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Dossier : 2005-2219(EI)

ENTRE :

JUDITH GRENIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 23 novembre 2005 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 30e jour de janvier 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence :2006CCI27

Date : 20060130

Dossier : 2005-2219(EI)

ENTRE :

JUDITH GRENIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 23 novembre 2005.

[2]      Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelante lorsqu'au service de 9143-6238 Québec Inc., le payeur, du 26 juin au 19 décembre 2004.

[3]      Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a informé l'appelante de sa décision selon laquelle elle n'occupait pas un emploi assurable.

[4]      En rendant sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

5.a)       le payeur a été constitué en société le 11 juin 2004 selon la partie 1A de la Loi sur les compagnies;

b)          le payeur faisait affaires sous la raison sociale « Café-Bistrot le Central en folie » ;

c)          le payeur avait loué un restaurant et ses équipements sur la rue St-Paul dans la ville de Québec;

d)          le restaurant comptait 28 places assises;

e)          le restaurant était ouvert de 11 h à 22 h du lundi au vendredi et de 9 h 30 à 22 h le samedi et le dimanche;

f)           l'appelante est une des trois personnes fondatrices du payeur;

g)          l'appelante travaillait au restaurant comme serveuse et comme gestionnaire;

h)          l'appelante et David Delavaud, un autre fondateur du payeur, prenaient toutes les décisions concernant l'organisation, le fonctionnement et la gestion du restaurant, autant l'établissement des heures d'ouverture, l'engagement du personnel, l'établissement du menu, la comptabilité, les achats et le paiement des comptes;

i)           dans sa demande de prestations de chômage, l'appelante déclarait travailler 100 heures par semaine pour le payeur, soit 10 heures le lundi pour la comptabilité, 70 heures du dimanche au samedi comme serveuse et 20 heures pour faire des courses du dimanche au samedi;

j)           l'appelante a déboursé personnellement les frais de constitution du payeur;

k)          l'appelante a été la seule personne parmi les fondateurs à assumer une mise de fonds initiale d'un montant de 5 000 $ pour financer le payeur;

l)           l'appelante a réinvesti environ 3 000 $ par la suite pour payer différentes dépenses de l'entreprise;

m)         le 8 000 $ investi par l'appelante, ne porte aucune modalité de remboursement, ni taux d'intérêt et il est constaté seulement au registre des déboursés du restaurant comme étant un « dû à Judith Grenier 8 000 $ » ;

n)          l'appelante assumait personnellement un risque de perte financière;

o)          l'appelante avait sur le payeur un ascendant tel, qu'entre elle-même et le payeur ne pouvait exister ce rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination;

AUTRES FAITS PERTINENTS

6.a)       selon l'acte de constitution enregistré au Registre des entreprises le 11 juin 2004, l'appelante se décrivait au premier rang des actionnaires, David Delavaud au deuxième rang des actionnaires et Gérard Delavaud au troisième rang des actionnaires;

[...]

c)          le 17 mai 2005, l'appelante déclarait à un représentant de l'intimé que le payeur n'avait pas de livre corporatif ni de registre de valeurs mobilières;

d)          en date du 17 mai 2005, les administrateurs du payeur n'ont jamais tenu la réunion d'organisation prévue par la Loi au cours de laquelle ils doivent émettre au moins une action;

e)          en date du 17 mai 2005, aucune action du payeur n'avait été émise;

7.          De plus, le ministre a déterminé que l'appelante n'occupait pas un emploi assurable car elle et le payeur avaient dans le cadre de l'emploi en cause un lien de dépendance de fait.

8.          En effet, le ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

a)          l'appelante travaillait comme serveuse et s'occupait de la comptabilité et des commissions;

b)          l'appelante travaillait tous les jours;

c)          l'appelante travaillait de 65 à 100 heures par semaine pour l'entreprise;

d)          le nombre d'heures et les jours travaillés démontrent un lien de dépendance;

e)          l'appelante recevait comme rémunération un salaire de 350 $ par deux semaines auquel s'ajoutait des pourboires de 50 $ à 100 $ par semaine;

f)           l'appelante travaillait pour le payeur à un taux d'environ 3,00 $ de l'heure;

g)          les serveuses embauchées par le payeur étaient rémunérées au taux prescrit de 6,75 $ de l'heure selon la Commission des Normes du Travail;

h)          l'appelante travaillait pour le payeur à un taux horaire réduit;

i)           l'appelante a travaillé pour le payeur sans rémunération du 19 au 23 décembre 2004;

j)           la rémunération de l'appelante était déraisonnable;

k)          l'implication de l'appelante, par la quantité d'heures de travail et en acceptant un taux horaire réduit, était telle que l'appelante n'aurait pu être remplacée par un travailleur non-lié dans les mêmes circonstances.

[5]      L'appelante a admis les faits présumés du Ministre énoncés aux alinéas 5a) à 5d), 5f), 5g), 5k) à 5m), 6a), 8a), 8c), 8e), 8g) et 8i); elle a nié ceux énoncés aux alinéas 5h), 5j), 5o), 6c) à 6e), 8b), 8d), 8f), 8h), 8j) et 8k); elle a voulu apporter des précisions à ceux énoncés aux alinéas 5e), 5i) et 5n).

[6]      L'appelante a précisé que les heures d'ouverture du restaurant étaient flexibles, selon l'achalandage. Il en est de même pour le partage de son horaire hebdomadaire. Sa disponibilité pour ses tâches à la comptabilité et aux courses pouvait varier selon son nombre d'heures de travail comme serveuse.

[7]      Il a été établi que l'actionnaire Gérard Delavaud ne travaillait pas au commerce et ne participait pas aux décisions prises au restaurant. David Delavaud a affirmé aux agents d'enquête que son père figurait comme actionnaire mais qu'il ne voulait pas s'impliquer dans les affaires courantes du restaurant puisqu'il était trop impliqué dans sa propre entreprise, c'est-à-dire son restaurant. Les enquêteurs ont aussi appris de Gérard Delavaud qu'il n'était pas au courant des affaires du payeur, ni des menus, ni des finances du commerce, ni des salaires versés aux deux autres actionnaires qui eux travaillaient dans le restaurant. Il a révélé qu'il ignorait qui avait investi dans le commerce mais il a dit croire que tous les fournisseurs avaient été payés.

[8]      Je dois signaler que tous les autres faits présumés du Ministre qui ont été niés par l'appelante n'ont pas été réfutés par celle-ci.

[9]      L'appelante a admis à l'agent des appels qu'elle avait payé, elle-même et en totalité, les frais de constitution auprès de l'inspecteur des institutions financières, lors de la constitution du payeur au montant de 300 $. Par ailleurs, elle a confirmé avoir été l'unique actionnaire à avoir fait une mise de fonds pour démarrer l'entreprise.

[10]     La preuve a révélé qu'avant la formation du payeur, les trois actionnaires s'étaient entendus que seule Judith Grenier assumerait la mise de fonds de 5 000 $ pour démarrer l'entreprise. L'appelante a affirmé que David Delavaud devait investir éventuellement, ce qui ne s'est pas produit. En outre, il était entendu que Gérard Delavaud n'investirait aucune somme, il devait contribuer en nourriture, mais tel ne fut pas le cas.

[11]     Il a été établi que l'appelante avait obtenu 5 000 $ de ses parents, somme qu'elle avait déposée au compte bancaire du payeur lors de l'ouverture de ce dernier, le 11 juin 2004, et qu'elle a investi environ 3 000 $ par la suite pour payer différentes dépenses du commerce.

[12]     L'appelante a reconnu que le 8 000 $ qu'elle a investi n'a jamais fait l'objet de procès-verbal, ni d'écriture au livre de la compagnie puisqu'un tel livre n'existait pas et ce montant n'a été enregistré sur aucun document; il ne figure qu'au registre des déboursés du restaurant en tant que « Dû à Judith Grenier, 8 000,00 $ » . Il a été confirmé également que ce montant de 8 000 $ ne porte aucune modalité de remboursement, ni taux d'intérêt et l'appelante a ajouté que ce montant ne lui sera jamais remboursé.

[13]     Il a été établi qu'à partir du 11 juin jusqu'au 23 décembre 2004, les deux autres actionnaires, c'est-à-dire David et Gérard Delavaud, n'ont fait aucune mise de fonds personnelle dans l'entreprise.

[14]     Il est vrai qu'en mars 2005, David Delavaud a emprunté personnellement 6 000 $ pour finir de payer les fournisseurs de l'entreprise, mais cela s'est produit plus de trois mois après la fermeture de l'entreprise et de la période en litige.

[15]     L'appelante a révélé à l'agent des appels que c'est elle et David Delavaud qui prenaient toutes les décisions concernant l'organisation, le fonctionnement et la gestion du restaurant, ainsi que l'établissement des heures d'ouverture, l'engagement du personnel et l'établissement du menu et le paiement des comptes. Elle a ajouté que la décision de fermer le restaurant a été prise par elle-même et David Delavaud lorsque le commerce opérait à perte.

[16]     L'appelante travaillait comme serveuse, s'occupait de la comptabilité et des commissions pour un minimum de 65 heures par semaine.

[17]     Selon la preuve, les deux actionnaires/travailleurs fixaient eux-mêmes le salaire qui leur serait versé par le payeur, c'est-à-dire 350 $ par deux semaines, auquel s'ajoutait des pourboires de 50 $ à 100 $ par semaine pour l'appelante, payés par chèque aux deux semaines. Le relevé d'emploi de l'appelante a établi sa rémunération totale pour la période de 26 semaines à 6 435,66 $, c'est-à-dire 247,52 $ par semaine.

[18]     La décision du secteur de l'assurabilité est à l'effet qu'au cours de la période du 26 juin au 19 décembre 2004 l'emploi de l'appelante était exclu des emplois assurables puisqu'il s'agissait d'un emploi exercé avec lien de dépendance.

[19]     La question en litige est de savoir si l'appelante occupait un emploi assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). La disposition pertinente est l'alinéa 5(1)a) de la Loi qui énonce ce qui suit :

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)          l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...] (Le souligné est de moi)

[20]     Il faudra également, dans le contexte des contrats au Québec, tenir compte de l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985) Ch. I-21, modifié, depuis son entrée en vigueur le 1er juin 2001, lorsque confronté à un litige comme celui sous étude. Voici ce que le législateur a édicté à cet article :

Propriété et droits civils

8.1        Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

[Je souligne]

[21]     Il convient de reproduire les dispositions pertinentes du Code civil du Québec qui serviront à déterminer l'existence d'un contrat de travail au Québec pour le distinguer du contrat d'entreprise :

Contrat de travail

2085     Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2086     Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Contrat d'entreprise ou de service

2098     Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099     L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. (Le souligné est de moi)

[22]     Les dispositions du Code civil du Québec reproduites ci-dessus établissent trois conditions essentielles à l'existence d'un contrat de travail : 1) la prestation sous forme de travail fournie par le salarié; 2) la rémunération de ce travail par l'employeur; et 3) le lien de subordination. Ce qui distingue de façon significative un contrat de service d'un contrat de travail est l'existence du lien de subordination, c'est-à-dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

[23]     Les auteurs de doctrine se sont penchés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et sur son revers, le lien de subordination. Voici ce que l'auteur Robert P. Gagnon écrivait dans « Le droit du travail du Québec » , 5e éd. Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003 Cowansville (Québec):

c)          La subordination

90 - Facteur distinctif - L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution » , il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

[...]

92 - Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise. (Le souligné est de moi)

[24]     Il faut préciser que ce qui caractérise le contrat de travail n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur, mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer. Dans l'affaire Gallant c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale affirme :

...Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions...

[25]     Il incombe à cette Cour, qui est chargée de déterminer le type de contrat au Québec auquel sont liées les parties, de considérer et de suivre l'approche préconisée par le juge Archambault de cette Cour dans une publication intitulée « contrat de travail » : « Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer? » , publiée au cours du quatrième trimestre de 2005 par l'Association de planification fiscale et financière (APFF) et le ministère fédéral de la Justice dans le Second recueil d'études en fiscalité de la collection l'Harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien et dont il a repris le thème dans l'arrêt Vaillancourt c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2004] A.C.I. no 685 où il écrivait ce qui suit :

            À mon avis, les règles régissant le contrat de travail en droit québécois ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59 [Pour un exposé approfondi des motifs justifiant cette conclusion, voir l'article sur Wiebe Door, précité.] Au Québec, un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour décider si un contrat constitue un contrat de travail ou un contrat de service.

[26]     Aux termes de son analyse, le Ministre a déterminé que l'appelante était au service du payeur en vertu d'un contrat de travail et qu'il existait entre elle et le payeur une relation employeur-employé.

[27]     Il s'agit maintenant de déterminer si l'emploi qu'occupait l'appelante était assurable ou si, comme le prétend le Ministre, cet emploi est exclu en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi parce qu'il existe un lien de dépendance selon l'alinéa 251(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je reproduis ci-dessous les extraits pertinents de ces lois :

5(2)       N'est pas un emploi assurable :

            i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

Article 251 : Lien de dépendance.

(1)         Pour l'application de la présente Loi :

            c) en cas d'inapplication de l'alinéa b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[28]     L'alinéa 251(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu précité prévoit que les personnes non liées peuvent être considérées comme agissant entre elles avec un lien de dépendance en certaines circonstances si les faits qui entourent la relation appuient une telle conclusion. Dans ce cas, l'emploi n'est pas assurable en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi, précité.

[29]     Le juge Archambault de cette Cour dans l'arrêt Gestion Yvan Drouin Inc. c. Canada, [2000] A.C.I. no 872, devant une analyse semblable, écrivait ce qui suit :

Le contexte légal dans lequel s'insère la notion de dépendance ayant été analysé, étudions maintenant son interprétation jurisprudentielle. Mon collègue le juge Bonner a eu à se pencher sur cette notion dans l'affaire McNichol c. Canada, [1997] A.C.I. no 5, para. 16, [97 D.T.C. 111, 117 et 118] :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

            a)          l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

            b)          les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

            c)          le contrôle « de facto » (réel).

[...]

            Par rapport au deuxième critère - celui d'agit de concert sans avoir d'intérêt distinct, qui est celui qu'a utilisé le ministre en l'espèce - on peut dire qu'il sera rempli si une personne ne fait que participer à une opération, non pour son propre bénéfice mais pour celui de quelqu'un d'autre ou, même s'il agit pour son propre bénéfice, s'il agit aussi pour quelqu'un d'autre dans un contexte de réciprocité. On agit ainsi sans intérêt distinct, et non de façon indépendante pour son propre intérêt.

[30]     Dans la cause Parrill c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1680, le juge Cuddihy de cette Cour s'exprimait ainsi :

...des parties ont un lien de dépendance lorsque la considération prédominante ou l'intérêt global ou encore la méthode utilisée est assimilé à un processus qui n'est pas caractéristique de ce que l'on pourrait s'attendre de parties n'ayant effectivement entre elles aucun lien de dépendance.

            Des parties ont entre elles un lien de dépendance s'il existe une même personne qui dirige les négociations des deux parties à une opération ou que les parties à une opération agissent de concert, sans avoir d'intérêts distincts, ou que l'une ou l'autre partie à une opération exerçait une influence ou un contrôle sur l'autre ou avait le pouvoir de le faire et que les opérations des parties ne sont pas compatibles avec l'objet et l'esprit des dispositions de la loi et n'indiquent pas une juste participation au jeu normal des forces économiques du marché.

[31]     Lorsque les parties sont liées au sens de cette Loi, le Ministre a reçu le mandat de faire son analyse des faits à la lumière des critères énoncés à l'alinéa 5(3)b) de la Loi qui stipule ce qui suit :

5(3)       Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

            b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

Les circonstances entourant l'emploi de l'appelante

Modalités de l'emploi

[32]     L'appelante a travaillé comme serveuse, pendant la période en litige, tout en s'occupant de la comptabilité et des commissions pour l'entreprise. Le restaurant était en opération sept jours par semaine de 11 h à 22 h et de 9 h 30 à 22 h pendant les fins de semaine. L'appelante travaillait comme serveuse sur le plancher du lundi au vendredi de 11 h à 14 h et du dimanche au samedi de 16 h 30 à 22 h. Elle s'occupait de la comptabilité et faisait les commissions de 14 h à 16 h 30. Elle travaillait donc un minimum de 65 heures par semaine.

[33]     Les heures réellement travaillées par l'appelante contredisent son relevé d'emploi qui rapporte 643 heures assurables au cours des 26 semaines de la période en litige.

[34]     Le nombre de jours travaillés ainsi que le nombre d'heures de travail de l'appelante supportent la notion d'un lien de dépendance entre elle et le payeur.

Rétribution versée

[35]     Les deux travailleurs, l'appelante et David Delavaud, avaient fixé leur salaire à 350 $ par deux semaines. À ceci venait s'ajouter des pourboires de l'ordre de 50 $ à 100 $ par semaine pour l'appelante qu'elle recevait aux deux semaines.

[36]     Cependant, le relevé d'emploi émis à l'appelante, pour la période en litige, fixe sa rémunération totale à 6 435,66 $ pour 26 semaines, soit 247,52 $ par semaine. Compte tenu de son nombre minimum de 65 heures par semaine, sa rémunération était de l'ordre de 3,80 $ l'heure. Si l'on considère que l'aide-cuisinier à l'emploi du payeur était rémunéré aux taux de 10 $ l'heure et les serveuses au taux de 6,75 $ l'heure, l'appelante n'était pas rémunérée selon le taux prescrit par la Commission des normes du travail.

[37]     En outre, il a été établi que l'appelante a continué son travail pour le payeur jusqu'à la date officielle de fermeture de l'entreprise, soit le 23 décembre 2004, sans salaire, les finances du payeur ne permettant pas de verser son salaire, ni sa paye de vacances qui avait été prévue lors de la mise à pied.

[38]     Il est permis de douter qu'un employé sans lien de dépendance aurait accepté de travailler dans de telles conditions.

Durée de l'emploi

[39]     L'appelante a cessé son travail le 23 décembre 2004 mais elle avait cessé d'être rémunérée le 19 décembre 2004. Selon la preuve, elle n'a déposé aucune plainte auprès de la Commission des normes du travail pour réclamer le salaire non versé ainsi que pour récupérer la paie de vacances prévue et non versée à la cessation de son emploi.

Nature et importance du travail

[40]     Il a été démontré que le travail de l'appelante était essentiel à l'entreprise du payeur; ses tâches étaient intégrées aux activités de l'entreprise. La preuve a révélé que l'appelante était très impliquée dans l'entreprise du payeur et porte à la conclusion qu'un employé non lié aurait pu la remplacer dans les mêmes circonstances.

[41]     L'appelante demande à cette Cour de renverser la décision du Ministre.

[42]     Le mandat et le pouvoir de cette Cour a été prescrit par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 où le juge Marceau a statué ce qui suit :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[43]     Après analyse du dossier, cette Cour doit conclure que le Ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon prescrite par la Loi, et cette Cour ne voit nullement le bien-fondé de son intervention.

[44]     En conséquence, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 30e jour de janvier 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2005CCI27

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-2219(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Judith Grenier et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 23 novembre 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable S.J. Savoie,

juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Pour l'intimé :

Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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