Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2005-4283(IT)G

2006-177(IT)G

ENTRE :

 

INCO LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 30 et 31 octobre et le 3 novembre 2006, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel visant les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000 est rejeté.

 

          L’intimée a droit aux dépens.

 

 


          Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de janvier 2007.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de décembre 2008.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

Référence : 2007CCI1

Date : 20070108

Dossiers : 2005-4283(IT)G

2006-177(IT)G

ENTRE :

 

INCO LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Woods

 

[1]     Inco Ltd. interjette appel des cotisations au titre de l’impôt des grandes sociétés (IGS), établies sous le régime de la partie I.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000.

 

[2]     Il s’agit de savoir si les options d’achat d’actions émises par l’appelante dans le cadre de l’acquisition d’une société doivent être incluses dans le calcul du capital aux fins de l’IGS. Un impôt d’environ 60 000 $ est en litige pour chacune des années d’imposition en cause.

 

[3]     Selon l’intimée, les options d’achat d’actions doivent être incluses dans le calcul du capital, que ce soit à titre de surplus d’apport ou d’un autre genre de surplus en application de l’alinéa 181.2(3)a) de la Loi. L’appelante conteste cette prétention.

 

I. Contexte

 

[4]     Les options d’achat d’actions en cause ont été consenties dans le cadre de l’acquisition, par l’appelante, des actions de Diamond Fields Resources Inc. (DFR) pour une somme de quatre milliards de dollars. À la suite de la prise de contrôle intervenue le 21 août 1996, l’appelante a acheté un important gisement minéral situé près de Voisey’s Bay, au Nordlabrador.

 

[5]     Avant l’acquisition, DFR avait émis des options d’achat d’actions à certains de ses employés et de ses cadres. L’appelante souhaitait se débarrasser de ces options d’achat avant que DFR ne fasse l’objet d’une prise de contrôle de manière à devenir l’actionnaire unique de la société. Par conséquent, huit détenteurs d’options ont échangé leurs options visant DFR pour des options d’achat d’actions émises par l’appelante (les « Options ») et aucune option visant DFR n’est demeurée en circulation après l’acquisition.

 

[6]     L’échange a été effectué au moyen d’ententes qui ont été conclues avec chacun des détenteurs d’options et selon lesquelles l’appelante devait consentir des Options en contrepartie de l’annulation des options visant DFR.

 

[7]     Au moment de l’échange, les options visant DFR étaient « dans le cours » [in the money], c’est‑à‑dire qu’elles pouvaient être exercées à un prix moindre que la valeur que les actions de DFR devant être acquises avaient alors sur le marché. Les Options avaient une valeur équivalente aux options visant DFR au moment de l’échange.

 

[8]     Chaque Option donnait à son détenteur le droit de recevoir, sur paiement du prix d’exercice, des actions de trois catégories du capital social de l’appelante ainsi que des actions d’une filiale de l’appelante. Le droit d’acheter les actions de la filiale n’a pas été soulevé et je présume que cette question n’est pas pertinente dans le cadre du présent appel.

 

[9]     Les parties conviennent que l’échange des options faisait partie intégrante de la prise de contrôle de DFR et que les Options ont été consenties comme contrepartie partielle pour celle‑ci. Ce ne sont pas toutes les personnes qui ont échangé des options qui sont devenues des employés de l’appelante et les Options n’ont pas été émises à titre de rémunération aux cadres de direction.

 

[10]    Comme les options visant DFR étaient dans le cours au moment de l’échange, leur annulation aurait eu pour effet d’augmenter la valeur des actions émises et en circulation de DFR appartenant à l’appelante.

 

[11]    Pour les besoins de ses états financiers, l’appelante a évalué les Options au moment de leur émission à 30 985 727 $ et cette valeur figure des deux « côtés » de son bilan. Du côté gauche, cette somme est ajoutée au prix d’achat des actions de DFR tandis que, du côté droit, la somme correspondant aux Options non levées a été traitée comme des capitaux propres.

 

[12]    En particulier, les écritures figurant au bilan pour chacune des années d’imposition pertinentes sont les suivantes :

 

a) la somme de 30 985 727 $ a été ajoutée aux éléments d’actif sous la rubrique [TRADUCTION] « Mise de fonds dans les filiales et avances à celles‑ci – Actions, au coût historique »;

 

b)     la partie des 30 985 727 $ attribuable aux Options non levées a été ajoutée aux capitaux propres des actionnaires sous la rubrique [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle ». Dans une note aux états financiers, on précise que cette rubrique vise les options d’achat d’actions émises dans le cadre de l’acquisition de DFR.

 

[13]    Pendant les années d’imposition en cause, les sommes suivantes figurent sous la rubrique « actions dont l’émission est conditionnelle » :

 

1996

1997

1998

1999

2000

 

30 406 119 $

 

30 008 430 $

 

30 008 430 $

 

29 235 587 $

 

27 329 838 $

 

[14]    L’écriture au bilan relative aux actions dont l’émission est conditionnelle diminue au fur et à mesure que les Options ont été levées. La preuve est muette sur la façon dont le solde des 30 985 727 $ se reflète du côté droit du bilan et ce fait n’est pas pertinent en l’espèce. Je présume qu’il est devenu une partie du capital social au fur et à mesure que les Options ont été levées de sorte que la totalité des 30 985 727 $ se reflétait dans les capitaux propres en tout temps.

 

[15]    Le présent appel ne soulève nullement la question de savoir comment l’appelante a évalué les Options au moment de leur émission ni comment elle a utilisé cette valeur dans ses états financiers. Il est admis que les états financiers ont été dressés conformément aux principes comptables généralement reconnus (PCGR).

 

[16]    La seule question que doit trancher la Cour en l’espèce est celle de savoir comment il faut qualifier la rubrique intitulée [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » pour les besoins de l’IGS. S’agit‑il d’un surplus d’apport ou d’un autre genre de surplus?

 

[17]    Aucun élément de preuve précisant pourquoi l’appelante a employé l’expression [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » pour désigner les Options dans ses états financiers n’a été produit. Une note de service interne préparée par le vérificateur de l’appelante en 1996 laisse entendre que ce sont les termes « options d’achat d’actions » qui désigneraient de façon techniquement exacte cet élément des capitaux propres. Cependant, la note laisse également entendre que cette solution pourrait causer des difficultés au titre de la divulgation parce que les options d’achat d’actions des employés de l’appelante n’étaient pas consignées de cette façon. L’emploi de l’expression [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » paraît minimiser les problèmes de divulgation, mais je ne sais pas si cela a joué un rôle dans le choix de ces termes.

 

II. Dispositions législatives

 

[18]    Des extraits des dispositions législatives applicables sont reproduits ci‑dessous.

 

181. (3) Pour déterminer la valeur comptable d’un des éléments d’actif d’une société ou tout autre montant en vertu de la présente partie afférent au capital d’une société, à sa déduction pour placements, à son capital imposable et à son capital imposable utilisé au Canada pour une année d’imposition ou afférent à une société de personnes dans laquelle une société a une participation :

a) la consolidation et la méthode de comptabilisation à la valeur de consolidation ne peuvent être utilisées;

b) sous réserve de l’alinéa a) et sauf disposition contraire de la présente partie, les montants à utiliser sont les suivants :

(i) soit ceux qui figurent au bilan présenté aux actionnaires de la société – s’il s’agit d’une société qui n’est ni une compagnie d’assurance à laquelle le sous-alinéa (ii) s’applique, ni une banque – ou aux associés de la société de personnes, ou, si un tel bilan n’est pas dressé conformément aux principes comptables généralement reconnus ou si aucun bilan n’est dressé, ceux qui y figureraient si un tel bilan était dressé conformément à ces principes, […]

 

181.2. (1) Le capital imposable utilisé au Canada, pour une année d’imposition, d’une société, sauf une institution financière ou une société qui tout au long de l’année n’a pas résidé au Canada, correspond à la proportion prescrite du capital imposable de la société pour l’année.

 

(2) Le capital imposable d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition est égal à l’excédent éventuel de son capital pour l’année sur sa déduction pour placements pour l’année.

 

(3) Le capital d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition correspond à l’excédent éventuel du total des éléments suivants :

a) le capital-actions de la société (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l’apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d’apport et tout autre surplus à la fin de l’année;

b) ses réserves pour l’année, sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de la partie I;

b.1) ses gains sur change non réalisés reportés à la fin de l’année;

c) les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l’année;

d) ses dettes à la fin de l’année sous forme d’obligations, de créances hypothécaires, d’effets, d’acceptations bancaires ou de titres semblables; […].

 

(4) La déduction pour placements d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l’année d’un élément d’actif de la société qui est, selon le cas :

a) une action d’une autre société;

b) un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière, […]

En sont exclues les actions du capital‑actions et les dettes d’une société exonérée de l’impôt en application de la présente partie, autrement qu’en vertu de l’alinéa 181.1(3)d), ainsi que les dividendes payables par une telle société.

[Non souligné dans l’original.]

 

III. Débat

 

[19]    La question en litige s’énonce simplement. Les Options ont‑elles été ajoutées au capital de l’appelante, pour les besoins de l’IGS, à titre de « surplus d’apport » ou d’un « autre surplus » au sens de l’alinéa 181.2(3)a) de la Loi?

 

[20]    L’appelante soulève deux arguments.

 

[21]    Premièrement, elle soutient que les Options ne sont pas imposables parce que l’expression [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » ne fait pas partie des éléments devant être inclus dans le capital aux termes du paragraphe 181.2(3). Selon l’appelante, c’est le bilan qui doit permettre de déterminer la valeur du capital.

 

[22]    À titre subsidiaire, l’appelante laisse entendre que, suivant les PCGR canadiens applicables au moment pertinent, les Options ne constituaient ni un surplus d’apport, ni un autre genre de surplus.

 

A. Le bilan doit‑il l’emporter?

 

[23]    Selon le premier argument de l’appelante, la rubrique sous laquelle figure l’élément au bilan constitue le facteur déterminant pour l’application de l’IGS. On laisse entendre que le paragraphe 181(3) de la Loi, tel qu’il a été interprété par les tribunaux judiciaires, étaye cette thèse.

 

[24]    Le paragraphe 181(3) est une règle d’interprétation et il exige que les sommes figurant au bilan du contribuable soient utilisées pour déterminer la valeur du capital, dans la mesure où le bilan a été dressé conformément aux PCGR.

 

[25]    Le paragraphe 181(3) ne prévoit pas explicitement que les rubriques énumérées au bilan l’emportent. Il faut donc se demander si une telle règle découle implicitement d’une interprétation contextuelle et téléologique de cette disposition.

 

[26]    Il me semble qu’à moins que les PCGR n’exigent l’utilisation de rubriques particulières dans le bilan, on peut douter qu’il ait été dans l’intention du législateur que le paragraphe 181(3) soit interprété de la façon proposée par l’appelante puisqu’il serait alors tellement facile pour les contribuables d’éluder l’impôt.

 

[27]    L’appelante n’a présenté aucun élément de preuve sur le point de savoir si les PCGR exigent l’utilisation de rubriques particulières ou sur les raisons pour lesquelles elle a choisi d’employer l’expression [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » pour désigner les options d’achat d’actions.

 

[28]    Dans son témoignage, l’expert‑comptable de l’intimée, M. Daniel Thornton, a mentionné que l’expression [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » n’évoquait pas clairement pour lui l’élément qu’elle désigne. Il a ajouté qu’il avait dû consulter les notes complémentaires pour comprendre qu’il s’agissait en fait d’options d’achat d’actions. À son avis, les options d’achat d’actions constituaient un surplus d’apport. Il estimait toutefois qu’il n’était pas nécessaire d’employer cette rubrique au bilan puisque la totalité des capitaux propres de l’appelante, autres que les bénéfices non répartis, consistait en des surplus d’apport et que l’emploi de cette expression n’offrait aucun élément d’information supplémentaire.

 

[29]    À mon sens, le fait que l’appelante n’a pas laissé entendre que les PCGR exigent l’emploi des termes « surplus » ou « surplus d’apport » pour désigner ce genre d’éléments au bilan revêt une importance certaine. J’arrive à la conclusion qu’il n’existe aucune exigence de cette nature.

 

[30]    Si les contribuables peuvent désigner au bilan les éléments de surplus de différentes manières, l’argument de l’appelante, s’il est fondé, pourrait alors sérieusement réduire l’assiette fiscale de l’IGS et, pour cette raison, je suis réticente à l’accepter. Les faits en l’espèce mettent particulièrement en lumière les raisons pour lesquelles il ne serait pas très logique que les rubriques mentionnées dans le bilan l’emportent puisqu’il semble en effet que l’appelante a choisi des termes inhabituels pour désigner les Options.

 

[31]    J’estime que le paragraphe 181(3) ne doit pas être interprété comme le propose l’appelante, à moins que les termes employés dans cette disposition ne l’exigent sans équivoque. Ce n’est pas le cas. Il ne serait pas contraire à l’interprétation téléologique du paragraphe 181(3) de donner au terme « surplus » un sens plus large que celui proposé par l’appelante.

 

[32]    Le paragraphe 181(3) a soulevé d’épineux problèmes d’interprétation, comme en fait foi le nombre des décisions judiciaires qui portent sur la question de la qualification. La plus récente en la matière est Ford Credit Canada Limited v. The Queen, 2006 D.T.C. 3424 (C.C.I.), laquelle, si je comprends bien, fait l’objet d’un appel.

 

[33]    À mon avis, la conclusion que j’ai tirée n’est incompatible avec aucune des décisions auxquelles on m’a renvoyée, y compris celle de Ford Credit. La question en litige dans cette affaire visait la qualification, pour les besoins de l’IGS, d’actions du contribuable qui avaient été qualifiées de dettes à des fins comptables. Le juge en chef Bowman a examiné de manière approfondie la jurisprudence antérieure et il a conclu que la qualification à des fins comptables devait être retenue. Cette conclusion est bien différente de l’assertion voulant que les termes particuliers employés dans le bilan doivent l’emporter.

 

[34]    C’est pourquoi je rejette l’argument de l’appelante selon lequel les Options sont exclues du capital uniquement parce qu’elles n’étaient pas désignées comme un « surplus » ou un « surplus d’apport » dans le bilan.

 

B. Quelle est la signification comptable du terme « surplus »?

 

[35]    La deuxième question en litige est la suivante : les Options constituent‑elles un surplus d’apport ou un autre genre de surplus?

 

[36]    Ces termes sont des expressions techniques non définies dans la Loi. Il ressort sans équivoque de la jurisprudence qu’ils doivent avoir le sens qui leur est donné à des fins comptables, et chacune des parties a régulièrement produit une preuve d’expert en matière comptable à cet égard.

 

[37]    L’appelante a présenté le témoignage de monsieur Leonard Eckel, ancien professeur de comptabilité à l’University of Waterloo.

 

[38]    On a demandé au professeur Eckel s’il estimait que les Options constituaient soit un « surplus d’apport », soit un « autre surplus », au sens où ces termes sont employés en matière comptable. Il a conclu que les Options ne pouvaient être désignées par aucune de ces expressions puisque l’échange des options n’avait donné lieu à aucun surplus quel qu’il soit.

 

[39]    Le professeur Eckel s’appuyait principalement sur les observations formulées dans le manuel publié par l’Institut Canadien des Comptables Agréés (le « Manuel »). La version sur laquelle il s’est fondé était en vigueur pendant les années d’imposition en cause. Le Manuel a fait depuis l’objet d’une révision.

 

[40]    Le professeur Eckel a renvoyé à l’article 3250 du Manuel. Cette disposition définit le terme « surplus » comme l’excédent de l’actif net (c.‑à‑d., l’actif moins le passif) sur le capital social. Selon lui, les Options n’ont donné lieu à aucun excédent de cette nature.

 

[41]    La conclusion tirée par le professeur Eckel est explicitée dans l’extrait suivant de son rapport :

 

[TRADUCTION]

En langage courant, un « surplus » s’entend de l’excédent sur un montant de base. En comptabilité, on utilise depuis longtemps le terme surplus pour désigner l’excédent de l’actif net sur la valeur déclarée du capital‑actions ou sur la valeur du capital-actions versé (article 3250 du Manuel).

 

Suivant cette définition, une opération donne lieu à un surplus uniquement si elle a pour effet d’accroître cet excédent de l’actif net sur la valeur déclarée des actions de la société. Dans la présente affaire, l’échange d’options n’a pas accru l’excédent d’Inco puisque cette opération, on peut le présumer, a été négociée par des parties non liées et conclue sur le fondement de la valeur marchande courante déterminée de façon objective.

 

Les actions dont l’émission est conditionnelle (AEC) n’ont pas été qualifiées de surplus, quel qu'il soit, ni déclarées à ce titre, puisque l’opération n’a entraîné aucun excédent ou surplus. Il n’y avait pas d’excédent parce que les détenteurs initiaux d’options de DFR ont procédé à un échange économique satisfaisant, tout comme Inco.

 

Dans une opération de ce genre qui a lieu entre des parties non liées et dans le cadre de laquelle on utilise les valeurs marchandes, on présume habituellement, selon les PCGR, que l’acquisition n’entraîne aucun gain identifiable et donc aucun accroissement du surplus.

 

[42]    Le professeur Eckel a également donné son opinion sur la signification du terme « surplus d’apport », mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aborder cet aspect de son rapport. En effet, c’est la conclusion, quelle qu’elle soit, qui sera tirée quant à la signification du terme « surplus » qui permettra de trancher la question dont je suis saisie.

 

[43]    L’intimée a présenté en preuve le témoignage de monsieur Daniel B. Thornton, professeur de comptabilité actuellement titulaire d’une chaire de professeur de recherche à l’université Queen’s. On lui a, pour l’essentiel, posé la même question qu’au professeur Eckel.

 

[44]    Au début de son rapport, le professeur Thornton signale que les normes de comptabilité ont changé depuis les années d’imposition en cause et il s’est demandé quelles normes il devait prendre en compte. Il fonde son opinion sur les principes actuels de comptabilité, mais il précise que son opinion serait la même peu importe les normes applicables puisque le surplus d’apport et le surplus constituent des principes de comptabilité fondamentaux dont le sens ne change pas au fil du temps.

 

[45]    Le professeur Thornton a ensuite mentionné que les Options constituent un surplus d’apport. L’extrait suivant de son rapport résume sa conclusion :

 

[TRADUCTION]

Le fait que les actions dont l’émission est conditionnelle figurent dans la partie du bilan relative aux capitaux propres est compatible avec l’article 3251 du Manuel de l’ICCA, Capitaux propres, selon lequel le terme « capitaux propres » s’entend du « […] droit résiduel sur les actifs de l’entreprise après déduction de tous ses passifs » [3251.03 (a)]. À mon avis, l’expression la plus juste pour désigner ce compte serait « Surplus d’apport – Options d’achat d’actions » [Contributed Surplus-Share Options]. (Suivant les PCGR aux États‑Unis, ce serait « Surplus d’apport – Options d’achat d’actions » [Additional Paid-in Capital-Stock Options].) Dans le cas d’Inco toutefois, il serait approprié d’omettre les termes « Surplus d’apport » dans le titre du compte parce qu’à l’exception des bénéfices non répartis, l’ensemble des capitaux propres figurant au bilan non consolidé d’Inco consiste en un surplus d’apport. En effet, aucune des actions d’Inco n’avait une valeur au pair ou une valeur déclarée à la date d’acquisition. Dans le cas contraire, le montant de la valeur au pair ou de la valeur déclarée payé par les investisseurs pour les actions aurait été qualifié de « capital social » et les sommes versées par les investisseurs, en sus de la valeur au pair ou de la valeur déclarée, constitueraient un « surplus d’apport ». Cependant, en l’occurrence, une personne avertie lisant les états financiers se rendrait compte que toutes les sommes figurant dans les capitaux propres, à l’exception des bénéfices non répartis, constituaient un surplus d’apport. Cela est compatible avec l’idée depuis longtemps admise que les capitaux propres correspondent aux bénéfices non répartis ajoutés au surplus d’apport.

 

[46]    Bien qu’on ait essentiellement posé la même question aux experts, ils ont abordé le problème sous des angles plutôt différents. Dans une large mesure, cette situation est attribuable au fait que, contrairement au professeur Thornton, le professeur Eckel s’est limité aux sources comptables qui existaient pendant les années d’imposition en cause.

 

[47]    Les dispositions pertinentes du Manuel ont beaucoup changé depuis les années d’imposition en cause. D’une part, la définition du terme « surplus » à laquelle le professeur Eckel a renvoyé a été complètement supprimée du Manuel et remplacée par une disposition intitulée « Capitaux propres ». D’autre part, la définition du terme « surplus d’apport », qui figure actuellement dans le Manuel et sur laquelle le professeur Thornton s’est appuyé, est bien différente de la définition applicable pendant les années d’imposition en cause.

 

[48]    J’ai reproduit ci‑dessous les extraits pertinents du Manuel pour les deux périodes, soit celle qui englobe les années d’imposition en cause (1996 à 2000) et celle qui a débuté au moment de la modification du Manuel (depuis 2005).

 

Manuel (1996 à 2000)

 

En comptabilité, on utilise depuis longtemps le terme surplus pour désigner l’excédent de l’actif net sur la valeur au pair ou sur la valeur déclarée du capital‑actions versé. Ce sens est si bien ancré dans la terminologie du droit des compagnies et de la finance qu’il ne semble guère près d’être abandonné.

 

Selon certains, l’expression « surplus d’apport » ne saurait s’entendre que des capitaux fournis par les actionnaires eux‑mêmes. Dans une acception plus large, on voit qu’elle peut englober aussi des apports externes. Le surplus d’apport versé par les actionnaires comprend tous les capitaux par eux versés en sus du montant attribué au poste Capital‑actions, savoir : la prime à l’émission; le produit de l’émission d’actions sans valeur nominale qui n’est pas attribué au capital‑actions; le produit net des actions confisquées; le produit des actions restituées en don; le gain résultant du rachat ou de la conversion d’actions à un prix inférieur à la valeur portée au capital‑actions.

 

Manuel (depuis 2005)

 

Surplus d’apport : somme constituée de montants versés à l’entité par les porteurs de titres de capitaux propres. Le surplus d’apport versé par les porteurs de titres de capitaux propres comprend tous les apports par eux versés en sus des montants attribués au poste Capital‑actions, notamment : les primes d’émission; toute partie du produit de l’émission d’actions sans valeur nominale qui n’est pas attribuée au capital‑actions; les gains sur les actions confisquées; le produit des actions remises à titre gratuit par les porteurs de titres de capitaux propres; les gains résultant du rachat ou de la conversion d’actions à un prix inférieur à la valeur inscrite au capital‑actions.

 

[49]    Je vais d’abord examiner le témoignage rendu par l’expert de l’appelante, le professeur Eckel. Selon ce dernier, l’échange des options n’a pas eu pour résultat de créer un surplus puisqu’il n’a pas donné lieu à un excédent de l’actif net sur le capital social.

 

[50]    Cette opinion ne me convainc pas. De toute évidence, l’opération par laquelle les options ont été échangées a donné lieu à un excédent de l’actif net sur le capital social. Malgré l’absence d’élément de preuve précis sur ce point, l’inférence logique qui s’impose est la suivante : l’actif net s’est accru parce que l’annulation des options visant DFR se serait traduite par une augmentation de la valeur du capital émis de DFR. Cette augmentation a été évaluée à 30 985 727 $ et cette valeur n’est nullement en litige. Comme aucun capital social n’a été émis au moment de l’opération, il est normal que l’opération donne lieu à l’excédent susmentionné. Cela est conforme à la réalité économique et compatible avec le bilan de l’appelante.

 

[51]    Je comprends mal la théorie invoquée au soutien de la conclusion du professeur Eckel. Dans son rapport, il signale qu’aucun surplus n’a été créé parce que l’échange des options est intervenu entre des parties non liées qui ont obtenu une contrepartie totale pour ce à quoi elles ont renoncé. Avec respect pour cette opinion, je ne vois pas en quoi le fait qu’il s’agisse d’une opération entre parties non liées revêt une quelconque pertinence pour décider si cette opération a donné lieu à un excédent de l’actif net sur le capital social. Il convient en outre de signaler que le professeur Eckel a reconnu qu’il y aurait un surplus d’apport si les Options devenaient périmées.

 

[52]    Bien que son rapport concerne un surplus d’apport, et non un surplus en soi, l’expert de l’intimée, le professeur Thornton, a fait l’objet d’un contre‑interrogatoire approfondi par l’avocat de l’appelante sur la question de savoir si un surplus avait été créé par suite de cette opération. Il a déclaré que l’acquisition de DFR avait donné lieu à un surplus; l’augmentation n’avait rien de conditionnel. À mon sens, cela est logique.

 

[53]    L’opinion du professeur Eckel pourrait être fondée si le surplus était défini comme l’excédent de l’actif net sur les capitaux propres en général. Les Options sont un instrument de capitaux propres, mais elles ne font pas partie du capital social. Cependant, la définition du terme « surplus », donnée plus haut, renvoie manifestement au capital social et le professeur Eckel n’a pas laissé entendre que les Options faisaient partie du capital social.

 

[54]    À mon avis, la somme figurant au bilan sous la rubrique [TRADUCTION] « actions dont l’émission est conditionnelle » répond sans équivoque à la définition du terme « surplus » donnée dans le Manuel pendant les années d’imposition en cause. Par conséquent, j’arrive à la conclusion que cette somme constitue un surplus pour l’application de l’alinéa 181.2(3)a).

 

[55]    Compte tenu de cette conclusion, il est inutile que je me prononce sur l’opinion du professeur Thornton voulant que les Options constituent un surplus d’apport. Il importe toutefois de signaler que son rapport se fonde en grande partie sur la théorie comptable d’aujourd’hui et que l’opération visée en l’espèce répond beaucoup plus clairement à la description du terme « surplus d’apport » qui figure actuellement dans le Manuel qu’à celle qui y était mentionnée pendant la période pertinente. Il semble que la modification de la description donnée dans le Manuel ait fait évoluer la théorie comptable depuis les années d’imposition en cause. J’estime qu’il serait injuste d’assujettir un contribuable à l’impôt sur le fondement de principes comptables qui n’étaient pas généralement reconnus au moment pertinent.

 

[56]    Enfin, l’avocat de l’intimée a laissé entendre que le fait d’exclure les Options du capital aurait une conséquence [TRADUCTION] « étrange », car l’appelante a demandé une déduction pour placements au titre du coût des actions de DFR. Cette situation est peut‑être étrange mais, compte tenu de la conclusion que j’ai tirée, il n’est pas nécessaire de se demander si ce point est pertinent pour interpréter la disposition en cause.

 

[57]    L’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

          Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour de janvier 2007.

 

 

« J. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de décembre 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI1

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :          2005-4283(IT)G et 2006-177(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Inco Limited

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

                                                         

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 30 et 31 octobre et le 3 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Judith Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 8 janvier 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Jacques Bernier

 

                   Cabinet :                         Bennett Jones LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

 

       Pour l’intimée :                            Me John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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