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Dossier : 2004-3606(EI)

ENTRE :

GILLES PELLERIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 10 mai 2005, à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre R. Dussault

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :

Me Philippe Dupuis

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) est accueilli à la seule fin de modifier la décision du ministre concernant la période en litige, qui est en réalité du 27 mars au 17 octobre 2003, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2005.

« P. R. Dussault »

Juge Dussault


Référence : 2005CCI361

Date : 20050620

Dossier : 2004-3606(EI)

ENTRE :

GILLES PELLERIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Dussault

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon laquelle Toni Marcotte (le « travailleur » ) a exercé un emploi assurable auprès de l'appelant du 1er janvier au 31 décembre 2003.

[2]      D'emblée, l'avocat de l'intimé reconnaît que la décision du ministre aurait dû porter sur la période du 27 mars au 17 octobre 2003, laquelle est la seule période en litige.

[3]      Pour établir que le travailleur était lié à l'appelant par un contrat de louage de services au cours de la période en litige, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de faits énoncées aux alinéas a) à u) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent :

a)          l'appelant faisait affaires sous la raison sociale « Les entreprises Gilles Pellerin enr. » depuis le 16 juin 2000;

b)          l'appelant exploitait une entreprise d'excavation et d'exploitation forestière;

c)          l'appelant était le seul propriétaire de l'entreprise;

d)          le travailleur avait été embauché par l'appelant comme mécanicien et comme opérateur de machinerie;

e)          au printemps 2003, le travailleur consacrait environ 80 % de son temps à la mécanique et à l'entretien de la machinerie, le 20 % restant à l'excavation, à l'été 2003, le temps de travail du travailleur était divisé à 50 % entre les deux activités;

f)           le travailleur effectuait ses tâches de mécanique au garage de l'appelant;

g)          le travailleur effectuait ses tâches d'excavation chez les clients de l'appelant;

h)          le travailleur n'avait pas d'horaire de travail fixe;

i)           l'horaire du travailleur variait selon les besoins d'entretien et les contrats d'excavation de l'appelant;

j)           le travailleur remettait quotidiennement ses feuilles de temps à l'appelant;

k)          le travailleur a travaillé pour l'appelant du 27 mars 2003 au 17 octobre 2003;

l)           du 27 mars 2003 au 17 octobre 2003, le travailleur rendait des services à toutes les semaines à l'appelant;

m)         l'appelant payait le travailleur au taux horaire de 15 $ et ensuite 16 $;

n)          du 27 mars 2003 au 17 octobre 2003, le travailleur a travaillé durant 1 449 heures soit en moyenne 51,75 heures par semaine;

o)          du 27 mars 2003 au 17 octobre 2003, le travailleur a reçu 22 951,00 $ de l'appelant, soit une rémunération hebdomadaire moyenne de 819,68 $;

p)          le travailleur a toujours été payé;

q)          l'appelant avait le pouvoir de contrôler le travail du travailleur;

r)           le travailleur fournissait ses outils de soudure, évalués à 6 000 $ pour l'exécution de ses tâches;

s)          l'appelant fournissait les camions et la machinerie d'excavation, évaluée à 300 000 $ au travailleur;

t)           mis à part le bris de ses outils de soudure, le travailleur n'encourrait pas de risque financier dans l'exécution de ses tâches pour le payeur;

u)          les tâches du travailleur étaient intégrées aux activités du payeur;

[4]      Les alinéas a), c), d), q), r), et t) sont niés. Les alinéas i) et u) sont admis en partie. Les autres alinéas sont admis.

[5]      Seul l'appelant a témoigné.

[6]      L'appelant exploite son entreprise avec son épouse depuis 1980[1]. Il a expliqué que monsieur Marcotte était le nouveau conjoint de sa cousine Nancy, qu'il avait travaillé auparavant comme travailleur autonome auprès de plusieurs entrepreneurs et qu'il se trouvait sans travail au printemps 2003. C'est monsieur Marcotte lui-même qui aurait proposé ses services à l'appelant comme travailleur autonome avec l'idée de pouvoir s'associer éventuellement avec lui dans l'exploitation de son entreprise.

[7]      Selon l'appelant, lorsque monsieur Marcotte s'est présenté à lui pour du travail, il avait ses propres outils de soudure et de mécanique, d'une valeur d'environ 12 000 $ neufs, son camion, un téléphone portable, un téléavertisseur et ses vêtements de travail. Par ailleurs, il a admis qu'il possédait lui-même de la machinerie et de l'équipement d'une valeur de 300 000 $ pour l'exploitation de l'entreprise.

[8]      Au début, monsieur Marcotte offrait ses services pour faire des travaux de mécanique, de soudure et de peinture pour la machinerie utilisée par l'appelant dans son entreprise, et ce, au taux de 15 $ l'heure puis de 16 $, qu'il avait lui-même établi. L'appelant a affirmé qu'au départ, monsieur Marcotte n'était pas nécessairement le genre de personne qu'il aurait engagée, mais qu'il lui avait confié des travaux de réparation de la machinerie qu'il faisait jusque là effectuer à gros prix à l'extérieur. Monsieur Marcotte a commencé son travail dans un garage appartenant à l'appelant. Ensuite, il a trouvé un autre garage, puis un deuxième, afin d'effectuer plus adéquatement l'entretien et la réparation de la machinerie et la peinture de l'un des camions de l'entreprise. Bien que l'appelant ait lui-même payé le loyer pour ces emplacements et pour le matériel requis, il a affirmé que c'est monsieur Marcotte qui avait fait toutes les démarches nécessaires.

[9]      L'appelant a décrit monsieur Marcotte comme étant quelqu'un qui avait le génie de la mécanique et qui avançait constamment des idées nouvelles pour améliorer le fonctionnement de la machinerie ou de l'équipement.

[10]     Selon lui, monsieur Marcotte avait plein de projets et cherchait constamment à travers ses multiples contacts à créer de nouvelles occasions d'affaires pour l'entreprise. Ainsi, monsieur Marcotte voulait acheter une pelle mécanique et s'associer avec l'appelant, notamment pour aménager le mont Sévigny, propriété des Ramey, les grands-parents des enfants de sa conjointe. Ce projet aurait permis à l'entreprise d'effectuer des travaux d'excavation pour les fosses septiques, les entrées, les lacs artificiels et généralement l'aménagement paysager des lots à vendre. Toutefois, la partie du terrain des Ramey la plus intéressante à cet égard était en zone verte et trois demandes de modification faites à la Commission de la protection du territoire agricole se sont révélées infructueuses. Ainsi, même si les Ramey se disaient prêts à financer le projet, celui-ci ne pu se réaliser.

[11]     Selon l'appelant, monsieur Marcotte voulait devenir opérateur de pelle mécanique, ce qui requérait 2 000 heures de travail pour obtenir le permis nécessaire. Outre les travaux de peinture et de mécanique, monsieur Marcotte a donc commencé à exécuter des travaux d'excavation, notamment pour l'aménagement des fosses septiques et des champs d'épuration. Toutefois, il a lui-même déniché d'autres contrats pour l'entreprise, entre autres d'un agriculteur pour le chargement de fumier. Monsieur Marcotte aurait aussi obtenu un autre contrat d'un club de propriétaires de véhicules tout-terrains (VTT) pour l'enlèvement de souches et l'aménagement de sentiers pour ces véhicules. Selon l'appelant, monsieur Marcotte aurait continué à exécuter certains de ces contrats après son départ en octobre 2003, alors qu'il avait commencé à travailler avec un autre entrepreneur.

[12]     Monsieur Marcotte aurait aussi fait avec l'appelant un voyage à Toronto, puis un autre à Montréal, pour l'acquisition d'une nouvelle pelle mécanique pour l'entreprise, et ce, sans facturer son temps à l'appelant. En fin de compte, l'achat aurait été effectué par l'appelant auprès d'une entreprise de Sainte-Hyacinthe et c'est monsieur Marcotte qui aurait, après coup, négocié avec le vendeur des spécifications additionnelles en fonction de ce qu'il estimait être les besoins pour les multiples projets qu'il avait en tête. Il aurait également proposé à l'appelant d'équiper ses camions pour faire du déneigement et tenter d'obtenir un contrat de la municipalité à cet effet. L'appelant a affirmé qu'il n'était pas, quant à lui, intéressé par ce projet. Monsieur Marcotte lui aurait aussi fait acheter une pièce spéciale d'équipement pour l'exploitation forestière. Toutefois, l'utilisation de cet équipement aurait, selon l'appelant, requis l'embauche de bûcherons, ce qu'il n'était pas disposé à faire à ce moment.

[13]     L'appelant a aussi fait part que monsieur Marcotte, ne sachant trop comment leur relation d'affaires évoluerait, avait aussi d'autres visées, dont celle de devenir contrôleur routier. Il a également souligné qu'il était chef des pompiers de la municipalité et qu'il s'était absenté à quatre ou cinq reprises lorsqu'il avait dû travailler comme pompier la nuit précédente ou qu'il devait voir à la vérification ou à la gestion du matériel des pompiers. Malgré la demande de l'appelant qu'il abandonne ce poste, monsieur Marcotte a refusé de le faire. Il aurait également refusé de faire du transport en vrac pour l'entreprise.

[14]     Selon l'appelant, les multiples projets mis de l'avant par monsieur Marcotte faisaient en sorte que l'entreprise devenait ou serait devenue « trop grosse à gérer » . De plus, il semble bien que monsieur Marcotte n'avait pas les moyens de ses ambitions et que l'appelant devait financer seul plus de 80 % des coûts. Ce sont ces raisons qui les auraient incités à mettre un terme à leurs relations d'affaires en octobre 2003.

[15]     L'appelant a affirmé que sa relation avec monsieur Marcotte avait évolué tout au cours de la période en litige et que, s'il avait eu au départ une image négative de lui, il lui avait fait de plus en plus confiance au fur et à mesure des travaux exécutés. S'il a reconnu son habilité pour effectuer des travaux de peinture d'un camion, puis ses talents de mécanicien, l'appelant a quand même affirmé qu'en ce qui concernait l'excavation et l'aménagement de fosses septiques et de champs d'épuration, c'est lui-même qui était le spécialiste et qui possédait les permis requis. À cet égard, l'appelant a dit qu'il considérait monsieur Marcotte comme un entrepreneur en formation, comme un partenaire ou un associé, bien que celui-ci n'ait pas eu à l'époque de permis d'entrepreneur ni celui d'opérateur de pelle mécanique. Selon l'appelant, le but était d'exploiter l'entreprise ensemble, mais il aurait fallu que monsieur Marcotte paye sa part de l'entreprise. Durant la période en litige, c'est donc l'appelant qui signait tous les contrats, y compris ceux que monsieur Marcotte avait obtenus grâce à ses contacts. C'est également lui qui en était le seul responsable.

[16]     Quant au travail lié à l'aménagement des champs d'épuration, l'appelant a déclaré qu'il avait fourni les renseignements nécessaires à monsieur Marcotte. C'est lui qui l'avait formé, en quelque sorte, quant aux exigences des travaux à effectuer en fonction des plans présentés, et dont l'exécution était par ailleurs soumise à l'inspection municipale. L'appelant a admis qu'il pouvait vérifier le travail exécuté par monsieur Marcotte, mais qu'il lui faisait confiance et que ce dernier n'aurait pas aimé qu'on vérifie son travail. Il a ajouté que si monsieur Marcotte ne pouvait se faire remplacer, il aurait pu se faire aider pour certains travaux et lui en facturer le coût. Il a aussi mentionné que si le travail n'avait pas été satisfaisant, monsieur Marcotte aurait dû le refaire à ses frais.

[17]     L'appelant a affirmé que monsieur Marcotte n'avait pas d'horaire fixe, qu'il commençait habituellement tôt le matin et finissait tard le soir, bien qu'il pouvait à l'occasion s'absenter le jour lorsqu'il avait des activités, notamment en rapport avec son poste de chef des pompiers de la municipalité. L'appelant a admis que ces absences, à quatre ou cinq occasions, l'avaient dérangé, mais qu'il n'avait pu convaincre monsieur Marcotte de renoncer à son poste. D'ailleurs, selon lui, le poste de monsieur Marcotte lui avait permis d'obtenir un contrat pour enlever les débris d'une maison qui avait pris feu.

[18]     Quant à la rémunération, l'appelant a affirmé qu'il payait monsieur Marcotte à toutes les semaines, selon le nombre d'heures que celui-ci facturait quotidiennement sur une feuille de présence que ce dernier avait lui-même conçue et qui permettait de connaître les détails des travaux effectués (voir pièce I-2). Cette feuille de présence avait aussi été préparée par monsieur Marcotte pour permettre aux contrôleurs routiers de faire une vérification aux fins de l'émission des permis.

[19]     Selon l'entente, l'appelant ne payait monsieur Marcotte qu'en fonction des heures facturées, qu'il vérifiait « grosso modo » , et sans aucun autre avantage de quelque nature que ce soit. Ainsi, par exemple, il n'a jamais payé pour des vacances, contrairement à ce qu'il faisait pour toutes les autres personnes embauchées comme salariés dans l'entreprise. L'appelant a d'ailleurs affirmé qu'il avait eu plusieurs employés et que monsieur Marcotte était la seule personne qui s'était présentée comme travailleur autonome et avec qui il avait fait affaires sur cette base depuis les débuts de son entreprise.

[20]     L'avocat de l'intimé soutient que monsieur Marcotte était lié à l'appelant par un contrat de louage de services au cours de la période en litige. Ainsi, il rappelle que c'est l'appelant qui exploitait l'entreprise et que tous les travaux de peinture, de réparation et d'entretien exécutés par monsieur Marcotte l'ont été dans un garage appartenant à l'appelant ou dans des garages dont il a assumé les frais de location. Quant aux travaux d'excavation ou autres chez les clients, c'est avec la machinerie et l'équipement lourd appartenant à l'appelant que monsieur Marcotte les a exécutés. Il rappelle que cette machinerie et cet équipement avaient une valeur de 300 000 $ alors que les outils de monsieur Marcotte n'avaient qu'une valeur de 12 000 $ neufs.

[21]     Il souligne aussi que c'est l'appelant qui était le spécialiste en matière d'excavation et que c'est lui qui a formé monsieur Marcotte pour l'exécution de ces travaux.

[22]     L'avocat de l'intimé note également que c'est toujours l'appelant qui signait les contrats ou qui facturait les travaux aux clients et qui en assumait la responsabilité, même si monsieur Marcotte avait lui-même obtenu certains contrats ou recruté certains clients.

[23]     Il souligne que si l'appelant a affirmé qu'au début monsieur Marcotte n'était pas le genre de personne qu'il aurait embauchée pour son entreprise, la confiance qu'il lui a peu à peu accordée par la suite a fait en sorte que le besoin de le surveiller a diminué, sans que le pouvoir de le faire ait pour autant disparu. L'appelant a en effet affirmé que les absences de monsieur Marcotte l'avaient dérangé et qu'il lui avait demandé de cesser d'autres activités, notamment celles liées à son poste de chef des pompiers. Il note que l'appelant n'aurait pas toléré des absences en cours de mandat et qu'il conservait toujours ainsi un certain pouvoir de contrôle.

[24]     L'avocat de l'intimé rappelle que monsieur Marcotte facturait ses heures de travail en utilisant des feuilles de présence quotidiennes détaillées, qu'il était payé de façon régulière à toutes les semaines uniquement en fonction de ses heures de travail, et qu'il n'assumait ainsi aucun risque financier lié à l'entreprise. En effet, c'est l'appelant qui a lui-même assumé tous les frais et tous les coûts, dont ceux liés à l'achat de nouvel équipement.

[25]     À l'appui de sa conclusion selon laquelle monsieur Marcotte était lié à l'appelant par un contrat de louage de services, l'avocat de l'intimé se réfère à la décision dans l'affaire Lévesque c. M.R.N., C.C.I., no 2004-4444(EI), 18 avril 2005, [2005] A.C.I. no 183, et la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire 97980 Canada inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), C.A.Q., no 500-09-011220-019, 10 février 2005, [2005] J.Q. no 995.

[26]     L'appelant estime quant à lui que monsieur Marcotte était un travailleur autonome, un entrepreneur qui s'était d'ailleurs présenté à lui comme tel et non un simple exécutant comme les employés qu'il avait embauchés dans son entreprise. L'appelant souligne le fait qu'il avait lui-même été un travailleur autonome à l'égard de plusieurs travaux réalisés dans le passé et pour lesquels les donneurs d'ouvrage assumaient le coût d'une partie de l'équipement et demeuraient responsables des travaux.

Analyse

[27]     La distinction entre un contrat de travail ou de louage de services et un contrat d'entreprise ou de service est établie dans les définitions que l'on retrouve aux articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. » ) :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[...]

2098.    Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.    L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[28]     Comme on peut le constater, l'élément déterminant d'un contrat de travail ou de louage de services est la présence d'un lien de subordination, lequel est inexistant dans le cas d'un contrat d'entreprise ou de service. Par ailleurs, la Cour d'appel fédérale a rappelé dans l'affaire Gallant c. M.R.N., C.A.F., no A-1421-84, 22 mai 1986, [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.), que « la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions » .

[29]     Il faut aussi souligner l'importance que l'on doit accorder à l'intention des parties. Dans l'affaire Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, [2002] A.C.F. no 375 (Q.L.), le juge Décary s'exprimait ainsi aux paragraphes 119 et 120 de sa décision :

[119]     Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu'ils désirent. Personne n'a laissé entendre que M. Wolf, Canadair ou Kirk-Mayer ne sont pas ce qu'ils disent être ou qu'ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu'un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu'il est exécuté comme tel, l'intention commune des parties est claire et l'examen devrait s'arrêter là . [...]

[120]     De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l'embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n'est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l'on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d'emploi, le peu d'égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

[Je souligne.]

[30]     Toutefois, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, C.A.F., no A-512-02, 27 novembre 2003, 322 N.R. 381, [2003] A.C.F. no 1784 (Q.L.), le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale affirmait que ce n'est pas parce qu'un donneur d'ouvrage peut contrôler le résultat du travail qu'il existe nécessairement une relation employé-employeur. Voici comment il s'exprimait à cet égard au paragraphe 9 du jugement :

9           Un contrat de travail requiert l'existence d'un lien de subordination entre le payeur et les salariés. La notion de contrôle est le critère déterminant qui sert à mesurer la présence ou l'étendue de ce lien. Mais comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996], A.C.F. no 1337, (1996), 207 N.R. 299, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 CAF 394, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur. Au paragraphe 10 de la décision, il écrit :

Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

[31]     Par ailleurs, dans sa décision dans l'affaire 97980 Canada inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), précitée, à laquelle l'avocat de l'intimé s'est référé, la Cour d'appel du Québec s'est appuyée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, pour rappeler que d'autres éléments doivent être examinés, selon les circonstances et les faits particuliers de chaque affaire. À cet égard, la Cour d'appel du Québec a cité les passages suivants que l'on retrouve aux paragraphes 47 et 48 de la décision de la Cour suprême du Canada.

[47]       [...] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

[48]       Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[32]     La nature de la relation entre l'appelant et monsieur Marcotte n'est pas facile à déterminer puisque certains éléments tendent à démontrer que ce dernier était un travailleur autonome alors que d'autres indiquent plutôt qu'il était un employé.

[33]     L'appelant a affirmé que monsieur Marcotte s'était présenté comme travailleur autonome, qu'il ne voulait être payé que pour ses heures de travail et que lui-même n'était pas au départ très intéressé à l'engager. Il a aussi fait part que leur relation avait en quelque sorte évolué au cours de la période en litige et que monsieur Marcotte avait manifesté l'intention de s'associer avec lui dans l'exploitation de l'entreprise. D'ailleurs, selon l'appelant, les nombreuses démarches de monsieur Marcotte pour obtenir de nouveaux contrats, pour démarrer de nouvelles activités et pour s'occuper de l'achat de nouvel équipement pour l'entreprise étaient essentiellement faites dans ce but. L'association n'a pu se réaliser pour un certain nombre de raisons. D'une part, certains projets n'ont pu être développés, dont celui du mont Sévigny, et l'appelant ne semblait pas disposé à poursuivre certains autres projets mis de l'avant par monsieur Marcotte. D'autre part, celui-ci ne pouvait pas ou ne voulait pas à ce moment investir financièrement dans l'entreprise. Au terme d'une période de sept mois, les parties ont donc mis fin à leur relation d'affaires.

[34]     Si l'on considère l'ensemble de la période en litige, le travail de monsieur Marcotte a consisté d'abord principalement à exécuter des travaux d'entretien, de mécanique et de peinture sur la machinerie et l'équipement de l'entreprise. Il a commencé son travail dans un garage appartenant à l'appelant. Ensuite, il a fait les démarches nécessaires pour trouver des garages où les travaux pouvaient être exécutés plus adéquatement. Dans le cadre de ces travaux, il a proposé des modifications à l'équipement pour en améliorer le fonctionnement. Il faut toutefois reconnaître que c'est l'appelant qui conservait le pouvoir d'accepter ou non ce que monsieur Marcotte proposait et qui en assurait également tous les coûts.

[35]     Il est vrai qu'en ce qui concerne ces travaux, monsieur Marcotte fournissait son propre outillage. Toutefois, ses risques de perte étaient pratiquement nuls et il ne pouvait s'attendre à tirer aucun avantage au-delà de la rémunération convenue en fonction de ses heures de travail.

[36]     Le contrôle que pouvait exercer l'appelant quant à ces travaux n'est pas facilement perceptible, puisque monsieur Marcotte était hautement qualifié et qu'après un certain temps l'appelant semble lui avoir accordé sa confiance et lui avoir laissé toute la latitude voulue quant aux moyens d'exécution. Toutefois, je ne crois pas que l'on puisse affirmer pour autant que l'appelant n'avait aucun pouvoir de contrôle sur monsieur Marcotte.

[37]     Par ailleurs, en ce qui concerne les travaux d'excavation, la situation m'apparaît plus claire pour plusieurs raisons. D'abord, c'est l'appelant qui était le spécialiste, particulièrement quant à l'aménagement des fosses septiques et des champs d'épuration. C'est lui qui exploitait l'entreprise depuis plusieurs années et qui était propriétaire de toute la machinerie et de tout l'équipement nécessaire à l'exploitation. L'appelant était aussi le seul à détenir les permis nécessaires. C'est aussi lui qui demeurait seul responsable envers les clients. C'est encore lui qui signait les contrats et qui facturait les clients. C'est aussi l'appelant et non monsieur Marcotte qui pouvait tirer profit des travaux exécutés.

[38]     L'appelant a affirmé qu'il avait en quelque sorte « formé » monsieur Marcotte quant à l'exécution des travaux dont il était lui-même le spécialiste. Dans cette perspective, il est difficile de concevoir qu'il n'avait pas de pouvoir de contrôle sur l'exécution des travaux, d'autant plus que monsieur Marcotte ne possédait pas lui-même de permis pour l'exploitation d'une entreprise d'excavation.

[39]     En réalité, l'appelant a reconnu qu'il pouvait vérifier le travail de monsieur Marcotte, bien qu'il lui avait fait de plus en plus confiance et que monsieur Marcotte n'aurait pas aimé qu'on vérifie son travail. La confiance que l'on peut accorder à quelqu'un dans l'exécution d'un travail n'emporte pas la négation du pouvoir de contrôle.

[40]     Par ailleurs, je souligne le fait que l'appelant s'est dit « dérangé » par les absences de monsieur Marcotte, même si celles-ci ne sont survenues qu'à quatre ou cinq occasions. L'appelant a même affirmé lui avoir demandé d'abandonner ses activités de chef des pompiers de la municipalité ayant entraîné ces absences, ce que monsieur Marcotte aurait refusé de faire. On peut très certainement penser que ces absences nuisaient aux travaux à exécuter pour l'entreprise et y déceler un indice que l'appelant tentait ainsi d'exercer effectivement un contrôle sur monsieur Marcotte malgré ses affirmations à l'effet contraire.

[41]     L'appelant a admis que monsieur Marcotte ne pouvait se faire remplacer pour l'exécution des travaux. Toutefois, il a affirmé qu'il aurait pu se faire aider et lui en facturer le coût. Cette remarque réfère à une situation hypothétique, tout comme celle selon laquelle monsieur Marcotte aurait dû refaire les travaux à ses frais s'ils avaient mal été exécutés. Aucune explication plus détaillée n'a été fournie. En tout état de cause, je ne crois pas que ces simples affirmations faites après coup constituent des preuves déterminantes pour permettre de conclure que monsieur Marcotte était un travailleur autonome.

[42]     Tous les travaux exécutés par monsieur Marcotte l'ont été au bénéfice de l'entreprise exploitée par l'appelant. Malgré l'intention exprimée de s'associer avec l'appelant et les nombreuses démarches effectuées dans ce but, il faut bien reconnaître, comme l'appelant l'a reconnu lui-même lors de son témoignage, que cela n'a pas fonctionné.

[43]     L'examen de l'ensemble des éléments relevés me porte à conclure que monsieur Marcotte n'était pas un travailleur autonome, mais plutôt qu'il était lié à l'appelant par un contrat de louage de services ou de travail au cours de la période en litige.

[44]     L'appel est donc accueilli à la seule fin de modifier la décision du ministre concernant la période en litige, qui est en réalité du 27 mars au 17 octobre 2003.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juin 2005.

« P. R. Dussault »

Le juge Dussault


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI361

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-3606(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               GILLES PELLERIN ET M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 10 mai 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Pierre R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                    le 20 juin 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :

Me Philippe Dupuis

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario



[1] Comme c'est monsieur Gilles Pellerin qui a interjeté appel, j'utiliserai simplement le mot « appelant » pour les désigner collectivement.

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