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Dossier : 2006-2335(IT)I

ENTRE :

SUZANNE DUBOIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 mars 2007, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Pour l'appelante :

l'appelante elle-même

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Sonia Bellerive

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2001 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d’août 2007.

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 


 

 

 

 

Référence : 2007CCI461

Date : 20070808

Dossier : 2006-2335(IT)I

ENTRE :

SUZANNE DUBOIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté selon la procédure informelle concernant l’année d’imposition 2001. La question en litige est de savoir si l’appelante a droit à une déduction à titre de dépenses courantes au montant de 23 285, 78 $ dans le calcul de son revenu tiré de l’exploitation d’un bien.

 

[2]  Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « ministre ») s’est fondé pour établir la nouvelle cotisation sont décrits au paragraphe 7 de la Réponse à l’avis d’appel comme suit :

 

  • a) Au cours de l’année d’imposition 2001, l’appelante aurait encouru des dépenses de 22 591 $ à titre de frais juridiques;

 

  • b) Ces frais auraient été encourus dans le but d’acquérir un immeuble à revenu, sis au 183, rue de l’Église (ci-après, l’ « immeuble »);

 

  • c) L’acquisition de l’immeuble n’a finalement jamais eu lieu;

 

 

 

  • d) L’exploitation de cet immeuble n’a donc jamais débuté.

 

(L’intimée a admis à l’audition que le montant au paragraphe (a) aurait du être de 23 285,78 $)

 

[3]  La preuve présentée à l’audition révèle qu’en 2001, l’appelante possédait déjà 2 immeubles locatifs dont elle tirait des revenus. Au cours de cette même année, l’appelante a signé une offre d’achat afin d’acquérir la propriété située au 183 rue de l’Église (ci-après « l’immeuble »). Une copie de l’offre n’a pas été déposée en preuve mais selon l’appelante, cette offre était conditionnelle au financement. L’appelante voulait obtenir une hypothèque sur l’immeuble pour obtenir les fonds nécessaires, mais sa Caisse populaire exigeait plutôt qu’elle hypothèque sa maison personnelle qu’elle détenait en co-propriété avec son époux. L’appelante a refusé cette condition parce qu’elle ne voulait pas impliquer son époux et parce qu’elle croyait apparemment que les intérêts ne seraient pas, en ce cas, déductibles.

 

[4]  L’appelante considérait que l’offre d’achat était devenue nulle mais les promettant vendeurs de la propriété ont intenté une poursuite civile contre elle. À la recommandation de son avocat, l’appelante a consenti à un règlement hors cour par lequel elle a été obligée de payer aux promettant vendeurs la somme de 6 500 $.

 

[5]  Elle a de plus encouru des frais judiciaires de 8 285,78 $. Par contre, l’appelante a reçu la somme de 1 500 $ de la Caisse populaire à titre de dédommagement. En tout, l’appelante a déboursé un montant net de 23 285,78 $ pour obtenir une quittance finale et complète dans cette affaire.

 

[6]  La première question en litige est de savoir si l’appelante avait une source de revenu à laquelle les dépenses en l’espèce peuvent être reliées.

 

[7]  L’intimée prétend que parce que l’appelante n’a finalement pas acheté l’immeuble, il n’existait pas de source de revenu qui pourrait permettre la déduction des dépenses en litige. Elle soutient de plus que l’appelante ne pourrait pas déduire les montants en litige des revenus tirés des deux propriétés locatives qu’elle possédait parce que ces autres propriétés sont des sources de revenus distinctes. L’intimée soumet que le calcul du revenu tiré d’un bien se fait séparément pour chaque bien, et que l’on ne peut pas agréger les revenus et les dépenses de plusieurs biens différents. À cet effet, l’intimée cite la décision majoritaire de la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. R. [1997] 2 R.C.S. 336 au paragraphe 49 :

 

Dans le cas où le revenu est tiré de deux sources de revenu d’entreprise ou plus, il faut identifier la source pertinente et selon le cas, calculer séparément le revenu en provenance de chaque source. 

 

 

[8]  Subsidiairement, l’intimée prétend que même s’il existait une source de revenu en l’espèce, les dépenses seraient de nature capitale et donc non-déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[9]  L’appelante soutient d’abord qu’il n’est pas nécessaire de présupposer l’existence d’une source de revenu pour déduire une dépense. L’appelante prétend aussi qu’il n’est pas nécessaire qu’elle ait pris possession du bien et que le bien ait généré un revenu pour qu’il existe une source de revenu. L’activité et les démarches qu’elle a entreprises l’ont été dans le but d’obtenir du financement pour l’achat du bien et pour gagner du revenu, et il n’y avait pas d’élément personnel à ces démarches.

 

[10]  L’appelante soumet finalement que les dépenses en litige sont des dépenses courantes parce que l’on ne peut pas les rattacher à un actif immobilisé. Puisque l’achat de l’immeuble n’a jamais eu lieu, aucun actif immobilisé n’a été acquis, et aucun avantage durable n’a été créé.

 

Analyse

 

[11]  Il est clair que pour déduire une dépense, un contribuable doit avoir une source de revenu et cette dépense doit être encourue dans le but de gagner un revenu provenant de cette source. Ces principes découlent des articles 3, 4 et 9 et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

 

  1. Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

 

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien; …

 

4.(1) Les règles suivants s’appliquent à la présente loi :

 

  • a) le revenu ou la perte d’un contribuable pour une année d’imposition provenant d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise, de biens ou d’une autre source, ou de sources situées dans un endroit déterminé, s’entend du revenu ou de la perte, selon le cas, du contribuable, calculés conformément à la présente loi, à supposer que ce contribuable n’ait eu, durant l’année d’imposition, aucun revenu ni perte, sauf ce qui provenait de cette source, ni aucun revenu ou perte, sauf ce qui provenait ce ces sources, selon le cas, et qu’il n’ait eu droit à aucune déduction dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition à l’exception des déductions qu’il est raisonnable de considérer comme entièrement applicables à cette source ou à ces sources, selon le cas, et à l’exception de la partie de toutes autres déductions, qu’il est raisonnable de considérer comme applicable à cette source ou à ces sources; …

 

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

(2) Sous réserve de l’article 31, la perte subie par un contribuable au cours d’une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l’année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l’application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien. 

 

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a)  Restriction générale − les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien; …

 

 

[12]  Je suis d’accord avec la procureure de l’intimée lorsqu’il affirme que le calcul du revenu d’un contribuable doit s’effectuer séparément pour chaque source : soit chaque emploi, entreprise ou bien. L’auteur Edwin C. Harris, dans l’ouvrage intitulé Canadian Income Taxation 4e ed. 1979 (cité par le juge Iacobucci dans son jugement dissident dans Hickman Motors Ltd., supra au paragraphe 135) explique ce principe comme suit :

 

« [Traduction] … la Loi prévoit que le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est son revenu provenant de toutes sources, y compris, notamment, le revenu tiré de chaque charge ou emploi, chaque entreprise et chaque bien. Son revenu provenant de chaque type de source doit être calculé séparément ».   (Je souligne)

 

[13]  Toutefois, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appelante avait une source de revenu concernant sa tentative d’acheter l’immeuble.

 

[14]  L’exploitation d’un bien commence normalement par l’acquisition dudit bien, tout comme l’exploitation d’une entreprise commence par la mise en place des structures pour amorcer l’entreprise. Quant à une entreprise, l’Agence du Revenu du Canada, dans le bulletin d’interprétation IT-364 (au paragraphe 2) reconnaît que généralement « une entreprise débute lorsque s’engage dans une opération importante qui constitue une activité régulière du processus de gain de ce genre d’entreprise où un prélude essentiel à exploitation normale. »  (Je souligne).

 

[15]  Il en est de même pour le début de l’exploitation d’un bien : lorsqu’une activité préliminaire et essentielle à l’exploitation d’un bien précis est entreprise, il y a un début de l’exploitation de ce bien.

 

[16]  En l’espèce, l’appelante s’est engagée à acheter l’immeuble dans un contrat exécutoire, ce qui constitue une étape préliminaire essentielle à l’exploitation du bien. Les dépenses en question relevaient donc d’une source de revenu de l’appelante.

 

[17]  Il s’agit ensuite de déterminer si ces dépenses étaient des dépenses de nature capitale dont la déduction est défendue par l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

 

[18]  Comme l’a reconnu la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Johns- Manville Canada Inc. c. R., [1985] A.C.S. no 44, il n’y a pas un seul critère déterminant pour caractériser une dépense comme dépense d’exploitation ou comme dépense de capital. Toutefois, certains critères auxquels la Cour a fait référence sont pertinents en l’espèce. La Cour a cité l’arrêt British Insulated and Helsby Cables Ltd c. Atherton [1926] A.C. 205 à la page 213 où le vicomte Cave a dit:

 

[TRADUCTION] … lorsqu’une dépense est faite non seulement une fois pour toutes, mais dans le but de créer un bien ou un avantage qui profite à une entreprise de façon durable, je crois que c’est un motif très valable (en l’absence de circonstances spéciales menant à une conclusion dans le sens opposé) pour considérer une telle dépense comme véritablement imputable non pas au revenu, mais au capital.

 

La Cour a aussi cité Pinson on Revenue Law 15e éd. (1982) à la page 50 :

 

[TRADUCTION] Les tribunaux semblent maintenant avoir accepté un « critère des biens identifiables » qui fait de l’acquisition ou de l’enrichissement d’un actif immobilisé l’élément déterminant de la dépense de capital. Le critère est le suivant : Le paiement a-t-il un lien avec un actif immobilisé ?

 

[19]  Dans certaines circonstances il peut avoir une dépense de capital même si un bien n’est pas acquis. L’auteur Krishna, dans the Fundamentals of Canadian Income Tax, 9e éd. 2006, à la page 333 dit:

 

[TRADUCTION NON-OFFICIELLE] Le paiement effectué pour éliminer un désavantage durable ou une obligation lourde peut produire des avantages durables et constituer donc une dépense en capital.

 

et …

 

Le paiement en acquittement d’une obligation en capital est une dépense en capital.

 

[20]  Par exemple, dans l’arrêt Countess Warwick S.S. Co. c. Ogg [1925] 2 K.B. 292, une dépense engagée pour annuler un contrat d’achat d’un actif immobilisé a été classé comme une dépense de capital. Au même effet, dans la décision de cette Cour dans REF Automation Ltd. c. The Minister of National Revenue, [1987] D.T.C. 292, un paiement fait par le contribuable pour annuler son obligation d’acquérir 50% des actions d’une société a été caractérisé comme une dépense de capital.

 

[21]  Si l’appelante avait ici complété l’achat de l’immeuble, le prix de l’immeuble aurait certainement été une dépense de capital. Le montant qu’elle a déboursé pour se soustraire de son obligation d’acheter l’immeuble est alors étroitement lié à ce qui aurait été un actif immobilisé, et son caractère serait le même. Alors, j’en conclus que les dépenses encourues par l’appelante pour annuler le contrat d’achat de l’immeuble étaient des dépenses de nature capitale et non pas des dépenses d’exploitation d’un bien, et par ce fait, elles ne sont pas déductibles dans le calcul de son revenu tiré d’un bien en 2001.

 

[22]  L’appelante n’a pas réclamé de perte en capital en 2001 relativement à ces dépenses et je n’ai pas à me prononcer sur cette question. Par contre, à l’audition, il a été suggéré  par la procureure de l’intimée que l’appelante n’aurait pas droit à une perte en capital puisqu’à son avis, l’appelante n’a pas disposé d’un bien en 2001. Cette question ne deviendrait pertinente qu’au moment où l’appelante aurait eu un gain en capital contre lequel elle pourrait appliquer ses pertes en capital des années antérieures, cependant, à mon avis, il est possible que les dépenses aient été encourues dans le cadre d’une disposition du droit de l’appelante d’acheter l’immeuble et que la disposition de ce droit entraîne une disposition d’un bien au sens de l’article 38 et de la définition de « propriété » prévue au paragraphe 248(1) de la Loi.

 

[23]  Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d’août 2007.

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 


RÉFÉRENCE :  2007CCI461

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :  2006-2335(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  SUZANNE DUBOIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  le 15 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :  L'honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :  le 8 août 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

l'appelante elle-même

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Sonia Bellerive

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

  Pour l'appelante:

 

  Nom : 

 

  Cabinet :

 

  Pour l’intimée :  John H. Sims, c.r.

  Sous-procureur général du Canada

  Ottawa, Canada

 

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