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Dossier : 2004-2881(IT)I

ENTRE :

 

DIANE LESTAGE GIGUÈRE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 mars 2005, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

 

Avocat de l'intimée :

Me Alain Gareau

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2002 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de mai 2005.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

 

Référence : 2005CCI201

Date : 20050513

Dossier : 2004-2881(IT)I

ENTRE :

DIANE LESTAGE GIGUÈRE ,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (« Loi ») dont le seul fondement est l'imposition de la pénalité prévue par le paragraphe 163(1) de la Loi qui se lit comme suit :

 

ARTICLE 163 : Omission répétée de déclarer un revenu.

 

            (1) Toute personne qui ne déclare pas un montant à inclure dans le calcul de son revenu dans une déclaration produite conformément à l'article 150 pour une année d'imposition donnée et qui a déjà omis de déclarer un tel montant dans une telle déclaration pour une des trois années d'imposition précédentes est passible d'une pénalité égale à 10 % du montant à inclure dans le calcul de son revenu dans une telle déclaration, sauf si elle est passible d'une pénalité en application du paragraphe (2) sur ce montant.

 

[2]     Lorsqu'il a établi et ratifié la nouvelle cotisation du 15 mars 2004 pour l'année d'imposition 2002, le ministre du Revenu national (« ministre ») s'est fondé sur les hypothèses de faits suivantes :

 

a)         La société CIBC World Markets Inc. a émis à l'appelante, un formulaire T-5 « Revenus de placement » indiquant des revenus d'intérêts canadiens de 8 318,74 $, pour l'année d'imposition 2002;

 

b)         L'appelante n'a pas déclaré ce revenu de 8 318,74 $ dans sa déclaration de revenus pour son année d'imposition 2002;

 

c)         En 2001, la société Merrill Lynch Canada Inc. a émis à l'appelante un formulaire T5 « Revenus de placement » indiquant un dividende imposable de 250,00 $ et des revenus d'intérêts de 18 797,54 $;

 

d)         L'appelante avait également omis de déclarer les montants mentionnés dans le sous-paragraphe précédent, dans sa déclaration de revenus pour son année d'imposition 2001;

 

e)         Le ministre a donc imposé à l'appelante un montant de 831,80 $ représentant 10 % du revenu non déclaré, pour l'année d'imposition 2002.

 

[3]     L'appelante était présente; elle avait cependant mandaté son conjoint pour la représenter. Ce dernier a déclaré avoir lui‑même complété au moyen d'un logiciel les déclarations de revenu de sa conjointe, l'appelante.

 

[4]     Après avoir été assermenté, il a admis comme étant véridiques tous les faits ayant constitué les fondements de la pénalité, seul objet de la cotisation dont il est fait appel.

 

[5]     Au soutien de l'appel, monsieur Paul Giguère a essentiellement fait valoir qu'il assumait seul la responsabilité de ce qu'il a qualifié comme étant de simples erreurs, soit le fait d'avoir omis de déclarer des revenus d'intérêts pour les années d'imposition 2001 et 2002. Il a cependant fait valoir qu'il s'agissait d'oublis dont les fondements étaient totalement différents.

 

[6]     Pour l'année 2000, il s'agissait d'une banale erreur, soit l'oubli de tenir compte d'un feuillet lors la préparation de la déclaration de revenu de son épouse. Quant à l'autre année sur laquelle porte l'appel, il s'agissait d'une mauvaise interprétation du contenu de l'un de deux feuillets.

 

[7]     Selon l'appelante, il s'agissait sans doute d'une erreur de la société émettrice puisqu'il semblait y avoir deux feuillets pour un même dossier; cependant, il a été établi qu'il s'agissait bel et bien de deux dossiers différents où des revenus de placement, presque identiques, ont été payés.

 

[8]     Pour ce qui est du premier oubli, en 2001, il a été établi que le montant de revenus d'intérêts de 18 797,54 $ et le montant à titre des dividendes de 250 $ constituaient des montants substantiels par rapport aux revenus totaux de l'appelante de cette année.

 

[9]     Quant à l'année d'imposition 2002, l'explication était d'un tout autre ordre. La société CIBC World Markets Inc. avait délivré deux relevés d'intérêt pour cette année d'imposition, l'un au montant de 8 318,25 $, pièce A-1, et l'autre, au montant de 8 318,74 $, pièce A‑2. La différence entre les deux relevés était donc négligeable, soit 49 ¢.

 

[10]    Le conjoint de l'appelante, à qui furent remis les deux feuillets pour la déclaration de revenus de cette dernière, voyait ce genre de feuillet pour la première fois. Il a tenu pour acquis qu'il s'agissait d'une erreur de la société CIBC World Markets Inc.; il a donc conclu que les deux feuillets indiquant les revenus de placement avaient sans doute le même objet.

 

[11]    En d'autres termes, la société émettrice avait, selon lui, de toute évidence délivré deux feuillets relatifs au même placement. Il a donc décidé d'en laisser un de côté et de comptabiliser l'autre dans les revenus de son épouse pour cette année d'imposition. Comme il s'agissait d'un deuxième oubli sur une période de 3 ans, la pénalité prévue au paragraphe 163(1) de la Loi fut imposée à son épouse.

 

[12]    À la face même des feuillets, il y avait effectivement une ressemblance étonnante quant au montant; en effet, la différence entre les deux montants apparaissant sur les feuillets n'était que de 49 ¢. La similitude des deux feuillets pouvait donc raisonnablement expliquer la perception du conjoint de l'appelante.

 

[13]    Bien qu'un tel réflexe puisse avoir été normal, il ne suffisait pas de s'appuyer sur cette seule perception pour déterminer les montants à inclure dans le revenu, d'autant plus que le montant ainsi écarté à partir de cette perception était fort important, eu égard aux revenus totaux déclarés.

 

[14]    En effet dans de telles circonstances, il aurait été avisé de tenir compte des capitaux qui avaient produit les revenus indiqués sur les feuillets. Un tel exercice aurait permis de confirmer ou d'infirmer la conclusion à l'effet qu'il s'agissait d'une erreur de la société émettrice. En effet, la prudence élémentaire exigeait de la bénéficiaire qu'elle fasse une vérification auprès de la société émettrice.

 

[15]    Il s'agissait d'un montant substantiel, eu égard aux revenus totaux de l'appelante; selon les explications du conjoint de l'appelante, le montant indiqué sur chaque feuillet correspondait à près de 10 % des revenus de l'appelante.

 

[16]    Dans son avis d'appel, l'appelante décrit bien la nature de l'erreur commise par son conjoint. Elle écrit ce qui suit :

 

I – L'erreur est différente parce qu'elle concerne un montant non déclaré de 8 318 $ pour lequel CIBC Wood Gundy m'avait envoyé un avis. Or j'ai déclaré le montant de 8 318 $ avant le 30 avril 2003 tel qu'il apparaît dans ma déclaration. L'erreur provient du fait que Wood Gundy a fait parvenir 2 sommaires des dépenses et revenus de placements pour 2002 (voir original de ceux-ci ci-joints) ayant le même montant. N'ayant jamais vécu une telle situation dans le passé mais ayant vécu en 2000 et 2001 des sommaires erronés que Wood Gundy m'avait fait parvenir, j'ai conclu qu'il s'agissait d'un dédoublement et n'ai inscrit le montant qu'une fois dans ma déclaration. Donc le montant a été déclaré mais il aurait fallu le déclarer deux fois.

 

II - En étudiant les deux sommaires des dépenses et revenus de placements pour 2002 de 8 318 $ (que je joins ci-après) vous constaterez qu'ils sont à 99 % identiques et qu'il est raisonnable pour toute personne manipulant les deux relevés de conclure qu'il s'agit d'une répétition du même. En effet la seule différence notable concerne les dates dans la première colonne de gauche. Or c'est la première fois que je reçois des relevés annuels en deux parties concernant des revenus de placement et ne pouvais soupçonner que la description des différents revenus concernaient des revenus en deux périodes.

 

Conclusion (Suite)

 

L'IDENTITÉ DES MONTANTS S'AJOUTANT À L'IDENTITÉ DES RELEVÉS CONSTITUE UNE ERREUR DIFFÉRENTE DE CELLE DE 2001 ET INVALIDE LA RÈGLE À LA BASE DE CETTE PÉNALITÉ. De plus il s'agit d'une confusion que toute personne raisonnable mise dans la même situation aurait commise et non d'une erreur.

 

[17]    La question en litige est de déterminer si le seul fait d'avoir omis de déclarer certains revenus pour une année d'imposition donnée (2002), après avoir omis de déclarer un autre montant dans une autre déclaration pour une des trois années d'imposition précédentes (2001), est suffisant pour justifier l'imposition de la pénalité prévue à l'alinéa 163(1) de la Loi ou si des motifs ou des raisons expliquant l'omission peuvent et doivent être pris en compte pour annuler l'imposition d'une telle pénalité.

 

[18]    À première vue, le fait d'imposer une pénalité à un contribuable sans lui permettre au préalable de faire valoir des explications au sujet de la non déclaration de revenus peut sembler sévère.

 

[19]    Il m'apparaît donc important de souligner qu'il ne s'agit aucunement de la pénalité que le législateur a voulu imposer aux personnes qui produisaient leurs déclarations de revenus en omettant sciemment de déclarer certains revenus. Cette pénalité, prévue à l'alinéa 163(2), est assujettie à une preuve dont le fardeau incombe au ministre. Ce fardeau est lourd. Le ministre doit prouver qu'il y a négligence grossière équivalant à une faute lourde.

 

[20]    Pour ce qui est de la pénalité prévue au paragraphe 163(1), dont il est question en l'espèce, il s'agit d'une pénalité d'un tout autre ordre; en effet, cette pénalité est applicable lorsqu'une personne commet deux omissions sur une période de trois ans; le montant de la pénalité est alors établi en fonction du montant non déclaré et correspond à 10 % du revenu non déclaré.

 

[21]    En raison de cette disposition, un contribuable, qui, pour une année donnée, omet de déclarer dans ses revenus un montant devra faire preuve de plus de vigilance afin de ne pas récidiver, du moins dans les deux années qui suivent la première omission.

 

[22]    L'imposition de la pénalité n'a rien à voir avec la mauvaise foi ou avec la gravité de l'oubli. Elle découle essentiellement du constat de deux oublis sur une période de trois ans. L'importance de la pénalité est uniquement fonction du montant non déclaré lors de la récidive.

 

[23]    La personne qui fait l'objet d'une telle pénalité peut-elle en obtenir l'annulation si elle est en mesure de fournir des explications justifiant sa deuxième omission?

 

[24]    Cette pénalité peut-elle être annulée si l'erreur ou l'omission a été commise par une personne autre que la personne cotisée?

 

[25]    L'intimée a soutenu qu'il s'agissait ici d'un cas où la seule présence des deux éléments, soit deux omissions de déclarer un montant à inclure dans le calcul de son revenu, et cela, lors de deux années d'imposition sur une période de trois années consécutives, entraîne automatiquement l'imposition de la pénalité en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi.

 

[26]    De plus, l'intimée a fait valoir qu'il s'agissait d'une pénalité à laquelle la personne qui en faisait l'objet ne pouvait pas se soustraire étant donné qu'il s'agissait d'une infraction de responsabilité stricte.

 

[27]    La réponse à la première question à savoir si l'erreur a été commise par une personne autre de la personne à qui la pénalité a été imposée peut être annulée est négative. Tout d'abord, la personne qui commet une erreur doit assumer elle‑même les conséquences de son erreur. L'État n'a pas à assumer la responsabilité, les oublis ou des erreurs des personnes mises à contribution dans le traitement d'un dossier.

 

[28]    Il s'agit là d'une question de responsabilité civile, à savoir que toute personne responsable qui confère un mandat doit assumer les conséquences des erreurs et ou de la négligence de son mandataire.

 

[29]    À cet effet, je rappelle un extrait d'une décision du regretté juge en chef de cette cour, l'honorable juge Couture, dans l'affaire Robert Girard c. Le Ministre du Revenu national, 89 DTC 60 :

 

[...]

Les excuses de l'appelant sont à l'effet qu'il avait mandaté son vérificateur à l'époque pour préparer sa déclaration et que ce dernier est décédé subitement sans avoir complété son travail lequel a été remis après plusieurs mois d'attente à un autre vérificateur qui lui est décédé accidentellement sans également avoir complété le travail et ce n'est que le troisième vérificateur qui a pu finalement lui préparer les états financiers nécessaires.

 

La preuve a également dévoilé que l'appelant a produit deux déclarations pour l'année d'imposition 1976. La première dûment signée par ce dernier semble avoir été produite avant le 1er mai 1977 tandis qu'une déclaration amendée également signée par lui a été produite le 11 octobre 1978. Ni dans la première et ni dans la seconde l'appelant a-t-il déclaré le profit qu'il avait réalisé lors des ventes du motel Hong Kong et du Château. Il a tenté d'expliquer cette omission en prétendant confusion de sa part ayant égard au fait qu'il aurait subi des pertes pour l'année en question provenant d'autres sources d'activités et que ces pertes l'auraient porté à croire qu'elles élimineraient le profit en question.

 

Pour se dégager de sa responsabilité devant la loi lorsqu'un appelant a omis de déclarer un revenu, il ne suffit pas pour lui d'attribuer cette omission à des circonstances apparemment hors de son contrôle et d'essayer de placer le blâme sur des tiers. Lorsqu'il signe sa déclaration d'impôt pour une année d'imposition il a signé également le certificat suivant :

 

Je certifie par les présentes que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents ci-joints sont vrais, exacts et complets sous tous les rapports et révèlent la totalité de mes revenus de toutes provenances.

 

Cette formule qui est statutaire m'apparaît très claire et nécessite aucune explication. Signée par un contribuable elle crée une présomption en faveur de l'exactitude de la déclaration basée sur le fait que le contribuable était conscient et satisfait de son contenu lors de sa signature. Il en est de même pour toutes les annexes qui doivent être complétées et produites sans exception avec la déclaration si les circonstances l'exigent.

 

Je ne maintiens pas par ailleurs que le fait pour un contribuable d'avoir signé un tel certificat le rend automatiquement passible de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) advenant qu'il ait commis une infraction quelconque dans cette déclaration. Je reconnais qu'il y a toute une gamme de circonstances qui peuvent faire que sa responsabilité devant ce paragraphe soit entièrement dégagée. Mais pour réussir à convaincre la Cour que l'infraction qu'il a pu commettre l'a été en raison de circonstances indépendantes de son contrôle, et dégager ainsi sa responsabilité, il doit lui démontrer qu'il a apporté une attention et une diligence raisonnable dans les circonstances à la préparation et à la production de sa déclaration.

 

[Je souligne.]

 

[30]    Dans l'affaire Findlay c. Canada, [2000] A.C.F. no 731 (Q.L.), l'honorable juge Isaac, de la Cour d'appel fédérale, affirmait :

 

[...]

- Le fait que M. Findlay ait engagé et payé quelqu'un pour qu'il prépare sa déclaration (comme des milliers d'autres) n'écarte pas sa responsabilité de produire une déclaration de revenus exacte.

[...]

[Je souligne.]

 

[31]    Quant à l'autre question, relative à la nature de la pénalité, elle a été traitée, le 15 novembre 1991, par l'honorable juge Bowman de cette cour dans l'affaire Maltais c. Canada, [1991] A.C.I. no 1003 (Q.L.). Il a dit ce qui suit :

 

[...] Dans un système d'autocotisation, le contribuable a l'obligation de veiller à ce que ses déclarations soient complètes.  S'il appert que l'omission de déclarer certains revenus expose le contribuable à une pénalité différente de celle à laquelle il s'attendait, c'est au contribuable d'en assumer la responsabilité, qu'il ne saurait imputer aux fonctionnaires du ministère du Revenu national.

 

[...] L'appelant m'est apparu comme un jeune homme honnête et honorable, et je suis convaincu qu'il n'avait pas l'intention de se soustraire à l'impôt sur le revenu qu'il devait payer.  Si tel avait été le cas, des sanctions plus lourdes auraient pu être envisagées aux termes du paragraphe 163(2). Me Ghan a fait valoir pour le compte de l'intimée que le paragraphe 163(1), tel qu'il s'appliquait en 1989, n'exigeait pas de la part du contribuable l'intention volontaire de se soustraire à l'impôt. À l'appui de cette thèse, il a signalé que, dans sa formulation antérieure, le paragraphe 163(1) parlait de « toute personne qui tente volontairement de se soustraire à l'impôt qu'elle doit payer », tandis que le paragraphe 163(2) employait l'expression « sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde ». Ces dispositions exigent l'existence d'une intention coupable ou d'une négligence. Je suis d'accord avec l'intimée sur ce point. À mon avis, l'omission qui entraîne l'application d'une pénalité aux termes du paragraphe 163(1), tel qu'il s'appliquait à l'année d'imposition 1989, correspond à une responsabilité stricte [Note 1 annexée à la fin du jugement]. Autrement, le paragraphe 163(2) serait superflu. Il en découle que, lorsque le Ministre est tenu, aux termes du paragraphe 163(3), de justifier l'imposition de la pénalité prévue au paragraphe 163(1), il s'acquitte de cette charge en établissant que le contribuable a omis de déclarer un revenu pour une année et qu'il a déjà omis de déclarer un tel montant dans une déclaration de revenus pour une des trois années d'imposition précédentes.  Il n'est pas nécessaire de déterminer en l'espèce si les sommes que le contribuable a omis de déclarer au cours de plus d'une année d'imposition doivent être de même nature.

[Je souligne.]

 

Note 1:     Je parle ici de responsabilité « stricte » plutôt qu'« absolue » afin de me conformer à la distinction qu'a établie la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. la Corporation de la Ville de Sault Sainte-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299. L'appelant aurait pu invoquer une défense de diligence raisonnable, mais cela n'a pas été le cas, d'après les faits.

 

[32]    Plus récemment, la question a été traitée à nouveau d'une manière encore plus explicite. À cet égard, je crois que les extraits suivants tirés de la décision Canada (Procureur généra) c. Consolidated Canadian Contractors Inc. (C.A.), [1999] 1 C.F. 209 sont très pertinents :

 

[...]

 

11        Un des principaux arguments du ministre est que la jurisprudence Sault Ste-Marie n'autorise le juge à conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable qu'en cas d'infraction contre le bien-être public ou en matière réglementaire, reconnue infraction de responsabilité stricte. À son avis, la Cour de l'impôt n'a pas compétence pour la dégager de la loi en cas de pénalité administrative. En d'autres termes, la décision Pillar Oilfield a été mal jugée. À l'évidence, l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise ne prévoit pas une infraction en matière réglementaire, mais une pénalité administrative. À mon avis cependant, la jurisprudence Sault Ste-Marie ne fonde pas la thèse du ministre. Pour bien saisir ce que la Cour suprême était appelée à décider dans cette affaire, il est nécessaire de rappeler les règles de droit qui existaient jusque là.

 

[...]

 

21        En l'espèce, le ministre soutient que les principes définis par l'arrêt Sault Ste-Marie ne s'appliquent qu'aux infractions en matière réglementaire et que, l'article 280 n'étant pas une disposition prévoyant une telle infraction, le moyen de défense de la diligence raisonnable n'est pas recevable. Je pense qu'il s'agit là d'une interprétation trop restrictive de ce précédent. Celui-ci pose que la diligence raisonnable représente un moyen de défense valide dans le contexte des infractions contre le bien-être public. Il ne porte pas sur la question de savoir si les pénalités administratives impliquent responsabilité absolue ou responsabilité stricte. Il n'y a à ma connaissance aucune règle de common law qui exclut le moyen de défense de la diligence raisonnable face aux pénalités administratives. Pour plus de clarté, précisons que rien ne permet de dire que toutes les sanctions administratives impliquent responsabilité absolue. J'incline à faire miens les motifs prononcés par le juge Dickson dans Sault Ste-Marie pour rejeter l'argument que la responsabilité stricte n'a rien à voir avec les infractions en matière réglementaire, et à appliquer ce raisonnement aux pénalités administratives.

 

[...]

 

36        À mon avis, le cadre d'analyse formulé par le juge Dickson pour identifier les infractions de responsabilité absolue est surtout l'expression de ce qui est devenu la méthodologie « moderne » d'interprétation des lois. Cette approche consiste en une analyse contextuelle et téléologique du texte; elle a été officiellement adoptée par la Cour suprême dans Stubart Investments, supra, opinion du juge Estey, à la page 578 citant Driedger (2e), à la page 87 [Driedger, E.A. Construction of Statutes, 2e éd.]. Dans Sault Ste-Marie, le juge Dickson a fait observer que pour décider s'il y a infraction de responsabilité absolue, le juge doit prendre en considération (1) la précision des termes employés dans le texte, (2) la gravité de la peine, (3) l'objet de la législation, et (4) l'économie générale de la réglementation adoptée par le législateur. Je pense que les deux derniers facteurs requièrent une analyse contextuelle et téléologique des dispositions applicables du texte en question. À tout le moins, c'est de cette façon que les tribunaux ont généralement appliqué ces facteurs; voir Nickel City Transport, supra. Compte tenu des critères définis dans Sault Ste-Marie, je me propose d'examiner le principal point litigieux soulevé dans la présente demande de contrôle judiciaire, en appliquant le cadre d'analyse suivant.

 

37        Le principe posant qu'il ne peut y avoir de punition sans faute donne lieu à la présomption réfutable que le législateur « n'entendait pas » imposer la responsabilité absolue. Cette présomption est aussi un prolongement logique de l'idée que les peines constituent un moyen de dissuasion propre à faire en sorte que les gens observent une norme minimale de diligence quand ils remplissent les obligations qu'ils tiennent de la loi. Il s'agit d'encourager les gens à faire preuve de diligence raisonnable pour ne pas manquer à leurs obligations légales. S'il en est ainsi, la personne qui encourt la peine doit être en mesure de se défendre en soutenant qu'elle s'est conformée à la norme de diligence requise. Il semble par conséquent à la fois juste et logique de présumer que le législateur entendait imposer la responsabilité stricte et non la responsabilité absolue. Cette présomption sera cependant écartée si le langage employé par le rédacteur signifie sans équivoque que le législateur entend imposer la responsabilité absolue, ou si la peine n'a que des conséquences insignifiantes. À supposer que la présomption ne soit pas réfutée par ces motifs, il faut ensuite examiner si le moyen de défense de la diligence raisonnable est incompatible avec l'économie du texte ou s'il fait échec aux fins pour lesquelles la peine a été prévue.

 

38        De même que je rejette l'idée que l'iniquité ou l'injustice flagrante est un motif suffisant pour conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable, de même j'estime que le juge est fondé à extrapoler le texte de loi pour éviter le même résultat, s'il peut être prouvé que le redressement accordé est compatible avec l'économie du texte et ne fait pas obstacle au but de ce dernier. Ces restrictions devraient parer à tout argument potentiel que la Cour va à l'encontre de son propre rôle constitutionnel; voir Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1133, et Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279 (C.A.).

 

[...]

 

45        Il y a deux raisons pour lesquelles je rejette l'argument que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable entraînera l'effondrement de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise. La première est qu'il n'y a aucune preuve à l'appui de pareille prédiction de catastrophe. La seconde est que, si l'argument du ministre est fondé, on ne voit pas pourquoi la Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoit pas une pénalité comme celle de l'article 280. Cette dernière Loi institue elle aussi un régime de déclaration et d'autocotisation pour l'impôt fédéral comme provincial. Personne n'a jamais dit que ce régime est en difficulté parce que les contribuables ne sont pas automatiquement pénalisés chaque fois qu'ils ne calculent et ne versent pas comme il faut l'impôt dû dans le délai imparti. (On se demande combien de Canadiens calculent mal leur impôt et versent moins que ce qu'ils doivent, chaque année.) Il ne faut pas oublier que les inscrits au régime de la Loi sur la taxe d'accise font aussi leur déclaration annuelle d'impôt en application de la Loi de l'impôt sur le revenu et que, s'agissant d'entreprises, ils ont pour responsabilité de verser périodiquement au receveur général les retenues à la source sur la rémunération de leurs employés. L'un et l'autre de ces régimes fiscaux dépendent de l'intégrité et de l'honnêteté des Canadiens. Il est fort possible que la TPS soit la taxe la plus controversée et la plus impopulaire qui ait jamais été instituée au Canada, mais il n'y a aucune raison de présumer que les entreprises observent moins les obligations qu'elles tiennent de la Loi sur la taxe d'accise que celles imposées par la Loi de l'impôt sur le revenu. À mon avis, le ministre n'a pas fait la preuve que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable gênerait l'application efficace de la Loi sur la taxe d'accise. J'en viens maintenant à son second argument, savoir que l'existence de pareil moyen de défense ferait échec à la fonction « incitative » de l'article 280.

 

[...]

 

47        En théorie, ni la pénalité ni l'existence du moyen de défense de la diligence raisonnable n'est censée avoir d'effet sur ceux qui sont déjà « consciencieux ». Ainsi que l'a fait observer le juge Dickson dans Sault Ste-Marie, si une personne prend déjà toutes les précautions raisonnables, on voit mal pourquoi une disposition pénale l'incitera à prendre d'autres mesures encore, sachant qu'elles ne constitueront pas un moyen de défense. Ce n'est qu'à l'égard de ceux qui ne se soucient guère de leurs obligations légales qu'on pourrait affirmer que les peines favorisent l'observation de la norme de diligence requise. Il s'agit donc de savoir si certains inscrits décident sciemment de ne pas se soucier des obligations qu'ils tiennent de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'ils savent qu'ils ont à leur disposition le moyen de défense de la diligence raisonnable. J'en doute. Comme noté au début, la non-observation coûte davantage que le versement de la pénalité de 6 p. 100. Il y a aussi les intérêts courus sur le moins-payé, et le moins-payé lui-même, l'un et l'autre se composant quotidiennement. Il y a encore le coût de l'appel interjeté de la cotisation ministérielle devant la Cour de l'impôt. Même si l'inscrit n'est pas représenté par avocat, le coût en temps perdu et en tension nerveuse dans un long contentieux (trois ans en l'espèce) fait que seuls des sots trouveront du réconfort dans l'existence d'un moyen de défense implicite de la diligence raisonnable.

 

[...]

 

58        Il serait présomptueux de ma part de donner l'impression que le ministre n'a pas conscience du problème de l'« erreur de droit ». Ce moyen a été avancé en première instance dans l'affaire Locator of Missing Heirs Inc., supra, et rejeté par le juge Bowman. Tout comme ce dernier, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les concepts de droit pénal dans les matières telle l'affaire en instance. Un plaidoyer de diligence raisonnable, qui serait accueilli dans le contexte des infractions en matière réglementaire, exonérerait de toute forme de sanction. Par contre, dans les affaires touchant l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise, les inscrits n'invoquent pas l'erreur de droit à titre de moyen de défense en cas de défaut de perception et de versement de la TPS. Personne n'a jamais contesté qu'ils soient toujours tenus au moins-payé et aux intérêt y afférents. En effet, la Loi prévoit qu'ils ont le droit de percevoir tout montant qui aurait dû être recouvré auprès de ceux qui sont tenus au paiement de la taxe. Ce qu'ils contestent, c'est la pénalité automatique de 6 p. 100.

 

 

[33]    Bien qu'il soit, en principe, possible de faire valoir des explications de nature à justifier ou, tout au moins, expliqué le pouquoi de l'oubli à l'origine de la pénalité dans le but d'obtenir ainsi possiblement l'annulation de la pénalité, les explications soumises en l'espèce ne justifient aucunement l'annulation de la pénalité. Il s'agissait d'une erreur non anodine, eu égard à l'importance des revenus totaux de l'appelante.

 

[34]    L'appelante ne peut non plus faire valoir le fait que le responsable de l'erreur était son conjoint, qui remplissait chaque année ses déclarations de revenus. En signant ses déclarations de revenus, l'appelante attestait que les renseignements qui s'y trouvaient étaient exacts.

 

[35]    Il s'agissait de montants substantiels, compte tenu des revenus déclarés. Dans un cas (2001), le montant représentait près de 40 % des revenus et dans l'autre cas (2002), il s'agissait d'un montant qui dépassait 15 % des revenus déclarés.

 

[36]    Je conclus donc que l'explication soumise pour justifier l'annulation de la pénalité n'est pas recevable. Conséquemment, je confirme le bien‑fondé de la pénalité.

 

[37]    L'appel est donc rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de mai 2005

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2005CCI201

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-2881(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Diane Lestage Giguère c. La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 15 mars 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 13 mai 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

 

Avocat de l'intimée :

Me Alain Gareau

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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