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Dossier : 2005-1065(EI)

ENTRE :

JEAN-GUY GRONDINES,

appelant,

Et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 24 novembre 2005 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Jérôme Carrier

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

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JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 30e jour de janvier 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence :2006CCI39

Date : 20060130

Dossier : 2005-1065(EI)

ENTRE :

JEAN-GUY GRONDINES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 24 novembre 2005.

[2]      Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant lorsqu'au service de Nicole Langlois Grondines, la payeuse, du 18 avril au 6 août 2004, la période en litige.

[3]      Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ), dans sa lettre du 11 janvier 2005, a informé l'appelant de sa décision selon laquelle il n'occupait pas un emploi assurable pendant la période en litige.

[4]      Le Ministre a déterminé qu'il n'était pas raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des faits présumés suivants :

6 a)       depuis 1973, la payeuse exploite un bar laitier;

b)          elle en était l'unique propriétaire;

c)          la payeuse exploitait un bar laitier fixe ouvert de la mi-avril à la mi-septembre;

d)          depuis juin 2003, la payeuse exploite aussi un bar laitier mobile faisant la tournée de différents festivals d'été;

e)          le bar laitier fixe est situé dans un petit local d'un bâtiment qui abrite aussi une boutique de vêtements pour homme "Boutique le Gentilhomme inc." dont l'appelant est l'actionnaire majoritaire;

f)           la payeuse ne verse aucune location pour l'occupation de son local par le bar laitier;

g)          en 2003, la payeuse a fait transformer une remorque en bar laitier mobile; elle a investi 10 000 $ pour cette transformation;

h)          la payeuse a aussi acheté un camion et un campeur porteur (roulotte dans la boîte du camion) d'une valeur de 55 000 $ pour transporter le bar laitier;

i)           la payeuse travaillait depuis près de 25 ans à la boutique de vêtements et n'a reçu, en 2002 et 2003, aucune rémunération de la Boutique Gentilhomme inc.;

j)           les deux parties s'accordent à dire que l'appelant ne travaillait plus dans sa boutique de vêtements depuis plusieurs années, alors que le registre des salaires de la boutique indique qu'il recevait une rémunération variant de 18 720 $ en 2000 à 28 080 $ en 2003;

k)          la payeuse embauchait environ 6 personnes, généralement des étudiants, pour travailler au bar laitier fixe durant la saison;

l)           les étudiants étaient tous rémunérés au salaire minimum et selon le nombre d'heures travaillées au bar laitier;

m)         la payeuse a embauché l'appelant en avril 2004 car elle voulait couvrir un plus grand nombres de festivals avec son bar mobile durant l'été;

n)          l'appelant voyait à la préparation du bar mobile et accompagnait la payeuse à chacun des festivals;

o)          il installait le bar mobile dans chacun des endroits visités, s'occupait des réparations du matériel et de la roulotte et défaisait le tout à la fin de chaque festival;

p)          l'appelant aidait aussi, occasionnellement, à laver les machines et équipement du bar laitier fixe;

q)          le bar laitier de la payeuse a couvert 7 festivals entre le 23 juin et le 14 septembre 2003 et 14 festivals entre le 16 juin et le 12 septembre 2004;

r)           durant la saison 2004, l'appelant était la seule personne travaillant au bar laitier mobile;

s)          durant la période en litige, il travaillait, en moyenne, 60 heures par semaine (entre 40 et 80 heures);

t)           l'appelant recevait une rémunération fixe de 600 $ par semaine et ce, sans égard aux heures réellement travaillées;

u)          l'appelant a cessé de recevoir une rémunération de sa boutique de vêtements à partir du moment où il a été inscrit au registre des salaires de la payeuse;

v)          depuis plusieurs années, l'appelant rendait des services à la payeuse sans rémunération;

w)         en 2003, l'appelant a travaillé au bar laitier de la payeuse, d'avril à septembre, sans rémunération.

[5]      L'appelant a admis les faits présumés du Ministre énoncés aux alinéas 6 a) à d), f), g), j) à p) et s) et a nié tous les autres.

[6]      La preuve a établi que le bar laitier fixe et la mercerie sont abrités dans des immeubles séparés, à quelques dix pieds de distance.

[7]      Il faut signaler que l'appelant n'a pas prouvé la fausseté des présomptions de fait du Ministre énoncées aux alinéas h), i), t) et v).

[8]      Par ailleurs, il a été établi que la payeuse, avec son bar laitier mobile, a couvert cinq festivals en 2003 et 13 en 2004, où elle a travaillé avec ses employés.

[9]      La preuve a révélé que l'appelant n'a pas reçu de salaire de la mercerie depuis qu'il travaille pour la payeuse au bar laitier, mais il tire un revenu des profits de son exploitation, par la payeuse, son épouse, qui y travaille sans salaire.

[10]     À l'audition, la payeuse a catégoriquement nié l'hypothèse du Ministre énoncée à l'alinéa 6 w) de la Réponse à l'avis d'appel. Cependant, plus tard, elle a admis que l'appelant était présent au bar laitier mobile mais qu'il ne travaillait pas et qu'il n'était pas payé en 2003. Mais, en contre-interrogatoire, la payeuse n'a pas nié qu'elle avait affirmé à l'enquêteur, monsieur Côté, que l'appelant avait travaillé au bar laitier mobile à partir du mois d'avril jusqu'au mois de septembre 2003. En réponse à la question pourquoi l'appelant n'avait pas reçu de salaire en 2003 pour ce travail, la payeuse a répondu que ce travail n'était pas régulier, qu'il y travaillait à temps partiel, et qu'il « dépannait lorsque les filles ne pouvaient pas travailler » . Pour sa part, l'appelant a admis qu'il était sur place au bar laitier mobile en 2003 pour aider en cas de problèmes.

[11]     Il a été établi que l'appelant est tombé malade en 1992, souffrant d'une maladie diagnostiquée comme étant le Syndrome de la fatigue chronique. Selon la preuve, cette maladie l'empêche de travailler à la mercerie, mais ne l'empêche pas de travailler au bar laitier de la payeuse. Ainsi, selon la preuve l'appelant ne peut plus travailler à la mercerie mais il en tire les bénéfices, les profits. Par contre, la payeuse travaille à la mercerie sans salaire depuis des années.

[12]     Selon la preuve, la payeuse exploite son bar laitier mobile pendant l'été, de juin à septembre. Les opérations de l'entreprise sont abritées dans une roulotte placée dans la boîte d'un camion. Cette même roulotte contient le campeur, où se trouve la partie habitable des travailleurs contenant une chambre avec lits et divans-lits où peuvent coucher quatre adultes et deux enfants ainsi qu'une cuisine fournie. Ainsi, ceux qui travaillent à cette entreprise, tels l'appelant, sont logés et nourris puisqu'ils se déplacent pour plusieurs jours dans différentes municipalités, en suivant les festivals, tout en demeurant dans la roulotte. Est-il permis de se demander si un employé non lié accepterait de travailler dans de telles conditions? On pourrait poser la même question à la payeuse, et c'est d'ailleurs la question pertinente que se pose le Ministre.

[13]     Les faits, en l'espèce, ont établi qu'il existait entre l'appelant et la payeuse un contrat de travail et une véritable relation employeur-employé.

[14]     La question qui se pose porte sur l'assurabilité de cet emploi. Les parties au contrat sont liées selon la définition de la Loi de l'impôt sur le revenu auxalinéas 251(1)a) et 251(2)a) :

Article 251 : Lien de dépendance.

(1)         Pour l'application de la présente Loi :

            a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

[...]

(2)         Définition de « personnes liées » . Pour l'application de la présente loi, sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l'union de fait ou de l'adoption;

[15]     Par ailleurs, la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) exclut des emplois assurables celui dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance. Ainsi, l'alinéa 5(2)i) édicte ce qui suit :

5(2)       N'est pas un emploi assurable :

            [...]

            i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

[16]     Dans de telles circonstances, la Loi a prescrit le cadre à l'intérieur duquel le Ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer l'assurabilité de l'emploi à l'alinéa 5(3)b) de la Loi qui stipule ce qui suit :

5(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[17]     Dans le cas sous étude, il est pertinent de se demander si un employé non lier aurait investi 10 000,00 $ avec son employeur dans l'entreprise de ce dernier.

[18]     Par ailleurs, une personne non liée aurait-elle travaillé sans salaire pour une entreprise, dont les profits sont versés à son propriétaire. C'est le cas de la payeuse qui a travaillé pendant toute l'année 2004 à la mercerie de l'appelant sans recevoir de salaire.

[19]     Par contre, la payeuse ne paie aucun loyer pour son bar laitier fixe situé sur la propriété de l'appelante. La seule explication provient de la payeuse qui a affirmé que son bar laitier fixe amène un certain achalandage à la mercerie, mais cela n'a aucunement été quantifié ou comptabilisé. Il est permis de se demander si un tel arrangement existerait entre des personnes non liées.

[20]     L'appelant a admis qu'il était payé sans égard aux heures travaillées. Son horaire hebdomadaire pouvait fluctuer entre 40 et 80 heures, mais il était toujours payé pour 60 heures de travail par semaine.

[21]     Cette Cour a analysé les faits de cette cause à la lumière des textes législatifs reproduits ci-haut.

[22]     Cette Cour a également examiné l'exercice qu'a conduit le Ministre conformément au mandat qui lui a été confié par le législateur.

[23]          La Cour d'appel fédérale a statué sur le mandat qu'a reçu le Ministre et cette Cour, en révision de sa décision, dans Légaréc. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 où le juge Marceau a statué ce qui suit :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[24]     Au terme de cet exercice, cette Cour doit conclure que le Ministre a exercé son mandat tel que prescrit par la Loi et la jurisprudence.

[25]     En outre, je dois conclure que les faits supposés ou retenus par le Ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et la conclusion dont le Ministre était convaincu paraît toujours raisonnable.

[26]     En conséquence, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 30e jour de janvier 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2005CCI39

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-1065(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Guy Grondines et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 24 novembre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Jérome Carrier

Pour l'intimé :

Me Stéphanie Côté

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Jérome Carrier

Étude :

Lévis (Québec)

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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