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Dossier : 2005-9(EI)

ENTRE :

GERMAIN AUTOMOBILES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PIERRE MOISAN,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 mai 2005, à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Benoit Mandeville

Représentant de l'intervenant :

Alain Savoie

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la détermination rendue par le ministre du Revenu national en date du 1er octobre 2004, pour la période du 1er janvier 2003 au 10 février 2004, est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI339

Date : 20050628

Dossier : 2005-9(EI)

ENTRE :

GERMAIN AUTOMOBILES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PIERRE MOISAN,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national ( « ministre » ) en date du 1er octobre 2004. La période qui a fait l'objet de la détermination va du 1er janvier 2003 au 10 février 2004. Le travail litigieux a été effectué par monsieur Pierre Moisan pour le compte de la société Germain Automobile Inc.

[2]      Le ministre s'est fondé sur les hypothèses de faits suivantes pour rendre sa décision :

a)          l'appelante, constituée en société le 1er janvier 1993, exploite une concession automobile de marques GM; (admis)

b)          l'appelante exploite son entreprise à l'année longue et procure du travail à une trentaine de personnes; (admis)

c)          le travailleur rendait des services à l'année longue à l'appelante; (admis)

d)          les principales tâches du travailleur se résumaient ainsi : (admis)

-directeur des ventes de véhicules neufs;

-responsable des commandes de véhicules neufs;

-responsable de l'inventaire des véhicules neufs;

-responsable des 5 vendeurs;

-s'occuper de l'administration générale de l'entreprise;

-remplacer Louis Moisan, son frère président de l'entreprise, lorsqu'il s'absentait;

e)          le travailleur est aussi actionnaire et administrateur de l'appelante et occupe le poste de vice-président de l'entreprise; (admis)

f)           les deux autres actionnaires et administrateurs de l'appelante travaillaient aussi pour l'appelante; (admis)

g)          les trois administrateurs se consultent à tous les jours et ils prennent les décisions ensemble; (nié)

h)          ils se réunissent à tous les mois pour déterminer les objectifs de vente et pour discuter des affaires de l'appelante; (nié)

i)           le travailleur utilisait une voiture fournie par l'appelante dans le cadre de son travail et il recevait un remboursement pour ses frais de déplacement; (admis)

j)           tout comme les autres employés de l'appelante, le travailleur bénéficiait d'une assurance médicaments et d'une assurance-vie; (nié tel que rédigé)

k)          durant la période en litige, le travailleur recevait une rémunération hebdomadaire fixe de 1 000,00 $; (admis)

l)           comme employé de l'appelante, le travailleur n'encourait aucun risque de perte; (nié tel que rédigé)

m)         dans le cadre de son travail, le travailleur utilisait tout le matériel et l'équipement appartenant à l'appelante. (admis)

6.    L'appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

a)          les actionnaires, détenant les actions votantes de l'appelante étaient : (admis)

            - l'appelant avec 40 % des actions,

            - Louis Moisan avec 40 % des actions,

            - Gilles Jobin avec 20 % des actions;

b)          Louis Moisan est le frère de l'appelant et Gilles Jobin est son beau-frère; (admis)

c)          l'appelant fait partie d'un groupe lié qui contrôle l'appelante. (admis)

7.    Le ministre a déterminé aussi que l'appelante et le payeur étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi car il a été convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          compte tenu du poste occupé par le travailleur auprès de l'appelante (directeur des ventes), de ses responsabilités et de son expérience, le salaire qui lui est versé par l'appelante est raisonnable; (nié)

b)          de par ses fonctions, le travailleur avait une latitude d'agir auprès de l'appelante mais il devait consulter régulièrement les autres actionnaires pour prendre toute décision importante concernant les activités de l'appelante; (nié)

c)          les tâches et responsabilités du travailleur étaient nécessaires à la bonne marche des affaires de l'appelante. (nié)

[3]      Le représentant de l'appelante Germain Automobile Inc. et de l'intervenant Pierre Moisan a fait un certain nombre d'admissions. Les admissions concernant les hypothèses de fait sont mentionnées aux alinéas 5 a), b), c), d), e), f), i), k) et m) ainsi qu'aux alinéas 6 a), b) et c).

[4]      Deux hypothèses de fait ont été niées telles que rédigées; elles figurent aux alinéas 5 j) et l). Les autres hypothèses qui ont simplement été niées sont mentionnées aux alinéas 5 g) et h) ainsi qu'aux alinéas 7 a), b) et c).

[5]      Au soutien de la preuve dont le fardeau incombait à l'appelante, cette dernière et l'intervenant ont fait témoigner le contrôleur de la société, monsieur Michel Pépin, et les deux actionnaires qui détenaient chacun 40 % du capital-actions, soit l'intervenant et son frère Louis Moisan.

[6]      La vocation économique de la société était la vente de voitures neuves et d'occasion et le service après-vente. Il s'agissait d'une concession d'automobiles G.M. L'entreprise employait environ 35 personnes. La preuve a également révélé que la société avait acquis une autre concession G.M. ailleurs.

[7]      L'intervenant Pierre Moisan assumait d'importantes responsabilités au sein de l'entreprise. Il s'occupait notamment des achats et des ventes de voitures neuves et de l'ensemble de l'administration. D'ailleurs, lors de son assermentation, il s'est décrit comme étant propriétaire de l'entreprise.

[8]      Il a témoigné que seuls lui, son frère et son beau-frère, les deux autres actionnaires, signaient les chèques. Il était couvert par un régime d'assurance payé par la société, lequel était plus généreux, en matière d'indemnités, que celui dont disposaient les employés qui n'étaient pas actionnaires. Il a expliqué avoir beaucoup d'autonomie en ce qui concerne l'exercice de son travail.

[9]      Il pouvait s'absenter sans permission et décider de prolonger un congé d'abord prévu pour quelques jours. Il a donné, à titre d'exemple, l'excursion de chasse où il n'avait pas réussi à tuer son gibier dans le délai prévu auquel cas, il pouvait décider de prolonger son excursion de chasse jusqu'à ce que la chance lui sourie, même si cela devait prendre plusieurs jours de plus.

[10]     Il a expliqué que son horaire de travail était très flexible. Il pouvait aller de 20 heures jusqu'à 70 heures par semaine les semaines où l'entreprise faisait la promotion des ventes. Pour expliquer ses nombreuses absences, il a indiqué qu'il s'adonnait à la pratique de la motoneige, activité récréative dans laquelle il investissait beaucoup de temps et d'argent. Il a également affirmé être un passionné de la construction; il y consacrait beaucoup de temps et s'adonnait avec ses frères à la construction de chalets.

[11]     Il a aussi mentionné être actionnaire d'une société immobilière; à cet effet, il a indiqué qu'il devait souvent s'absenter pour divers problèmes liés à la location de logements dont certains étaient vétustes, ce qui l'obligeait à intervenir souvent à cause de divers bris.

[12]     Le contrôleur de la société, monsieur Michel Pépin, a expliqué les divers aspects de son travail; il a notamment expliqué le genre de relation qui existait entre la société et l'intervenant. Lors de son témoignage, il a déposé en preuve les quatre pièces suivantes, soit :

·         Une preuve à l'effet que les actionnaires avaient garanti personnellement le remboursement d'un prêt de 200 000 $ nécessaire aux activités de l'entreprise.

·         Un chèque au montant de 7 400 $ démontrant que l'intervenant avait reçu une avance de la société appelante.

·         Une copie d'un formulaire T4 confirmant le salaire de l'appelant et des deux autres actionnaires.

·         Une copie du registre relatif aux divers bonis que la société avait versés à ses actionnaires en 2002, 2003 et 2004.

[13]     Monsieur Michel Pépin a indiqué dans son témoignage que l'appelante était une entreprise où il existait des règles précises régissant les activités et le cloisonnement au sein de l'entreprise entre les personnes physiques et la société Germain Automobiles Inc.

[14]     À titre d'exemple, il a expliqué que Pierre Moisan, intervenant, était titulaire d'une carte de crédit pour les dépenses relatives à l'entreprise. Or, s'il effectuait une dépense de nature personnelle, il devait rembourser l'entreprise.

[15]     Sans autorisation préalable, Pierre Moisan a obtenu des avances de fonds, lesquelles ont été comptabilisées comme un prêt à l'actionnaire qu'il devait éventuellement rembourser.

[16]     Monsieur Pépin a aussi expliqué que certains employés-clés et cadres, dont lui-même, avaient au fil des années obtenu un boni en fonction de la rentabilité de leur département respectif.

[17]     La preuve a démontré que Pierre Moisan avait de meilleures conditions de travail que les autres employés, il jouissait notamment de plus d'autonomie que les employés non actionnaires.

[18]     Monsieur Louis Moisan, frère de l'intervenant, détenant également 40 % du capital-actions de la société, a également témoigné. Il a essentiellement confirmé les divers faits et les explications soumis par son frère et par le contrôleur.

[19]     La preuve a fait ressortir d'une façon non équivoque les faits suivants relativement à l'intervenant Pierre Moisan :

·         Grande latitude quant à la façon de faire le travail.

·         Âme dirigeante de l'entreprise.

·         Grande flexibilité quant à son horaire de travail.

·         Absence de registre ou de comptabilité quant aux heures travaillées.

·         Avantages sociaux supérieurs à ceux des employés non actionnaires.

·        

·         Bonis payés aux trois actionnaires en fonction du pourcentage d'actions détenues dans la société.

[20]     Pour faciliter la lecture des motifs, je reprendrai les hypothèses de fait qui furent niées ou niées telles que rédigées.

g)          les trois administrateurs se consultent à tous les jours et ils prennent les décisions ensemble; (nié)

h)          ils se réunissent à tous les mois pour déterminer les objectifs de vente et pour discuter des affaires de l'appelante; (nié)

j)           tout comme les autres employés de l'appelante, le travailleur bénéficiait d'une assurance médicaments et d'une assurance-vie; (nié tel que rédigé)

l)           comme employé de l'appelante, le travailleur n'encourait aucun risque de perte; (nié tel que rédigé)

7.    Le ministre a déterminé aussi que l'appelante et le payeur étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi car il a été convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          compte tenu du poste occupé par le travailleur auprès de l'appelante (directeur des ventes), de ses responsabilités et de son expérience, le salaire qui lui est versé par l'appelante est raisonnable;

b)          de par ses fonctions, le travailleur avait une latitude d'agir auprès de l'appelante mais il devait consulter régulièrement les autres actionnaires pour prendre toute décision importante concernant les activités de l'appelante;

c)          les tâches et responsabilités du travailleur étaient nécessaires à la bonne marche des affaires de l'appelante.

(nié au complet)

[21]     Pour ce qui est de la consultation et de la prise de décisions en commun, la preuve est à l'effet que cet énoncé était tout à fait conforme à la réalité. En effet, la question de la consultation a été soulevée à quelques reprises, notamment en ce qui concerne la décision de payer un boni chaque année.

[22]     De plus, à une question du tribunal à la fin du témoignage de monsieur Louis Moisan visant à savoir si le troisième actionnaire participait aux diverses décisions, il n'y a eu aucune équivoque dans la réponse; le témoin a expressément reconnu que les trois actionnaires participaient aux affaires de la société, notamment par voie de consultations et d'échanges.

[23]     Pour ce qui est de l'assurance, les actionnaires, dont évidemment l'intervenant, étaient couverts par une assurance-vie. Les autres personnes à l'emploi de l'entreprise avaient également une assurance-vie dont la couverture était moins importante.

[24]     Quant aux risques de perte qui furent niés, la preuve n'a pas établi de quelle façon l'intervenant encourait des risques de perte. Je rappelle que la détermination qui a résulté de l'analyse du dossier est essentiellement liée au travail de l'intervenant comme gestionnaire et non pas comme actionnaire.

[25]     La question de savoir si le salaire était raisonnable a également été soulevée et a fait l'objet d'une contestation à l'alinéa 7 a).

[26]     Pour ce qui est de la consultation et de la latitude accordée pour exercer le travail, la preuve a révélé que Pierre Moisan bénéficiait de l'estime, du respect et de la très grande confiance des deux autres actionnaires générant ainsi un climat de travail harmonieux.

[27]     Finalement, en ce qui concerne la question de l'importance du travail de l'intervenant et du rôle stratégique qu'il jouait dans la société, la preuve ne laisse aucun doute à ce sujet.

[28]     Si la question en litige consistait essentiellement à se demander si les hypothèses de fait correspondaient globalement ou en grande partie à la réalité, la réponse serait sans hésitation affirmative.

[29]     Les seuls reproches quant aux hypothèses de faits tenues pour acquis se situent au niveau du manque de nuances. La personne qui a fait l'analyse du dossier aurait pu apporter une contribution intéressante par son témoignage, mais l'intimé a choisi de ne pas le faire comparaître.

[30]     Les parties ont déposé un nombre impressionnant de décisions de cette cour et de la Cour d'appel fédérale pour appuyer leur prétentions respectives.

[31]     Tous les dossiers en matière d'assurabilité sont des cas d'espèces. Il est extrêmement difficile sinon impossible de trouver une décision présentant des faits identiques. Il est, en conséquence, inapproprié de se fonder essentiellement sur des extraits de dossiers en faisant totalement abstraction du contexte.

[32]     L'assurabilité d'un travail est une question complexe. Pour déterminer si un travail est assurable ou non, il n'y a pas de recette magique; il est nécessaire de vérifier et analyser tous les faits pour constater la présence ou l'absence du pouvoir de contrôle.

[33]     Bien que la jurisprudence ait identifié un certain nombre de critères un seul est cependant essentiel et tout à fait incontournable, il s'agit du critère relatif au pouvoir de contrôle, duquel résulte le lien de subordination, et qui est la pierre angulaire d'un véritable contrat de louage de services.

[34]     Pour déterminer s'il existait un lien de subordination entre le travailleur et la société, l'approche traditionnelle consiste généralement à vérifier si :

·         les heures travaillées ont été comptabilisées et notées dans un registre;

·         les heures travaillées ont toutes été rémunérées;

·         le salaire payé était raisonnable et correspondait au travail exécuté;

·         le surtemps était rémunéré;

·         les absences et les vacances devraient être autorisées;

·         la durée des vacances correspondait à celle d'emplois similaires;

·         le travail était encadré;

·         l'autonomie et la flexibilité dans l'exécution du travail étaient la règle;

·         le travailleur pouvait être remplacé ou non.

Ce ne sont là que quelques énoncés; la liste pourrait facilement s'allonger.

[35]     À une certaine époque, tous ces éléments étaient courants, et il était très facile de les identifier. Bien que ce genre de relation de travail existe encore, plusieurs changements sont apparus et continuent de se produire sur le marché du travail au point où il devient de plus en plus difficile de déterminer la nature d'un contrat de travail.

[36]     De plus en plus d'entreprises responsabilisent leurs employés. Certaines les qualifient même d'associés. Il est question de co-gestion, de participation aux profits, de collaboration, de flexibilité, ainsi de suite. À ces réalités s'ajoutent tous les changements que l'informatique a amenés.

[37]     Depuis quelques années, les poinçons ont tendance à disparaître dans plusieurs usines, les employées connaissent le travail à faire beaucoup mieux que ceux qui les emploient ou les dirigent.

[38]     Souvent le travail se fait à partir de la résidence privée du travailleur, qui est de ce fait, à l'abri du regard du payeur et de l'encadrement physique des lieux de travail. Plusieurs disposent d'une très grande autonomie et de beaucoup de flexibilité et cela, avec l'assentiment de leur employeur. Les entreprises prévoient toutes sortes de formules de plus en plus nombreuses et sophistiquées pour permettre à leurs employés de participer aux profits.

[39]     En d'autres termes, les relations de travail ont évolué, se sont modernisées et se sont ajustées à l'heure de l'informatique. Malgré les nombreux et profonds changements dans le monde des relations de travail, un travail peut encore être exécuté dans le cadre d'un contrat de louage de services caractérisé par un lien de subordination; le lien de subordination est toujours l'élément essentiel pour évaluer la nature du contrat.

[40]     Devant ces nouvelles réalités, les manifestations du lien de subordination sont plus subtiles et très souvent difficiles à identifier. D'ailleurs, le législateur de la province de Québec a codifié le contrat de travail qu'il a défini comme suit :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

[41]     Il n'est donc pas nécessaire, lorsque l'on analyse une relation de travail, de chercher des situations concrètes où l'employeur a exercé son pouvoir de contrôle, établissant ainsi d'une façon non équivoque le lien de subordination. Il suffit que ce pouvoir de contrôle existe et que l'employeur n'y ait pas renoncé expressément ou tacitement. S'il y a renoncé, il n'y a évidemment pas de lien de subordination possible.

[42]     Ni l'enquête, qui a mené à la détermination ni la preuve soumise, n'ont établi que les actionnaires avaient renoncé aux droits inhérents aux actions qu'ils détenaient dans la société Germain Automobile Inc.

[43]     Au contraire, l'administrateur Louis Moisan a, d'une part, admis n'avoir aucun problème avec le fait que son frère emprunte de l'argent de la compagnie sans en parler avec les autres actionnaires étant donné qu'il lui faisait totalement confiance.

[44]     Cependant, il a reconnu qu'en cas d'abus, il aurait pu intervenir. Il a également reconnu que les trois actionnaires-administrateurs participaient à la gestion des affaires de l'entreprise et se consultaient. Ils discutaient entre eux notamment du montant du bonis à être accordé à la fin de chaque année.

[45]     Lorsqu'une entreprise va bien et est bien gérée, il n'est pas anormal qu'il n'y ait pas de réunions formelles et que chacun agisse comme s'il était propriétaire de l'entreprise. Cependant cela ne veut cependant pas dire qu'à un moment donné, quand un problème surgit, que l'on ne prendra pas de mesures pour corriger la situation et il y aura alors des manifestations concrètes d'autorité.

[46]     Je rappelle que la détermination, dont il est fait appel fait également référence à l'alinéa 5(2)i) de la Loi, qui se lit comme suit :

5(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

5(3) Personnes liées -- Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[47]     L'analyse qui consiste à vérifier le caractère raisonnable du travail à partir de comparaisons avec des situations semblables doit se faire à partir de faits réellement similaires. Comparer les conditions de travail d'une personne détentrice d'actions et occupant un poste d'administrateur au sein d'une société avec celles d'une personne ne détenant aucune action constitue une comparaison boiteuse et non avenue et ce, malgré le fait qu'il faille faire une nette distinction dans l'analyse entre le statut d'actionnaire et celui de travailleur.

[48]     Il en irait tout autrement si la comparaison se faisait avec une autre entreprise où les actionnaires-administrateurs, n'ayant aucun lien de dépendance entre eux, exécutent un travail pour la société dans laquelle ils détiennent des actions ou au titre de co-propriétaire de l'entreprise.

[49]     Un contrat de travail est l'expression de la volonté des parties pour l'exécution d'une prestation de travail en contrepartie d'une rémunération sous la direction ou le contrôle d'une autre personne physique ou morale.

[50]     Dans le contexte d'une société par actions, les actionnaires-administrateurs de la société qui ont convenu d'effectuer un travail n'ayant rien à voir avec la gestion des affaires corporatives, mais essentiellement au niveau des activités s'inscrivant dans sa vocation économique, peuvent s'entendre avec la société quant à la nature du travail à exécuter, quant aux modalités et quant à la formule de rémunération, tout en étant assujetti au pouvoir de contrôle de la société dans laquelle ils détiennent des actions. Ce travail constitue un contrat de louage de services du fait qu'il existe un lien de subordination entre elles.

[51]     Il se peut que les conditions de travail soient particulières. Il se peut également que la formule de rémunération soit particulière. Cela ne veut pas dire pour autant que le travail n'a pas été exécuté en vertu d'un véritable contrat de louage de services. Lorsque trois personnes ou plus décident d'investir dans une société avec capital-actions et qu'ils y travaillent en sus de leurs responsabilités d'actionnaires ou d'administrateurs comme travailleurs à différentes fonction pouvant aller de simples manoeuvres à gérant général, il peut s'agir de contrat de louages de services et ce, même si les conditions de travail sont très particulières. Il suffit que trois conditions essentielles soient présentes : Prestation de travail - Rémunération - Lien de subordination.

[52]     Le salaire peut varier au point de ne pas être comparable à celui payé pour un travail semblable et il peut exister une autonomie et une liberté d'action également non comparable, le tout étant fonction des objectifs retenus par les actionnaires agissant en temps que groupe comme entité détenant l'autorité à l'origine du pouvoir de contrôle.

[53]     Ainsi que nous l'avons indiqué précédemment, le pouvoir de contrôle constitue l'élément déterminant dont la présence ou l'absence permet de caractériser la nature de la relation de travail des parties.

[54]     Dans l'hypothèse où la partie pour qui le travail est exécuté a un pouvoir de contrôle et d'intervention sur la ou les personnes qui exécutent le travail, il y a lieu de conclure à la présence d'un véritable contrat de louage de services.

[55]     En l'espèce, les frères Moisan et leur beau-frère Gilles Jobin travaillaient dans l'harmonie et le respect mutuel au point où il ne semblait pas y avoir, dans les faits, de séparation entre les deux fonctions que tous les trois cumulaient, soit celle de travailleurs effectuant un travail précis et défini pour le compte de la société et celle d'actionnaires-administrateurs de la même société.

[56]     Le fait que ces deux fonctions se confondent n'a pas pour effet de faire perdre à la société Germain Automobile Inc. sa personnalité morale.

[57]     Le fait que la société n'ait pas établi de règles formelles quant à la façon de gérer le travail exécuté par les personnes physiques qu'étaient ses actionnaires ne veut pas dire qu'elle a renoncé à exercer son pouvoir de contrôle.

[58]     D'autre part, la preuve dont le fardeau incombait à l'appelante n'a pas établi la présence d'un contrôle de facto ou de jure par un des actionnaires sur les autres. Il n'a pas été établi non plus que l'intervenant avait un tel ascendant sur un ou l'autre des deux autres au point de contrôle dans les faits plus de 40 % des actions de la société. Quant à la comparaison du statut de l'intervenant et celui des autres employés de l'appelante, elle n'est pas pertinente.

[59]     En conclusion, il appert de la preuve que la personne responsable du dossier de l'appelante a tenu compte de tous les faits pertinents et le résultat de son analyse est tout à fait raisonnable.

[60]     Les allégations principales de l'appelante, à savoir notamment que Pierre Moisan bénéficiait de beaucoup de latitude et d'autonomie et qu'il s'adonnait à plusieurs activités, telles la construction, la chasse, la motoneige et l'administration, n'étaient ni pertinentes ni déterminantes.

[61]     Le frère et le beau-frère de Pierre Moisan auraient toujours pu intervenir pour corriger la situation si elle n'avait pas été conforme aux attentes de la société qu'ils contrôlaient en fonction du nombre d'actions qu'ils détenaient.

[62]     Le fait de ne pas avoir intervenu ne signifie aucunement qu'ils avaient renoncé à ce pouvoir que leurs actions leur conféraient. L'autonomie et la flexibilité, notamment, ne découlaient pas du lien de dépendance, mais de l'harmonie, du respect et de la compétence, qualités que l'on trouve généralement dans la plupart des P.M.E. où les co-propriétaires participent aux activités économiques de l'entreprise.

[63]     Pour toutes ces raisons, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI339

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-9(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               GERMAIN AUTOMOBILES INC. ET M.R.N. ET PIERRE MOISAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 3 mai 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 28 juin 2005

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Benoit Mandeville

Représentant de l'intervenant :

Alain Savoie

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelante:

                   Nom :                             

                   Étude :

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                                        Ottawa, Ontario

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