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Dossier : 2005-1081(IT)I

ENTRE :

CHRISTIAN LECLERC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 2 août 2005, à Québec (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Stéphanie Côté

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2003 est rejeté, sans frais, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI689

Date : 20051108

Dossier : 2005-1081(IT)I

ENTRE :

CHRISTIAN LECLERC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel pour l'année d'imposition 2003. Une nouvelle cotisation a été établie le 30 août 2004; elle a été ratifiée le 11 janvier 2005.

[2]      Pour établir et maintenir la nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2003, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a tenu pour acquis les hypothèses de fait suivantes :

Crédit équivalent du montant pour conjoint

a)          l'appelant et madame Stéphanie Michaud ont célébré leur mariage le 16 novembre 1985 à Baie-Comeau;

b)          l'appelant et madame Stéphanie Michaud sont les parents d'une fille, Catherine, née le 14 juin 1990;

c)          l'appelant et madame Stéphanie Michaud vivent séparés depuis le mois de juillet 1997;

d)          un jugement de divorce entre l'appelant et madame Stéphanie Michaud a été prononcé le 15 avril 1998 par l'honorable juge Laurent Guertin siégeant à la Cour supérieure;

e)          lors d'un jugement sur requête en modification sur mesures accessoires rendu par l'honorable juge Jacques Dufour siégeant à la Cour supérieure le 20 mai 1999, la garde de l'enfant mineure Catherine fut confiée à l'appelant et, madame Stéphanie Michaud devait verser annuellement une pension alimentaire de 1 105,51 $ au dit appelant pour l'enfant Catherine;

f)           en réponse à une requête présentée par madame Stéphanie Michaud en modification de mesures accessoires, l'honorable juge Louise Moreau siégeant à la Cour supérieure a prononcé un jugement, le 19 novembre 2003, confiant la garde de l'enfant mineure Catherine à sa mère et condamnant l'appelant à verser à madame Michaud une pension alimentaire pour enfants de 6 423,02 $ annuellement et ce à compter du 1er septembre 2003;

Frais juridiques

g)          en produisant sa déclaration de revenus pour l'année en litige, l'appelant réclama comme déduction, à titre de frais juridiques, des frais d'avocats totalisant la somme de 2 940 $;

h)          la pièce justificative, appuyant la réclamation de 2 940 $, est constituée d'un reçu daté 24 novembre 2003 et signé par madame Julie Paré, pour le compte de l'étude d'avocats Thivierge Gagnon.

i)           les frais d'avocats furent encourus par l'appelant, à l'égard d'une requête pour changement de garde d'enfant et fixation de pension alimentaire.

[3]      Tous les faits tenus pour acquis furent pour l'essentiel, admis sauf que l'appelant a précisé, relativement à l'alinéa 6 c), que Stéphanie Michaud et lui étaient séparés depuis janvier 1997 et non depuis juillet 1997 tel qu'il est indiqué.

[4]      L'appelant a aussi exprimé des réserves quant au libellé de l'alinéa 6 i) selon lequel les frais d'avocats furent engagés par lui à l'égard d'une requête pour changement de garde pour enfant et pour fixation de pension alimentaire.

[5]      L'appel soulève deux questions. La première est de déterminer si l'appelant avait le droit de réclamer, dans le calcul des crédits d'impôt non remboursables pour l'année d'imposition 2003, un crédit équivalent pour personne entièrement à charge à l'égard de sa fille Catherine.

[6]      La deuxième question en litige consiste à déterminer si les frais juridiques de 2 940 $ engagés par l'appelant lors d'une requête pour changement de garde et pour fixation de pension alimentaire sont déductibles dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 2003.

[7]      Au soutien de ses prétentions, l'appelant a essentiellement fait valoir l'aspect déraisonnable, injuste et totalement inacceptable de la disposition qui ne lui permettait pas d'avoir droit aux crédits non remboursables pour l'année d'imposition 2003, étant donné qu'il a eu la responsabilité de l'enfant pendant les 10 premiers mois de l'année. L'appelant a soutenu que parce qu'il n'en avait pas été responsable que pour 42 jours de l'année, il se voyait refuser la totalité du crédit pour l'année 2003.

[8]      Selon lui, il devrait au moins avoir droit à une proportion du crédit équivalant aux 323 jours de l'année pendant lesquels il assumait seul la garde de Catherine.

[9]      Il a également fait valoir qu'il serait illogique qu'une personne ait droit au crédit durant l'année de la séparation même si elle paie une pension alimentaire, mais qu'à la suite d'un changement de garde, qui a un effet similaire à la séparation dans le sens que la garde est confiée à l'un des parents, l'autre parent devant payer une pension alimentaire, il n'aurait plus droit à ce crédit.

[10]     Quant à la déductibilité des frais juridiques de 2 940 $, l'appelant a soutenu qu'il satisfaisait à toutes les conditions requises et publiées dans divers bulletins d'interprétation pour y avoir droit.

[11]     Pour ce qui est de la première question en litige, à savoir le droit au crédit d'impôt non remboursable pour personne entièrement à charge, le ministre s'appuie, pour le refuser, sur le paragraphe 118(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), qui se lit comme suit :

118(5) Pension alimentaire -- Aucun montant n'est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition si le particulier, d'une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait pour la personne et, d'autre part, selon le cas :

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l'année pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait;

b) demande une déduction pour l'année par l'effet de l'article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait.

[12]     Cette question a été traitée dans plusieurs affaires devant la Cour canadienne de l'impôt, notamment Nelson c. Canada, [2000] A.C.F. no 1613 (QL), [2000] 4 C.T.C. 252, 2000 DTC 6556 (CAF); Peeck c. Canada, [1998] A.C.I. no 453 (QL), [1998] 4 C.T.C. 2279, 98 DTC 3426 (CCI); Sherrer c. Canada, [1998] A.C.I. no 62 (QL), [1998] 2 C.T.C. 3209 (CCI); Lafrance c. Canada, [2001] A.C.I. no 548 (QL), [2001] 4 C.T.C. 2575 (CCI); Belisle c. Canada, [2003] A.C.I. no 765 (QL), [2004] 4 C.T.C. 2175 (CCI); Brisson c. Canada, [2003] A.C.I. no 411 (QL), 2003 CCI 438.

[13]     Malheureusement pour l'appelant, la loi est claire au sujet du crédit équivalent pour personne entièrement à charge; le paragraphe 118(5) fait en sorte qu'il est impossible pour un contribuable de réclamer le crédit équivalent pour personne entièrement à charge à l'égard d'une personne s'il est tenu de payer une pension alimentaire pour cette personne et s'il vit séparé de son conjoint tout au long de l'année.

[14]     En l'espèce, ni l'appelant, ni madame Stéphanie Michaud n'aurait droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge pour l'année d'imposition 2003 parce que chacun a payé une pension alimentaire pour leur fille à un moment de l'année.

[15]     Sur le plan de l'équité, il serait souhaitable que le législateur modifie la loi afin de prévoir qu'au moins un des deux parents ait droit au crédit. La Cour canadienne de l'impôt n'étant pas une cour d'équité, il appartient au législateur et non pas à cette cour de modifier la loi. Comme le juge Sobier le disait dans l'affaire Sunil Lighting Products c. Canada, no 91-125(UI), 5 octobre 1993, [1993] A.C.I. no 666 (CCI), à la page 5 :

La jurisprudence indique clairement que la Cour canadienne de l'impôt n'est pas une cour d'équité et que sa compétence repose sur les dispositions de sa loi d'habilitation. [...] Dans le cas des appels portant sur l'impôt sur le revenu, les pouvoirs de la Cour sont énoncés au paragraphe 171(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces pouvoirs consistent donc essentiellement à déterminer si la cotisation a été établie conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[16]     En conséquence, aussi longtemps que le législateur ne modifie pas la Loi, la Cour canadienne de l'impôt est tenue de l'appliquer dans toute sa rigueur lorsque la disposition de la loi est claire, aussi injuste qu'elle puisse sembler.

[17]     Quant à l'argument selon lequel le crédit devrait s'appliquer proportionnellement aux deux parents selon le nombre de jours pendant lesquels l'enfant réside ou est sous la garde de l'un ou l'autre, encore là la jurisprudence est sans équivoque. Il appartient au législateur de légiférer et de prévoir un tel régime.

[18]     Le juge Sarchuk explique très bien et de façon détaillée l'application de ce principe au paragraphe 118(5) dans la décision Young c. La Reine, no 2002-1673(IT)I, 23 janvier 2003, 2003 DTC 169, [2003] 2 C.T.C. 2547 (CCI), aux paragraphes 11 à 15, en disant que si le législateur avait l'intention de permettre une répartition proportionnelle du crédit, il l'aurait fait de façon claire et non équivoque.

[19]     En conséquence, l'appel doit être rejeté quant au crédit équivalent pour personne entièrement à charge.

[20]     Pour ce qui est de la déduction réclamée des frais juridiques, la décision dans l'affaire Nadeau c. M.R.N., 2003 DTC 5736 (CAF), constitue une excellente référence en ce qu'elle fait une synthèse de la jurisprudence en matière de la déductibilité des frais juridiques engagés en matière de pension alimentaire. À cet égard, je me permets de citer le juge Noël de la Cour d'appel, aux paragraphes 14 à 18 et 30 à 34 :

14       Une jurisprudence constante reconnaît depuis plus de quarante ans que le droit à une pension alimentaire lorsqu'établi par un tribunal est un « bien » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi et que le revenu issu d'une telle pension constitue entre les mains de la personne qui la reçoit un revenu de bien (voir en particulier les affaires Jean Boos c. M.N.R. (1961), 27 Tax A.B.C. 283, La Reine c. Burgess, (supra); Bayer c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2304, Evans c. M.N.R., [1960] S.C.R. 391 et Sembinelli c. Canada, (supra).

15       La définition de biens à l'article 248(1) se lit comme suit :

« biens » . - « biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

"property" means property of any kind whatever whether real or personal or corporeal or incorporeal and, without restricting the generality of the foregoing, includes

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

(a) a right of any kind whatever, a share or a chose in action,

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

(b) unless a contrary intention is evident, money,

c) les avoirs forestiers;

(c) a timber resource property, and

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

(d) the work in progress of a business that is a profession;

(Je souligne)

16       Ainsi, il est de jurisprudence constante que le revenu provenant d'une pension alimentaire est calculé en fonction du régime applicable au revenu tiré d'un bien (ou d'une entreprise) que l'on retrouve à la sous-section b de la Loi. Selon ce régime, une dépense encourue pour constituer une source de revenu est de nature capitale et sa déduction est prohibée (voir l'alinéa 18(1)b)). Par contre, une dépense encourue pour gagner un revenu issu de cette source (soit après qu'elle ait pris naissance), est dite « courante » et elle tombe sous l'exception prévue à l'alinéa 18(1)a) :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

18(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

[...]

. . . . .

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

(Je souligne)

17       Ce régime, tel qu'il fut appliqué par les tribunaux au cours des années fait en sorte que dans la perspective du récipiendaire, une dépense qui a comme but de donner naissance au droit à une pension alimentaire est de nature capitale et ne peut donc être déduite. Par contre, une dépense encourue pour recouvrer un montant dû en vertu d'un droit déjà existant est de nature « courante » et peut donc être déduite.

18       Inversement, les dépenses encourues par le payeur d'une pension alimentaire (soit pour empêcher qu'elle soit établie ou augmentée, ou soit pour la diminuer ou y mettre fin), ne peuvent être considérées comme ayant été encourues pour gagner un revenu et les tribunaux n'ont jamais reconnu de droit à la déduction de ces dépenses (voir, par exemple, Bayer supra).

[...]

30       Comme l'a rappelé le juge Bowie dans l'affaire Sabour (supra), il s'agit là du traitement que prône et applique le ministre depuis plus de 40 ans. Il est loisible de croire que si ce traitement était en quelque point contraire aux voeux du Parlement, une modification aurait été apportée.

31       Du point de vue gouvernemental, le traitement des dépenses reliées aux pensions alimentaires ne revêt pas un intérêt passager. Cette façon de faire qui perdure depuis plus de 40 ans a un impact sur les finances publiques en plus de soulever d'importantes questions de politique sociale. L'état du droit en la matière n'est certes pas passé inaperçu. Malgré son ardent plaidoyer, le législateur ne peut manifestement pas avoir l'intention que lui attribue le juge Archambault.

32       Les amendements à la Loi qui accompagnèrent la décision prise en 1997 de ne plus imposer les pensions alimentaires destinées aux enfants du mariage sont, à cet égard, sans équivoque. Cette décision aurait pu avoir un impact significatif sur la déduction que pouvaient réclamer les récipiendaires de pensions alimentaires sous l'alinéa 18(1)a) puisque l'alinéa 18(1)c) stipule qu'aucune dépense ne peut être déduite « à l'égard d'un bien dont le revenu serait exonéré » .

33       Afin de maintenir le droit à la déduction, le législateur a amendé la définition de « revenu exonéré » au paragraphe 248(1) en précisant que la partie de la pension destinée aux enfants, même si elle est dorénavant non-imposable, ne constitue pas un revenu exonéré. De toute évidence, cet amendement serait sans objet si le législateur considérait que le revenu provenant d'une pension alimentaire n'était pas un revenu de bien au sens de la sous-section b.

34       Il ressort de ceci que non seulement le législateur s'est-il accommodé de la solution jurisprudentielle au cours des années, il est intervenu afin de la préserver face à un amendement qui aurait eu comme effet de l'écarter. Cette solution jurisprudentielle, je le rappelle, est fonction du fait que le revenu issu d'une pension alimentaire est un revenu de bien, et qu'à ce titre, les dépenses encourues pour gagner ce revenu peuvent être déduites.

[21]     Ainsi, les frais juridiques engagés pour s'opposer à une demande de pension alimentaire et de changement de garde ne sont pas déductibles parce que ces frais ne sont pas engagés pour tirer un revenu d'un bien.

[22]     En l'espèce, les frais juridiques ont été engagés pour s'opposer à une requête pour changement de garde d'enfant et de fixation de pension alimentaire pour enfant, ce qui, évidemment, ne constitue pas des frais engagés pour tirer un revenu. Encore là, l'appelant n'a pas droit à la déduction demandée.

[23]     L'appel doit donc être rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI689

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2005-1081(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Christian Leclerc et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 2 août 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 8 novembre 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

       Pour l'intimée :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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