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Dossier : 2002-857(IT)I

ENTRE :

DAVID H. SELENT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 6 janvier 2003, à Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Devant : l’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions : 

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Raj Grewal

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2000 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

 

 

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 5e jour de février 2004.

 

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’avril 2005.

 

 

 

Colette Dupuis-Beaulne, traductrice

 


 

 

 

Référence : 2004TCC113

Date : 20040205

Dossier : 2002-857(IT)I

ENTRE :

DAVID H. SELENT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L’appelant interjette appel suivant l’établissement de la cotisation pour l’année d’imposition 2000. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé des dépenses d’une somme de 5 135 $ supportées pour des vitamines, des herbes et des suppléments qui avaient été prescrits à l’appelant par une naturopathe. Le ministre a conclu que ces dépenses n’avaient pas été enregistrées par un pharmacien agréé par la province de la Colombie-Britannique et, par conséquent, ne pouvaient pas être déduites comme frais médicaux pour les besoins du calcul des crédits d’impôt non remboursables de l’appelant pour l’année 2000 en application du paragraphe 118.2(1) et de l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi de l’impôt sur le revenu la « Loi » et de l’article 5700 du règlement connexe.

 

[2]     Dans son témoignage, l’appelant a affirmé que, pour faire traiter ses problèmes de foie, il avait eu recours aux services de Mme Ingrid Pincott, une naturopathe agréée qui pratique à Campbell River, en Colombie-Britannique. Il a produit une lettre (pièce A-1), datée du 6 décembre 2002, écrite par Mme Pincott et décrivant le détail du malaise, des traitements et des nutriments et remèdes prescrits. Mme Pincott a écrit une lettre, datée du 18 juin 2002 (pièce A-2), à Barry Fong, un fonctionnaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). Dans sa lettre, elle a inclus un tableau des frais médicaux supportés par l’appelant, ainsi que la liste des médicaments qu’elle avait prescrits. L’appelant a également produit une lettre (pièce A-3), datée du 29 novembre 2002, rédigée par Erika Gregory, une pharmacienne dûment qualifiée pratiquant en Colombie‑Britannique. Dans cette lettre (adressée à qui de droit), Mme Gregory donnait la liste des articles que David Selent avait achetés de la clinique de nutrition et de diététique de Mme Pincott, ainsi qu’un tableau indiquant la date, la description et le montant des achats, ainsi que le numéro de la facture correspondante fournie par Mme Pincott. Mme Gregory a conclu sa lettre avec une renonciation, dont voici un extrait à propos :

 

[TRADUCTION]

 

Je n’ai pas préparé, délivré ou fourni les articles énumérés ci‑dessus. Aucun de ces articles n’a été fourni par une pharmacie autorisée. Je n’ai pas participé, de quelque façon que ce soit, au traitement de cette personne.

 

[3]     L’appelant a affirmé qu’il avait acheté tous les articles à la clinique de Mme Pincott et que, plus tard, il avait consulté Mme Gregory et lui avait fourni des copies de tous les reçus pour les produits achetés à la clinique de Mme Pincott. De plus, il lui a montré la lettre (pièce A-2) rédigée par Mme Pincott afin d’étayer davantage l’achat qu’il a fait des articles énumérés, attesté par les reçus. L’appelant a produit comme pièce A-4 les documents qu’il avait présentés à Mme Gregory. Il a fait référence à la compilation de ses frais médicaux pour 2000 (pièce A-5), et à une feuille (pièce A-6) qui lui avait été fournie par l’ADRC sur la façon de déduire des frais médicaux. L’appelant a affirmé que son état de santé s’était amélioré grâce aux vitamines et aux autres substances qu’il avait consommées, suivant la prescription de Mme Pincott.

 

[4]     Lors du contre-interrogatoire effectué par l’avocat de l’intimée, l’appelant a convenu que la majorité des frais médicaux refusés concernaient les articles prescrits par Mme Pincott et achetés à la clinique de celle‑ci.  

 

[5]     L’appelant a fait valoir que les articles achetés de Mme Pincott avaient été prescrits par un médecin autorisé et qu’il s’agissait de « […] médicaments […], produits pharmaceutiques et […] autres préparations ou substances » qui avaient servi « au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affection, d’un état physique anormal » tel qu’il est prescrit par la disposition à ce sujet contenue dans la Loi, et que les articles achetés avaient été dûment « enregistrés par un pharmacien ». En faisant valoir cet argument, l’appelant s’est fondé sur une partie des motifs de jugement (datés du 18 janvier 2002) que j’avais rédigés dans l’affaire Dunn c. Canada, [2002] A.C.I. no 23. La question dans la décision Dunn était de savoir si on pouvait considérer que le médecin de l’appelant avait joué le rôle de pharmacien (tel qu’il est prescrit dans la Loi), étant donné que la loi régissant les pharmaciens en Colombie-Britannique n’empêchait pas les médecins qualifiés de délivrer des médicaments directement à leurs patients. Dans ma décision concernant cette affaire, j’ai formulé le commentaire suivant au paragraphe 13 :

 

Pour ce qui est des qualifications requises d’un pharmacien muni d’une licence dans la province de Colombie-Britannique, les articles 14 et 15 de la Pharmacists Act énoncent les qualifications que doit posséder une personne et les conditions qu’elle doit remplir pour obtenir un permis d’exercice de l’Ordre professionnel des pharmaciens et, par la suite, être autorisée à utiliser certains titres. La loi a une portée très large et prévoit l’établissement d’un ordre des pharmaciens, des procédures d’enregistrement, l’autorisation d’exploiter une pharmacie et des dispositions concernant la conduite de ses membres, dont le droit d’imposer des mesures disciplinaires conformément aux procédures établies par la loi. Le fait que – en vertu de l’article 75 de la Pharmacists Act – aucune autre disposition de cette loi ne puisse être interprétée comme empêchant un médecin (au sens de la définition de ce terme) de délivrer directement un médicament à son patient ne signifie pas que le médecin sera – sans plus – autorisé à participer au bal annuel des pharmaciens ou à assurer toute une gamme de services professionnels au sein de cette discipline particulière. La disposition pertinente – l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi – ne traite d’aucune exemption accorée par la Pharmacists Act relativement à l’acte de délivrance directe d’un médicament à un patient spécifique par un médecin. Cependant, elle dispose que les substances délivrées sur ordonnance d’un médecin – défini par la Loi – doivent être enregistrées par un pharmacien. À mon avis, les médecins ayant traité l’appelante n’étaient pas des pharmaciens au sens ordinaire du terme ni au sens prêté par le contexte de la disposition en question. Il n’est pas déraisonnable pour le législateur d’avoir voulu exercer un certain contrôle sur les frais médicaux admissibles en exigeant que tout achat de substances admissibles soit enregistré par un pharmacien […]

 

[6]     Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (Dunn c. Canada, [2002] A.C.F. n 1816 (QL)) en fonction du fait qu’aucun des médecins du contribuable n’était autorisé par la loi à pratiquer en tant que pharmacien.

 

[7]     Voici une remarque incidente – qui se trouve vers le milieu du paragraphe 13 – des mes motifs dans l’affaire Dunn :

 

Cette question reviendra probablement dans le cadre d’un autre appel, mais j’ai tendance à accepter l’approche adoptée par le juge Teskey dans l’affaire Frank c. Sa Majesté la Reine, [2001] C.C.I. No 416 (QL), voulant qu’un document créé par un pharmacien muni d’une licence sur les médicaments délivrés au patient sur ordonnance d’un médecin – même si ces médicaments ne sont pas préparés, délivrés ou fournis par cette pharmacie – semblerait satisfaire les exigences de la disposition qui, à mon avis, ne peuvent être lues disjonctivement. L’autre solution serait de reconnaître – à titre de frais médicaux – tout médicament, tout produit pharmaceutique, toute préparation ou toute autre substance admissible délivré sur ordonnance d’un médecin à un patient – du vin rouge maison, peut-être, – même si la délivrance contourne le mécanisme sur lequel insiste le législateur – soit, toit simplement, que les médicaments, produits pharmaceutiques, etc., délivrés sur ordonnance, soient enregistrés par un pharmacien.

 

[8]     De toute évidence, l’appelant ici avait été encouragé par mes commentaires concernant l’affaire Dunn et avait produit (sous forme de lettre) un registre fait par un pharmacien des substances admissibles prescrites par Mme Pincott et achetées dans sa clinique. Selon l’appelant, il est raisonnable d’accepter que les produits pharmaceutiques et substances délivrés sur l’ordonnance de Mme Pincott avaient été enregistrés par un pharmacien, surtout qu’il n’y a pas de définition de « enregistré » dans la disposition pertinente de la Loi, et qu’une décision déjà rendue dans l’affaire Frank, précitée, avait souligné que « l’enregistrement » pouvait se faire au moyen des reçus de caisse du pharmacien. J’ai informé l’appelant que la Couronne avait demandé un contrôle judiciaire – par la Cour d’appel fédérale – de la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Ray c. Canada, [2002] A.C.I. No 500 (QL), et que je prévoyais que les motifs de ce jugement viendraient tirer au clair les points en litige dans le présent appel, étant donné qu’il s’agissait ici d’une question qui avait fait l’objet d’autres appels pour lesquels des décisions avait déjà été rendues par des juges de la Cour canadienne de l’impôt. Dans ces cas, on avait adopté des approches sensiblement différentes pour interpréter l’objectif visé par la loi en ce qui a trait précisément à la condition préalable que les achats prescrits soient « enregistrés » par un pharmacien, et pour déterminer quelle mesure pourrait être considérée suffisante pour répondre à cette condition. Dans la décision Ray, le juge de la Cour canadienne de l’impôt soutenait qu’il pouvait ne pas tenir compte de la condition « enregistrés par un pharmacien » en raison des circonstances particulières de la cause qui lui était présentée, soit celles d’une personne qui souffrait de problèmes de santé graves et qui, à juste titre, avait essayé de soulager ses problèmes avec divers traitements qui lui avaient été recommandés par divers médecins.

 

[9]     L’appelant et l’avocat de l’intimée se sont entendus pour dire que je devais remettre ma décision à plus tard en attendant la conclusion de l’affaire Ray. L’avocat de l’intimée a convenu que le seul point en litige ici était la question de savoir si les vitamines, les herbes et les suppléments obtenus par l’appelant à la clinique de Mme Pincott avaient été enregistrés par un pharmacien muni d’une licence et agréé en Colombie-Britannique.

 

[10]    Le 5 janvier 2004, la Cour d’appel fédérale a communiqué les motifs du jugement rendu dans l’affaire Ray c. Canada, [2004] A.C.F. no 1. La juge Sharlow, au nom de la cour, a affirmé ce qui suit aux paragraphes 2 et suivants (cités ci‑dessous) de son jugement :

 

[2]        La demande de crédit d'impôt pour frais médicaux que Mme Ray a faite est fondée sur l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 qui est ainsi libellé :

 

(2) Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

(2) For the purposes of subsection 118.2(1), a medical expense of an individual is an amount paid

 

 

        [...] 

          ...

 

 

n) pour les médicaments, les produits pharma­ceutiques et les autres préparations ou substances – sauf s'ils sont déjà visés à l'alinéa k) – qui sont, d'une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d'une maladie, d'une affection, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d'autre part, achetés afin d'être utilisés par le particulier, par son époux ou conjoint de fait ou par une personne à charge visée à l'alinéa a), sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste, et enregistrés par un pharmacien [...]

(n) for drugs, medicaments or other preparations or substances (other than those described in paragraph 118.2(2)(k)) manufactured, sold or represented for use in the diagnosis, treatment or prevention of a disease, disorder, abnormal physical state, or the symptoms thereof or in restoring, correcting or modifying an organic function, purchased for use by the patient as prescribed by a medical practitioner or dentist and as recorded by a pharmacist ...

 

 [3]       Le cœur de la décision du juge de la Cour de l'impôt figure aux paragraphes 16, 17, 18 et 22 de ses motifs :

 

[16]      En l’espèce, les faits et la preuve établissant suffisamment que les produits en cause, soit les aliments organiques et l’eau en bouteilles, sont des « médicaments » entrant dans le cadre du paragraphe 118.2(2), car, sans ces produits, l’appelante ne pourrait être un membre apte et productif de la société. Pour citer le juge Teskey [Frank c. Canada, [2001] A.C.I. no 416 (QL)], je dirais qu sujet des éléments en cause que l’appelante « en a besoin pour vivre ».

 

[17]      Quoi qu’il en soit, il est impossible que les médicaments en cause en l’espèce, prescrits par un médecin et achetés ailleurs que dans une pharmacie, soient enregistrés par un pharmacien. Cette impossibilité m’amène à conclure que l’exigence concernant un pharmacien n’est pas nécessaire dans le cas de produits prescrits par des médecins et qui guérissent réellement le patient et le rendent apte à vivre une vie normale de nouveau.

 

[18]      Pour revenir à la question posée par le juge Teskey dans l’affaire Frank quant à savoir « si je peux faire abstraction des termes "enregistrés par un pharmacien" », je répondrais « oui » à cette question. Je nuance cette réponse en disant qu’il ne peut en être ainsi que dans des circonstances très spéciales. […]

 

[22]      À la question de savoir si je peux faire abstraction des termes « enregistré par un pharmacien », j’ai répondu par l’affirmative, mais j’ai nuancé cette réponse. Plus précisément, la réserve que j’ai émise fait écho à ce que disait le juge Miller dans l’affaire Pagnotta [Pagnotta c. Canada, [2001] A.C.I. no 582 (QL)] au paragraphe 30, à savoir :

 

Je tiens à établir clairement que je ne veux pas ainsi inviter ouvertement les contribuables dont le mode de vie inclut un régime vitaminique à invoquer l’alinéa 118.2(2)n) pour obtenir un crédit en alléguant que les dépenses y afférentes constituent des frais médicaux. Cela se limite au rare cas d’un contribuable qui a de graves problèmes médicaux et qui cherche à obtenir un soulagement par divers traitements recommandés par un certain nombre de médecins.

 

[4]        La demande de contrôle judiciaire de la Couronne est fondée sur ce que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en interprétant l’expression « enregistrés par un pharmacien » figurant à l’alinéa 118.2(2)n). La Couronne soutient que ces motifs limitent la portée de l’alinéa 118.2(2)n) aux substances délivrées par un pharmacien selon la procédure prescrite par la loi pour les médicaments d’ordonnance, laquelle exige que certains documents soient rédigés. Si la Couronne a raison, Mme Ray n’a pas droit à l’allégement fiscal demandé parce que toutes les substances en cause ont été achetés en vente libre.

 

[11]    Au paragraphe 5, la juge Sharlow a souligné que la question juridique avait été étudiée un bon nombre de fois par la Cour de l’impôt et que, dans tous les cas, sauf dans l’affaire Ray, l’expression « enregistrés par un pharmacien » était considérée comme une partie essentielle de l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi. Au paragraphe 6, la juge Sharlow poursuit comme suit :

 

[6]        La remarque incidente suivante, faite par le juge Rothstein au nom de la Cour dans l’arrêt Dunn c. Canada, [2002] A.C.F. no 1816 (QL), paragraphe 6, va également dans le même sens :

 

[6]        Bien qu’il ne soit pas nécessaire que nous tranchions la question, il semblerait que la raison pour laquelle les médicaments doivent être enregistrés par un pharmacien serait de restreindre le droit aux paiements que pour les médicaments qui ne sont disponibles que sur ordonnance seulement, contrairement aux produits grand public ou aux autres médicaments. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu en l’espèce que les médicaments fournis n’étaient pas disponibles dans les pharmacies ou autres sources de fourniture médicales ordinaires et, après avoir examiné le dossier, il n’est pas clair pour nous que les médicaments prescrits étaient des médicaments sur ordonnance.

 

[12]    En ce qui a trait à la définition de l’expression « enregistrés par un pharmacien », la juge Sharlow a fait une analyse, présentée aux paragraphes 11 à 16 de ses motifs : 

 

 

Sens des mots « enregistrés par un pharmacien »

 

[11]      À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu qu’on pouvait omettre de tenir compte des mots « enregistrés par un pharmacien » figurant à l’alinéa 118.2(2)n). Je comprends pourquoi le juge estimait que ces mots constituaient un obstacle injustifiable lorsqu’il s’agissait d’accorder un allégement fiscal à Mme Ray. Toutefois, il n’est pas loisible à la présente cour, ou à la Cour de l’impôt, de ne pas tenir compte des exigences législatives imposées par le Parlement, même s’il est difficile de les justifier en principe. Il appartient uniquement au Parlement de déterminer si les mots « enregistrés par un pharmacien » devraient être supprimés de l’alinéa 118.2(2)n).

 

[12]      À mon avis, il est raisonnable d’inférer que l’exigence relative à l’enregistrement figurant à l’alinéa 118.2(2)n) vise à assurer qu’un allégement fiscal ne soit pas accordé pour le coût de médicaments achetés en vente libre. Il existe partout au Canada des lois qui régissent la pratique dans le domaine pharmaceutique. Les lois ne sont pas les mêmes dans chaque province et dans chaque territoire, mais elles comportent des éléments communs. En général, elles interdisent au pharmacien de délivrer certains médicaments sans ordonnance médicale et elles décrivent les documents qu’un pharmacien doit rédiger pour les médicaments d’ordonnance, y compris les renseignements qui identifient la personne qui prescrit le médicament et le patient. Il n’est pas établi que les pharmaciens, où que ce soit au Canada, soient obligés de rédiger pareils documents pour les substances ici en cause.

 

[13]      Je ne puis retenir la prétention selon laquelle, dans le cas d’un médicament qui est prescrit par un médecin, mais qui a été acheté dans une pharmacie en vente libre, un reçu de caisse ou une facture de pharmacien constituerait un « enregistrement » suffisant pour satisfaire à l’exigence légale. Un document se présentant sous cette forme ne peut pas remplir la fonction apparente de l’exigence relative à l’enregistrement. Le pharmacien doit rédiger un document en sa qualité de pharmacien. Cela exclut nécessairement les substances, aussi utiles ou bénéfiques soient-elles, qui sont achetées en vente libre.

 

[14]      Je ne crois pas non plus qu’il soit pertinent, aux fins de l’interprétation de l’alinéa 118.2(2)n), qu’un médecin puisse délivrer des médicaments d’ordonnance, et même les vendre, sans enfreindre une loi applicable aux pharmaciens. Il semble qu’un patient qui achète des médicaments d’ordonnance auprès d’un médecin n’ait pas droit à un crédit d’impôt pour frais médicaux parce qu’il n’existerait aucun enregistrement effectué par un pharmacien : voir Dunn, précité. Certains peuvent estimer que cela constitue un résultat inéquitable ou inapproprié. C’est peut-être vrai, mais cela ne saurait justifier une interprétation de l’alinéa 118.2(2)n) qui ne tient pas compte des mots « enregistrés par un pharmacien ».

 

[15]      L’avocat de Mme Ray a cité les arrêts Gibson c. Canada, [2001] A.C.F. no 1758 (C.A.F.) (QL) et Hamilton c. Canada, [2002] A.C.F. no 422 (C.A.F.) (QL), dans lesquels la présente cour a adopté une « interprétation humaine et compatissante » à l’égard des frais médicaux et des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives aux crédits d’impôt pour handicapés. Ces deux arrêts se rapportaient à des dispositions législatives qui, expressément ou par déduction nécessaire, exigeaient une détermination factuelle du point jusqu’auquel une personne était atteinte d’une maladie ou d’une déficience physique particulière. En l’espèce, le juge de la Cour de l’impôt a interprété l’alinéa 118.2(2)n) comme si l’application des mots « enregistrés par un pharmacien » figurant à la fin de cette disposition peut varier en fonction de la gravité de l’état du patient, de façon que si l’affection de celui-ci est suffisamment grave, les mots peuvent tout simplement disparaître. Il a en fait ajouté une condition non prévue à l’alinéa 118.2(2)n). Or, les arrêts Gibson et Hamilton ne commandent pas une telle approche.

 

Conclusion

 

[16]      Je conclus que Mme Ray n’a pas droit à un crédit d’impôt pour les 6 555 $ qu’elle a payés en 1999 afin d’acheter des vitamines, des herbes, des aliments biologiques et naturels et de l’eau en bouteille. La demande de contrôle judiciaire de la Couronne devrait être accueillie, le jugement de la Cour de l’impôt devrait être annulé et l’affaire devrait être renvoyée à la Cour de l’impôt pour que celle-ci rende jugement conformément aux présents motifs. Même si la Couronne a gain de cause, Mme Ray a droit aux frais de la demande conformément à l’article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

 

[13]    Après avoir lu les motifs de la juge Sharlow, je peux conclure que la Cour avait l’intention de ne pas admettre – comme frais médicaux selon la disposition précise de la Loi en question – les substances qui peuvent être achetées en vente libre, et que le pharmacien doit tenir un registre « en sa qualité de pharmacien » conformément aux lois applicables régissant sa profession.

 

[14]    En ce qui concerne l’appel dont il est question ici, il est clair que la pharmacienne (Mme Gregory) n’avait pas délivré les substances dans le cadre de ses fonctions comme pharmacienne habilitée à délivrer des médicaments.  De plus, aucun des articles n’avait été fourni par une pharmacie autorisée. Ils avaient plutôt été achetés à la clinique de Mme Pincott, comme l’indiquaient les factures contenues dans les pièces A-4 et A-5. Rien dans les éléments de preuve ne vient démontrer que l’achat des substances prescrites par Mme Pincott nécessitait l’intervention d’un pharmacien agissant dans ses capacités professionnelles conformément aux lois de la Colombie-Britannique ou selon un code de déontologie établi par le College of Pharmacists of British Columbia, l’organe directeur de la profession de pharmacien.

 

[15]    Il est évident que l’appel ne peut pas être admis, étant donné que la décision de la Cour d’appel fédérale confirme que la disposition appropriée de la Loi considère la délivrance de médicaments et produits pharmaceutiques par un pharmacien dans le contexte du rôle défini et réglementé d’un pharmacien.

 

[16]    En général, il pourrait peut-être y avoir admissibilité selon l’alinéa de la Loi dont il est question ici, dans une situation où un médecin prescrit un médicament, un produit pharmaceutique ou une autre préparation ou substance qu’on peut se procurer sans ordonnance d’un médecin, mais qui doit tout de même être délivré par un pharmacien ou une autre personne qualifiée – comme un technicien en pharmacie, embauché sous la supervision générale d’un pharmacien pour effectuer des tâches de nature technique liées à la délivrance de médicaments – parce que l’article se trouve dans l’espace de travail du pharmacien, soit derrière le comptoir, et n’est pas accessible au public. Dans un tel cas, le produit est toujours soumis au contrôle d’un pharmacien qui peut être obligé (selon l’éthique professionnelle) de s’enquérir de l’utilisation prévue du produit et, dans certains cas, de formuler des avertissements ou de fournir des instructions précises concernant l’utilisation du produit ou les précautions qui doivent être prises. Parmi les produits qui correspondent à cette description, notons les médicaments antidouleur contenant de la codéine, divers types d’inhalateurs, comme ceux qui sont utilisés pour contrôler les symptômes de l’asthme, les sirops contre la toux contenant de la codéine, et autres substances semblables qui ne sont pas offertes aux clients « en vente libre », dans le sens qui est couramment compris par n’importe quelle personne ayant déjà mis les pieds dans une pharmacie. Cependant, si un médecin prescrit un des produits auxquels l’accès est relativement limité à un de ses patients, la délivrance de la substance prescrite nécessite l’intervention d’un pharmacien (qui agit en sa qualité de pharmacien) et comprend la création du registre normal indiquant que l’ordonnance a été délivrée. Dans de telles circonstances, il semble raisonnable de s’attendre à ce que ce type d’achat puisse être compris dans les frais médicaux dans le calcul du crédit d’impôt, à condition que le pharmacien ait produit l’étiquette d’ordonnance d’usage pour l’article, comme s’il s’agissait d’un médicament ou d’une substance vendue seulement sur l’ordonnance d’un médecin. Dans certaines provinces ou certains territoires, il se peut que certaines substances (comme la quinine) puissent être délivrées seulement sous l’ordonnance d’un médecin, alors qu’ailleurs elles sont offertes directement au consommateur à la seule condition qu’elles doivent être conservées derrière le comptoir et délivrées au client conformément aux règles en vigueur dans la province ou le territoire en question.

 

[17]    Conformément aux motifs énoncés ci-dessus, l’appel est rejeté.

 

 

 

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 5e jour de février 2004.

 

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’avril 2005.

 

 

 

Colette Dupuis-Beaulne, traductrice

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