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Dossier : 2006-1909(IT)I

ENTRE :

ANDREW PERRIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 20 février 2007, à Edmonton (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge G. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

MAlann J. Nazarevich

 

 

Avocat de l’intimée :

MJulian Malone

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2000 et 2001 est accueilli, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l’appelant a le droit de demander un crédit d’impôt pour emploi à l’étranger à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2007.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juin 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

Référence : 2007CCI138

Date : 20070315

Dossier : 2006-1909(IT)I

ENTRE :

ANDREW PERRIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     L’appelant, Andrew Perrin, appelle des cotisations que le ministre du Revenu national a établies pour les années d’imposition 2000 et 2001 et dans lesquelles ce dernier a refusé le crédit d’impôt pour emploi à l’étranger qu’il avait demandé. En 2000 et en 2001, M. Perrin était un employé de Perrin Communications Consultants Inc. (la société « PCCI »), une société de l’Alberta dont lui et son épouse possédaient chacun 50 % des actions émises.

 

[2]     Au début de l’audience, l’avocat de l’intimée a informé la Cour que, à la suite de discussions avec l’avocat de l’appelant, l’intimée a concédé que M. Perrin avait satisfait aux critères relatifs au crédit d’impôt pour emploi à l’étranger prévus au paragraphe 122.3(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). La seule question qu’il restait à trancher était donc de savoir si la disposition d’exclusion figurant à l’alinéa 122.3(1.1)c) interdisait à M. Perrin de demander le crédit d’impôt pour emploi à l’étranger :

 

Revenu exclu. Aucun montant ne peut être inclus en application de l'alinéa (1)d) au titre du revenu d'un particulier pour une année d'imposition tiré de son emploi auprès d'un employeur si les conditions suivantes sont réunies :

 

[...]

 

c)         n'était l'existence de l'employeur, il serait raisonnable de considérer le particulier comme l'employé d'une personne ou d'une société de personnes qui n'est pas un employeur déterminé.

 

[3]     La position de l’intimée est que « n’était » l’existence de PCCI, il aurait été raisonnable de considérer M. Perrin comme l’employé de TRM ou, subsidiairement, de Nortel Networks[1] et que, par conséquent, conformément à l’alinéa 122.3(1.1)c), il n’a pas le droit de demander un crédit d’impôt pour emploi à l’étranger. Il est reconnu que TRM n’est pas un « employeur déterminé » au sens de l’alinéa 122.3(1.1)c). Comme l’avocat de l’intimée l’a fait valoir, et ce tout à fait à bon droit, il incombe à M. Perrin de prouver qu’il a droit au crédit d’impôt pour emploi à l’étranger.

 

[4]     M. Perrin était la seule personne à témoigner. J’ai conclu que son témoignage était tout à fait digne de foi. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je suis convaincue qu’il a montré que la disposition d’exclusion figurant à l’alinéa 122.3(1.1)c) ne s’applique pas à sa situation.

 

[5]     Pour résumer les faits, M. Perrin travaillait comme employé chez Telus depuis plusieurs années lorsque son employeur l’a détaché auprès d’une autre société de télécommunications située en Europe. En 1999, Telus a décidé de mettre fin au détachement de M. Perrin et de le faire revenir en Alberta. Toutefois, à ce moment‑là, M. Perrin avait pris connaissance d’autres possibilités d’emploi en Europe. Plus particulièrement, ses relations d’affaires l’avaient informé que la société Nortel Networks avait besoin de personnes possédant son expertise pour l’installation (la « mise en service ») du logiciel dont elle avait besoin pour faire fonctionner son matériel de télécommunications. Il avait appris qu’il pourrait faire plus d’argent en travaillant en tant qu’entrepreneur indépendant qu’en tant qu’employé, et que Nortel Networks faisait affaire avec des agences de placement pour trouver les entrepreneurs indépendants travaillant à ses projets. Grâce à son contact chez Nortel Networks, il a obtenu une liste des dites agences de placement.

 

[6]     Après avoir fait ses recherches, il est retourné en Alberta et a mis fin à son emploi chez Telus. Il a constitué PCCI en société, investi 25 000 $ de sa poche pour supporter les frais de démarrage de la société, y compris les frais de déplacement et d’hébergement engagés pour l’employé. En tant qu’administrateur et actionnaire de PCCI, il a fait en sorte qu’une entente soit conclue entre PCCI et Telecom Resource Management Ltd. (la société « TRM »), une agence de placement à Londres en Angleterre. Nortel Networks était l’un de ses clients. En janvier 2000, il était de retour en Europe à l’emploi de PCCI pour travailler à des projets de Nortel Networks dans le cadre de contrats que PCCI avait obtenus par l’intermédiaire de son entente avec TRM. Il est resté en Europe jusqu’à la fin de l’année 2001. À ce moment‑là, le travail qui était auparavant si abondant se faisait de plus en plus rare.

 

[7]     Pour trancher la question de savoir si M. Perrin est visé par les dispositions d’exclusion figurant à l’alinéa 122.3(1.1)c), il faut tout d’abord déterminer la nature de la relation entre PCCI et TRM. Pour ce faire, la Cour doit se fonder sur le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. Minister of National Revenue[2]. Il est bien établi que l’importance et l’applicabilité de chacun des critères varient en fonction des faits de chaque cas. Il faut aussi tenir compte de l’évolution de la jurisprudence en ce qui concerne l’intention des parties[3].

 

[8]     Pour ce qui est du dernier élément, il faut savoir quelles étaient les intentions de TRM et de PCCI. Selon l’entente qui avait été conclue entre les deux, PCCI devait, entre autres, fournir à TRM des services d’installation et de mise en service pour le client de celle‑ci, Nortel Networks. L’entente indiquait que [traduction] « aucune des dispositions de la présente entente ne sera réputée signifier que la relation entre [TRM] et [PCCI] était une relation employeur‑employé »[4]. La clause 3.1 prévoyait également que, sous réserve de certaines clauses de confidentialité et de non‑concurrence, PCCI avait le droit [traduction] « d’exercer d’autres activités commerciales pour son propre compte ». Finalement, l’entente prévoyait que PCCI engagerait ses propres [traduction] « employés » pour la prestation des services et qu’elle serait responsable de ceux‑ci. Ledit « employé » engagé était M. Perrin, comme il est indiqué à l’annexe 1 de l’entente.

 

[9]     Selon moi, PCCI et TRM avaient l’intention d’établir une relation d’entrepreneur indépendant. En tant qu’employé de longue date chez Telus et en raison des recherches qu’il avait effectuées concernant les possibilités d’emploi en Europe, M. Perrin connaissait très bien la différence entre un employé et un entrepreneur. Il avait personnellement déjà considéré et rejeté l’idée de devenir un employé de Nortel Networks. Il préférait établir une entreprise pour assurer la prestation de services en tant que qu’entrepreneur indépendant pour TRM et travailler pour son entreprise en tant qu’employé. Ainsi informé, en tant qu’âme dirigeante de PCCI, il a accepté les modalités indiquant clairement que PCCI et TRM avaient l’intention de conclure un contrat d’entreprise.

 

[10]    Si j’applique à ces faits le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, TRM n’exerçait aucun contrôle sur PCCI : la société avait le droit d’établir la disponibilité de son employé pour le travail et d’affecter le nombre d’heures de travail de M. Perrin qu’elle voulait aux projets qu’elle choisissait d’accepter. TRM ne fournissait pas de prestations de retraite, de vacances payées ou de congés de maladie à PCCI. La rémunération que PCCI recevait de TRM était fondée sur le nombre d’heures pendant lesquelles des services avaient été fournis. M. Perrin, en tant qu’employé de PCCI, devait remplir des feuilles de temps pour indiquer le temps qu’il passait à travailler aux projets de Nortel Networks. PCCI utilisait les feuilles pour facturer les heures de travail accomplies à TRM. La société TRM ne supervisait pas PCCI ou son employé dans le cadre de la prestation des services. En fait, la relation de PCCI avec TRM se limitait à quelques appels téléphoniques et courriels : au départ, pour signer l’entente, puis, plus tard, (et par la suite seulement de temps à autre) pour discuter de questions de facturation. TRM ne fournissait aucun outil à PCCI. La société PCCI avait acheté un ordinateur portatif ainsi que du matériel divers et des fournitures qu’elle avait mis à la disposition de son employé, M. Perrin. Comme il est expressément prévu dans l’entente conclue avec TRM, PCCI était une entreprise qui travaillait à son propre compte. Elle avait le droit d’avoir d’autres clients. Elle avait la responsabilité de payer les frais de déplacement et d’hébergement de son employé, M. Perrin. Elle avait également l’obligation d’effectuer toutes les déductions requises à l’égard de l’emploi de M. Perrin et d’aider ce dernier à obtenir les autorisations d’emploi nécessaires. Même si dans ces circonstances il est difficile d’imaginer comment cela avait pu se produire, PCCI était la seule qui avait le pouvoir légal de mettre fin à l’emploi de M. Perrin.

 

[11]    Comme on peut le constater d’après ce qui précède, dans les cas où le particulier qui est l’âme dirigeante d’une société est aussi un employé de cette même société, un certain niveau de discipline est requis pour tracer une ligne de démarcation claire entre les divers rôles que le particulier peut jouer à quelque moment que ce soit[5]. En l’absence de preuve de trompe‑l’œil, la Cour ne doit pas lever le voile corporatif, même si l’âme dirigeante de la société et son travailleur (qu’il s’agisse d’un employé ou d’un entrepreneur indépendant) sont une seule et même personne[6].

 

[12]    Pour les motifs énoncés ci‑dessus, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’entente entre TRM et PCCI était un contrat d’entreprise. M. Perrin a réussi à réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle n’était de PCCI, M. Perrin aurait été l’employé de TRM. On ne peut tout simplement pas logiquement conclure que TRM, une agence de placement, aurait voulu que PCCI ou M. Perrin soit son « employé ». Pour sa part, M. Perrin ne voulait pas être un employé de TRM. Il avait quitté un emploi sûr auprès de son employeur de longue date, Telus, afin d’exploiter de nouvelles possibilités avec PCCI en Europe. Si on suppose, conformément à l’alinéa 122.3(1.1)c), que PCCI n’existait pas, la preuve appuie la conclusion selon laquelle M. Perrin avait conclu un contrat d’entreprise avec TRM et qu’il n’était donc pas son employé.

 

[13]    L’appel est accueilli et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l’appelant a le droit de demander un crédit d’impôt pour emploi à l’étranger à l’égard des années d’imposition 2000 et 2001.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2007.

 

 

 

« G. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juin 2007.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI138

 

NO DU DOSSIER :                            2006-1909(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ANDREW PERRIN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 20 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

MAlann J. Nazarevich

 

 

Avocat de l’intimée :

MJulian Malone

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             MAlann J. Nazarevich

 

                   Cabinet :                         M Alann J. Nazarevich

                                                          Edmonton (Alberta)

      

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Comme il n’y a jamais eu de relation contractuelle entre PCCI (ou même M. Perrin) et Nortel Networks, je rejette l’argument subsidiaire de l’intimée au motif qu’il est sans fondement.

 

[2] 87 DTC 5025 (C.A.F.); 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 4 C.T.C. 139 (C.S.C.).

 

[3] Wolf v. Canada, 2002 DTC 6853 (C.A.F.), et les affaires suivantes jusqu’à la décision la plus récente rendue dans Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.I. no 291.

 

[4] Pièce A‑1, clause 3.1.

[5] Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (M.R.N.), 2002 C.A.F. 144.

 

[6] Meredith c. Sa Majesté la Reine, 2002 C.A.F. 258, au paragraphe 12.

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