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Dossier : 2004-4455(IT)G

ENTRE :

JOHN D. MCKELLAR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 12 et 13 mars 2007 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge E. Rossiter

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Barry S. Wortzman

Me Gaynor Roger

Avocate de l’intimée :

Me Margaret J. Nott

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel interjeté des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 est accueilli avec dépens et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisaton conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

       Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 17e jour de mai 2007.

 

« E. P. Rossiter »

Le juge Rossiter

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2007.

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 

Référence : 2007CCI266

Date : 20070517

Dossier : 2004-4455(IT)G

ENTRE :

JOHN D. MCKELLAR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rossiter

 

Question en litige

 

[1]     La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si l’on peut considérer que l’appelant a agi de façon raisonnable en réclamant la déduction de sa part des pertes subies par une société de personnes des Bahamas connue sous le nom The Group of Eighteen (« la société de personnes ») au cours des années d’imposition 1992, 1993 et 1994 ou si, en d’autres termes, l’on peut dire qu’en réclamant la déduction de sa part des pertes subies par cette société de personnes au cours des années d’imposition 1992, 1993 et 1994, l’appelant a fait preuve de la prudence qu’aurait exercée une personne sage et prudente.

 

Faits

[2]     La présente affaire a été précédée par la décision Bernick v. R., [2003] 4 C.T.C. 2494 (confirmée en partie par [2004] 3 C.T.C. 191 (C.A.F.)), dans laquelle le juge Miller a examiné en détail le contexte factuel. Au cours des années 1992, 1993 et 1994, l’appelant était l’un des associés d’une société de personnes qui était constituée de 1 800 unités, dont 1 620 étaient détenues par un certain M. Bernick et le reste par sept autres associés, dont l’appelant qui en détenait 36. La société de personnes était propriétaire de certains titres de placement, en l’occurrence une obligation à coupon zéro de British Gas International Finance dont la valeur à l’échéance s’établissait à 7,5 millions de dollars U.S. (« l’obligation britannique »), ainsi que plusieurs obligations convertibles de sociétés japonaises d’assurance-incendie et d’assurance maritime ayant une valeur à l’échéance de 147 millions de yens (les « obligations japonaises »). La société de personnes s’est départie de l’obligation britannique et des obligations japonaises (collectivement appelées ci‑après les « obligations ») au cours des trois années en question et a demandé la déduction de pertes de 2 264 770 $US, 2 366 331 $US et 1 706 529 $US respectivement. La valeur marchande d’une obligation à coupon zéro avant sa date d’échéance est vraisemblablement moindre que sa valeur à l’échéance parce que l’acheteur ne peut en tirer un rendement à moins de l’acheter à rabais. La valeur marchande des obligations britanniques au début de septembre 1992 s'établissait à 9,34 % de leur valeur à l'échéance (700 500 $US) et la valeur marchande de toutes les obligations acquises par la société de personnes était fixée à environ 1 800 000 $US, ce qui équivalait à 1 000 $US pour chaque unité de la société de personnes alors en circulation. Les pertes étaient établies en fonction d’un coût initial exprimé et calculé selon la valeur à l’échéance des obligations inscrites dans les états financiers de la société de personnes, qui indiquaient que les obligations avaient une valeur au coût équivalente à la valeur à l’échéance. Les pertes en question ont été partagées proportionnellement entre les divers associés du Group of Eighteen. Le montant des pertes attribuable à l’appelant était de 54 772 $ (CDN) en 1992), de 72 499 $ (CDN) en 1993 et de 34 425 $ (CDN) en 1994. L’appelant a réclamé la déduction de ces pertes dans ses déclarations de revenus des particuliers de 1992, 1993 et 1994 et l’intimée a établi sa cotisation fiscale en conséquence.

 

[3]     À la suite de la décision Bernick, l’intimée a procédé à une vérification du dossier de l’appelant et a établi une nouvelle cotisation pour ses années d’imposition 1992, 1993 et 1994. L’appelant a déposé un avis d’opposition et a finalement interjeté appel devant la Cour.

 

[4]     La nouvelle cotisation qu’a établie l’intimée à l’égard de l’appelant était prescrite et l’intimée cherche maintenant à invoquer l’exception prévue aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[5]     M. Graeme Jones, un comptable agréé canadien qui compte également parmi les associés de la société et qui est titulaire de 36 unités, a exprimé l’avis, en tant que vérificateur, que les [TRADUCTION] « états financiers présentent fidèlement, à tous égards importants, la situation financière de la société de personnes au 31 décembre 1992, ainsi que les résultats de ses opérations et l’évolution de sa situation financière pour la période se terminant à cette date‑là, conformément aux principes comptables généralement reconnus ». M. Jones a communiqué à chacun des associés les pertes déclarées de la société de personnes qui se rapportaient individuellement à eux et qui pouvaient être compensées avec d’autres revenus. L’appelant a réclamé la déduction de sa part des pertes déclarées par la société de personnes.

[6]     L’appelant a témoigné pour son propre compte. Son témoignage a porté principalement sur son expérience d’avocat praticien qui s’occupe de questions financières et sur la façon dont il avait acquis des unités de la société de personnes.

 

[7]     L’appelant a été admis au Barreau de l’Ontario en 1959 et est devenu procureur de la Couronne en 1973. Il était l’un des associés d’un cabinet d’avocats de Toronto connu sous la raison sociale de Weir & Foulds, srl, de 1965 à 2004, et il en a d’ailleurs été le président pendant de nombreuses années. Il a été associé par contrat à ce cabinet de 2004 jusqu’à la date du procès.

 

[8]     Pour ce qui est de l’exercice du droit par l’appelant, de ses connaissances des questions financières et de son expérience en matière de personnes morales et d’états financiers, une grande partie des renseignements concernant ces aspects ont été divulgués lors du contre‑interrogatoire de l’appelant par l’avocate de l’intimée.

 

[9]     Il a été expliqué que, dans le cadre de son’exercice du droit, l’appelant s’occupait principalement de crédit-bail, d’immobilier, d’un peu de testaments et de successions, de planification successorale et de droit des sociétés commerciales, y compris de la prestation de services juridiques pour des organismes de bienfaisance; toutefois, l’appelant n’était pas fiscaliste. L’appelant faisait un peu de droit des sociétés, notamment en donnant des conseils au sujet de l’achat et de la vente d’actifs; il s’occupait aussi de résolutions de sociétés commerciales, de crédit-bail commercial, de gouvernance d’entreprises, de droit des affaires pour les entrepreneurs, de questions ayant trait aux obligations à risque et de questions environnementales. Il a reconnu qu’il s’y connaissait un peu en fiscalité et que, même s’il n’avait pas de formation ou d’expérience en comptabilité, il était en règle générale capable de comprendre des états financiers. Il donnait effectivement certains conseils fiscaux lorsqu’il s’occupait de questions d’achat ou de vente de parts ou d’actions et il donnait aussi des renseignements d’ordre fiscal lorsqu’il faisait de la planification successorale. Cependant, il adressait habituellement son client à un fiscaliste lorsqu’il s’agissait de répondre à des questions juridiques ou comptables. Il a expliqué qu’il n’y avait pas de fiscaliste dans son cabinet. Il a ajouté qu’il préparait chaque année sa propre déclaration de revenus.

 

[10]    En tant que président de Weir & Foulds, il n’était pas chargé de signer pour approbation les états financiers du cabinet chaque année, mais il est possible qu’il les ait signés pour répondre aux besoins de la banque. Une chose est sûre : il n’approuvait pas les états financiers. Il a qualifié de [TRADUCTION] « clairs, nets et précis » les états financiers du cabinet. Les états financiers étaient communiqués à tous les associés. Il ne se souvient pas que les états financiers aient été présentés lors des assemblées de la société de personnes.

 

[11]    L’appelant possédait une vaste expérience comme membre de conseils d’administration de compagnies; il avait été notamment président d’organismes de bienfaisance. Il a expliqué qu’en qualité d’administrateur, ses fonctions consistaient notamment à acheter des actifs, à s’occuper du personnel, des dividendes, de l’orientation future de la compagnie et des questions courantes soulevées par l’administration; il recevait les états financiers, en faisait discuter et, si des questions étaient posées, il en faisait part aux personnes compétentes, que ce soit le vérificateur ou le vice-président compétent de la compagnie. Ses fonctions d’administateur d’organisme de bienfaisance ressemblaient passablement à celles d’un membre du conseil d’administration d’une compagnie.

 

[12]    L’appelant a déclaré qu’il avait fait des exposés et prononcé des conférences devant diverses organisations et associations juridiques, dont l’Association canadienne d’études fiscales devant laquelle il avait parlé de modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu qui concernaient les organismes de bienfaisance et de leurs incidences sur les avocats généralistes, mais il ne se souvenait pas des modifications précises dont il avait traité. Il a aussi donné des conseils juridiques à l’Association canadienne d’études fiscales au sujet de son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et de la procédure à suivre pour l’obtenir. Dans son témoignage, l’appelant a expliqué qu’il agissait à titre de conseiller juridique d’entreprise et qu’il connaissait bien les états financiers de compagnies et leurs subtilités, de même que les fonctions et les obligations des administrateurs de compagnies.

 

[13]    Pour ce qui est de la constitution de la société de personnes, l’appelant a déclaré lors de son témoignage qu’il connaissait M. Bernick depuis une trentaine d’années sur le plan professionnel. Il l’avait représenté dans le cadre de plusieurs opérations immobilières et l’avait conseillé en matière de testaments et de successions. M. Bernick lui avait expliqué son désir d’investir à l’étranger dans des obligations internationales de longue durée et lui avait demandé s’il avait des relations aux Bahamas. L’appelant lui avait répondu qu’il connaissait un avocat des Bahamas, M. E.P. Toothe, qu’il considérait comme un homme honnête et raisonnable, et il lui a suggéré de recourir aux services de M. Toothe. L’appelant a communiqué avec M. Toothe, lui a parlé de M. Bernick et lui a demandé de communiquer directement avec M. Bernick. Il croyait que M. Toothe avait appelé M. Bernick directement. L’appelant n’a pas participé à leurs échanges ni à ceux qui ont eu lieu plus précisément avec la société de personnes. M. Toothe est finalement devenu directeur des opérations de la société de personnes.

 

[14]    L’appelant a déclaré qu’il avait investi dans la société de personnes à la demande de M. Bernick. Ce dernier estimait qu’il s’agissait d’un bon placement et l’appelant croyait que M. Bernick serait blessé s’il n’investissait pas dans la société de personnes parce qu’il était son avocat depuis de nombreuses années; de plus, connaissant M. Bernick, il estimait que les risques étaient faibles et qu’il pourrait réaliser des profits. L’appelant ne s’occupait pas de la gestion des activités courantes de la société de personnes. Sa décision d’effectuer ce placement était motivée par la confiance qu’il avait envers M. Bernick, qu’il considérait comme un investisseur avisé. Tout ce qui l’intéressait c’était que M. Bernick croyait que ces obligations à long terme constituaient de bons placements. Il n’a pas personnellement fait de recherches au sujet des actifs ou pour vérifier s’il existait ou non des clauses restrictives ou des obligations à long terme. L’appelant savait que M. Bernick et une autre personne qui était proche de ce dernier faisaient des placements semblables; il s’est donc fié à la relation qu’il entretenait depuis longtemps avec M. Bernick ainsi qu’à la longue expérience de M. Bernick quant au marché obligataire. Il a estimé que le prix payé pour acquérir les unités était raisonnable compte tenu des risques et des perspectives de profit.

 

[15]    L’appelant a expliqué que, lorsqu’il est devenu associé, il a acquis environ 36 unités (sur un total de 1 800 unités) au coût de 1 000 $ chacune pour un total de 36 000 $. Sa participation a été portée à deux pour cent en 1992, mais a ensuite été ramenée à 1,3889 % en 1994. Lorsqu’il est devenu un associé de la société de personnes, il a fait des suggestions au sujet des modalités du contrat de société, du mode de conclusion, de la conclusion effective de l’opération et de diverses résolutions. La note d’honoraires soumise à la société de personnes par le cabinet de l’appelant ainsi que les entrées faites par l’appelant au sujet de cette note ont été déposées en preuve.

 

[16]    L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas participé à l’établissement des états financiers. Il a affirmé que c’était M. Jones qui s’en était occupé. Il a ajouté qu’il connaissait déjà M. Jones, qu’il entretenait des rapports avec lui depuis des années et qu’il savait qu’il était un comptable fiscaliste compétent de Toronto (Ontario). Il recevait chaque année les états financiers de la société de personnes, ainsi que les relevés des pertes établis par M. Jones. Il ne comprenait pas vraiment comment les pertes avaient été calculées, mais il a supposé que les pertes totales de la société de personnes étaient réparties selon le nombre d’unités. Il avait parlé à M. Jones au sujet des pertes et il semblait qu’il pouvait réclamer la déduction de l’excédent. M. Jones lui a dit qu’il n’y avait pas de problème à réclamer la déduction de ces pertes sur le plan fiscal au Canada, mais il a ajouté qu’il s’agissait en réalité d’un report d’impôt. À sa connaissance, les pertes canadiennes étaient acceptables vu le rapport sans réserve que M. Jones avait établi à la suite de sa vérification de la société de personnes pour chacune des trois années 1992, 1993 et 1994. M. Jones a préparé des documents complémentaires au sujet des pertes et il a fait savoir à l’appelant que les pertes s’expliquaient par la différrence de traitement entre les associés qui acquéraient une participation dans une société de personnes et la société de personnes qui achetait des actifs. L’appelant n’a pas demandé à M. Jones de lui faire part de ses observations par écrit et il n’a rien communiqué par écrit à M. Jones. Pour sa part, M. Jones n’a rien soumis par écrit à l’appelant. L’appelant s’est dit très satisfait des résultats parce qu’il avait réussi à réduire le montant de ses impôts; il a ajouté qu’il ignorait le montant que la société de personnes avait payé pour les obligations. L’appelant a expliqué que la seule chose qui comptait pour lui, c’était ce sur quoi il aurait à payer de l’impôt, et il a ajouté que ce que la société de personnes faisait ou ne faisait pas l’intéressait peu.

 

[17]    Quant aux autres mesures prises par l’appelant lorsqu’on lui a remis le bilan de la société de personnes, l’appelant n’a pas demandé à M. Jones de lui expliquer ce que voulaient dire les mots « au prix coûtant ». Il a supposé qu’il s’agissait du prix d’achat des unités. Il se souvenait d’avoir discuté de la différence entre les expressions « au prix coûtant » et « valeur à l’échéance » des obligations. Il croyait en avoir effectivement touché un mot à M. Bernick, ce à quoi ce dernier lui avait répondu que c’était ainsi qu’on procédait et que tout était satisfaisant. L’appelant a reconnu avoir récupéré sa mise de fonds de 36 000 $US dans l’année suivante après avoir fait son placement en septembre 1993 et avoir reçu une somme additionnelle de 8 000 $US en juillet 1994. Il a expliqué qu’il avait agi de façon raisonnable et qu’il n’avait pas l’intention d’induire l’ARC en erreur. Il a déclaré ne pas avoir conservé de copies officielles des déclarations de revenus produites, mais avoir gardé ses documents de travail pour 1992 et 1993 et avoir préparé des documents de travail semblables pour 1994 mais ne pas pouvoir les retracer. Il ne croyait pas avoir joint à ses déclarations de revenus les états financiers de la société de personnes fournis par M. Jones pour 1992, 1993 et 1994, mais il croyait avoir joint un relevé de ses pertes pour chacune des années en question.

 

[18]    L’intimée a fait témoigner M. Jones. Ce dernier a expliqué que M. Toothe lui avait demandé s’il pouvait faire la vérification de la société de personnes. Les états financiers ont été effectivement établis par M. Toothe, conformément au contrat de société, et ils ont été remis avec certains documents à M. Jones pour justifier les opérations effectuées au cours de chacune des périodes en question. M. Jones a déclaré avoir procédé à une vérification pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994. Il a confirmé que, dans le cadre de sa vérification, il avait exprimé sans réserve l’avis que, pour chacune des années en question, les états financiers présentaient fidèlement les renseignements financiers relatifs à la société de personnes et qu’il était convaincu qu’il était en mesure de formuler une opinion sans réserve. M. Jones estimait qu’il convenait d’utiliser les pertes découlant de la vente des obligations en appliquant les principes comptables généralement reconnus (PCGR) des Bahamas pour le calcul de l’impôt canadien.

 

[19]    Pour expliquer comment il en était venu à investir dans la société de personnes, M. Jones a raconté que M. Bernick avait communiqué avec lui pour lui parler d’une possibilité de placement susceptible de produire un bon rendement. Il a examiné le document rédigé par M. Toothe au sujet de l’inventaire visé par les placements et il a décidé de s’associer à cette société de personnes à ce moment‑là parce qu’il savait que M. Bernick avait une grande expertise dans ce genre de valeurs mobilières et qu’il semblait s’agir d’un bon placement. Il ne s’est rendu compte des possibilités de profits que lorsqu’il a consulté les états financiers établis par M. Toothe en 1992. Dans les états financiers, le prix d’achat des unités était manifestement inférieur à leur valeur marchande ou à l’inventaire indiqué au prix coûtant et il y aurait un profit lorsque ces garanties seraient réalisées. Le coût était fonction de la valeur à l’échéance des obligations. Après avoir examiné les états financiers, l’appelant a demandé à M. Toothe s’ils avaient été établis conformément aux PCGR. M. Toothe lui a répondu qu’ils avaient été préparés aux Bahamas par un certain Darryl Butler, qui avait appliqué les PCGR des Bahamas. M. Toothe lui avait dit qu’il (M. Toothe) avait parlé à M. Butler, qui lui avait expliqué que les PCGR des Bahamas permettaient à une société de personnes d’utiliser la valeur à l’échéance comme prix coûtant. Il n’a jamais communiqué avec M. Butler.

 

[20]    M. Jones a déclaré qu’une perte avait été subie en raison de la façon dont les obligations étaient indiquées dans les livres étant donné que, suivant les PCGR des Bahamas, on se servait de la valeur à l’échéance pour calculer le prix coûtant.

 

[21]    Même si M. Jones ne se souvenait pas précisément d’avoir eu des discussions avec M. McKellar ou avec d’autres associés après qu’ils eurent reçu leur état des pertes respectif, il n’était pas en mesure de contester les affirmations de M. McKellar à cet égard. En particulier, il n’était pas en mesure de contester l’avis que M. McKellar prétend avoir reçu de lui, en l’occurrence qu’on pouvait légitimement utiliser les états financiers pour calculer l’impôt sur le revenu canadien. C’est effectivement le genre de conseil qu’il aurait donné à l’époque si on lui avait demandé son avis. Il a affirmé qu’il aurait été juste et raisonnable de la part des associés de se fier à l’état des pertes qu’il avait préparé.

 

Analyse

 

[22]    Le paragraphe 152(4) de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

 

Cotisation et nouvelle cotisation. Le ministre peut établir […] une nouvelle cotisation […] concernant l’impôt pour une année d’imposition […] Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

 

            a) le contribuable […]

 

            (i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration […]

 

[23]    Le paragraphe 152(4.01) de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

 

Cotisation à laquelle s’appliquent les alinéas 152(4)a) ou b). Malgré les paragraphes (4) et […] la nouvelle cotisation […] à laquelle s’appliquent les alinéas (4)a) ou […] relativement à un contribuable pour une année d’imposition ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu’elle se rapporte à l’un des éléments suivants :

                   a) en cas d’application de l’alinéa (4)a):

(i) une présentation erronée des faits par le contribuable […] effectuée par négligence, inattention ou omission volontaire ou attribuable à quelque fraude commise par le contribuable […]

 

[24]    En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il y a eu une présentation erronée des faits, ainsi que l’appelant l’a d’ailleurs reconnu. La seule question qui se pose est celle de savoir si la présentation erronée des faits est imputable à une négligence ou à une inattention de l’appelant au sens du paragraphe 152(4.01) de la Loi. Il n’y a aucune allégation d’omission volontaire ou de fraude.

 

[25]    En ce qui concerne le paragraphe 152(4.01), c’est à l’intimée qu’il incombe de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que la présentation erronée des faits est imputable à la négligence ou à l’inattention de l’appelant. Dans la décision Fukushima v. R., [1999] 2 C.T.C. 2312, (C.C.I.), le juge Sarchuk a dit :

 

[16]      Le ministre est tenu de prouver, pour le moins, que le contribuable a commis une erreur et que, bien qu'elle ait pu être faite de bonne foi, il ne s’agissait tout de même pas d’une erreur qu’un contribuable sage et prudent aurait normalement commise. Ce principe doit être considéré dans le contexte de l’expérience du contribuable en comptabilité et en fiscalité et de sa capacité à comprendre pleinement les détails d’une disposition de la Loi.

 

[26]    Dans la décision Jencik c. Canada, [2004] A.C.I. 202 (C.C.I.), le juge Bonner a expliqué ce qui suit :

 

[5]        ... L’existence du droit du ministre d’établir de nouvelles cotisations pour les années 1994 à 1998 (les « années d’imposition frappées de prescription » ) dépendait par conséquent d’une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou de la commission de quelque fraude par l’appelant, tel que le prévoit le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. Il est bien établi en droit qu’il incombe à l’intimée de prouver la commission de tels actes.

 

[…]

 

[11]      La règle bien connue (Johnston c. M.R.N., [1948] R.C.S. 186) qui impose au contribuable le fardeau de prouver le caractère erroné des constatations ou des hypothèses de faits, ou des cotisations, ne s’applique pas dans le cas des appels interjetés à l’encontre de nouvelles cotisations pour des années frappées de prescription, à moins que le ministre n’établisse préalablement des faits justifiant sa nouvelle cotisation.

 

[12]      ... La preuve dont le fardeau incombait au ministre devait justifier les éléments de fait de cette hypothèse.

 

[13]      Il me faut ajouter que le fardeau s’étend non seulement à la preuve du caractère erroné des présentations de l’appelant à propos de son revenu d’entreprise, mais également à la preuve qu’elles étaient causées par la négligence, l’inattention ou une omission volontaire, comme le soutient le ministre.

 

 

[27]    Le critère applicable ou la nature de ce qui doit être prouvé a été discuté à de nombreuses reprises.

 

[28]    Dans l’arrêt Canada c. Regina Shoppers Mall Ltd., [1991] A.C.F. no 52 (C.A.F.), le juge MacGuigan a notamment déclaré ce qui suit :

 

[…]

 

Le juge de première instance ne s’est pas trompé en affirmant que, lorsque la Loi n’est pas claire ou que la caractérisation des faits est incertaine, « le soin nécessaire doit correspondre à celui d’une personne sage et prudente [...] la déclaration doit être faite d’une façon que le contribuable croit véritablement appropriée ».

[29]    Le même principe a été exprimé d’une manière différente par le juge Lamarre, dans la décision Petric c. Canada, [2006] A.C.I. no 230 (C.C.I.) :

 

[TRADUCTION]

 

40        ... Toutefois, lorsqu’il s’agit de savoir si l’on devrait permettre au ministre de bénéficier d’une exception à l’application du délai de prescription, il faut démontrer que le contribuable a fait une présentation erronée des faits lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus. Or, en l’espèce, je suis d’avis qu’à moins qu’on puisse dire que l’opinion de l’appelant quant à la juste valeur marchande était à ce point déraisonnable qu’elle ne pouvait honnêtement se justifier, il n’y a pas véritablement eu de présentation erronée des faits.

 

[30]    Enfin, le juge Rip a notamment déclaré ce qui suit dans la décision Markakis v. Minister of National Revenue, 86 DTC 1237 (C.C.I.) à la page 1238 :

 

 

…        Par conséquent, les nouvelles cotisations qui se rapportent à ces années‑là ne peuvent demeurer en vigueur que si le Ministre peut d’abord établir que M. Markakis a fait une présentation erronée des faits, pour chacune des trois années, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant sa déclaration pour l’année en question ou en fournissant quelque renseignement en vertu de la Loi […]

 

Le juge Rip a poursuivi, à la page 1240 :

 

 

Pour aller au‑delà du délai de quatre ans prescrit au paragraphe 152(4) pour les fins d’une cotisation, le Ministre doit démontrer que le contribuable a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu’il a commis une fraude en produisant son rapport d’impôt sur le revenu. Il ne suffit pas d’indiquer que la possibilité de fraude ou de fausse déclaration existe. Le Ministre ne s’est pas acquitté du fardeau qu’il avait en vertu du paragraphe 152(4) et, par conséquent, je ne puis en venir à la conclusion que M. Markakis a fait une fausse déclaration en 1976.

 

[31]    Compte tenu du fait qu’il y a eu une présentation erronée des faits de la part de l’appelant, la question qui se pose est celle de savoir si cette présentation erronée a été faite par négligence ou inattention. La preuve indique clairement ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait pour réclamer la déduction de ces pertes fiscales. L’appelant faisait lui-même sa déclaration de revenus chaque année. Il a fait le placement en question à l’invitation d’un client, M. Bernick, en qui il avait confiance en ce qui concerne les stratégies de placement et qu’il connaissait depuis de nombreuses années. Après réflexion, il a estimé que ce placement était raisonnable et qu’il pourrait obtenir un rendement intéressant. Il ne s’occupait pas de la gestion des affaires de la société de personnes; il s’est seulement chargé de certaines questions juridiques lors de la constitution de cette société de personnes.

 

[32]    Après la première année, lorsque les états financiers de 1992 ont été mis à sa disposition, l’appelant a constaté qu’ils avaient fait l’objet de ce qu’on appelle une « opinion de vérification favorable », c’est-à-dire l’opinion sans réserve d’un comptable agréé, M. Graeme Jones, que l’appelant connaissait sur le plan professionnel depuis des années et qu’il a qualifié de comptable fiscaliste très compétent de Toronto (Ontario). L’appelant affirme avoir interrogé spécifiquement M. Jones sur la justesse des pertes. M. Jones lui a remis non seulement les états financiers avec une opinion sans réserve, mais aussi l’état des pertes dont il pouvait se servir pour l’année d’imposition en question. M. McKellar s’est enquis auprès de M. Jones de l’opportunité de ces pertes. M. Jones l’a rassuré en lui disant qu’elles étaient légitimes à son avis. Il a posé la même question à la personne qui constituait le pilier de la société de personnes, M. Bernick, et il a reçu des assurances supplémentaires.

 

[33]    Qu’est-ce qu’une personne sage et prudente aurait fait d’autre? Je suis d’avis que la ligne de conduite qu’a suivie l’appelant en l’espèce concorde avec celle d’un investisseur sage et prudent. Il a consulté un professionnel. Il a demandé l’avis de personnes dont il respectait les compétences et l’opinion. L’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que, vu l’ensemble des faits de l’espèce, une personne sage et prudente aurait agi différemment de M. McKellar. Si M. McKellar n’avait pas consulté un comptable agréé ou un fiscaliste ou s’il n’avait pas à tout le moins consulté quelqu’un comme M. Bernick qui connaissait bien ce type de placements, l’intimée se serait alors probablement acquittée de son fardeau de preuve. Mais M. McKellar a effectivement entrepris les démarches nécessaires, même s’il convient de souligner qu’il a consulté une personne qui avait autant à perdre que lui, qui avait un intérêt dans les placements parce qu’elle détenait le même nombre d’actions que lui, mais là encore, cette personne avait autant à perdre que lui avec ce placement si elle lui donnait de mauvais conseils fiscaux. Il s’est avéré que M. Jones a perdu autant que l’appelant, suivant son propre témoignage.

 

[34]    Le témoignage de M. Jones revêt une importance particulière en l’espèce. C’est le seul témoin que l’intimée a appelé à la barre et auquel elle s’est fiée pour s’acquitter de son fardeau de preuve, si l’on fait abstraction du contre‑interrogatoire de l’appelant. Le témoignage de M. Jones n’a aucunement aidé l’intimée à se décharger de son fardeau de preuve.

 

[35]    Le contre-interrogatoire de M. Jones par l’avocat de l’appelant a essentiellement réduit à néant toute possibilité pour l’intimée de s’acquitter de son fardeau de preuve. M. Jones a confirmé le témoignage de l’appelant sur les points suivants :

 

a)       l’établissement des états financiers de la société de personnes;

 

b)      l’établissement de l’état individuel des pertes pour chacun des associés;

 

c)       comment les pertes se produisaient en fonction des PCGR des Bahamas plutôt que de ceux du Canada;

 

d)      les conseils qu’il a ou aurait donnés à chacun des associés lorsqu’il s’agissait de réclamer la déduction des pertes dans leurs déclaration de revenus des particuliers;

 

e)       sa propre opinion sans réserve donnée à la suite de sa vérification des états financiers de la société de personnes pour chacune des trois années 1992, 1993 et 1994.

 

[36]    À bien des égards, l’appelant a été un excellent témoin pour sa propre cause. Il a été succinct et pertinent; il semblait bien au courant dans de nombreux domaines; il a aussi été très clair; néanmoins, sous de nombreux aspects, son témoignage ne m’a pas impressionné.

 

[37]    Dans ses réponses, l’appelant s’en est tenu à la question précise qui lui était posée et il a cherché à limiter la portée des questions en posant des questions à l’avocate de l’intimée. L’appelant a gardé la maîtrise de lui-même pendant tout son témoignage. Lorsqu’il semblait le vouloir, il était vague et hésitait sur certains points et il évitait de répondre directement lorsqu’une réponse directe était demandée. L’appelant a même refusé d’admettre un fait évident, en l’occurrence que la somme de 1 800 000 $ avait été payée pour les 1 800 unités de la société de personnes lorsque le prix des unités était fixé à 1 000 $. Lorsqu’on lui a demandé si le coût correspondait à la valeur à l’échéance, il a répondu : [TRADUCTION] « J’ignore encore le coût ». Il s’agit pourtant de l’objet sur lequel porte le présent litige depuis des années et de ce qui a d’ailleurs été jugé dans l’affaire Bernick, précitée, tant en première instance qu’en appel. Certains aspects du témoignage de l’appelant sonnent faux; à certains moments de son témoignage, l’appelant évitait ce qui était évident; à d’autres, il cherchait à minimiser son sens des affaires. L’appelant était de toute évidence un avocat très en vue de Toronto (Ontario) qui possédait une vaste expérience qui lui aurait permis d’acquérir suffisamment de connaissances pour lire et interpréter des états financiers de manière à en comprendre les incidences ou, du moins, pour être conscient de tout problème quant à la façon dont les pertes étaient présentées dans les états financiers de la société de personnes. Il a néanmoins pris les mesures qu’une personne sage et prudente aurait prises. Je crois que M. McKellar a fait ce qu’il devait faire pour démontrer qu’il n’était ni insouciant ni négligent. Je conclus que la conduite de l’appelant ne permet pas de penser qu’il a été négligent ou insouciant. Compte tenu de ce qui précède et malgré mes réserves au sujet de la manière dont l’appelant a témoigné, j’estime que l’intimée ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve. Ce fardeau était sans aucun doute exigeant, compte tenu des faits de la présente espèce et de sa durée, mais l’intimée aurait pu s’en décharger si M. Bernick, M. Toothe et/ou M. Butler avaient été appelés à témoigner pour expliquer les stratégies à la base des investissements, l’établissement des états financiers, les conseils comptables demandés et obtenus et les communications entre eux, et notamment avec l’appelant, relativement aux pertes subies par la société de personnes dont l’appelant a demandé la déduction.

 

[38]    Quoi qu’il en soit, je conclus que l’intimée ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve. L’intimée ne peut pas se prévaloir en l’espèce de l’exception prévue au paragraphe 152(4.01) de la Loi. L’appel est accueilli et les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

       Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 17e jour de mai 2007.

 

 

« E. P. Rossiter »

Le juge Rossiter

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2007.

 

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI266

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-4455(IT)G

 

INTITULÉ :                                       JOHN D. MCKELLAR et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Eugene Rossiter

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 17 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Barry Wortzman, c.r.

Me Gaynor Roger

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Margaret Nott

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                    Me Barry Wortzman, c.r.

 

                            Cabinet :                Shibley Righton, srl

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

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