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Dossier : 2003-4675(EI)

ENTRE :

ROBERT CHAGNON s/n MIRODI ENR.,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MICHEL PERREAULT,

intervenant.

 

Appel entendu le 22 novembre 2004 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Katherine Tsetsos

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

 

Pour l'intervenant :

L'intervenant lui-même

 

JUGEMENT

 

          L'appel est admis et la décision du Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick) ce 21e jour de janvier 2005.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence : 2005CCI46

Date : 20050121

Dossier : 2003-4675(EI)

 

ENTRE :

ROBERT CHAGNON s/n MORODI ENR.,

 

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé,

et

 

MICHEL PERREAULT,

 

intervenant.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 22 novembre 2004.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de monsieur Michel Perreault, le travailleur, lorsqu'au service de l'appelant pendant la période de 2 septembre 1999 au 6 août 2003, la période en litige. Par lettre datée du 9 décembre 2003, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») a informé l'appelant de sa décision selon laquelle le travailleur occupait un emploi assurable.

 

[3]     En rendant sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

 

a)         L'appelant exploite une entreprise faisant de la livraison à domicile de commandes d'épicerie; (admis en partie)

 

b)         l'appelant est le seul propriétaire de l'entreprise exploitée sous la raison sociale de Mirodi Enr.; (admis)

 

c)         l'appelant possède deux camions de livraison d'une valeur totale se situant entre 10 000 $ et 15 000 $; (admis en partie)

 

d)         le principal client de l'appelant est le Supermarché Pierre Chagnon Inc. exploité sous la bannière IGA; (admis)

 

e)         l'appelant exploite son entreprise du lundi au dimanche, aux heures de livraison du marché d'alimentation IGA; (nié)

 

f)          l'appelant embauche deux livreurs pour conduire ses camions; (nié)

 

g)         le travailleur a été embauché comme livreur pour le compte de l'appelant; (nié)

 

h)         le travailleur travaillait sur la route pour livrer des commandes d'épicerie et pour percevoir le coût des commandes livrées; (nié)

 

i)          le travailleur devait remettre à l'appelant la partie coupon détachable de la facture de livraison effectuée pour se faire payer; (nié)

 

j)          le travailleur travaillait généralement les mardis et mercredis (10 h 30 à 18 h), les jeudis et vendredis (10 h 30 à 20 h) et les samedis (10 h 30 à 16 h) soit plus de 40 heures par semaine; (nié)

 

k)         l'appelant fournissait un camion de livraison (Dodge Van) au travailleur et assumait tous les coûts inhérents à son fonctionnement; (admis)

 

l)          le travailleur n'avait aucune dépense à encourir dans l'exécution de ses fonctions pour l'appelant; (nié)

 

m)        l'appelant recevait une rémunération en fonction des livraisons effectuées, soit 1,10 $ par livraison; (admis)

 

n)         le travailleur était rémunéré à chaque semaine; (admis)

 

o)         le principal client de l'appelant appartenait à l'entreprise de livraison de l'appelant et non au travailleur. (admis)

 

[4]     La preuve a révélé que l'appelant est propriétaire de Mirodi Enr. Il exploite une entreprise, à partir de son bureau situé dans sa résidance à Longueuil, dont les activités consistent à faire la livraison de denrées alimentaires et d'autres produits à partir de certains supermarchés dont, principalement, celui de son père, le supermarché Pierre Chagnon Inc., exploité sous la bannière IGA. Le supermarché Pierre Chagnon Inc. est ouvert sept jours par semaine, 24 heures sur 24.

 

[5]     L'appelant trouve ses livreurs à partir d'annonces publiées insérées dans le journal. Ceux-ci sont payés à la pièce et reçoivent leur paie régulièrement à chaque semaine. Ils ne reçoivent aucun salaire régulier avec déductions à la source.

 

[6]     Au moment de l'embauche, l'appelant exige de ses livreurs une charte de ceux-ci qui confirment leur statut de travailleur autonome. En outre, il exige la production d'un permis de conduire valide.

 

[7]     Selon la preuve, les heures de travail sont fixées par les livreurs eux‑mêmes, entre eux. Ils n'ont pas à poinçonner. Ils n'ont pas de cédule de travail. Les heures de travail sont établies selon les heures d'ouverture du client principal de l'appelant, c'est-à-dire, le supermarché Pierre Chagnon Inc.

 

[8]     L'appelant a trois livreurs chargés de faire ses livraisons. Il a été établi que l'appelant n'exige pas l'exclusivité des services de ses livreurs. La preuve a démontré que l'appelant ne dit pas à ses livreurs comment faire leur travail. Ils effectuent leurs livraisons selon les priorités qu'ils ont eux-mêmes établies.

 

[9]     Les livreurs sont rémunérés tous les jeudis au bureau de l'appelant lorsqu'il reçoit les coupons qui confirment les livraisons. Ces coupons sont comptabilisés et les livreurs sont payés à 1,10 $ par livraison.

 

[10]    Il a été démontré que les livreurs n'ont aucune garantie de rémunération et ne reçoivent par de salaire minimum de l'appelant. Il arrive que certains livreurs perçoivent des argents eux-mêmes sur livraison à domicile, mais c'est très occasionnel. La rémunération de chaque livreur est fixée d'après le nombre de livraisons effectuées. S'il arrive que l'appelant paie un livreur autre que celui qui a fait la livraison, la question est réglée entre les livreurs concernés.

 

[11]    Il a été établi que l'appelant ne s'occupe pas de remplacer ses livreurs si ceux-i ne peuvent pas travailler. Chaque livreur a la permission de se faire remplacer à condition que le remplaçant soit titulaire d'une charte démontrant son statut de travailleur autonome et qu'il détienne un permis de conduire valide. Parfois, les livreurs reçoivent des pourboires et ils peuvent les garder. L'appelant a affirmé à l'audition qu'il ne s'occupe aucunement de la gestion de ces pourboires; ceux-ci sont la propriété des livreurs.

 

[12]    L'appelant fournit deux camions. Tout le reste des outils de travail est fourni par les livreurs eux-mêmes dont, entre autres, une calculatrice, un uniforme, une sacoche, un carnet. Il a été reconnu, à l'audition, qu'à la rigueur le livreur pourrait utiliser son propre camion.

 

[13]    En ce qui concerne la responsabilité suivant un accident d'automobile causant blessures ou dommages, elle est couverte par les assurances de l'appelant mais celui-ci a indiqué à l'audition qu'il serait possible d'intenter un recours contre un des livreurs. Cependant, a-t-il affirmé, ceci ne s'est jamais produit.

 

[14]    La preuve a révélé que le travailleur était détenteur de sa charte démontrant son statut de travailleur autonome depuis 2002. La preuve a démontré que s'il surgissait des plaintes suite aux livraisons, celles-ci étaient réglées par le client principal de l'appelant, c'est-à-dire le supermarché IGA. L'appelant a indiqué lors de son témoignage à l'audition qu'il était aussi gérant de magasin dans le supermarché de son père.

 

[15]    La preuve a démontré que les livreurs fixaient eux-mêmes leur horaire selon les heures d'ouverture du magasin. Ils s'arrangeaient entre eux quant à leur horaire et s'ils ne pouvaient pas s'entendre, l'appelant ne tranchait pas la question mais il trouvait un autre livreur. L'appelant n'exige pas que ses livreurs portent l'uniforme.

 

[16]    Quant au travailleur, il a été établi qu'il arrivait au travail vers 8 h 30, selon sa disponibilité, et selon les heures d'ouverture du supermarché qui exigeait que les livraisons commencent vers 10 h 30. Le livreur se présentait donc au supermarché auparavant pour charger son camion.

 

[17]    L'appelant a affirmé que les livreurs pouvaient refuser certaines livraisons s'ils le désiraient. Quant au travailleur, il utilisait un téléphone cellulaire qui était le sien mais l'appelant n'exigeait pas que ses livreurs en soient équipés.

 

[18]    Il a été établi que le livreur pouvait faire des livraisons ailleurs, s'il le désirait, même avec le camion de l'appelant.

 

[19]    Le travailleur Michel Perreault a témoigné à l'audition. Il travaille pour l'appelant depuis au-delà de quatre ans. Il a confirmé qu'il pouvait lui-même fixer son horaire et ses priorités quant à la livraison des épiceries. Il a spécifié que lorsqu'il partageait les tâches de livraison avec un autre livreur, ce partage se faisait entre eux, sans l'intervention de l'appelant.

 

[20]    Le travailleur a déclaré à l'audition qu'il se considérait comme un travailleur autonome et c'est d'ailleurs de cette façon qu'il s'est identifié dans sa déclaration de revenu.

 

[21]    Voici comment la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi ») a défini l'emploi assurable au paragraphe 5(1).

 

5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[22]    Il convient de reproduire ici un extrait de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553 qui statuait ce qui suit :

 

            La jurisprudence a établi une série de critères pour déterminer si un contrat constitue un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Bien qu'il en existe d'autres, les quatre critères suivants sont les plus couramment utilisés :

 

a)          le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

 

            b)         la propriété des instruments de travail;

 

            c)         les chances de bénéfice et les risques de perte;

 

d)          l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

 

[23]    La preuve a démontré que le contrôle par l'appelant était absent. Là‑dessus, le travailleur a corroboré les propos de l'appelant qui a déterminé que les heures de travail étaient fixées par les livreurs eux-mêmes qui ajustaient leur rentrée au travail selon les heures d'ouverture du supermarché. Il a été établi également que les livreurs fixaient leurs propres échéances et priorités entre eux. En outre, la preuve a démontré que le livreur pouvait se faire remplacer au besoin sans en aviser l'appelant. Lorsque ceci se produisait, l'appelant payait le travailleur et ce dernier payait son remplaçant.

 

[24]    La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wolf c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] 4 C.F. 396 se posait la question à savoir si le contribuable était un employé ou un entrepreneur indépendant. La Cour a statué que la distinction clé entre un contrat de travail et un contrat d'entreprise ou de service consiste dans l'élément de subordination ou de contrôle. La Cour ajoutait que la prime d'exécution de contrat, l'absence d'assurance-maladie et de régime de retraite et les facteurs de risque militent en faveur du statut d'entrepreneur indépendant et que l'intention des parties est un facteur important. Dans la cause sous étude, il a été établi par la prépondérance de la preuve que l'intention des parties était claire. Le statut du travailleur était considéré comme autonome par le travailleur de même que son employeur, c'est-à-dire l'appelant. D'ailleurs, l'appelant exigeait qu'on lui livre dès l'embauche un certificat d'enregistrement comme travailleur autonome.

 

[25]    La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Le Livreur Plus Inc. [2004] C.A.F. 68 s'est penchée sur un problème semblable et a statué ce qui suit :

 

            La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D & H Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2003, CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, 97‑1416(UI), 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution ; voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bib et Zoé Inc., 2004 C.A.F. 54.

 

          Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l'intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d'un véritable contrat, il s'agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie révélateur d'un contrat d'entreprise : ibidem.

 

[26]    Quant au critère de l'intégration, en se posant la question, à savoir, à qui appartient l'entreprise, du point de vue du travailleur, les faits semblent indiquer que ce facteur est neutre. Il est vrai que le travailleur assure la livraison, selon les tâches prévues par l'entreprise de l'appelant, mais il jouit d'une grande flexibilité dans l'exécution du travail et il agit comme petit entrepreneur en fixant son propre horaire, ses échéances, ses priorités de livraison et la qualité de sa livraison qui lui vaut des pourboires. Je conclus que l'analyse de la preuve sous ce critère produit un résultat neutre.

 

[27]    L'analyse de la preuve à la lumière des critères énoncés ci-haut m'amène à la conclusion que les conditions de travail du travailleur ressemblaient davantage à celles du travailleur oeuvrant dans son entreprise. L'entente entre les parties, au départ et confirmée par l'appelant et le travailleur supporte cette conclusion de façon convaincante.

 

[28]    Cette Cour détermine donc que le travailleur n'occupait pas un emploi assurable au sens de la Loi.

 

 

 

 

 

[29]    En conséquence, l'appel est accueilli et la décision du Ministre est annulée.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de janvier 2005.

 

 

 

 

 

« S. J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

RÉFÉRENCE :

2005CCI46

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4675(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Robert Chagnon s/n Mirodi Enr. et M.R.N. et Michel Perreault

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 22 novembre 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant S.J. Savoie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 janvier 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Katherine Tsetsos

 

Pour l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

Pour l'intervenant :

L'intervenant lui-même

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Katherine Tsetsos

 

 

Étude :

Lacroix, Gascon, avocats

Laval (Québec)

 

Pour l'intimé :

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

Pour l'intervenant :

 

 

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