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Référence : 2007CCI409

Date : 20070716

Dossier : 2007-520(IT)I

ENTRE :

TREVOR DAVIES,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l’audience le 26 juin 2007, à Ottawa, Canada.)

La juge V.A. Miller

 

[1]     Trevor A. Davies interjette appel d’un avis de ratification concernant l’année d’imposition 2004, dans lequel le ministre du Revenu national a ratifié la nouvelle cotisation par laquelle un montant de 16 071 $ était inclus dans son revenu. Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation compte tenu du fait que le paiement de 16 071 $ que M. Davies avait reçu de son ancien employeur, Alcatel Canada Inc., était un revenu en intérêts conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]     Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits, qui a été déposé sous la cote A‑2, lequel comprenait quatre tableaux. Les passages pertinents de l’exposé conjoint des faits sont ci‑après reproduits :

 

[traduction]

 

1.         L’appelant travaillait pour Alcatel Canada Inc. (« Alcatel ») jusqu’à ce qu’il soit mis fin à son emploi, le 24 avril 2001.

 

2.         Le 18 juillet 2002, l’appelant a intenté contre Alcatel une action fondée sur le congédiement injustifié (l’« action ») devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Une copie conforme de la déclaration qui a été déposée à l’appui de l’action est jointe à l’annexe A.

 

3.         Au premier paragraphe de la déclaration, l’appelant demandait des dommages‑intérêts à Alcatel à l’égard, entre autres choses, des intérêts avant jugement.

 

4.         Le 1er avril 2004, l’action a fait l’objet d’une transaction.

 

5.         Le 2 avril 2004, Alcatel a versé à l’appelant une somme d’argent conformément aux dispositions de la transaction conclue au mois d’avril 2004, et notamment un montant de 16 071 $ au titre des intérêts avant jugement, calculés à compter de la date à laquelle l’emploi de l’appelant avait pris fin, au taux de 5,8 p. 100 (soit le taux fixé par la cour, applicable aux actions intentées au cours du deuxième trimestre de l’année 2001). Une copie conforme d’une lettre que Dan Palayew, du cabinet Ogilvy Renault, a envoyée à l’appelant le 2 avril 2004, à laquelle était joint le paiement prévu par la transaction, est jointe à l’annexe B.

 

6.         Alcatel a délivré un état des revenus de placements (feuillet T5) à l’appelant, indiquant qu’elle avait versé à celui‑ci un montant de 16 071,50 $ au titre des intérêts de sources canadiennes au cours de l’année d’imposition 2004. Une copie conforme du feuillet T5 est jointe à l’annexe C.

 

7.         Avant le 1er janvier 2004, la position administrative prise par le ministre du Revenu national au sujet des intérêts avant jugement se rattachant à des dommages‑intérêts ou à des montants fixés par suite d’une transaction découlant d’actions fondées sur un congédiement injustifié était que ces montants n’étaient pas imposables.

 

8.         Au mois de mai 2004, cette position administrative a changé : en ce qui concerne les ordonnances judiciaires ou les transactions datant du 1er janvier 2004 ou postérieures à cette date, les montants reçus au titre d’intérêts avant jugement étaient considérés comme imposables. Une copie du document intitulé « Impôt sur le revenu – Nouvelles techniques no 30 », en date du 21 mai 2004, dans lequel, aux pages 12 à 14, ce changement était annoncé, est jointe à l’annexe D.

 

9.         Ce changement ne résultait pas d’une modification de la Loi de l’impôt sur le revenu ou du Règlement de l’impôt sur le revenu.

 

ARGUMENTS DE L’APPELANT

 

[3]     M. Davies a invoqué trois motifs à l’appui de son appel. Son premier argument se rapporte au changement de politique de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en ce qui concerne l’imposition des intérêts avant jugement se rattachant à des dommages‑intérêts accordés par suite d’un congédiement injustifié. Il est fait mention de ce changement aux paragraphes 7 et 8 de l’exposé conjoint des faits. M. Davies a déclaré que s’il avait su que la politique de l’ARC avait changé, il en aurait tenu compte dans la transaction qu’il avait négociée avec Alcatel Canada Inc. M. Davies a soutenu que ce changement de politique, qui s’applique rétroactivement, est inéquitable et discriminatoire. Il a renvoyé aux pages Web de l’ARC intitulées : « Équité et Charte des droits du contribuable ».

 

[4]     La Cour ne considère pas le premier argument invoqué par M. Davies comme constituant une contestation fondée sur la Charte.

 

[5]     Le deuxième argument de M. Davies était fondé sur le bulletin d’interprétation 396R daté du 29 mai 1984 et, en particulier, sur un passage de l’article 12 de ce bulletin, dans lequel il est déclaré ce qui suit :

 

Cette position vient du fait qu’il y a obligation de verser des dommages-intérêts à compter de la date de l’accident et qu’un montant est donc dû à la partie lésée ou lui appartient à compter de cette date. Il importe peu que le montant dû n’ait pu être déterminé qu’à une date ultérieure, car une fois le droit de recevoir des dommages-intérêts établi, ce droit existe à compter du moment où l’accident donnant lieu à ces dommages-intérêts s’est produit.

 

M. Davies s’est fondé sur cet énoncé à l’appui de la thèse selon laquelle les intérêts se rattachant à des dommages‑intérêts accordés par suite d’un congédiement injustifié se seraient accumulés à compter de la date à laquelle il avait été mis fin à son emploi. La fraction des intérêts qui s’était accumulée en 2001, en 2002 et en 2003 n’aurait pas été imposable selon la politique d’exonération que l’ARC appliquait avant le mois de janvier 2004.

 

[6]     M. Davies a étayé cet argument en renvoyant à un document figurant dans le site Web de l’ARC intitulé : « Bulletins d’interprétation courants en matière d’impôt sur le revenu » et, en particulier, au paragraphe suivant :

 

Les bulletins d’interprétation n’ont pas force de loi.

 

[…]

 

Sous réserve de ce qui précède, une interprétation ou une position présentée dans un bulletin s’applique en principe à compter de la date de publication du bulletin, sauf indication contraire. Dans l’éventualité où l’interprétation ou la position serait ultérieurement révisée et où cette révision serait bénéfique aux contribuables, il en est habituellement tenu compte dans les futurs avis de cotisation ou de nouvelle cotisation. Si, toutefois, la nouvelle interprétation ou position n’est pas à l’avantage des contribuables, elle ne s’appliquera généralement qu’à l’année d’imposition courante et à celles qui suivront ou encore elle s’appliquera aux opérations conclues après la date de l’annonce de la modification.

 

La conclusion tirée du deuxième argument invoqué par M. Davies est que, par suite de ce qui précède, le changement de politique de l’ARC devrait s’appliquer uniquement à la fraction des intérêts qui s’était accumulée, selon ses estimations, en 2004.

 

[7]     Le dernier argument de M. Davies était que, subsidiairement, les paragraphes 12(4) et 12(9) s’appliquaient. Par conséquent, les intérêts s’accumulaient chaque année à compter de la date à laquelle son emploi avait pris fin et les intérêts auraient dû être inclus comme suit dans son revenu pour chacune des années 2001, 2002, 2003 et 2004 :

 

2001

3 694,96 $

2002

5 351,83 $

2003

5 351,83 $

2004

1 671,53 $

 

[8]     Je ne puis souscrire aux arguments de M. Davies. Il est malheureux que l’avocat de M. Davies n’ait pas été au courant du changement de politique de l’ARC. Selon la pièce A‑2, onglet D, il a été question de ce changement de politique lors de la Conférence de l’Association canadienne d’études fiscales, tenue à Montréal, du 21 au 23 septembre 2003.

 

ANALYSE ET CONCLUSION

 

[9]     La Cour interprète le premier argument de M. Davies comme soulevant la question de la préclusion. En effet, M. Davies affirme s’être fondé sur la politique publiée de l’ARC, selon laquelle tous les intérêts avant jugement payables à l’égard de dommages‑intérêts accordés par suite d’un congédiement injustifié seraient exonérés d’impôt. En fait, dans son avis d’appel, M. Davies soulevait la question suivante : [traduction] « Afin d’assurer l’équité et d’éliminer la discrimination, les intérêts avant jugement, dans une affaire de congédiement injustifié qui a été tranchée ou qui a fait l’objet d’une transaction au cours de la période allant du 1er janvier au 21 mai 2004, devraient‑ils être exemptés de ce changement rétroactif de la politique de l’ARC, qui existait depuis longtemps à l’égard de la non‑imposabilité des intérêts avant jugement accordés dans les affaires de congédiement injustifié? »

 

[10]    La jurisprudence établit clairement qu’une cotisation doit être établie conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’il n’est pas loisible au contribuable d’invoquer la préclusion pour empêcher l’application de la loi. (Voir, par exemple, la décision Woon v. M.N.R., [1950] C.T.C. 263, au paragraphe 17, dans laquelle le juge Cameron a dit ce qui suit :

 

[traduction]

17     En l’espèce, toutefois, il n’est pas nécessaire de tenir compte de l’incidence des affaires qui viennent d’être citées. Il suffit de constater que la cotisation en litige a été établie conformément à une loi et que, par conséquent, l’appelant ne peut invoquer la préclusion pour empêcher qu’elle ne s’applique.

 

De plus, je signale la décision M.N.R. v. Stickel, [1972] C.T.C. 210, au paragraphe 70, dans laquelle le juge Cattanach a dit ce qui suit :

 

70     En bref, les fins de non‑recevoir [la préclusion] sont soumises à une règle générale : elles ne peuvent aller à l’encontre des lois d’application générale.

 

[11]    L’alinéa 12(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu est rédigé comme suit :

 

12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

 

[...]

 

            c) sous réserve des paragraphes (3) et (4.1), les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l’année (selon la méthode qu’il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d’intérêts, dans la mesure où ces intérêts n’ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[12]    Dans l’affaire Tourigny v. The Queen, 2006 CarswellNat 4546, la juge Lamarre‑Proulx était saisie d’un cas fort semblable à celui qui  nous occupe. Aux paragraphes 26 à 29 de ses motifs du jugement, la juge a conclu ce qui suit :

 

[26]      Le jugement n’a accordé aucun montant à titre de dommages autre que celui accordé pour le délai-congé. Ainsi, le juge n’a accordé aucun montant pour les dommages moraux tel qu’il l’exprime au paragraphe 192 de ses motifs. Au paragraphe 212, il ajoute qu’il en va de même pour les autres demandes, notamment atteinte à la réputation, car selon le juge, il y avait absence de mauvaise foi de la part de l’employeur et absence de lien de droit. Il n’y a nulle part dans ce jugement d’autres dommages accordés que des dommages contractuels relativement à la perte d’un emploi.

 

[27]      La définition d’allocation de retraite inclut spécifiquement les sommes reçues à titre de dommages à l’égard de la perte d’un emploi. La somme de 105 000 $ doit donc être incluse dans le calcul du revenu de l’appelant pour l’année où il l’a reçue en vertu du sous-alinéa 56(1)a)ii) de la Loi.

 

[28]      En ce qui concerne les intérêts versés, ils ont bien la nature d’intérêts et doivent être inclus dans le calcul du revenu de l’appelant au cours de l’année où il les a reçus en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi.

 

[29]      Les dommages ont été calculés en fonction d’un droit patrimonial acquis par l’employé au moment où la cause d’action a pris naissance. Il s’agit d’une indemnisation sous forme de délai-congé que l’employeur était tenu de donner. En vertu du jugement, les intérêts ont couru depuis la date de l’assignation sur le montant de ce droit.

 

[13]    Je souscris au jugement rendu par la juge Lamarre-Proulx. Le montant en question en l’espèce a été qualifié par les deux parties de revenu en intérêts et il a été décrit, dans la preuve documentaire, comme un revenu en intérêts. Voir les pièces A‑3 et A‑2, onglet C.

 

[14]    Je conclus donc que le montant de 16 071,50 $ est un revenu en intérêts qui doit être inclus dans le revenu de l’année au cours de laquelle il a été reçu, soit en 2004, conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[15]    Toutefois, j’examinerai les autres arguments que M. Davies a soulevés. La réponse au deuxième argument est également fondée sur l’application du principe de la préclusion. Je tiens à réitérer que le ministre ne peut pas être empêché par préclusion d’appliquer la loi, et ce, malgré certaines décisions ou politiques antérieures.

 

[16]    Dans son troisième argument, M. Davies a soutenu que le montant reçu au titre des intérêts devrait être réparti entre les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004, pour le motif que les paragraphes 12(4) et 12(9) s’appliquent.

 

[17]    Le paragraphe 12(4) exige l’inclusion des intérêts selon la comptabilité d’exercice lorsqu’il s’agit d’intérêts se rattachant à un contrat de placement.

 

[18]    M. Davies n’avait pas conclu de contrat de placement. Il avait intenté contre son ancien employeur une action fondée sur le congédiement injustifié. La lecture des définitions figurant au paragraphe 12(11) confirme que le droit que possédait M. Davies ne découlait pas d’un contrat de placement.

 

[19]    Le paragraphe 12(11) définit l’expression « jour anniversaire » qui est employée au paragraphe 12(4). Cette disposition est rédigée comme suit :

 

« jour anniversaire » Dans le cas d’un contrat de placement, les jours suivants :

 

a)         le jour qui est un an après la veille de la date d’établissement du contrat;

b)         le jour qui revient à intervalles successifs d’un an après le jour déterminé à l’alinéa a);

c)         le jour où il est disposé du contrat.

 

En l’espèce, aucun contrat n’a été établi.

 

[20]    Pour les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2007.

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2008

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI409

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-520(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Trevor Davies

                                                          c.

                                                          La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 26 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :      L’honorable juge V.A. Miller

 

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :      Le 16 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

MRyan Hall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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