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Dossier : 2005-4277(IT)I

ENTRE :

EUGENE SKRIPKARIUK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 31 octobre 2006, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge T. O'Connor

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Paolo Torchetti

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 2003 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de novembre 2006.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme,

ce 25e jour de janvier 2007.

Hélène Tremblay, traductrice


Référence : 2006CCI643

Date : 20061124

Dossier : 2005-4277(IT)I

ENTRE :

EUGENE SKRIPKARIUK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor

[1]    La question en l'espèce est de savoir si, pour l'année d'imposition 2003, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a eu raison de refuser à l'appelant la déduction de paiements de pension alimentaire s'élevant à 11 489,54 $ parce que ce dernier ne pouvait pas produire un accord écrit ou une ordonnance d'un tribunal compétent prévoyant le paiement de la pension alimentaire en question.

[2]    La nouvelle cotisation selon laquelle la déduction est refusée est datée du 4 avril 2005. À la suite de l'avis d'opposition de l'appelant daté du 21 avril 2005, le ministre a envoyé à celui-ci un avis de ratification daté du 12 septembre 2005 qui est venu ratifier la nouvelle cotisation.

[3]    Les faits et les hypothèses pertinents sont présentés dans la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) et sont rédigés en ces termes :

       [TRADUCTION]

1.       a)          l'appelant a cru, à tort, que l'information qu'il avait fournie concernant les conditions d'un engagement (relatif à une accusation au criminel de voies de fait sur son ancienne épouse le 13 avril 2003) constituait une « ordonnance d'un tribunal » établissant son obligation de payer une pension alimentaire, et l'appelant a cru, à tort, que ceci suffisait pour satisfaire aux exigences concernant l'enregistrement des pensions alimentaires;

         b)          l'appelant a produit le formulaire T1158, Enregistrement des pensions alimentaires, en plus du formulaire d'engagement, avec sa déclaration de revenus pour 2003;

         c)          la Division des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) n'a pas admis la déduction demandée par l'appelant au titre de paiements de pension alimentaire s'élevant à 11 489,54 $ pour l'année d'imposition 2003;

         d)          l'ADRC a admis que l'appelant était tenu de verser une pension alimentaire à compter du 1er novembre 2004, suivant l' « accord de séparation » daté du 26 novembre 2004 (l' « accord » ) et signé par l'appelant et son ancienne épouse, Jolanta Skripkariuk, le 1er février 2005.

2.       Il n'a pas connaissance des autres faits allégués présentés dans l'avis d'appel de l'appelant.

3.       Dans le calcul de ses revenus pour l'année d'imposition 2003, l'appelant a demandé la déduction de paiements de pension alimentaire s'élevant à 11 489,54 $.

4.       La cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 2003 de l'appelant était fondée sur la déclaration de revenus produite par celui-ci. L'avis de cotisation est daté du 25 mai 2004.

5.       On a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 2003 de l'appelant. L'avis de nouvelle cotisation est daté du 4 avril 2005. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la demande de déduction de paiements de pension alimentaire s'élevant à 11 489,54 $ étant donné que l'appelant n'avait pas produit d'accord écrit ou d'ordonnance d'un tribunal compétent établissant son obligation de payer une pension alimentaire.

6.       L'appelant a déposé un avis d'opposition visant la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 2003. Le ministre a reçu cet avis le 21 avril 2005.

7.       Dans un avis de ratification daté du 12 septembre 2005, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 2003.

8.       Lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 2003, et lorsqu'il a ratifié cette nouvelle cotisation, le ministre s'est appuyé sur les faits suivants :

a)       l'appelant et son ancienne épouse, Jolanta Skripkariuk, ont vécu séparément en raison de l'échec de leur mariage du 14 avril 2003 au 19 octobre 2003, moment où ils se sont réconciliés et ont recommencé à vivre ensemble, et ce, jusqu'au 30 octobre 2004;

b)       à compter du 1er novembre 2004, l'appelant et Mme Skripkariuk ont recommencé à vivre séparément, leur mariage ayant échoué de nouveau;

c)       l'appelant et Mme Skripkariuk ont deux enfants, Nicole, née en mars 1989, et Philip, né en mars 1985;

d)       pendant l'année 2003, l'appelant a versé un total de 20 939,54 $, du 14 avril 2003 au 13 octobre 2003, soit un montant qui comprend des paiements périodiques mensuels s'élevant à 6 700 $ et versés directement à Mme Skripkariuk, des paiements à des tiers pour un prêt-automobile, de l'assurance-automobile et le remboursement d'une marge de crédit, le tout s'élevant à 4 789,54 $, ainsi que des paiements périodiques mensuels de pension alimentaire pour enfants s'élevant à 9 450 $;

e)       pour l'année d'imposition 2003, l'appelant demande une déduction de 11 489,54 $, soit 6 700 $ pour les paiements périodiques mensuels et 4 789,54 $ pour les paiements à des tiers;

f)        aucun des montants indiqués à l'alinéa 8d) ne représente un paiement fait en application d'une ordonnance d'un tribunal ou d'un accord écrit conclu entre l'appelant et Jolanta Skripkariuk;

g)       l'accord signé par l'appelant et Mme Skripkariuk le 1er février 2005 indique que depuis le 1er novembre 2004, l'appelant est tenu de verser directement à Mme Skripkariuk une pension alimentaire de 1 486 $ par mois au profit de cette dernière, des paiements à des tiers s'élevant à 1 344,72 $ pendant une certaine période au profit de Mme Skripkariuk, ainsi qu'une pension alimentaire pour enfants de 1 448 $ par mois;

h)       l'accord a été conclu entre l'appelant et Mme Skripkariuk plus d'un an après que l'appelant a versé un total de 20 939,54 $ à celle-ci pendant l'année d'imposition 2003.

L'appelant a admis toutes les hypothèses énoncées au paragraphe 8.

[4]    Les principales observations du ministre sont énoncées aux paragraphes 11 et 12 de la réponse et sont rédigées en ces termes :

          [TRADUCTION]                            

11.     Il soutient respectueusement qu'aucun des montants versés par l'appelant pendant l'année d'imposition 2003, d'un total de 20 939,54 $, ne constitue une « pension alimentaire » payable par l'appelant ou à recevoir par son ancienne épouse en vertu d'une ordonnance ou d'un accord écrit, aux termes du paragraphe 56.1(4) de la Loi, pas plus que les paiements faits à des tiers tombent sous le coup des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi.

        

12.     De plus, il soutient que l'accord a été conclu plus d'un an après que l'appelant ait versé les montants pour l'année d'imposition 2003, ce qui fait qu'ils ne tombent pas sous le coup du paragraphe 60.1(3) de la Loi.

[5]    Pour qu'une pension alimentaire puisse être déduite des revenus du contribuable en application de l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), elle doit correspondre à la définition énoncée au paragraphe 56.1(4) de la Loi, qui est rédigée en ces termes :

pension alimentaire - Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)     le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit; [...]

[6]      Le paragraphe 60.1(3) permet la déduction de paiements faits avant l'établissement d'une ordonnance d'un tribunal ou d'un accord écrit, mais seulement dans la mesure où il s'agit de paiements faits au cours de l'année d'imposition où l'ordonnance est établie ou l'accord conclu, ou de paiements faits au cours de l'année d'imposition précédente. En l'espèce, l'accord a été conclu le 1er février 2005, les paiements de pension alimentaire faits en 2004 sont donc déductibles, mais pas ceux faits en 2003.

[7]      Aucun des documents déposés en preuve qui se voulaient des ordonnances d'un tribunal ou des ordonnances semblables d'une cour, comme l'engagement, l'ordonnance de non-communication et les autres documents concernant l'arrestation de l'appelant pour voies de fait commises sur son épouse en avril 2003, ne contient de disposition en matière de pension alimentaire.

[8]      La question est donc toujours de savoir s'il existait un accord écrit prévoyant le paiement d'une pension alimentaire qui pourrait justifier la déduction des paiements faits en 2003. Malheureusement, il n'existe pas de tel accord écrit.

[9]      Dans son témoignage, l'appelant a affirmé que tout de suite après la clôture de l'instance ayant mené à l'ordonnance de non-communication, il a émis des chèques postdatés à l'ordre de son épouse dont les montants représentaient ce qui avait été établi comme suffisant pour subvenir aux besoins de son épouse et de leurs enfants. Il ne fait aucun doute que les chèques ont été remis à son épouse et qu'ils ont été endossés, dans le temps voulu. Certaines décisions indiquent que les chèques endossés considérés isolément ne peuvent pas servir de fondement à un accord écrit ou ne constituent pas un accord écrit aux termes de la Loi. Dans une instance en particulier, des chèques endossés combinés à un autre document venant confirmer qu'il y a eu un accord relatif aux chèques ont été jugés suffisants pour appuyer la conclusion selon laquelle le contribuable avait satisfait aux exigences de la Loi en matière d'accord écrit. Cependant, en l'espèce, je suis convaincu que la totalité des documents présentés ne peuvent pas être considérés comme un accord écrit requis aux termes de la Loi.

[10]De plus, l'appelant soutient que le fait que le ministre a tardé à lui indiquer que les documents présentés ne pouvaient pas être considérés comme suffisants pour les besoins de l'enregistrement d'un accord écrit lui a porté préjudice. Autrement dit, s'il avait été avisé plus tôt, il aurait conclu plus tôt un accord écrit comme celui signé le 1er février 2005 lui ayant permis de déduire les paiements de pension alimentaire faits en 2004. Le ministre avait admis cet accord et avait reconnu que l'appelant était tenu de payer une pension alimentaire depuis le 1er novembre 2004, et, par conséquent, avait admis la déduction concernant les paiements faits en 2004. Il est cependant clair que la portée de l'accord ne peut pas s'étendre à l'année 2003 et qu'il s'agit là de la position juste à prendre. Toutefois, l'appelant reproche au ministre d'avoir tardé à traiter les documents et de ne pas l'avoir avisé de la nécessité de signer un accord écrit avant qu'il soit trop tard pour que les paiements faits en 2003 soient admissibles.

[11]L'épouse de l'appelant est venue l'appuyer dans un bref témoignage. Elle a affirmé que l'appelant et elle n'ont jamais cru qu'il était nécessaire de conclure un accord écrit parce que l'appelant avait accepté de faire des paiements qu'ils jugeaient tous deux pour le moins acceptables. Ils s'étaient entendus à l'amiable, et, de son propre gré, l'appelant avait donné des chèques à son épouse. En outre, elle a affirmé qu'étant donné que la question a été réglée à l'amiable et de leur plein gré, il n'était pas nécessaire de faire appel à des avocats.

[12]L'appelant a ajouté que s'il avait refusé de faire les paiements, le recours aux services d'avocats aurait été nécessaire. Ainsi, il y aurait eu une ordonnance d'un tribunal ou un accord écrit lui intimant de faire les paiements pour l'année 2003, et il aurait pu les déduire de ses revenus pour 2003.

[13]On peut s'interroger sur la raison d'être d'une exigence aussi stricte en ce qui concerne l'existence d'une ordonnance d'un tribunal ou d'un accord écrit. Il se peut fort bien que cette exigence soit issue de ce qui est expliqué dans le présent paragraphe. En règle générale, la Loi ne permet pas le fractionnement des revenus, y compris le fractionnement des revenus entre les conjoints dans les cas où un des conjoints est le principal soutien économique et l'autre ne gagne pas de revenu ou ne gagne qu'un revenu minime. Dans de tels cas, le fractionnement ferait en sorte que l'impôt à payer serait moins élevé. C'est donc pourquoi, en temps normal, il n'est pas admis. Toutefois, les époux ou les conjoints de faits qui se séparent sont des cas d'exception. La Loi reconnaît que lorsque deux ménages entrent en compte, les dépenses sont, en général, plus nombreuses. On a donc permis aux couples en question de procéder à un fractionnement de leurs revenus, ce qui donne lieu à un réduction du montant de l'impôt qu'ils doivent payer, à condition qu'ils satisfassent à des exigences rigoureuses. Cependant, pour que tout soit fait de bonne foi, la Loi contient une disposition exigeant qu'il y ait un accord écrit ou une ordonnance d'un tribunal prévoyant le paiement d'une pension alimentaire. De surcroît, la Loi exige que l'ordonnance ou l'accord soit enregistré.

[14]Une situation comme le cas en espèce est déplorable. Les paiements ont été faits de plein gré et le ministre reconnaît qu'ils ont été faits. L'appelant et son épouse affirment s'être entendus sur la question des paiements, et tous deux, malgré toutes les difficultés qu'ils ont éprouvées, ont bien essayé de rester ensemble, en tant que couple et en tant que famille, et de donner un second souffle à leur mariage.

[15]Par contre, il arrive souvent que l'application des dispositions de la Loi donne lieu à des injustices dans certaines situations de fait. Il n'en demeure pas moins que la Cour se doit d'appliquer ces dispositions. En revanche, dans le présent appel, il est fort possible que le fait que le ministre a tardé à traiter les documents relatifs à l'enregistrement et à conclure que l'appelant n'avait pas droit à la déduction ait contribué à empêcher l'appelant, d'un point de vue temporel, de remédier à la situation et de faire signer à son épouse un accord écrit à temps pour rendre possible la déduction des paiements de pension alimentaire faits en 2003. Cependant, le temps qui s'est écoulé avant que le ministre donne suite à la demande de l'appelant ne permet pas à lui seul de modifier l'application de la Loi.

[16]Pour conclure, il n'y avait pas d'accord écrit ou d'ordonnance d'un tribunal comme l'exige le paragraphe 56.1(4) de la Loi. Par conséquent, l'appel est rejeté. Aucun dépens ne sera adjugé.

[17]Pour terminer, j'ajouterai qu'une iniquité semble résulter de l'application des dispositions de la Loi en l'espèce. En effet, les paiements volontaires qui ont été faits donneraient normalement droit à une déduction en l'absence de l'exigence technique de signer un accord écrit. De plus, le fait que le ministre a tardé à traiter la demande a contribué à l'incapacité de l'appelant de remédier à la situation et de produire les documents exigés. Je recommande donc fortement à l'appelant d'envisager la possibilité de demander un décret de remise en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de novembre 2006.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme,

ce 25e jour de janvier 2007.

Hélène Tremblay, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI643

N ° DE DOSSIER :                             2005-4277(IT)I

INTITULÉ :                                       EUGENE SKRIPKARIUK ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 31 octobre 2006

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge T. O'Connor

DATE DU JUGEMENT :                   Le 24 novembre 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Paolo Torchetti

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant :

                   Nom :                             

                   Cabinet :

       Pour l'intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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