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Dossier : 2004-1244(EI)

ENTRE :

ANDRÉE GAGNÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 17 mars 2005 à Québec (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Avocat de l'intimé :

Me Michel Lamarre

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2005CCI310

Date : 20050624

Dossier : 2004-1244(EI)

ENTRE :

ANDRÉE GAGNÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel relatif au caractère assurable du travail exécuté par l'appelante pour le compte et au bénéfice de la société « Les entreprises Carroll Ouellet inc. » , dont la totalité des actions appartenaient à son conjoint Carroll Ouellet.

[2]      Les périodes visées par la détermination sont les suivantes :

·      du 26 janvier 1998 au 31 décembre 1999,

·      du 17 janvier 2000 au 10 février 2001,

·      du 11 mars 2001 au 9 février 2002,

·      du 1er mars 2002 au 1er février 2003.

[3]      Aux termes de la décision contestée par le présent appel, le travail exécuté par l'appelante pour le compte et au bénéfice de « Les entreprises Carroll Ouellet inc. » (le « payeur » ), société dirigée et contrôlée par son conjoint, a été déterminé non assurable en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[4]      La décision pour toutes les périodes en litige a résulté de l'analyse de plusieurs faits, lesquels ont été énumérés aux paragraphes 5, 6 et 7 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces faits se lisent comme suit :

5.          Le payeur et l'appelante sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu car :

            A)         le payeur a été constitué en société le 23 septembre 1986. (admis)

            B)         Carroll Ouellet est l'unique actionnaire du payeur. (admis)

            C)         l'appelante est l'épouse de Carroll Ouellet. (admis)

            D)         l'appelante est unie par des liens du mariage avec Carroll Ouellet qui contrôle le payeur. (admis)

6.          Le ministre a déterminé que le payeur l'appelante avaient un lien de dépendance entre eux dans le cadre de l'emploi. En effet, le ministre a été convaincu qu'il n'était pas raisonnable de conclure que le payeur et l'appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

a)          le payeur exploitait un commerce de vente au détail de vêtements pour hommes; (admis)

b)          le payeur faisait affaires sous la raison sociale « La Pantalonnerie » dans un local situé au centre commercial de Rivière-du-Loup; (admis)

c)          le payeur était en exploitation à l'année longue; (admis)

d)          les heures d'ouverture du commerce étaient du lundi au mercredi de 9 h 30 à 17 h 30, les jeudis et vendredis de 9 h 30 à 21 h, les samedis de 9 h à 17 h et les dimanches de 12 h à 17 h; (admis)

e)          durant les années 1999 à 2003, les ventes trimestrielles du payeur étaient sensiblement les mêmes d'un trimestre à l'autre avec une moyenne de 41 679 $; (nié)

f)           l'appelante travaillait comme commis-vendeuse pour le payeur depuis 1986; (admis)

g)          les tâches de l'appelante consistaient à s'occuper des ventes, à classer les factures et à concilier la caisse; (admis)

h)          l'appelante était rémunérée au taux horaire de 8,75 $; (admis)

i)           l'appelante travaillait à l'année longue pour le payeur; (nié)

j)           l'appelante n'avait pas d'horaire fixe; (nié)

k)          le payeur ne consignait pas les heures réellement travaillées de l'appelante; (nié)

l)           l'appelante était inscrite au journal des salaires du payeur, tantôt à temps plein pour 40 heures par semaine, tantôt à temps partiel pour 3 heures, 6 heures, 9 heures et quelques fois 12 heures et cela peu importe le nombre d'heures qu'elle avait réellement travaillées; (nié)

m)         l'appelante était inscrite au journal des salaires du payeur pour 16 semaines consécutives de 40 heures en novembre, décembre et janvier à chaque année suivi par deux semaines sans rémunération puis, par la suite, par des semaines à temps partiel pour le restant de l'année; (nié)

n)          l'appelante rendait des services au payeur des journées où elle n'était pas inscrite au journal des salaires du payeur; (nié)

o)          le 4 juin 2003, dans une déclaration statutaire signée, le payeur déclarait : « Pour ce qui est des relevés d'emploi de Andrée Gagné # A70909342 pour une période de travail du 11-03-2001 au 09-02-2002, # A75484761 du 01-03-02 au 01-02-03, # A68604680 du 26-01-98 au 31-12-99 et # A70909341 du 17-01-2000 au 10-02-2001, je n'ai pas le choix, les preuves sont là et démontrent que ces relevés d'emploi sont faux et erronés à cause des dates des jours et périodes de travail et des heures qui, depuis 1998 à date n'ont pas été notées correctement, donc les premiers jours de travail, et ou derniers jours de travail ainsi que certains motifs de cessation et heures totales assurables et rémunération sont erronés. » ; (nié)

p)          durant les périodes en litige, l'appelante était parfois la seule employée du payeur inscrite au journal des salaires et pendant des semaines elle n'était inscrite qu'à temps partiel alors que le 10 décembre 2003, l'appelante déclarait à un représentant de l'intimé : « qu'il faut être toujours 2 travailleurs au commerce en même temps et en période de pointe 3 travailleurs » ; (nié)

q)          le journal des salaires du payeur ne reflétait pas la réalité quant aux heures réellement travaillées par l'appelante; (nié)

r)           le 17 janvier 2000, le payeur remettait à l'appelante un relevé d'emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 26 janvier 1998 et comme dernier jour de travail le 31 décembre 1999, et qui indiquait 2120 heures assurables et 9 450,00 $ comme rémunération assurable; (admis)

s)          le 19 février 2001, le payeur remettait à l'appelante un relevé d'emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 17 janvier 2000 et comme dernier jour de travail le 10 février 2001, et qui indiquait 880 heures assurables et 6 151,25 $ comme rémunération assurable; (admis)

t)           le 14 février 2002, le payeur remettait à l'appelante un relevé d'emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 11 mars 2001 et comme dernier jour de travail le 9 février 2002, et qui indiquait 835 heures assurables et 6 177,50 $ comme rémunération assurable; (admis)

u)          le 8 février 2003, le payeur remettait à l'appelante un relevé d'emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 1er mars 2002 et comme dernier jour de travail le 1er février 2003, et qui indiquait 842 heures assurables et 6 195,00 $ comme rémunération assurable; (admis)

v)          l'appelante était mise à pied par le payeur sans justification de diminution des ventes; (nié)

w)         les relevés d'emploi de l'appelante ne sont pas conformes à la réalité quant aux périodes travaillées, quant aux heures travaillées, quant à la rémunération gagnée ni quant au motif de cessation d'emploi; (nié)

x)          une personne, sans lien de dépendance, n'aurait pas eu des conditions de travail, ni des modalités d'emploi similaire à l'appelante; (nié)

y)          les heures prétendument travaillées par l'appelante ne correspondaient pas avec les heures réellement travaillées. (nié)

7.         AUTRES FAITS PERTINENTS

a)          l'appelante continuait à rendre des services au payeur tout en recevant des prestations de chômage; (nié)

b)          l'appelante et le payeur avait conclu un arrangement afin de permettre à l'appelante de recevoir des prestations de chômage tout en continuant à travailler pour le payeur. (nié)

[5]      Plusieurs faits ont été admis; il s'agit des paragraphes 5 A), B), C) et D) ainsi que 6 a), b), c), d), f), g), h), r), s), t) et u). Les faits aux paragraphes 5 e), i), j), k), l), m), n), o), p), q), v), w), x) et y) ainsi qu'au paragraphe 7 a) et b) ont été niés.

[6]      Au terme de l'analyse des faits tenus pour acquis, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a conclu que les faits, les circonstances et les modalités ayant entouré l'exécution du travail de l'appelante n'étaient pas similaires ou comparables à ceux qui auraient caractérisé une relation de travail entre des tiers ou des personnes n'ayant aucun lien de dépendance entre elles dans une situation semblable.

[7]      À l'alinéa 5(2)i) de la Loi, le législateur a prévu :

5.(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

[8]      En vertu de cette disposition, le travail exécuté par une personne ayant un lien de dépendance avec la personne ou l'entité pour qui le travail est exécuté est exclu des emplois assurables.

[9]      Le législateur a cependant prévu une exception, qu'il a formulée comme suit :

5.(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)    la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)    l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[10]     Le législateur a donc prévu que ce travail était assurable si, à la suite de l'évaluation et de l'analyse de tous les faits pertinents, il pouvait être conclu que le lien de dépendance n'avait pas façonné ou influencé les conditions de travail, les modalités de son exécution, la rémunération, la durée et le lien de subordination. En d'autres termes, le travail aurait-il été rémunéré et exécuté de la même façon et pour la même durée si des tiers avaient été les parties au contrat de travail?

[11]     Dans l'éventualité d'une réponse positive, le ministre se doit de conclure que l'exception s'applique et détermine que le travail évalué constitue un véritable contrat de louage de services assurable; sinon, le travail en question est automatiquement exclu des emplois assurables. En d'autres termes, si la réponse est positive, le lien de dépendance, pourtant réel, est réputé ne pas avoir existé lors de l'exécution du travail.

[12]     Étant donné la dimension discrétionnaire ou subjective de la décision, la jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises la nécessité qu'il y ait une approche prudente et raisonnable.

[13]     En d'autres termes, la Cour canadienne de l'impôt ne doit pas essentiellement substituer sa propre analyse lorsque l'analyse qui a conduit à la décision a été faite judicieusement.

[14]     Dans l'hypothèse où tous les faits pertinents ont été pris en compte et où la conclusion qui en a résulté était raisonnable, appropriée ou justifiée, la Cour ne peut intervenir sous peine de voir son jugement révisé.

[15]     Lorsque certains faits ont été occultés de l'analyse, ou lorsque certains faits ont été sous-évalués ou d'autres surévalués lors de l'analyse, ce tribunal doit se demander si la détermination s'avère toujours raisonnable, auquel cas il n'y a pas lieu d'intervenir. Dans le cas contraire, la Cour doit intervenir à partir de sa propre analyse.

[16]     En l'espèce, le conjoint de l'appelante a expliqué les origines de son commerce spécialisé dans la vente et l'ajustement de pantalons. Le commerce vendait également d'autres vêtements, tels que chemises, chandails, etc.

[17]     Les employés de l'entreprise étaient principalement le propriétaire, conjoint de l'appelante, et leur fils, camionneur de métier. Tous trois étaient très compétents et en mesure de faire les retouches aux vêtements qu'ils vendaient. Les ajustements ou travaux de couture visaient principalement les ourlets.

[18]     Le fils, travaillait à la fois au commerce de son père et comme camionneur, travail qu'il effectuait de manière ponctuelle selon les besoins des entreprises dans ce secteur.

[19]     Son fils ajoutant une valeur considérable au commerce, son père, pour éviter de le perdre au profit d'un emploi à temps plein dans le camionnage, a fait le nécessaire pour lui créer un emploi à temps plein.

[20]     Monsieur Carroll Ouellet a expliqué qu'il avait été très malade et donc qu'il avait dû s'absenter du commerce durant plusieurs mois; il a aussi indiqué avoir subi des séquelles qui l'avaient obligé à reprendre ses activités de façon progressive.

[21]     Quant au travail de l'appelante, son épouse, il a affirmé qu'elle connaissait très bien le travail à faire et qu'elle était en mesure d'exécuter toutes les tâches requises pour l'exploitation du commerce. Elle ne s'occupait cependant pas de l'administration ni de la comptabilité, le tout étant effectué par une personne de l'extérieur.

[22]     L'appelante tenait compte de ses heures de travail dans un calepin. Chaque semaine, elle téléphonait pour donner ses heures de travail à la personne de l'extérieur responsable des entrées au registre des salaires; cette même personne préparait les payes, faisait les rapports et, à l'occasion, préparait les relevés d'emploi.

[23]     Son conjoint, propriétaire de l'entreprise, a expliqué que l'appelante était généralement appelée à travailler deux demi-journées par semaine; en outre, elle était disponible et travaillait sur demande, eu égard aux circonstances et aux besoins de l'entreprise.

[24]     Le début et la fin des périodes de travail étaient déterminés par son conjoint. Pour son travail, elle recevait un salaire de 8,75 $ l'heure, ce qui correspondait aux salaires pour des emplois comparables dans la région.

[25]     L'appelante et son conjoint ont affirmé qu'à l'occasion, elle avait pu signer ou préparer une facture pour un client alors qu'elle n'était pas inscrite au registre des salaires et qu'elle recevait des prestations d'assurance-emploi.

[26]     L'explication soumise était que le commerce était situé au centre commercial, où se trouvaient tous les commerces où l'entreprise faisait affaires, c'est-à-dire l'épicerie, la banque, la pharmacie, et ainsi de suite.

[27]     Il arrivait, à l'occasion, qu'elle se rende au commerce de son conjoint parce qu'elle était sur place pour des emplettes personnelles ou familiales. Lors de ces sorties à caractère essentiellement personnel ou familial, elle se rendait au commerce et, il pouvait arriver de façon ponctuelle, qu'elle exécute certaine transaction avec les clients. Selon les témoignages, il s'agissait là de travail de très peu d'importance. Jusque là, l'explication était plausible et raisonnable; il pouvait s'agir de quelque chose de légitime eu égard au contexte.

[28]     Il a été indiqué que le salaire n'avait jamais été augmenté: il avait toujours été le même, et cela, depuis plusieurs années. Ce furent là les principaux éléments de preuve du témoignage de l'appelante et de son époux.

[29]     Il a également été question de deux déclarations statutaires, qu'il y a lieu de reproduire :

Déclaration statutaire à la Commission faite par Carroll Ouellet, 15 mai 2003 (pièce A-2)

Je fais la présente déclaration au bureau de Ressources Humaines du Canada suite à une convocation sur place préalablement entendue avec l'Agent d'Enquête par téléphone. J'ai été identifié par mon N.A.S. [...]. J'ai identifié la pile de factures que vous m'avez présentées, au meilleur de ma connaissance et quand je n'étais pas certain je n'ai pas mis d'initiale. On peut voir que le gros des factures sont complétées surtout par moi-même et par Sébastien Ouellet, mon fils et c'est pas mal toujours comme ça depuis qu'il a débuté le travail à mon commerce il y a environ 4 à 5 ans. Je suis propriétaire du commerce « Entreprises Carroll Ouellet / Pantalonnerie » ou plus précisément, « l'entreprises Carroll Ouellet Inc. » qui gère « Pantalonnerie Enrg., avec [...] des actions, depuis 1983. À mon avis, nous sommes mariés, mon épouse Andrée Gagné et moi, sous un contrat « Séparation de Biens » . J'ai embauché Andrée Gagné parce que j'avais besoin d'aide et parce que c'est trop pour une personne seule. Les deux dernières années les heures d'ouverture du commerce sont les lundis - mardi et mercredi de 9:30 heures à 17:30 heures, les Jeudis et Vendredi de 9:30 heures à 21:00 heures, les Samedis de 9:00 heures à 17:00 heures et les Dimanches de 12:00 heures AM à 17:00 heures. Auparavant la seule différence c'est que le dimanche, le commerce était fermé. Comme travail Andrée Gagné est conseillère ou commis vendeuse, comme moi-même. Elle doit répondre aux clients, placer le stock, faire les bas de pantalons sur place, ce que nous faisons tous les 3. Elle ne s'occupe pas de comptabilité du tout : c'est moi qui fait cela sauf pour les fins de mois, c'est fait par « Microgestion » . Les entrées au grand livre, les chèques de payes et autres c'est moi qui m'occupe de ça. Il peut arriver à l'occasion qu'Andrée fasse des entrées de factures en les comptant le matin, c'est-à-dire, qu'elle les entre au grand livre. Elle est à temps partiel les mardis et vendredis et c'est là que ça peut arriver qu'elle entre les factures quand elle les compte le matin. Pour ma part j'ai fait une thrombose cérébrale au mois d'Août 97, de mémoire, dans la nuit du 4 au 5 Août 97. J'ai été un an sur l'assurance invalidité où j'étais incapable de travailler à 90 % donc cela me permettait quand même de venir faire mon tour au commerce de temps à autre. J'ai repris graduellement le travail. Quand Andrée Gagné rentre seule au travail c'est surtout le matin et c'est peut-être un peu du fait que c'est tranquille le matin qu'on retrouve peu de factures de sa main. Quand Andrée est embauchée à plein temps, elle travaille à la semaine sans égard du nombre d'heure mais d'après moi elle fait au moins 40 heures/semaine et parfois un peu plus car comme elle le dit dans sa déclaration et que je l'expliquais au début de l'entrevue, c'est une entreprise familiale et nous travaillons ensemble, comme une équipe et non compétitivement comme dans les boutiques. Par exemple, quand nous sommes 2 employés en même temps sur place, parfois 3, un peut commencer une vente, l'autre, prendre la relève pendant que le premier sert un nouveau client et ainsi de suite. Andrée est appelée à travailler à plein temps les mois avant les Fêtes, aux Fêtes et un peu après. Il y a toujours 2 semaines où elle ne travaille pas du tout à chaque année et ça c'est pour ses semaines d'attente au chômage. Ça se prête bien à ça parce quand elle cesse à plein temps c'est parce que c'est mort, pour ce qui est des affaires du commerce. Elle est payée par chèque en salaire et quand elle fait des dépôts c'est dans son compte personnel (et non conjoint). Elle dispose de son salaire pour payer des dépenses personnelles, mais aussi des dépenses de la maison comme toutes les familles, des meubles, de l'épicerie, etc. Quand elle travaille à plein temps et de mémoire, elle reçoit depuis ses débuts pour le commerce il y a au moins 10 ans, 350.00 /semaine brut et à temps partiel elle reçoit 8.75 l'heure. C'est Louise Simard, la comptable chez « Microgestion » qui a établi ce montant en divisant son salaire hebdomadaire par 40 heures. Toutes les heures où Andrée Gagné travaille à temps partiel, elle les note dans un calepin personnel et c'est à partir de ce calepin là qu'elle appelle la comptable Louise pour savoir comment fonctionner pour les déductions parce qu'elle ne travaille pas toujours un même nombre d'heures à temps partiel. À plein temps Andrée n'a pas besoin de marquer ses heures dans son Calepin. Elle n'a qu'à noter quand elle débute son plein temps et quand elle cesse et elle s'occupe de faire entrer ses semaines car elle est payée « à la semaine » . Comme vous me le soulevez, quand vous avez noté des journées dans le calepin d'Andrée, où la date ne correspond pas à la journée indiquée, c'est peut-être et même probablement parce qu'elle s'est trompée de date, ou parce qu'elle a remplacé Sébastien une journée et a inscrit la bonne date mais s'est trompée de journée : c'est elle qui pourrait plus le préciser : c'est son calepin et je me fie à elle pour cela; je n'ai eu aucun problème avec les heures de travail qu'elle-même note. Après lecture de ma déclaration je veux corriger les heures d'ouverture en page 2 car même depuis les 2 dernières années, je n'ouvre pas à tous les dimanches. J'ai pris connaissance de ma déclaration faite librement et volontairement et elle représente la réalité dans l'ensemble.

[Je souligne.]

Déclaration statutaire à la Commission faite par Andrée Gagné 17 mars 2003 (pièce A-3)

Je fais la présente déclaration au bureau de Ressources Humaines du Canada de Riv-du-Loup suite à une convocation écrite reçue et par la suite l'heure ayant été modifiée pour 13:00 heures par un appel de l'Agent d'Enquête. J'ai été identifiée par ma carte d'assurance maladie du Québec qui expire le mois de 06-2003. J'ai travaillé pour Entreprises Carroll Ouellet / Pantalonnerie en 2002-03. Je travaille pour cet employeur depuis une dizaine d'années au moins. Je ne suis pas actionnaire de ce commerce et je crois qu'il n'y a qu'un seul actionnaire qui détiendrait 100 % des actions, Carroll Ouellet, mon mari, depuis 1965. Il me semble être mariée sous un contrat de séparation de bien. Je vais tenter de retracer mon contrat et vous en fournir une copie aussitôt que possible. Je n'ai pas été obligé d'apposer ma signature sur un contrat d'un emprunt hypothécaire, de marge de crédit ou autres emprunts c'est toutes les affaires à Carroll ça. Je n'ai pas de jeunes enfants à m'occuper mon plus jeune ayant 28 ans. J'ai été embauché au début parce que mon mari avait besoin de personnel et m'a dit : « Tu vas travailler » . Je pense que c'est comme ça que ça s'est passé. Je travaille généralement à temps complet à partir d'octobre ou novembre, aller jusqu'après les Fêtes. Je fais en moyenne 40 heures/semaine quand je suis à temps complet et je suis payée sur une base de 40 heures par semaine. Je ne fais pas de surtemps à proprement parler car quand on est là... c'est notre commerce à nous autre, son commerce à lui. On peut dire que c'est une entreprise familiale en quelque sorte et je ne regarde pas les heures de travail que je fais dans une période de plein temps, je peux dépasser le 40 heures de quelques heures et rarement faire moins de 40 heures/semaine mais pour ma part je suis payée toujours 40 heures/semaine peu importe le nombre d'heures travaillé, donc je suis payée à la semaine. Mon salaire m'est versé par chèques de mémoire depuis les débuts, je dépose mon argent dans un compte personnel et il peut arriver que je change mes chèques aussi mais habituellement ils passent dans mon compte. Mon salaire me sert uniquement à payer mes dépenses personnelles et il peut arriver aussi que ce soit des dépenses pour la maison, comme du [...] et parfois je peux participer à ce genre de dépenses. Il me semble qu'il y a plusieurs années, au moment où les personnes mariées ont eu droit de retirer du chômage avec un travail assurable pour leur conjoint, tout ça ait été vérifié. À ma dernière période de travail à plein temps, j'étais payée $8.75 l'heure donc $350.00 brut, semaine et net je crois qu'il restait $281.81. Avant de travailler pour Carroll, mon mari, j'ai été propriétaire d'un atelier de couture sur la rue Lafontaine un 4 à 5 ans. En 1965 et durant 2 ans par la suite, j'étais enseignante à plein temps au primaire. Ce qui est arrivé, pour expliquer pour quelle raison je fais plus de temps partiel ces années-ci qu'auparavant c'est que mon mari a fait un ACV et a dû cesser le travail ou ralentir considérablement sur quelques jours mais pas longtemps. Ça se passait, son ACV, le ou vers le 11 Août 1998. Par la suite, il entra travailler quand même... N'a pas trop arrêté mais aurait dû le faire. J'ai dû faire appel à son fils, Sébastien Ouellet, pour venir aider son père. Il travaillait sur le camion et comme je tombais toute seule je lui ai dit « Tu vas venir » et il a resté à l'emploi pour nous autres par la suite. L'ACV survenu plutôt le 11 août 1997, car cela va faire 6 ans en août 2003. Comme Sébastien fait des heures, il m'en reste moins pour moi. Par la suite Carroll a fait un autre ACV sur l'autre côté, le droit et il ne s'en est pas rendu compte et c'est le médecin qui le lui a confirmé. C'est survenu à l'été 2002. Il n'a pas arrêté de travailler. Il est exact que je n'ai pas retiré de prestations en 1999 et j'explique ça par le fait que Carroll se sentait moins bien et des journées complètes, il n'est plus capable d'en faire non plus. Quand je travaille à temps partiel, je n'ai pas d'horaire prédéfini à l'avance. Certaines périodes je peux entrer travailler à chaque semaine les mardis et vendredis avant-midi comme cette année et l'an passé, mais également je dois faire d'autres heures de travail quand arrives des imprévus. Je note mes heures de travail dans mon petit livre et à la fin du mois je fais mon chèque de paye. Il n'y a que quand je travaille et que je suis à temps partiel que je fais mon chèque de paye donc quand je suis sur le chômage. Quand je travaille en temps régulier c'est Carroll qui s'en occupe. À temps partiel ça fait des déductions qui changent et Carroll ne veut pas s'occuper de mes salaires. Il m'arrive rarement de faire les chèques de payes de Sébastien mais quand Carroll n'y est pas, j'ai une procuration et j'ai le droit de signer. Les restes, comme les heures à temps partiel, je les donne à la comptable Louise Simard à partir de mon petit livre à moi et elle les entre au livre de payes ou autrement : je ne peux vous le dire. Pour ce qui est de recherches d'emploi, est-ce qu'il faut que j'en fasse d'autres chez mon employeur? J'y travaille un peu à chaque semaine là. Dans mes deux semaines d'attente c'est mon mari et Sébastien qui entrent travailler d'année en année : Ils sont capables de le faire. Il est exact que c'est surtout pour la période des Fêtes que je travaille à plein temps d'une année à l'autre et Novembre, Décembre, Janvier et parfois je débute en Octobre aussi. Pour terminer, le commerce est une compagnie incorporée comme on le voit sur le Relevé d'Emploi daté du 17-01-2000. J'ai pris connaissance de ma déclaration faite librement et volontairement sans menace ou promesse de faveur et elle représente la vérité dans son ensemble.

[Je souligne.]

[30]     Le procureur de l'appelante a tenté par certaines questions d'obtenir des réponses visant à discréditer la qualité et la vraisemblance du contenu des déclarations statutaires. Les réponses et les explications obtenues n'ont cependant pas permis d'écarter de la preuve le contenu des deux déclarations statutaires.

[31]     Le témoignage de madame Pierrette Lecompte, responsable de l'enquête, a cependant permis de constater qu'elle n'était nullement une personne intimidante ou une personne qui aurait pu, par le biais de menaces, de ses propos ou de son comportement, rendre l'appelante et son conjoint nerveux ou intimidés au point de déformer les faits ou tout simplement d'expliquer de façon incorrecte les faits entourant l'exécution du travail litigieux.

[32]     Dans le cadre de l'enquête, madame Lecompte a consulté une volumineuse preuve documentaire et a fait un travail considérable pour préparer un tableau pour illustrer que la présence et l'implication de l'appelante dans les opérations du commerce étaient beaucoup plus substantielle que celles indiquées.

[33]     Le tableau préparé par madame Lecompte met en évidence un tout autre portrait que celui mentionné par l'appelante. Les données qui y sont colligées, et surtout les comparaisons entre les différentes périodes où l'appelante travaillait et celles où elle ne travaillait pas, produisent un résultat dont les conclusions discréditent la qualité des explications soumises.

[34]     Un des fondements de la détermination était justement que le travail de l'appelante s'effectuait de toute évidence pendant des périodes qui ne correspondaient pas aux périodes de travail indiquées aux relevés d'emploi.

[35]     L'appelante et son conjoint ont vigoureusement contesté cette affirmation. De plus, les faits indiqués dans le tableau préparé par madame Lecompte ont pour effet de mettre en doute la version de l'appelante et de son conjoint.

[36]     En effet, à la lumière des données apparaissants au tableau, le travail exécuté par l'appelante en dehors des périodes en litige était substantiel; bien plus, à certains moments, il était comparable à celui effectuée à l'intérieur des périodes en litige.

[37]     De façon générale, le contenu des déclarations statutaires confirme les conclusions qui découlent du tableau des données comparatives. Je fais notamment référence aux affirmations que le commerce est une entreprise familiale où il existe une profonde culture d'entraide et de collaboration, à la façon dont l'horaire de travail était préparé en fonction du délai de carence préalable à l'obtention de prestations d'assurance-emploi, au salaire qui n'avait jamais augmenté, et ainsi de suite.

[38]     Le travail d'enquête et d'analyse est irréprochable. Tous les faits pertinents ont été pris en considération. De plus, les faits en question n'ont pas fait l'objet d'une interprétation susceptible de controverse notamment le tableau qui a constitué une pièce maîtresse pour justifier le bien-fondé des décisions.

[39]     Les données recueillies reproduites au tableau parlent par elles-mêmes. Le tableau aurait pu mettre en évidence quelques situations particulières défavorables à l'appelante; ces lacunes auraient pu être expliquées et écartées du processus devant conduire à une conclusion ce qui n'a pas été le cas.

[40]     En cette matière, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'être en présence d'une comparaison parfaite entre le travail exécuté par une personne liée et celui exécuté dans un contexte semblable par une personne sans lien de dépendance. En effet, la réalité d'un contrat de travail où les parties ont entre elles un lien de dépendance, fait en sorte qu'il existera toujours des aspects qui ne sont pas et ne peuvent pas être présents dans un contrat de travail où les parties n'ont pas de lien de dépendance. D'ailleurs, le législateur a lui-même utilisé les termes « à peu près semblable » .

[41]     Je voudrais cependant ouvrir une parenthèse. Il s'agit, encore une fois, d'un dossier où le travail de l'appelante a été jugé assurable à une période antérieure à celles en litige. Dans une telle situation, les personnes concernées croient malheureusement trop souvent que la détermination antérieure les place à l'abri de tout problème futur quant à leur droit de recevoir des prestations d'assurance-emploi. En d'autres termes, une personne qui a vu, une première fois, son travail déterminé assurable croit souvent qu'il s'agit là d'une garantie absolue d'avoir le droit de recevoir des prestations d'assurance-emploi dans le futur de cette détermination.

[42]     Malheureusement, cela n'est pas aussi simple, et chaque période de travail indiquée dans un relevé d'emploi peut faire l'objet d'une évaluation dont le résultat peut varier d'une période à l'autre eu égard aux faits, aux circonstances et aux modalités propres à chaque période de travail.

[43]     J'ai souvent constaté que les personnes responsables d'évaluer si un emploi est assurable ont tendance à conclure très rapidement qu'il est assurable lorsque la demande de décision porte sur l'obligation de payer ou non des cotisations. En d'autres termes, l'approche semble moins approfondie selon qu'une personne veut savoir si elle doit ou non payer des cotisations ou qu'elle réclame des prestations d'assurance-emploi.

[44]     Je comprends qu'au moment d'une demande de détermination pour savoir s'il s'agit d'un travail assurable, le travail d'analyse peut porter sur des hypothèses ou sur des faits sommaires voire incomplets d'où il y aurait alors lieu d'identifier clairement les faits tenus pour acquis de manière à ce que la personne concernée puisse constater qu'il ne s'agit pas, pour le futur, d'une garantie absolue que son travail sera toujours assurable.

[45]     Le fait de déterminer un travail assurable à partir de faits jugés satisfaisants a pour effet de créer des attentes pouvant provoquer de véritables cauchemars chez certaines personnes lorsqu'une enquête a lieu après que des prestations ont été versée sur une période de plusieurs années.

[46]     À titre d'exemple, il suffit d'imaginer la personne qui a vu son travail déterminé assurable, ou qui a même reçu des prestations pendant une certaine période. Quelques années plus tard, on révise le dossier pour une période de quelques années et le travail, qui avait déjà été déterminé assurable, est alors jugé non assurable, à la suite de quoi on réclame les prestations d'assurance-emploi reçues pendant plusieurs années, ce qui a pour effet d'entraîner une réclamation de plusieurs milliers de dollars.

[47]     Le travail devenu litigieux par le seul écoulement du temps fait l'objet d'une analyse approfondie, souvent judicieuse et irréprochable. Si le travail est alors déterminé non assurable, toutes les prestations d'assurance-emploi obtenues font alors l'objet d'une réclamation, provoquant ainsi un véritable drame chez les personnes concernées.

[48]     Certes, tous sont réputés connaître la loi. Tous doivent la respecter, sous peine de devoir accepter des conséquences souvent désastreuses. Par contre, je crois que les évaluations sur la question de l'obligation de payer ou non des cotisations, devraient être plus élaborées et qu'il soit donné des renseignements plus détaillés aux fins que les personnes concernées soient en mesure de remettre en question leur statut à chaque période d'emploi.

[49]     D'autre part, il y aurait lieu d'identifier plus explicitement les faits sur lesquels la décision que l'emploi est assurable est fondée, afin que les intéressés puissent mieux la comprendre, et surtout qu'ils tiennent moins pour acquis que l'assurance-emploi donne un droit absolu aux prestations d'assurance-emploi.

[50]     En l'espèce, la rémunération que recevait l'appelante ne correspondait pas aux heures de travail ou à la qualité du travail qu'elle exécutait; la décision pour les périodes en litige était de toute évidence bien fondée.

[51]     Ayant déjà vu son travail déterminé assurable et ayant reçu des prestations d'assurance-emploi à plusieurs reprises, l'appelante a probablement tenu pour acquis qu'il n'y avait aucun problème; ainsi, la flexibilité, la complaisance et l'accommodement se sont graduellement installés et les conditions de travail se sont beaucoup éloignées de celles qui auraient existé si les parties n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[52]     À la lumière de la preuve, je ne peux malheureusement faire autrement que de confirmer le bien-fondé des décisions pour toutes les périodes en litige, et conséquemment l'appel est rejeté. Si j'avais le pouvoir d'intervenir pour réduire considérablement le trop payé, je n'hésiterais aucunement à le faire. Malheureusement, je n'ai pas cette autorité.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2005.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                   2005CCI310

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-1244(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Andrée Gagnon et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 17 mars 2005

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 24 juin 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Jérôme Carrier

Avocat de l'intimé :

Me Michel Lamarre

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour :

                   Nom :                              Me Jérôme Carrier

                   Étude :                             Avocat, Lévis (Québec)

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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