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Dossier : 2003-2410(IT)G

ENTRE :

3087-8847 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 27, 28 et 29 mars 2006, à Montréal (Québec)

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Eric Azran

Me Marc-André Coulombe

Avocat de l’intimée :

Me Martin Gentile

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu du paragraphe 227(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont les avis sont datés du 23 mai 2002 et portent les numéros 18640 et 18641, sont rejetés avec dépens, et les cotisations sont confirmées quant à la somme due par Thomas Lavin au ministre du Revenu national, c’est‑à‑dire 97 472,17 $.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d’octobre 2007.

 

 

 

 

Diane Provencher, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI302

Date : 20070606

Dossier : 2003-2410(IT)G

ENTRE :

3087-8847 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     Il s’agit des appels interjetés à l’encontre de deux cotisations, portant les numéros 18640 et 18641 et datées du 23 mai 2002, établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 224 et du paragraphe 227(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

 

Admissions

 

[2]     Selon le registre des procès‑verbaux (pièce I‑2, onglets 33 et 44), l’appelante a été constituée en compagnie le 13 avril 1993, sous le régime de la partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec. À l’époque de la constitution en compagnie, il y avait deux actionnaires à parts égales et non liés, soit M. Thomas A. Lavin et Mme Carolyn Farr. Le 30 avril 1996, Mme Farr a disposé de la totalité de ses actions en faveur du fils de Thomas Lavin, Dominique Lavin. Thomas et Dominique Lavin ont tous deux été directeurs de l’appelante à compter de ce moment jusqu’au 15 janvier 2000, date à laquelle Dominique Lavin a démissionné de son poste de directeur, laissant Thomas Lavin occuper seul cette fonction. Dominique Lavin est toutefois demeuré actionnaire à 50 % de l’appelante.

 

[3]     Le 19 avril 2001, Thomas Lavin était personnellement endetté envers l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») d’une somme de 97 472,17 $, représentant des arriérés d’impôt sur le revenu, des intérêts et des pénalités.

 

[4]     Les 21 août 2000, 21 septembre 2000, 17 novembre 2000, 24 janvier 2001 et 19 avril 2001, l’ADRC a envoyé à l’appelante une demande formelle de paiement lui enjoignant de verser au receveur général, au titre de l’obligation de Thomas Lavin, les sommes qu’elle allait par ailleurs prêter ou avancer à Thomas Lavin (le débiteur fiscal), ou payer à son nom, dans les 90 jours (pièce I‑1, onglets 1 à 5). La période visée par les demandes formelles de paiement allait donc du 21 août 2000 au 18 juillet 2001 (la « période en litige »), et la somme maximale que pouvait recouvrer l’ADRC à la fin de la période était de 97 472,17 $ (pièce I‑1, onglet 5).

 

[5]     Les 19 octobre 2000, 24 janvier 2001 et 19 avril 2001, l’ADRC a également fait parvenir à la Banque Royale du Canada de Brossard (Québec), trois demandes formelles de paiement lui enjoignant de verser au receveur général, au titre de l’obligation fiscale de Thomas Lavin, toute somme devant être payée à celui‑ci dans les 90 jours. À la première demande, la banque a répondu qu’elle ne prévoyait pas faire d’affaires avec le débiteur fiscal, et quant aux deux demandes suivantes, elle a simplement indiqué qu’il n’existait aucun compte au nom de Thomas Lavin (pièce I‑2, onglet 30).

 

[6]     Il a également été soumis en preuve que, le 29 mai 2001, Thomas Lavin a déposé un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») (pièce I‑2, onglet 46, p. 26). La proposition a été refusée par les créanciers. Thomas Lavin a donc fait faillite le 9 août 2001 (voir pièce I‑2, onglet 46, p. 21‑22).

 

Questions en litige

 

[7]     Le 23 mai 2002, à la suite du défaut de l’appelante de répondre aux demandes formelles de paiement, l’ADRC a établi deux cotisations à l’encontre de celle‑ci, l’une de 91 639 $ (cotisation numéro 18640) et l’autre de 88 095 $ (cotisation numéro 18641), en application des paragraphes 224(4), 224(4.1) et 227(10) de la LIR (pièce I‑1, onglet 18 et pièce I‑2, onglet 34).

 

[8]     La première cotisation, qui s’élève à 91 639 $, représente l’argent que l’appelante est censée avoir fait au nom de Thomas Lavin ou avoir versé à celui‑ci à même son compte numéro 100‑563‑6 à la Banque Royale du Canada de Brossard durant la période visée par les demandes formelles de paiement prévues par la loi.

 

[9]     La deuxième cotisation, qui s’élève à 88 095 $, se rapporterait à une somme due par l’appelante à Thomas Lavin, somme qui aurait été payée malgré les demandes formelles de paiement de l’ADRC.

 

[10]    L’appelante conteste ces deux cotisations. En ce qui concerne la cotisation de 91 639 $, elle affirme qu’il s’agit de revenus de profession de Thomas Lavin qui ont été déposés dans le compte numéro 100‑563‑6 à la Banque Royale de Brossard, puis retirés de celui‑ci, compte qui a été ouvert au nom de l’appelante mais qui a toujours été utilisé par Thomas Lavin personnellement.

 

[11]    Apparemment, les dépôts faits dans ledit compte bancaire ne provenaient pas de l’appelante, mais du cabinet d’avocats de Thomas Lavin et de la succession de sa mère (une somme d’environ 27 000 $ provenait de la succession), et ces fonds ont été utilisés pour payer, notamment, les dépenses courantes de son cabinet d’avocats et ses dépenses personnelles. L’appelante fait donc valoir qu’elle n’a jamais prêté, avancé ou payé quelque somme que ce soit à Thomas Lavin à même le compte bancaire en question puisque les fonds appartenaient depuis le début à Thomas Lavin.

 

[12]    Pour ce qui est de la cotisation de 88 095 $, l’appelante affirme que Thomas Lavin n’a pas avancé une telle somme à l’appelante mais a plutôt investi de l’argent dans son capital‑actions, et que, si une somme a été prêtée par l’actionnaire, elle n’était ni due ni payable, ni n’a été payée, durant la période d’effet de la demande formelle de paiement prévue par la loi.

 

Dispositions législatives

 

[13]    Article 224 : Saisie-arrêt

 

(1) S’il sait ou soupçonne qu’une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée « débiteur fiscal » au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) et (3)), le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu’ils deviennent payables, au receveur général au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

 

224(1.1)

 

(1.1) Idem. Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), lorsque le ministre sait ou soupçonne que, dans les 90 jours :

 

a)   soit une banque, une caisse de crédit, une société de fiducie ou une autre personne semblable (appelée l’« institution » au présent article) prêtera ou avancera des fonds à un débiteur fiscal, effectuera un paiement au nom d’un débiteur fiscal ou fera un paiement à l’égard d’un effet négociable émis par le débiteur fiscal qui est endetté envers l’institution et qui a fourni à l’institution une garantie à l’égard de la dette;

b)   soit une personne, autre qu’une institution, prêtera ou avancera des fonds à un débiteur fiscal ou effectuera un paiement au nom d’un débiteur fiscal que le ministre sait ou soupçonne :

      i) être employé de cette personne, ou prestataire de biens ou de services à cette personne ou qu’elle l’a été ou le sera dans les 90 jours,

      ii) lorsque cette personne est une société, avoir un lien de dépendance avec cette personne,

il peut exiger par écrit de cette institution ou de cette personne, selon le cas, que les fonds qui seraient autrement prêtés, avancés ou payés au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés au receveur général au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi, et les fonds ainsi versés au receveur général sont réputés avoir été prêtés, avancés ou payés, selon le cas, au débiteur fiscal.

 

224(1.2)

 

(1.2) Saisie-arrêt. Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, tout autre texte législatif fédéral ou provincial et toute règle de droit, mais sous réserve des paragraphes 69(1) et 69.1(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de l’article 11.4 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, s’il sait ou soupçonne qu’une personne donnée est ou deviendra, dans les douze mois, débiteur d’une somme :

      a) soit à un débiteur fiscal, à savoir une personne redevable du montant d’une cotisation en application du paragraphe 227(10.1) ou d’une disposition semblable;

      b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal,

le ministre peut exiger par écrit de la personne donnée que tout ou partie de cette somme soit payé au receveur général, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu’elle devient payable, au titre du montant de la cotisation en application du paragraphe 227(10.1) ou d’une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable. Sur réception de l’avis de cette exigence par la personne donnée, la somme dont le paiement est exigé devient, malgré toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté jusqu’à concurrence du montant de la cotisation et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme.

 

224(4)

 

(4) Défaut de se conformer aux par. (1), (1.2) ou (3). Toute personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1), (1.2) ou (3) est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal au montant qu’elle était tenue, en vertu du paragraphe (1), (1.2) ou (3), selon le cas, de payer au receveur général.

 

224(4.1)

 

            (4.1) Défaut de se conformer au par. (1.1). Toute institution ou personne qui omet de se conformer à une exigence du paragraphe (1.1) est tenue de payer à Sa Majesté, à l’égard des fonds à prêter, à avancer ou à payer, un montant égal au moindre des montants suivants :

      a) le total des fonds ainsi prêtés, avancés ou payés;

      b) le montant qu’elle était tenue de payer au receveur général en vertu de ce paragraphe.

 

227(10)

 

(10) Cotisation. Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation pour les montants suivants :

      a) un montant payable par une personne en vertu des paragraphes (8), (8.1), (8.2), (8.3) ou (8.4) ou 224(4) ou (4.1) ou des articles 227.1 ou 235;

      b) un montant payable par une personne ou une société de personnes en vertu du paragraphe 237.1(7.4);

      c) un montant payable par une personne en vertu du paragraphe (10.2) pour défaut par une personne non-résidente d’effectuer une déduction ou une retenue;

      d) un montant payable en vertu de la partie XIII par une personne qui réside au Canada.

Les sections I et J de la partie I s’appliquent, avec les modifications nécessaires, à tout avis de cotisation que le ministre envoie à la personne ou à la société de personnes.

 

Question préliminaire

 

[14]    À titre préliminaire, l’appelante a assigné M. Daniel Phaneuf, l’agent de recouvrement du bureau de l’ADRC de Sherbrooke, à témoigner lors de l’audition de la présente cause. Cependant, l’avocat de l’intimée a déposé des rapports médicaux rédigés par un psychiatre et un psychologue indiquant que M. Phaneuf n’était pas en état de travailler parce qu’il souffrait de dépression (pièce I‑3). Au moment de l’audience, qui avait déjà été reportée en raison de son absence du travail, M. Phaneuf ne travaillait toujours pas. L’appelante s’est opposée au dépôt des rapports médicaux au motif que les professionnels qui avaient signé ces rapports n’étaient pas présents à l’audience. J’ai néanmoins accepté les rapports comme preuve satisfaisante de l’état d’esprit de M. Phaneuf et comme preuve suffisante pour expliquer son absence au procès. L’avocat de l’appelante a pu assigner à la place Daniel Thibault, un autre agent de recouvrement de l’ADRC qui s’est également occupé du dossier de l’appelante en 2002 et à nouveau depuis la mi‑septembre 2005, lorsque M. Phaneuf a obtenu son congé. De plus, M. Thibault a pu examiner le dossier pour se préparer à l’audience. L’appelante a déposé en preuve un affidavit rempli et signé par Daniel Phaneuf le 31 mai 2002, ainsi que la transcription du témoignage de ce dernier à l’audience tenue dans le cadre de la procédure que l’ADRC a intentée contre Thomas Lavin devant la Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite (pièces A‑1 et A‑2, onglet 8). Je suis donc d’avis que l’absence de M. Phaneuf n’est pas préjudiciable à la cause de l’appelante et ne modifie en rien l’obligation qui lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les cotisations portées en appel sont erronées.

 

Faits

 

[15]    Durant la période en litige, l’appelante a exercé ses activités sous le nom de Gestion Abacus Management (« Abacus ») et a loué et géré un immeuble situé à Cowansville (Québec) qu’elle possédait depuis 1996. Abacus a tiré des revenus de location de deux baux d’habitation ayant trait à des locaux situés dans cet immeuble ainsi que d’un bail commercial, ayant trait également à un local situé dans cet immeuble, conclu avec Lavin, Merovitz, un cabinet d’avocats dans lequel Thomas et Dominique Lavin étaient des associés nominaux. Abacus a également tiré des revenus de gestion des services administratifs qu’elle a fournis au cabinet d’avocats. Le compte d’opérations d’Abacus était à la Banque Royale de Cowansville, et ce compte avait été ouvert en 1996.

 

Faits se rapportant à la première cotisation (number 18640) et au compte bancaire numéro 100‑563‑6 de Brossard

 

[16]    Durant la période en litige, Thomas Lavin a payé toutes les dépenses relatives à son cabinet d’avocats à même le compte bancaire numéro 100‑563‑6 qu’il avait ouvert au nom d’Abacus en avril 1998 à Brossard, dont les fonds étaient transférés dans le compte bancaire de Cowansville. Abacus lui facturait mensuellement ses dépenses d’exploitation. Thomas Lavin a également retiré de l’argent du compte d’Abacus de Brossard pour payer ses dépenses personnelles. Il a expliqué qu’il s’agissait de son compte personnel, mais qu’il l’avait ouvert au nom d’Abacus parce que tous ses comptes personnels et ses comptes clients avaient été saisis, et qu’il n’aurait pas pu autrement exploiter son cabinet d’avocats et couvrir ses dépenses personnelles. En effet, un relevé des dépôts et retraits effectués dans le compte bancaire numéro 100‑563‑6 d’Abacus à la Banque Royale de Brossard indique des dépôts s’élevant à 119 182,47 $ et des retraits se chiffrant à 92 246,98 $ pour la période du 10 août 2001 au 29 juin 2001 (pièces I‑4 et I‑1, onglets 19 à 29). Il est admis que la plupart, sinon la totalité, des dépôts provenaient de Thomas Lavin personnellement et que la totalité des retraits ont également été effectués pour lui personnellement.

 

[17]    Il semble également que Thomas Lavin ait antérieurement ouvert, en 1994, un autre compte bancaire au nom d’Abacus; il s’agit du compte numéro 1062025 à la Banque Royale de St‑Lambert (pièce I‑2, onglet 33, p. 13 et suiv.). Thomas Lavin a témoigné que ce compte était utilisé uniquement pour ses affaires personnelles. Il ne voulait pas mélanger les activités de location et de gestion d’Abacus, pour lesquelles le compte de Cowansville était utilisé, avec les opérations effectuées dans son compte personnel. Bien qu’il ait eu, en sa qualité de directeur, un pouvoir de signature du 30 avril 1996 au 15 janvier 2000, Dominique Lavin a témoigné ne pas avoir été au courant de l’existence des comptes de St‑Lambert et de Brossard. Il convient de noter qu’il n’a signé aucun document ayant trait à l’ouverture de ces deux comptes. Il n’existe, dans le registre des procès‑verbaux, aucune résolution autorisant l’ouverture de ces deux comptes bancaires. Paul Dunn, l’expert‑comptable de l’extérieur qui a préparé les états financiers d’Abacus jusqu’au 30 avril 1999, a inclus le solde du compte de St‑Lambert dans le bilan d’Abacus puisqu’il avait été ouvert au nom de celle‑ci. L’ADRC a considéré les sommes retirées du compte d’Abacus de Brossard comme des avances faites à Thomas Lavin en contravention des demandes formelles de paiement et a établi à leur égard une cotisation de 91 639 $ à l’encontre d’Abacus.

 

Faits se rapportant à la deuxième cotisation (numéro 18641) et au prêt par un actionnaire de 88 095 $

 

[18]    M. Thibault, l’agent de recouvrement de l’ADRC, a expliqué que ce montant a été tiré du bilan non vérifié produit avec la déclaration d’impôt sur le revenu d’Abacus pour l’exercice se terminant le 30 avril 1999 (pièce I‑2, onglet 37(E), p. 21). Ce bilan a été préparé par M. Dunn, et le compte de prêt de l’actionnaire consiste principalement en deux éléments : 1) « Comptes clients TAL » (Thomas A. Lavin) : 23 535 $; et 2) « Prêt payable TAL » : 64 284 $ (voir pièce I‑2, onglet 40, p. 2). Le solde de 277 $ portant le total à 88 095 $ est qualifié de « divers » (voir pièce I‑2, onglet 40, p. 4).

 

[19]    Dans le bilan interne portant sur la période se terminant le 30 avril 1999 (pièce A‑2, onglet 5), lequel n’a pas été produit avec la déclaration de revenus, le montant des « Comptes clients TAL » s’élève à 18 176 $ (au lieu de 23 535 $), alors que le « Prêt payable TAL » de 64 284 $ n’apparaît pas. Par contre, le bilan interne fait état d’un capital‑actions total de 63 174,53 $ (31 418,64 $ pour Thomas Lavin, 31 418,63 $ pour Dominique Lavin et 337,26 $ pour Carolyn Farr, qui, comme il a été indiqué précédemment, n’était plus actionnaire en 1999)[1]. Dans le bilan que M. Dunn a fourni avec la déclaration de revenus, sous la rubrique de l’avoir des actionnaires, il est fait état d’un montant de 675 $ (337,27 $ pour Thomas Lavin et 337,26 $ pour Dominique Lavin) (pièce I‑2, onglet 37(E), p. 21 et pièce I‑2, onglet 40, p. 2).

 

[20]    Pour ce qui est de la divergence entre le bilan préparé par M. Dunn et le bilan interne concernant le « Prêt payable TAL » de 64 284 $, il semble qu’elle soit liée à l’achat de l’immeuble appartenant à Abacus. Cet immeuble a d’abord été acheté par Carolyn Farr pour 125 000 $ en 1994 (pièce I‑2, onglet 47). Selon Thomas Lavin, il a lui‑même investi 62 500 $ dans cet achat et Mme Farr a emprunté l’autre 62 500 $, mais l’immeuble a été acheté au nom de Mme Farr seulement. Le 20 août 1996, Carolyn Farr a vendu l’immeuble à l’appelante pour 125 000 $ (pièce I‑2, onglet 48). L’appelante a emprunté 62 500 $ pour rembourser Mme Farr et Thomas Lavin n’a rien réclamé à l’appelante. Thomas Lavin a affirmé avoir considéré le montant comme un investissement dans le capital‑actions de la compagnie. Cela expliquerait le montant de capital‑actions figurant sur le bilan interne. Or, aucune résolution en ce sens n’apparaît dans le livre des procès‑verbaux, et aucune action additionnelle n’a été émise à Thomas Lavin. M. Dunn a dit avoir établi le bilan à partir des registres comptables. Comme le montant de 62 500 $ payé par Thomas Lavin en 1994 en liaison avec l’achat de l’immeuble par Mme Farr provenait du compte d’Abacus de St‑Lambert, M. Dunn l’a assimilé à un « prêt immobilier » consenti par l’appelante à Mme Farr au cours de son exercice financier 1995. Un prêt d’actionnaire de 51 481 $ figure également au passif (pièce I‑2, onglet 37(A), p. 20).

 

[21]    Lorsque Mme Farr a vendu l’immeuble à l’appelante en août 1996 (exercice financier 1997), le prêt immobilier a disparu, mais M. Dunn a augmenté la valeur des immobilisations pour y inclure la valeur non amortie de l’immeuble (pièce I‑2, onglet 37(C), p. 12, indiquant que la valeur des immobilisations est passée de 7 329 $ en 1996 à 130 659 $ en 1997). M. Dunn a également fait état d’un « prêt hypothécaire » de 57 820 $ pour 1997, qui représenterait l’emprunt contracté par l’appelante pour rembourser Mme Farr. Le montant des prêts d’actionnaires a par ailleurs été porté à 56 951 $. M. Dunn n’a indiqué aucun montant sous le capital‑actions pour refléter le paiement de 62 500 $ que Thomas Lavin aurait fait, puisqu’il n’y avait rien à cet égard dans le livre des procès‑verbaux. Il a donc laissé le montant du capital‑actions à 675 $. M. Dunn a affirmé n’avoir jamais été mis au courant de ces états financiers internes. S’il avait connu leur existence, il aurait posé des questions à Thomas Lavin puisqu’ils contredisaient les renseignements dont il disposait au moment où il a préparé le bilan.

 

[22]    Pour ce qui est des « Comptes clients TAL » de 23 535 $, M. Dunn a dit qu’il s’agissait de la somme des avances faites par Thomas Lavin à Abacus, moins les retraits effectués par Thomas Lavin, selon le grand livre général d’Abacus pour l’exercice financier se terminant le 30 avril 1999 (pièce I‑2, onglet 40, p. 9). M. Dunn a considéré toutes les avances comme des prêts à demande recouvrables par Thomas Lavin à titre d’actionnaire. Il les a considérées ainsi parce qu’il n’existait aucune entente écrite fixant les modalités de remboursement de ces prêts.

 

[23]    Pour l’exercice financier 2000 et les exercices suivants, aucun comptable n’a été engagé pour préparer les états financiers de l’appelante. Les seuls documents disponibles étaient les états financiers internes. Le bilan interne au 30 avril 2001 ne fait état d’aucun prêt d’actionnaire mais indique un capital‑actions de 63 174,53 $ (Carolyn Farr étant toujours incluse comme actionnaire) (voir pièce A‑2, onglet 6). La déclaration de faillite déposée par Thomas Lavin, le 28 juin 2001, indique qu’il détenait une participation de 50 % dans l’appelante, dont la valeur était estimée à 37 500 $ (pièce I‑2, onglet 52).

 

[24]    Thomas Lavin a déclaré n’avoir jamais répondu aux demandes formelles de paiement que l’ADRC a fait parvenir à l’appelante parce qu’il croyait que ce n’était pas nécessaire, que l’agent de recouvrement l’appellerait de toute façon. Les résolutions signées figurant dans le livre des procès-verbaux approuvaient toutes les états financiers produits avec les déclarations de revenus. Les résolutions ont été signées par Thomas et Dominique Lavin (pièce I‑2, onglet 44), qui n’ont cependant pas signé les états financiers; ils ont été signés par M. Dunn, qui a dit être autorisé par Thomas Lavin, qui les avaient vus d’abord, à les joindre aux déclarations. Les déclarations de revenus pour l’exercice 2000 et les exercices suivants ont été produites à la suite d’une demande de production envoyée par l’ADRC (pièce I‑2, onglet 45).

 

Analyse

 

Cotisation de 91 639 $ relative au compte bancaire numéro 100‑563‑6 de Brossard

 

[25]    L’avocat de l’appelante s’appuie sur la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans Potvin c. Pouliot, [2004] J.Q. no 6828 (QL), pour affirmer que les sommes déposées dans le compte d’Abacus appartenaient à Thomas Lavin. Il est d’ailleurs admis par l’intimée que, hormis le 27 000 $ provenant probablement de la succession de la mère de Thomas Lavin, toutes les sommes déposées dans ce compte provenaient des sources de revenu personnelles de Thomas Lavin.

 

[26]    Selon l’avocat de l’appelante, étant donné que ces sommes appartenaient à Thomas Lavin, l’ADRC ne peut établir une cotisation à l’égard de l’appelante en vertu de l’article 224 puisqu’on ne peut pas dire que celle‑ci a avancé ou prêté des sommes à Thomas Lavin, ou fait un paiement à celui‑ci, les sommes en question ne lui ayant jamais appartenu au départ.

 

[27]    L’avocat de l’intimée fait valoir que, officiellement, les sommes ont été déposées dans le compte de l’appelante et que, du point de vue des tiers, ces sommes appartenaient à l’appelante. En matière de recouvrement, l’ADRC est un tiers (voir Bolduc v. the Queen., 2003 DTC 221). Bien qu’elles aient un effet entre les parties, les contre‑lettres ne lient pas les tiers. Le tiers peut donc choisir, selon son intérêt, de s’appuyer sur le contrat apparent ou sur la contre‑lettre (art. 1452 du Code civil du Québec) :

 

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s’il survient entre eux un conflit d’intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

 

[28]    En l’espèce, le ministre s’est fondé sur l’article 224 pour établir une cotisation à l’égard de l’appelante au motif qu’elle avait payé à Thomas Lavin les sommes déposées dans son compte même si elle avait reçu une demande formelle de paiement. Toutes les sommes déposées dans ce compte étaient dues à Thomas Lavin par l’appelante. (Voir à cet égard la décision Potvin c. Pouliot, citée par l’appelante.) Pour ce motif, affirme l’intimée, l’appelante aurait dû les verser au receveur général comme l’exigeaient les demandes formelles de paiement.

 

[29]    Je suis d’accord avec l’intimée. Je crois comprendre que l’ADRC avait déjà épuisé presque tous ses recours contre Thomas Lavin. Il avait personnellement fait l’objet d’une cotisation par l’ADRC et devait 97 472,17 en impôts, intérêts et pénalités. L’ADRC avait saisi ses comptes personnels et ses comptes clients, mais il avait tenté de se soustraire à ses obligations en ouvrant au nom d’Abacus un compte bancaire pour lequel il avait, comme président de la compagnie, un pouvoir de signature.

 

[30]    En matière fiscale, la forme est importante (voir Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (QL) (CAF). Lorsque Thomas Lavin a décidé de déposer tous ses revenus personnels dans le compte bancaire de l’appelante, il a accepté le fait qu’aux yeux des tiers, comme l’ADRC en l’espèce, les sommes déposées dans ce compte étaient en la possession d’Abacus qui, légalement, en avait l’usage.

 

[31]    En outre, Thomas Lavin a ainsi fait en sorte qu’Abacus détenait les sommes en son nom et que, par conséquent, ces sommes lui étaient dues. À partir du moment où elle a reçu la demande formelle de paiement de l’ADRC, l’appelante contrevenait à cette demande de paiement au receveur général dès que les sommes étaient retirées du compte par Thomas Lavin. Le défaut de se conformer à la demande formelle a rendu l’appelante responsable, selon les paragraphes 224(4) et (4.1) de la Loi, du versement à l’intimée de la somme qu’elle avait payée à Thomas Lavin.

 

Cotisation relative au prêt par un actionnaire de 88 095 $

 

[32]    L’avocat de l’appelante fait valoir que le montant de 62 500 $ que M. Dunn a assimilé à un « prêt immobilier » a toujours été considéré comme du capital‑actions dans les bilans internes. Il soutient que l’intimée ne peut prétendre que ce prêt a été transféré dans le capital‑actions après 1999, et qu’il a donc été payé à Thomas Lavin.

 

[33]    Si je comprends bien, M. Dunn a en fait assimilé le montant de 62 500 $ à un « prêt immobilier » parce qu’il n’a eu connaissance d’aucune résolution ni d’aucune émission d’actions additionnelles justifiant que l’on considère ce montant payé par Thomas Lavin en liaison avec l’achat de l’immeuble comme une contribution au capital‑actions. Je crois comprendre également que M. Dunn n’a pas préparé les bilans de l’appelante après le 30 avril 1999.

 

[34]    Dans les bilans internes préparés en liaison avec les exercices suivants, ce montant figurait encore dans le capital‑actions (soit en totalité sous le nom de Thomas Lavin, soit réparti entre Dominique et Thomas Lavin).

 

[35]    À cet égard, je ne pense pas que l’on puisse dire que le prêt immobilier a été payé à Thomas Lavin. Le ministre s’est appuyé sur le bilan que M. Dunn a préparé en liaison avec l’exercice se terminant le 30 avril 1999 pour considérer ce montant comme un prêt. On peut en déduire que, si M. Dunn avait préparé les bilans des exercices suivants, il n’aurait pas transféré ce montant dans le capital‑actions puisque aucune action additionnelle n’avait été émise ni aucune résolution inscrite dans le livre des procès‑verbaux.

 

[36]    Il convient de noter également que le prêt immobilier n’apparaissait plus au bilan de 1997, mais que le montant de ce prêt a plutôt été inscrit comme actif immobilisé par M. Dunn. Lorsque Mme Farr a vendu l’immeuble à l’appelante, M. Dunn semble avoir considéré le montant de 62 500 $ que Thomas Lavin avait investi comme provenant du compte bancaire de St‑Lambert de l’appelante. On ne peut dire avec certitude s’il a été inclus dans le prêt payable à Thomas Lavin, les prêts d’actionnaires pour l’exercice 1997 s’élevant à 56 951 $.

 

[37]    Je ne suis donc pas convaincue que le montant de 62 500 $ devrait être considéré comme un prêt d’actionnaire qui était payable à Thomas Lavin au moment où les demandes formelles de paiement ont été délivrées.

 

[38]    Toutefois, il n’est pas contesté que la différence de 23 812 $ (23 535 $ + 277 $) représentait bel et bien des prêts d’actionnaire attribuables à Thomas Lavin. L’appelante est d’avis que ces prêts d’actionnaire n’étaient pas payables au moment des demandes formelles de paiement, puisque Thomas Lavin n’en avait pas demandé le paiement; l’appelante n’était donc pas tenue de se conformer aux demandes formelles de paiement délivrées en vertu de l’article 224.

 

[39]    L’appelante a également fait valoir qu’elle n’avait pas assez d’argent pour payer le prêt, ce qui est contredit par le bilan interne produit en liaison avec l’exercice se terminant le 30 avril 2001, qui fait état de bénéfices non répartis se chiffrant à 26 471,35 $ (pièce A-2, onglet 6).

 

[40]    Quant à l’obligation de l’appelante de faire un paiement à l’égard du prêt d’actionnaire, la question qu’il faut se poser est celle de savoir si l’appelante avait en droit la responsabilité de faire un paiement à Thomas Lavin (le débiteur fiscal) durant la période indiquée dans les demandes formelles de paiement. L’avocat de l’appelante s’est référé à la décision The Queen v. National Trust Company, 98 DTC 6409 (CAF), dans laquelle le juge McDonald a affirmé, au paragraphe 4 de ses motifs, que s’il n’y avait eu aucune demande de paiement de la part du débiteur fiscal, la personne ayant reçu la demande formelle de paiement de l’ADRC n’aurait pas eu l’obligation de faire un paiement puisque le paragraphe 224(1) ne se serait pas appliqué. Cette affirmation a été faite dans un contexte mettant en cause un fiduciaire détenant des fonds pleinement dévolus au bénéficiaire d’une fiducie qui pouvait demander le paiement des fonds à son fiduciaire. On a statué que tant que le bénéficiaire de la fiducie ne demandait pas à son fiduciaire de lui payer les fonds, aucune somme ne lui était payable, pas plus que son fiduciaire n’était tenu de lui faire un paiement au sens du paragraphe 224(1) de la LIA. Toutefois, le juge McDonald a cru nécessaire de préciser que le paragraphe 224(1) avait une application limitée en matière de relation fiduciaire/bénéficiaire d’une fiducie parce que le fiduciaire ne pouvait être placé dans la situation inconfortable de devoir manquer à ses obligations de fiduciaire envers un débiteur fiscal afin de se conformer à une demande péremptoire de paiement délivrée en vertu du paragraphe 224(1). Il a dit ceci au paragraphe 2 de ses motifs :

 

. . . il existe un argument solide selon lequel, étant donné les obligations en équité incombant à un fiduciaire, le paragraphe 224(1) devrait être restreint à une relation créancier-débiteur, sauf disposition expresse prévoyant qu’il s’applique à un fiduciaire.

 

Il faut donc en déduire que, dans le cas d’une relation créancier‑débiteur, une telle disposition expresse n’est pas nécessaire pour que le paragraphe 224(1) s’applique. Dans la mesure où le débiteur fiscal est également le créancier à l’égard d’un prêt d’actionnaire payable sur demande, il n’est pas nécessaire que le débiteur fiscal ait formellement demandé le paiement dudit prêt pour que son débiteur soit tenu de faire un paiement en vertu du paragraphe 224(1).

 

[41]    Dans la décision Maritime Life Assurance Co. c. Canada, [1999] A.C.F. no 2033 (QL) (CAF), à laquelle l’appelante s’est également référée, on a conclu qu’à l’époque où la demande péremptoire de paiement a été adressée à la Maritime en vertu du paragraphe 224(1), les régimes enregistrés d’épargne‑retraite étaient pleinement en vigueur et la Maritime n’avait reçu aucune demande l’enjoignant de payer aux débiteurs fiscaux la valeur au rachat brute de leurs polices respectives. La Cour a statué que la Maritime n’était donc pas tenue de faire un paiement à chacun des débiteurs fiscaux au sens du paragraphe 224(1). Là encore, les REER comprenaient des polices d’assurance dont chacune était assortie d’un avenant prévoyant que le droit de renoncer au contrat enregistré en contrepartie de sa valeur de rachat brute ne pouvait être exercé. Cependant, les polices elles‑mêmes contenaient chacune une clause permettant au contribuable débiteur d’en recevoir la valeur au rachat brute sur demande adressée à la Maritime. Cette situation est différente de celle d’un prêt à demande, où le débiteur peut à tout moment être sommé de rembourser le prêt. La situation en l’espèce ressemble davantage à celle examinée dans Hutterian Brethren Church of Smoky Lake et al. v. Provincial Treasurer of Alberta et al., 80 DTC 6228 (C.A. Alb.), décision que la Cour d’appel fédérale a ainsi résumée au paragraphe 5 de la décision Maritime :

 

. . . la Cour a décidé que la demande péremptoire de paiement prévue au paragraphe 224(1) constitue en soi une « mise en demeure » qui fait en sorte que l’institution financière est « une personne tenue » de verser au débiteur fiscal les sommes qu’elle détient en vertu de certificats de dépôt. Dans cette affaire, les contrats de dépôt étaient assortis de conditions qui prévoyaient que le déposant avait le droit de retirer les fonds « en tout temps » sous réserve d’un court délai de paiement dans le cas des dépôts de plus d’un an. À la différence de l’espèce dont nous sommes saisis, cette affaire ne portait pas sur une interdiction comme celle qui est stipulée dans les avenants aux polices . . .

 

[42]    Je suis donc d’avis que la décision Canada c. Bidner, [1984] A.C.F. no 1114 (QL) (CAF), sur laquelle se fonde l’intimée, doit être suivie en l’espèce. En effet, la Cour d’appel fédérale y a affirmé que :

 

. . . une dette payable sur demande est une dette qui est immédiatement exigible et la signification de la saisiearrêt dans le présent cas a opéré demande. . . .

 

[43]    Je ne suis donc pas d’accord avec l’appelante pour dire que les prêts à demande d’actionnaire n’étaient pas payables au moment où elle a reçu signification des demandes formelles de paiement. Ils étaient payables, et l’appelante avait l’obligation de faire le paiement demandé. L’appelante était donc tenue de se conformer aux demandes formelles de paiement.

 

La faillite de Thomas Lavin a‑t‑elle une incidence sur l’obligation de l’appelante en vertu de l’article 224?

 

[44]    À l’audience, l’avocat de l’appelante a soulevé un nouvel argument qui n’avait pas été mentionné dans les actes de procédure. Il a fait valoir que la faillite de Thomas Lavin en 2001 le libérait de sa dette envers le ministre. Il a donc soutenu que, puisque l’obligation de Thomas Lavin (le débiteur fiscal) était éteinte, l’obligation du tiers (l’appelante) en découlant était également éteinte. La cotisation établie à l’encontre de l’appelante pour son omission de donner suite aux demandes formelles de paiement n’était donc pas fondée.

 

[45]    L’avocat de l’appelante a invoqué la décision Lessard c. Canada, [2001] A.C.I. no 805 (QL) (une affaire portant sur l’article 224), ainsi que deux décisions de notre Cour sur l’obligation du bénéficiaire du transfert en vertu de l’article 160 de la LIA lorsque l’auteur du transfert fait faillite. Il s’agit des décisions Caplan v. The Queen, 95 DTC 709 et Gamache v. The Queen, 97 DTC 32.

 

[46]    L’avocat de l’appelante a omis, intentionnellement ou non, de mentionner que ces deux dernières décisions ont été infirmées par la Cour d’appel fédérale dans Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (QL). Dans cet arrêt, il a été décidé qu’une ordonnance de libération n’éteint pas la dette du bénéficiaire du transfert en vertu de l’article 160 de la LIA (disposition qui rend le bénéficiaire du transfert personnellement responsable de l’impôt auquel est tenu l’auteur du transfert). De plus, dans l’arrêt Lessard, sur lequel s’appuie l’avocat de l’appelante, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) de notre Cour a rejeté l’argument voulant que l’obligation dérivée du tiers soit éteinte lorsque l’obligation du débiteur fiscal était éteinte. Le juge en chef adjoint Bowman s’est fondé sur les dispositions de la LFI prévoyant que la libération du débiteur principal ne libère pas la caution[2].

 

[47]    L’article 224 impose une obligation personnelle à la personne à qui une demande formelle de paiement est délivrée. Cette obligation existe dès le moment où le ministre exige de cette personne qu’elle fasse le paiement au receveur général, au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la LIA, immédiatement si les sommes sont alors payables, ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu’elles deviennent payables au débiteur fiscal, pourvu que les conditions énoncées à l’article 224 soient remplies (cf. The Queen v. National Trust Company, précité, au paragraphe 35).

 

[48]    Par conséquent, comme j’ai conclu que l’appelante était, à partir du moment où elle a reçu signification des demandes formelles de paiement, une personne tenue de faire un paiement au débiteur fiscal — la somme maximale due étant, comme je l’ai déjà indiqué, 97 472,17 $ — les paragraphes 224(4) et (4.1) imposent une pénalité pour l’omission de se conformer aux demandes formelles de paiement. Cette pénalité est de nature civile et consiste en un montant égal à celui faisant l’objet de la demande présentée en vertu des paragraphes 224(1) et (1.1) (cf. The Queen v. National Trust Company, précité, au paragraphe 36). En l’espèce, l’appelante n’ayant pas répondu aux demandes formelles de paiement malgré le fait qu’elle était tenue de s’y conformer, les cotisations établies par le ministre en vertu du paragraphe 227(10) étaient justifiées, dans les circonstances, jusqu’à concurrence d’un montant de 97 472,17 $, comme en a convenu l’intimée.

 

[49]    L’avocat de l’appelante a également invoqué l’article 69 de la LFI à l’appui de l’argument voulant que le ministre ait été empêché d’établir une cotisation en vertu de l’article 224 de la LIA. L’article 69, cependant, ne suspend l’application que du paragraphe 224(1.2) de la LIA, qui n’est pas en cause en l’espèce.

 

[50]    Pour tous ces motifs, les appels sont rejetés, avec dépens, et les cotisations sont confirmées quant à la somme due par Thomas Lavin au ministre, c’est‑à‑dire 97 472,17 $.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour d’octobre 2007.

 

 

 

 

Diane Provencher, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI302

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-2410(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              3087-8847 Québec Inc. c. Sa

                                                          Majesté le Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 27, 28 et 29 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 juin 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Eric Azran

Avocat de l’intimée :

Me Martin Gentile

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Me Eric Azran

 

                          Cabinet :                  Stikeman Elliott, s.r.l

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Il est intéressant de noter que dans les bilans internes portant sur les périodes se terminant le 30 avril 1998 et le 28 février 2001, un montant de 62 837,27 $ est inclus dans l’avoir de Thomas Lavin alors qu’aucun montant n’est indiqué pour Dominique Lavin (pièce I‑2, onglets 39 et 41). Tout comme au 30 avril 1999 et au 30 avril 2001, le capital‑actions a été réparti également entre Dominique et Thomas Lavin (pièce A‑2, onglets 5 et 6). Aucun bilan n’a été fourni pour l’an 2000.

[2]           Le juge en chef adjoint Bowman faisait allusion à l’article 179 de la LFI, L.R.C. (1985), ch. B‑3, que voici :

 

179. Une ordonnance de libération ne libère pas une personne qui, au moment de la faillite, était un associé du failli ou cofiduciaire avec le failli, ou était conjointement liée ou avait passé un contrat en commun avec lui, ou une personne qui était caution ou semblait être une caution pour lui.

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