce soit après 1998, puisqu'elle ne générait aucun revenu et qu'elle n'exerçait aucune activité commerciale. L'appelante et la société ne pouvaient rien faire pour en refinancer les activités. En réalité, même si l'appelante a travaillé dans l'entreprise, elle avait démissionné en 1996, et durant toutes ces années, c'était M. Lafontaine qui connaissait l'entreprise et qui en supervisait les activités. Dans de telles circonstances, aucune obligation de prendre des mesures de recouvrement n'incombait à l'appelante lorsqu'elle a vu sa maison menacée de saisie. Il était alors raisonnable et prudent de la part de l'appelante de prendre les mesures qu'elle a prises. Comme rien ne permettait de penser que la situation financière de Visual Synergy changerait dans l'avenir, elle a exercé son jugement et a déterminé que la créance était irrécouvrable à la fin de l'année 1998.

[16]     Même si l'appelante et la société avaient entre elles un lien de dépendance et que, par conséquent, elles méritent de faire l'objet d'un examen plus approfondi, ma conclusion est la même. Je crois que selon les principes énoncés dans l'arrêt Rich, la considération première demeure la capacité du débiteur de rembourser la dette en totalité ou en partie. Rien dans les faits n'indique que Visual Synergy aurait pu rembourser une quelconque partie de cette dette en 1998 ou après. Si je reconnais la légitimité de l'argument de l'intimée selon lequel la créance était destinée à être recouvrée indirectement par le moyen du recours en cas d'abus, je recaractériserais effectivement la nature juridique de la relation entre les parties et des actes juridiques à l'appui. Visual Synergy et M. Lafontaine sont deux personnes morales distinctes. Visual Synergy est la débitrice. La créance de l'appelante sur Visual Synergy n'équivaut pas au recours qu'elle a formé contre M. Lafontaine et ses sociétés parce qu'il avait dépouillé Visual Synergy de ses actifs. Je dois tirer mes conclusions des faits tels qu'ils me sont présentés. Je ne crois pas, comme le laisse entendre l'intimée, que le fardeau de la preuve repose sur l'appelante quant à prouver qu'elle aurait ou non formé le recours en cas d'abus si, mettons, elle n'avait pas été liée par une garantie ou que la créance n'avait pas existé. Même si je suis d'accord qu'il puisse y avoir un lien entre les deux événements, ceux-ci demeurent légalement des actes juridiques tout à fait distincts.

[17]     C'est donc à juste titre que le montant de 232 321 $ a été jugé comme une créance irrécouvrable à la fin de l'année 1998.

Question en litige no 2 :     À combien se chiffre la PTPE?

[18]     L'intimée et l'appelante ont chacune leur point de vue quant au montant de la PTPE. L'intimée avance qu'il devrait se chiffrer à 52 321 $ [232 321 $ (payés par l'appelante à la banque en réalisation de la garantie) moins 180 000 $ (reçus par l'appelante de M. Lafontaine par suite du recours en cas d'abus)]. Selon l'appelante, la PTPE devrait être établie à 106 190 $ [52 321 $ (le montant établi par le ministre) + 53 869 $ (les frais judiciaires engagés pour régler le litige)]. Ce qui est intéressant, c'est que la position de l'appelante diffère de celle qu'elle avait adoptée dans l'avis d'appel où, au paragraphe g), elle souhaitait récupérer une PTPE de 232 321 $. Je ne suis d'accord avec ni l'une ni l'autre des deux parties quant aux montants envisagés.

[19]     Les deux parties ne s'entendent pas sur la façon de traiter le montant de 180 000 $ obtenu par suite du règlement du recours en cas d'abus. L'appelante avance qu'il s'agit de dommages-intérêts tandis que l'intimée veut que je le considère comme le recouvrement d'une créance. J'ai néanmoins conclu précédemment que le montant de 180 000 $ n'avait pas été recouvré auprès de la société débitrice, Visual Synergy, mais plutôt auprès de tiers. Le règlement du recours en cas d'abus n'équivaut pas au recouvrement de la créance de l'appelante sur Visual Synergy. Les documents juridiques appuient ma conclusion. Bien que le recours en cas d'abus ait été formé contre, entre autres défendeurs, Visual Synergy, la société n'était pas responsable du paiement à l'appelante selon le procès-verbal du règlement. Il était plutôt ordonné solidairement à M. Lafontaine, à Sako et à Sak de verser 180 000 $ à l'appelante. L'intimée traite l'argent reçu par suite du règlement comme le paiement de la dette de la société, ce que n'appuie pas la preuve documentaire. Il n'y a pas la moindre indication dans les documents que le règlement et le recouvrement de la créance sont liés.

[20]     Je conclus donc que le montant de 180 000 $ reçu par suite du règlement du recours équivaut à des dommages-intérêts, étant donné que le recours en cas d'abus a été exercé afin que l'appelante soit indemnisée en tant qu'unique actionnaire de Visual Synergy pour le détournement des actifs de la société par M. Lafontaine et ses sociétés. Les montants reçus par suite du règlement du recours devraient être comptabilisés de quelque manière dans les années où ils ont été reçus. Toutefois, ces années ne m'ont pas été soumises pour que je me prononce à leur sujet.

[21]     En conséquence, je conclus que le montant de la PTPE à la fin de l'année 1998 était de 232 321 $ et que ce montant peut être reporté à l'année d'imposition 2000. Le montant de 180 000 $ qui a ensuite été récupéré ne peut pas être appliqué en réduction du montant de 232 321 $, puisqu'il a été recouvré auprès d'un tiers et qu'il découle d'une opération distincte.

Question en litige no 3 :     Y a-t-il une partie des frais judiciaires qui est déductible?

[22]     Selon la position de l'intimée, les frais judiciaires étaient des dépenses personnelles dont une partie avait servi à poursuivre une cause d'action matrimoniale et dont le reste n'était pas déductible puisqu'il n'avait pas été engagé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien comme l'exige l'alinéa 18(1)a) de la Loi. L'intimée fait valoir que l'action matrimoniale se confond si bien avec le recours en cas d'abus que les relevés de compte des frais judiciaires se confondent aussi. Cette hypothèse ne fait pas précisément partie des hypothèses énoncées dans la réponse à l'avis d'appel. Même si elle y avait figuré, cela ne voudrait pas nécessairement dire que les frais judiciaires relatifs à la pension alimentaire pour enfants et pour épouse ne pourraient pas être déductibles. Quoi qu'il en soit, il n'a pas été établi que la totalité des frais judiciaires se rapportait à l'action matrimoniale. En réalité, sur la base de l'argument de l'intimée, selon lequel le montant de 180 000 $ obtenu par suite du règlement représente essentiellement le recouvrement de la créance sur Visual Synergy, il est contradictoire de sa part de soutenir que la totalité des frais judiciaires se rapporte à l'action matrimoniale. Il n'existe absolument aucun lien entre les versements de pension alimentaire pour épouse et les versements obtenus en plusieurs temps par suite du recours en cas d'abus. Aucune preuve documentaire ni aucun témoignage oral n'appuient la tentative de l'intimée de caractériser le montant de 180 000 $, réparti en plusieurs versements et obtenu par suite du recours en cas d'abus, comme une espèce de règlement de pension alimentaire pour épouse.

[23]     Bien que la seule motivation de l'action matrimoniale ait été le règlement du recours en cas d'abus, il existe deux relevés de compte distincts pour les frais judiciaires, établis par le même cabinet d'avocats. En haut de toutes les factures qui composent un des relevés de compte figure la mention [TRADUCTION] « Objet : recours en cas d'abus » , tandis qu'il est écrit en haut des factures regroupées dans le second relevé de compte, lié à l'action matrimoniale, [TRADUCTION] « Objet : Keating et Lafontaine » . Aussi, le cabinet d'avocats distingue les deux recours suivant deux numéros de dossier distincts, et chaque facture est entièrement détaillée. Les deux elevés de compte sont clairement identifiés comme relatifs à deux affaires différentes. Étant donné que dans les plaidoiries, on m'a soumis la question des frais judiciaires pour que je tranche, et que selon un des arguments de l'appelante, celle-ci devrait avoir le droit de déduire une partie des frais engagés dans le cadre de l'action matrimoniale, j'estime que l'appelante a le droit de déduire la partie des frais judiciaires totaux qui se rapporte à la pension alimentaire pour enfants. Selon l'appelante, la moitié des frais judiciaires totaux inscrits sur le relevé de compte relatif à l'action matrimoniale représenterait un montant raisonnable. Je suis d'accord avec l'appelante que ce montant est raisonnable, et celle-ci devrait pouvoir déduire la moitié des frais judiciaires totaux engagés dans le cadre de l'action matrimoniale, soit 14 375 $.

[24]     Quant aux frais judiciaires engagés pour exercer le recours en cas d'abus, je ne crois pas qu'ils soient déductibles. En revanche, je ne suis pas arrivée à cette conclusion en me basant sur la position de l'intimée, qui dit que ces frais judiciaires n'ont pas été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Je crois plutôt que, ces frais ne sont pas déductibles parce qu'ils ont un caractère de capital; pour ce motif, leur déduction doit être refusée en vertu de l'alinéa 18(1)b). Il ressort de la preuve présentée par l'appelante que l'objectif du recours en cas d'abus était d'empêcher M. Lafontaine de dépouiller Visual Synergy de ses actifs. Les frais judiciaires engagés en vue de conserver une immobilisation ne sont pas déductibles. Cette proposition a été confirmée par le juge Brulé dans Hoffman et al. v. M.N.R., 92 DTC 2290, et par le juge en chef Bowman dans Muggli v. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2705.

[25]     Pour ces motifs, la déduction des frais judiciaires relatifs au recours en cas d'abus est refusée conformément à l'alinéa 18(1)b), puisque ces frais ont été engagés pour préserver les actifs de Visual Synergy.

[26]     Cet appel est admis sans dépens, et l'appelante peut déduire une PTPE de 232 321 $ survenue à la fin de l'année 1998 et en reporter le montant à l'année d'imposition 2000, qui fait l'objet de l'appel. Les frais judiciaires relatifs au recours en cas d'abus, dont le montant s'élève à 53 810,55 $, ne sont pas déductibles puisqu'ils ont été engagés pour préserver des immobilisations. La moitié des frais judiciaires relatifs à l'action matrimoniale, soit la partie qui se rapporte à la pension alimentaire pour enfants (14 375 $), est déductible.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 2005.

« Diane Campbell »

La juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de janvier 2006.

Joanne Robert, traductrice

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