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Dossier : 2005-2484(IT)G

 

ENTRE :

JEAN LIVINGSTON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 7 mai 2007, à Victoria (Colombie-Britannique).

 

Devant : L'honorable juge D. W. Beaubier

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me J. Andre Rachert

Avocats de l'intimée :

Mes Selena Sit et Michael Taylor

________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003, et dont l'avis de cotisation porte le numéro 34207, sont accueillis, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

 

          Les dépens partie-partie sont adjugés à l'appelante.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifiés remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 23 mai 2007.

 

Signé à Saskatoon (Saskatchewan), ce 15e jour de juin 2007.

 

 

« D. W. Beaubier »

Le juge Beaubier

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'août 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2007CCI303

Date : 20070615

Dossier : 2005-2484(IT)G

 

ENTRE :

JEAN LIVINGSTON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Beaubier

 

[1]     Le présent appel, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à Victoria (Colombie‑Britannique), le 7 mai 2007. L'appelante a témoigné et a cité Michele Davies comme témoin. L'intimée a cité Andrew Dreher, personne‑ressource et agent de cas complexes, qui s'est occupé, pour l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »), de la perception à l'égard de Mme Davies, qui devait environ 80 000 $ au titre de l'impôt et dont les diverses sociétés devaient plus de 700 000 $ au titre de l'impôt et de diverses retenues et d'intérêts dus pour le compte d'employés. Étant donné qu'il s'occupait du dossier de Mme Davies, M. Dreher est devenu l'agent de l'ARC qui a été assigné au dossier de Mme Livingston.

 

[2]     Les faits en litige sont énoncés aux paragraphes 12 à 20 de la réponse à l'avis d'appel, qui sont rédigés comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

12.       Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelante en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la « Loi »), par avis de cotisation numéro 34207 daté du 1er mars 2004 et envoyé par la poste le même jour (la « cotisation »), au montant de 36 650,82 $, à l'égard de transferts de certains biens de Mme Davies à l'appelante effectués au cours de la période allant du 16 octobre 2001 au 28 avril 2003 (la « période »).

 

13.       L'appelante a signifié un avis d'opposition à la cotisation le 28 mai 2004.

 

14.       Le ministre a ratifié la cotisation par un avis de ratification daté du 29 avril 2005 et envoyé par la poste le même jour.

 

15.       En ratifiant la cotisation, le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         l'appelante et Mme Davies sont des amies;

 

b)         pendant toute la période pertinente, l'appelante et Mme Davies avaient entre elles un lien de dépendance;

 

c)         pendant toute la période pertinente, l'appelante résidait à Spillimacheen (Colombie‑Britannique), dans le chaînon ouest des Rocheuses;

 

d)         avant le mois d'avril 2003, Mme Davies résidait à Port Alberni (Colombie‑Britannique), sur l'île de Vancouver;

 

e)         au mois d'avril 2003, Mme Davies s'est installée à Spillimacheen;

 

f)          le 16 octobre 2001, l'appelante a ouvert un compte de banque à son nom seulement à la succursale de la Banque de commerce, à Invermere (Colombie‑Britannique) (le « compte »);

 

g)         au cours de la période en question, Mme Davies devait payer au moins 74 460,66 $ et jusqu'à 80 341,67 $ en vertu de la Loi à l'égard de ses années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998;

 

h)         au cours de la période en question, des sommes s'élevant à 36 650,82 $ en tout (les « fonds ») ont été déposées dans le compte, comme le montre l'annexe A ci‑jointe ;

 

i)          avant d'être déposés dans le compte, les fonds appartenaient à Mme Davies;

 

j)          Mme Davies a déposé une partie des fonds dans le compte personnellement, et a également demandé à d'autres personnes :

 

(i)         de payer à l'appelante les montants qui lui étaient dus pour que l'appelante les dépose dans le compte;

 

(ii)        de déposer les montants qui lui étaient dus directement dans le compte au lieu de les lui verser personnellement;

 

k)         l'appelante a ouvert le compte à la demande de Mme Davies;

 

l)          l'appelante a ouvert le compte en vue de permettre à Mme Davies d'y placer les fonds pour qu'ils soient hors de la portée des créanciers, et notamment de l'ARC;

 

m)        l'appelante exerçait un contrôle sur la disposition des fonds qui étaient déposés dans le compte;

 

n)         l'appelante a remis à Mme Davies une carte de débit afin que celle-ci puisse effectuer des retraits du compte;

 

o)         l'appelante a signé des chèques sur le compte pour que Mme Davies les utilise;

 

p)         l'appelante n'a pas donné de contrepartie à Mme Davies pour le dépôt des fonds dans le compte;

 

q)         l'appelante et Mme Davies n'ont pas conclu d'entente contractuelle au sujet du dépôt des fonds dans le compte ou de leur utilisation;

 

r)          Mme Davies a fait faillite le 30 avril 2003;

 

s)         aux fins de la faillite, Mme Davies a nié que les fonds étaient détenus en fiducie pour son compte et elle n'a pas inclus les fonds dans ses actifs.

 

16.       L'hypothèse de fait énoncée à l'alinéa 15q) ci‑dessus a d'abord été émise par le ministre lorsqu'il a ratifié la cotisation.

 

B.        QUESTIONS À TRANCHER

 

17.       Il s'agit de décider si l'appelante est solidairement responsable, avec Michele Davies, du paiement de la somme de 36 650,82 $ conformément au paragraphe 160(1) de la Loi à l'égard du dépôt des fonds dans le compte.

 

C.        DISPOSITIONS LÉGISLATIVES INVOQUÉES

 

18.       Il se fonde sur les paragraphes 160(1), 248(1) et 251(1) de la Loi.

 

D.        MOTIFS INVOQUÉS ET CONCLUSIONS RECHERCHÉES

 

19.       Il soutient avec égards que les dépôts de fonds, qui appartenaient à Mme Davies, dans le compte au cours de la période en question constituaient des transferts de biens ayant une juste valeur marchande de 36 650,82 $ de Mme Davies à l'appelante, et que l'appelante n'a pas donné de contrepartie à Mme Davies à l'égard de ces transferts.

 

20.       Il soutient en outre que l'appelante et Mme Davies avaient entre elles un lien de dépendance en ce qui concerne ces transferts. Par conséquent, l'appelante est responsable, en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi, du paiement de la somme de 36 650,82 $ parce que, lors de ces transferts, Mme Davies était tenue de payer un montant supérieur à ce montant pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998.

 

[3]     Les hypothèses énoncées aux alinéas 15a), c) à j), m), n), r) et s) n'ont pas été réfutées par la preuve. Quant aux autres hypothèses :

 

Hypothèse b) : Elle sera examinée ci‑dessous.

 

Hypothèse k) : Le compte a été ouvert par l'appelante après des discussions avec Mme Davies.

 

Hypothèse l) : Compte tenu de la preuve, la Cour conclut que cela est exact. Mme Livingston a nié que le compte avait été ouvert pour que les fonds soient hors de la portée de l'ARC. La Cour ne le croit pas. Les deux femmes étaient amies depuis bien des années avant l'ouverture du compte. Mme Livingston a admis avoir aidé Mme Davies lorsque cette dernière a eu des problèmes d'impôt sur le revenu, lesquels se rattachaient fondamentalement à la perception, au moment où Mme Livingston a ouvert le compte. C'est pourquoi la Cour conclut que Mme Livingston avait été mise au courant des problèmes de perception auxquels Mme Davies faisait face avec l'ARC avant d'ouvrir le compte. En outre, la preuve montre que la très grande majorité des dettes de Mme Davies étaient des dettes envers l'ARC. Par conséquent, si Mme Davies et Mme Livingston ont parlé de mettre de l'argent à l'abri des créanciers, il s'agissait de l'argent dû à l'ARC.

 

Hypothèse o) : L'appelante a ouvert le compte et a immédiatement remis à Mme Davies des chèques signés en blanc et une carte de débit pour le compte.

 

Hypothèse p) : Cette hypothèse est erronée. L'appelante a remis à Mme Davies des chèques signés en blanc et une carte de débit aux fins du dépôt des fonds dans le compte et de leur retrait. En fait, Mme Davies était l'unique personne à utiliser le compte; l'appelante n'a jamais déposé de fonds dans le compte, ni retiré de fonds du compte, ni tiré un avantage du compte.

 

Hypothèse q) : Le dépôt, par Mme Davies, de fonds au nom de Mme Livingston et la remise par Mme Livingston à Mme Davies d'une carte de débit et de chèques signés en blanc constituent un échange de contreparties. Par conséquent, il existait une certaine entente contractuelle entre les parties.

 

[4]     Dans l'arrêt Raphael c. Canada, 2002 CAF 23, [2002] A.C.F. no 82 (QL), paragraphe 4, la Cour d'appel fédérale a confirmé la conclusion du juge Mogan, à savoir que pour que le paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique :

 

1.       il doit y avoir eu un transfert de biens;

 

2.       il faut que l'auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance;

 

3.       le bénéficiaire du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie à l'auteur du transfert (ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante);

 

4.       l'auteur du transfert doit avoir, à ce moment‑là, une dette en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[5]     En ce qui concerne ces critères :

 

1.       Mme Davies a de fait transféré les fonds allégués au nom de Mme Livingston.

 

4.       Mme Davies devait à l'ARC, au titre de l'impôt, un montant plus élevé que les montants transférés, et l'appelante était au courant de la chose.

 

3.       Lorsque Mme Davies a transféré chaque somme d'argent, elle pouvait prendre chaque somme au complet en utilisant un chèque signé en blanc par l'appelante ou encore la carte de débit. Mme Davies recevait même les relevés de compte bancaire, de sorte que c'était elle, et non Mme Livingston, qui savait ce qu'il y avait dans le compte, bien que Mme Livingston ait également été en mesure de le savoir et de retirer n'importe quel montant du compte, et ce, n'importe quand. Cependant, ces conclusions établissent de toute façon que Mme Livingston a toujours donné une contrepartie adéquate à Mme Davies pour le dépôt de ces fonds par Mme Davies.

 

2.       Compte tenu des conclusions tirées au sujet des critères 4 et 3, la Cour conclut que Mme Davies et Mme Livingston avaient entre elles un lien de dépendance en ce qui concerne ces transferts. Mme Davies était l'âme dirigeante pour toutes les questions liées à l'ouverture et à l'exploitation du compte.

 

[6]     L'avocat de l'appelante a soutenu que l'appelante était une nue‑fiduciaire des fonds en question. Toutefois, la Cour retient le critère énoncé dans l'ouvrage Waters' Law of Trusts in Canada, 3e édition, pages 342 et 343, où le professeur Waters dit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

[...]

 

F.         Intention de frauder les créanciers et droit de restitution

 

Si une personne transfère son bien à une autre personne dans l'intention de causer un préjudice à ses créanciers, ces derniers ou le syndic de faillite, lorsqu'ils découvrent les faits, peuvent faire annuler le transfert en vertu de la loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers. Toutefois, il se peut que les faits ne soient pas découverts et que, bien des années plus tard, lorsqu'il y a prescription ou que les créanciers ne sont plus là pour s'opposer, l'auteur du transfert cherche à recouvrer son bien du bénéficiaire. Le bénéficiaire peut‑il s'opposer avec succès à la présentation d'éléments de preuve soumis par l'auteur du transfert pour montrer que les parties avaient l'intention de constituer une fiducie par déduction? Le bénéficiaire du transfert soutient que la cour refusera son aide à celui dont la réclamation résulte essentiellement d'une faute qu'il a commise par le passé.

 

En pareil cas, si l'auteur du transfert est contraint à divulguer son intention frauduleuse et à se fonder sur cette intention, et si sa fraude a atteint son objectif, il est clairement établi que la cour ne lui viendra pas en aide. Aucune déclaration ne sera faite en sa faveur. [...]

 

Comme il est fait mention, la Cour ne favorisera pas l'auteur du transfert en pareil cas. Cependant, ce texte donne à entendre que tout transfert sera alors effectué en faveur du bénéficiaire. Dans ce cas‑ci, les deux parties ont comploté en vue de causer un préjudice à l'ARC. Néanmoins, par suite de l'échange de contreparties auquel il a été conclu dans les présents motifs, les conditions d'application du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'ont pas été réunies. L'appelante n'a pas bénéficié des transferts effectués par Mme Davies.

 

[7]     Pour ces motifs, l'appel est accueilli.

 

[8]     Les dépens partie-partie sont adjugés à l'appelante.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifiés remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 23 mai 2007.

 

Signé à Saskatoon (Saskatchewan), ce 15e jour de juin 2007.

 

 

« D. W. Beaubier »

Le juge Beaubier

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'août 2009.

`

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI303

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-2483(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Jean Livingston c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Victoria (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 7 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS :                                    L'honorable juge D. W. Beaubier

 

DATE DU JUGEMENT

MODIFIÉ :                                       Le 15 juin 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Andre J. Rachert

Avocats de l'intimée :

Mes Selena Sit et Michael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :           Me J. Andre Rachert

 

                   Cabinet :      Dwyer Tax Lawyers

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

 

 

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