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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 98-712(IT)G

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Requête entendue le 26 août 2004, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Pierre Barsalou et Me Eleni Kouros

 

Avocates de l'intimée :

Me Myra Yuzak, Me Karen Janke

et Me Naomi Goldstein

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          Vu la requête faite par l'appelante afin d'obtenir une ordonnance que l'accès au dossier lié à la requête de l'intimée datée du 20 juillet 2004, y compris la présente requête, les déclarations sous serment, les déclarations sous serment éventuelles, les pièces justificatives et les transcriptions des interrogatoires déposées à l'appui ou à l'encontre de la requête de l'intimée datée du 20 juillet 2004 ou de la présente requête, soit limité aux employés de la Cour canadienne de l'impôt, à l'exception du juge qui présidera à l'audience, ainsi qu'aux parties et aux avocats des parties et leurs employés;

 

          Et vu les déclarations sous serment d'Ian Winterborn et de Marla McKitrick, déposées;

 

          Et vu les allégations des avocats des parties;

 

          La Cour ordonne que les parties de la déclaration sous serment de Marla McKitrick, datée du 20 juillet 2004, et de la déclaration sous serment d'Ian Winterborn, datée du 10 août 2004, énumérées aux annexes A et B respectivement soient tenues séparées du dossier de la Cour dans la présente affaire et que personne, à l'exception d'un juge de la Cour ou des employés du greffe de la Cour, n'y ait accès jusqu'à ce que la Cour rende une nouvelle ordonnance.

 

          Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2005.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d'avril 2006.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


ANNEXE A

 

Déclaration sous serment de Marla McKitrick faite le 20 juillet 2004

 

Paragraphes

 

21e)

42

56b) et c)

59c)

 

Pièces

 

A-3

F-6.6, p. 1

F-15.1

F-20.8, p. 1

A-4

F-6.7, p. 1

F-15.2, p. 1

F-21.1, p. 1

B-4

F-6.8, p. 1

F-15.3, p. 1

F-21.2, p. 1

D-2

F-7.1, p. 1 et 2

F-15.4, p. 1

F-21.3, p. 1

E-5

F-7.2, p. 1

F-15.5, p. 1

F-21.4, p. 1

E-13

F-7.3, p. 1

F-15.6, p. 1

F-22.1, p. 1

E-14

F-7.4, p. 1

F-15.7, p. 1

F-22.2, p. 1

E-15

F-8.1, p. 1

F-16.1

F-22.3, p. 1

F-1.1, p. 1

F-8.2, p. 1

F-16.2, p. 1

F-22.4, p. 1

F-1.2, p. 1 et 2

F-9.1, p. 1

F-16.3

F-22.5, p. 1

F-1.3, p. 1

F-9.2, p. 1

F-16.4, p. 1

F-23, p. 1

F-2.1, p. 1

F-9.3, p. 1

F-16.5, p. 1

F-24

F-2.2, p. 1

F-9.4, p. 1

F-16.6, p. 1

F-25.1, p. 1

F-2.3, p. 2

F-10.1, p. 1

F-16.7, p. 1

F-25.2, p. 1

F-2.4, p. 1

F-10.2, p. 1

F-17.1, p. 1

F-25.3, p. 1

F-3, p. 1

F-10.3, p. 1

F-17.2, p. 1

F-26.1, p. 1

F-4.1, p. 1

F-10.4, p. 1

F-17.3, p. 1

F-26.2, p. 1

F-4.2, p. 1

F-10.5, p. 1

F.18.1, p. 1

F-26.3, p. 1

F-4.3

F-10.6, p. 1

F-18.2, p. 2

F-27, p. 1 et 2

F-4.4, p. 1

F-10.7, p. 1

F-18.3, p. 1

F-28.1, p. 1

F-5.1, p. 1

F-10.8, p. 1

F-18.4, p. 1

F-28.2, p. 1

F-5.2, p. 1

F-11.1 p. 1

F-18.5, p. 1

F-28.3, p. 1

F-5.3, p. 1

F-11.2, p. 1

F-19.1, p. 1

F-29.1

F-5.4, p. 1

F-11.3, p. 1

F-19.2, p. 1

F-29.2, p. 1

F-5.5, p. 1 et 2

F-12, p. 1

F-19.3, p. 1

F-30.1, p. 1

F-5.6, p. 1

F-13.1, p. 1

F-19.4, p. 1

F-30.2, p. 1

F-5.7, p. 1

F-13.2

F-20.1

F-30.3, p. 1

F-5.8, p. 1

F-13.3, p. 1

F-20.2, p. 1

F-31.1, p. 1

F-6.1, p. 1 et 2

F-13.4, p. 1

F-20.3, p. 1

F-31.2, p. 1 à 4

F-6.2, p. 1

F-14.1, p. 1

F-20.4, p. 1

F-32, p. 1

F-6.3, p. 1

F-14.2, p. 1

F-20.5, p. 1

G-2, p. 3

F-6.4, p. 1

F-14.3, p. 1

F-20.6, p. 1

 

F-6.5, p. 1

F-14.4, p. 1

F-20.7, p. 1

 


 

 

ANNEXE B

 

 

Déclaration sous serment d'Ian Winterborn faite le 10 août 2004

 

 

 

Paragraphes

Pièces

 

4b)(ii)

5

 

4b)(iii)

8.2

 

4c)(les cinq dernières lignes)

14, p. 2

 

5

16, p. 2 et 3

 

61 et 62

18, p. 2 et 3

 

83c)

25

 

87a), b), c), d), e), g) et h)

 

 

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2005CCI120

Date : 20050301

Dossier : 98-712(IT)G

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge Bowie

 

[1]     La présente requête vise l'obtention d'une ordonnance interdisant au public d'avoir accès à une partie du dossier de la Cour portant sur les appels en question, interjetés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). Plus précisément, l'appelante voudrait que soit rendue une ordonnance interdisant au public d'avoir accès aux éléments de preuve documentaire déposés par l'intimée à l'appui d'une requête en annulation des appels pour abus de procédure allégué et aux éléments de preuve documentaire déposés par l'appelante pour s'opposer à la requête. Le 4 août 2004, j'ai rendu une ordonnance provisoire pour maintenir le statu quo jusqu'à l'audition de la présente requête et jusqu'à ce que je statue sur la requête.

 

[2]     Les appels portent sur le prix auquel l'appelante (« Glaxo ») achetait le composé chimique ranitidine de certaines sociétés étrangères affiliées (« les sociétés affiliées ») pour importation au Canada pendant ses années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993. L'appelante et ces sociétés affiliées font partie d'un important groupe transnational de sociétés (le « groupe Glaxo ») qui fabrique et distribue divers produits pharmaceutiques partout dans le monde. L'appelante, qui est la société exploitante au Canada, fabrique au Canada un médicament souvent prescrit pour traiter les ulcères. Pour fabriquer ce médicament, l'appelante achète de la ranitidine fabriquée par les sociétés affiliées étrangères qui lui est vendue par l'entremise d'une société affiliée de la Suisse et qu'elle utilise dans ses installations de fabrication au Canada. La question en litige porte sur le caractère raisonnable de la contrepartie payée par l'appelante aux sociétés affiliées pour la ranitidine. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») estime que la contrepartie n'était pas raisonnable compte tenu des circonstances et a établi des cotisations en conséquence. Les appels qui nous occupent portent sur ces cotisations. Outre les sociétés étrangères affiliées de Glaxo, il y a d'autres fabricants primaires de ranitidine dans d'autres pays qui fournissent le composé en question à des fabricants de médicaments génériques au Canada et ailleurs. Ces fabricants de médicaments génériques du Canada font concurrence à l'appelante, en ce sens qu'ils vendent le produit fini sur le marché canadien. L'appelante soutient que, pour déterminer le prix de transfert pour l'application de la Loi, il faut utiliser la méthode du prix de revente. Pour sa part, l'intimée allègue qu'il faut utiliser la méthode du prix comparable de pleine concurrence ou, subsidiairement, la méthode du coût d'achat majoré.

 

[3]     Chaque partie a produit des milliers de documents. Des tiers ont aussi produit un très grand nombre de documents, qui sont généralement visés par une ordonnance de confidentialité empêchant leur diffusion. Il y a eu des interrogatoires préalables pendant plusieurs semaines. La prochaine étape du procès est la tenue d'une conférence préparatoire à l'audience, et les parties espèrent que cette conférence aboutira au règlement des appels. À tout le moins, elles voudraient, après la conférence préparatoire, s'entendre sur bon nombre des questions de fait, de façon à simplifier et à abréger l'instruction des questions qu'il restera à trancher. Tout ce qui précède sert simplement à mettre en contexte la requête dont je suis saisi.

 

[4]     Je ne propose pas que nous nous penchions sur les allégations d'abus de procédure soulevées par l'intimée. Cette requête‑là n'a pas encore été entendue. Quand cette requête sera entendue, les allégations seront examinées en fonction de la preuve présentée à la Cour à ce moment-là. Pour le moment, il suffit de dire que la requête repose sur deux déclarations sous serment faites par une technicienne juridique qui fait partie de l'équipe juridique qui représente l'intimée. Les déclarations sous serment comprennent un total de 65 paragraphes et 82 pièces. Pour s'opposer à la requête, l'appelante a déposé une déclaration sous serment faite par le témoin principal de l'appelante en vue de l'interrogatoire préalable. Cette déclaration sous serment comprend 95 paragraphes et 30 pièces en annexe. Mises ensemble, les deux déclarations sous serment, y compris leurs pièces, sont d'une épaisseur d'environ 17 cm. Ce sont ces éléments de preuve documentaire que l'appelante voudrait soustraire à l'examen du public. Une partie importante de ces éléments de preuve documentaire est des lettres échangées entre les avocats au sujet des interrogatoires préalables et du respect des engagements pris lors des interrogatoires préalables, des demandes d'admission de faits et de documents et les réponses à ces demandes, et des ébauches d'exposés conjoints des faits échangées entre les avocats et préparées en vue d'être soumises au juge au moment de la conférence préparatoire à l'audience.

 

[5]     L'appelante explique de la façon suivante les motifs pour lesquels elle voudrait obtenir une ordonnance empêchant que le grand public ait accès à la partie du dossier de la Cour qui contient les deux déclarations sous serment en question :

 

[TRADUCTION]

 

a)         Qu'une telle ordonnance est nécessaire :

 

1.         pour écarter un risque sérieux pour des intérêts importants, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige. Cela comprend le risque découlant de la communication continue de documents et de renseignements commerciaux confidentiels. En outre, en l'espèce, la déclaration sous serment déposée à l'appui de la requête de l'intimée ainsi que plusieurs pièces à l'appui de la déclaration sous serment contiennent un certain nombre de renvois à des ébauches d'exposés conjoints des faits et un certain nombre d'extraits de ces ébauches, que les parties ont convenu de garder confidentielles et de n'utiliser que pour faciliter la conférence préparatoire à l'audience, à moins d'avoir préalablement reçu une autorisation écrite;

 

2.         parce qu'il n'existe pas d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

b)         Les effets bénéfiques de l'ordonnance de confidentialité, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires;

 

c)         Que, pour que l'appelante puisse poursuivre son appel comme il se doit, elle a droit à ce que les documents et les renseignements commerciaux confidentiels et les extraits des ébauches des exposés conjoints des faits que l'intimée a produits comme pièces restent confidentiels.

 

À l'audience de la requête, les avocats ont abandonné le moyen fondé sur le besoin présumé de protéger les intérêts commerciaux de l'appelante et ont tout simplement fait valoir que les parties avaient convenu d'assurer la confidentialité de leurs exposés conjoints des faits. Les paragraphes 5 à 10 de la déclaration sous serment de M. Winterborn déposée à l'appui de la requête exposent le processus par lequel les parties rédigeaient ces exposés conjoints des faits.

 

[TRADUCTION]

 

5.         Les parties ont commencé à échanger des ébauches d'exposés conjoints des faits (« ECF ») en 2003. Depuis lors, elles ont travaillé à une cinquantaine d'ébauches d'ECF. Bien que bon nombre de ces ébauches soient presque complétées, les parties ne s'entendent encore sur aucun exposé conjoint des faits définitif.

 

6.         Tout au long du processus, des ébauches d'ECF ont été échangées et modifiées et ont fait l'objet de discussions, toujours avec l'idée que, d'une part, elles seraient des ébauches jusqu'à ce que les parties soient d'accord sur une version définitive et, d'autre part, que ces ébauches et toutes les discussions et communications entre les parties et leurs avocats seraient strictement confidentielles.

 

7.         Pendant toute la période pertinente, la volonté de l'appelante de participer à la rédaction des ECF reposait sur l'hypothèse selon laquelle l'intimée garderait les ébauches strictement confidentielles, que ces ébauches ne seraient jamais utilisées dans le cadre de la présente instance ou de toute autre instance et que les ébauches ne seraient pas communiquées à la Cour. Seules les versions définitives des ECF devaient être communiquées à la Cour, en temps utile et en conformité avec les « normes des ECF » convenues.

 

8.         En mars 2004, les parties se sont entendues sur un ensemble révisé de règles écrites régissant l'utilisation des ECF. Ces « normes des ECF » étaient semblables à celles qui avaient été antérieurement acceptées par les parties, à quelques modifications et précisions près. Le paragraphe 8 de ces « normes des ECF » se lisait comme suit :

 

8.         Les exposés conjoints des faits ne doivent être utilisés par les parties que pour la facilitation de la conférence préparatoire à l'audience dans cette affaire; il est interdit de les utiliser à d'autres fins sans avoir obtenu la permission écrite de l'autre partie. Les parties décideront ce qui doit être fait pour les besoins du procès à une date ultérieure (p. ex. ordonnance de confidentialité auprès du juge de l'audience?).

 

9.         Les avocats de l'appelante m'ont avisé que les deux parties avaient présenté conjointement à la Cour ces « normes des ECF » le 2 avril 2004 (voir la télécopie ci‑jointe) et les avaient transmises au juge Bowie pour discussion pendant l'audience tenue par conférence téléphonique le 6 avril 2004.

 

10.       Depuis quelques mois, les parties s'emploient à terminer les ECF. À la fin juin 2004, les deux parties savaient que le délai qu'elles s'étaient fixé pour terminer 30 ECF « importants » était expiré, mais ont toujours continué leurs discussions dans l'espoir de terminer les ECF le plus rapidement possible.

 

Je suis convaincu, compte tenu de la déclaration sous serment et de la transcription du contre‑interrogatoire y afférent, que, d'une part, les parties avaient convenu que les exposés conjoints des faits et toutes les ébauches de ces exposés resteraient confidentiels et que, d'autre part, l'appelante ne se serait pas engagée dans le processus d'élaboration des ECF si elle n'avait pas été certaine que ces documents resteraient confidentiels.

 

[6]     Une grande partie de l'argumentation qui m'a été présentée portait sur la question de savoir s'il est possible de considérer les documents en question comme étant des documents privilégiés, soit à titre de concessions faites dans le cadre des négociations en vue d'un règlement, soit selon le principe énoncé par le professeur Wigmore[1] et adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Slavutych c. Baker[2]. Toutefois, la question dont je suis saisi n'est pas tant une question de privilège, qui, après tout, est principalement une règle de preuve, qu'une question de savoir s'il est dans l'intérêt public de soustraire les documents à l'examen du public, et ce, au point de transcender la règle générale selon laquelle les instances devant les tribunaux doivent être publiques. En fait, il n'a pas été affirmé devant moi que les ébauches des exposés conjoints des faits ou tout autre document annexé à la déclaration sous serment de l'intimée à l'appui de la requête principale ne peuvent pas être des preuves admissibles à l'appui de la requête; l'appelante a simplement adopté la position selon laquelle ces documents ne devraient pas être à la disposition du public au greffe de la Cour.

 

[7]     Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada a établi les principes régissant la règle relative à la publicité des débats judiciaires et les conditions dans lesquelles la publicité des débats judiciaires peut être subordonnée à un autre intérêt public. L'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[3] régit la question des ordonnances de confidentialité en matière civile. Aux paragraphes 53 à 57, le juge Iacobucci a dit ce qui suit :

 

53        Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l'espèce l'analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d'énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l'espèce :

 

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

 

a)         elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige, en l'absence d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

b)         ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

54        Comme dans Mentuck, j'ajouterais que trois éléments importants sont subsumés sous le premier volet de l'analyse. En premier lieu, le risque en cause doit être réel et important, en ce qu'il est bien étayé par la preuve et menace gravement l'intérêt commercial en question.

 

55        De plus, l'expression « intérêt commercial important » exige une clarification. Pour être qualifié d'« intérêt commercial important », l'intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l'ordonnance de confidentialité; il doit s'agir d'un intérêt qui peut se définir en termes d'intérêt public à la confidentialité. Par exemple, une entreprise privée ne pourrait simplement prétendre que l'existence d'un contrat donné ne devrait pas être divulguée parce que cela lui ferait perdre des occasions d'affaires, et que cela nuirait à ses intérêts commerciaux. Si toutefois, comme en l'espèce, la divulgation de renseignements doit entraîner un manquement à une entente de non-divulgation, on peut alors parler plus largement de l'intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels. Simplement, si aucun principe général n'entre en jeu, il ne peut y avoir d'« intérêt commercial important » pour les besoins de l'analyse. Ou, pour citer le juge Binnie dans F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC 35, par. 10, la règle de la publicité des débats judiciaires ne cède le pas que « dans les cas où le droit du public à la confidentialité l'emporte sur le droit du public à l'accessibilité » (je souligne).

 

56        Outre l'exigence susmentionnée, les tribunaux doivent déterminer avec prudence ce qui constitue un « intérêt commercial important ». Il faut rappeler qu'une ordonnance de confidentialité implique une atteinte à la liberté d'expression. Même si la pondération de l'intérêt commercial et de la liberté d'expression intervient à la deuxième étape de l'analyse, les tribunaux doivent avoir pleinement conscience de l'importance fondamentale de la règle de la publicité des débats judiciaires. Voir généralement Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 437 (C.F. 1re inst.), p. 439, le juge Muldoon.

 

57        Enfin, l'expression « autres options raisonnables » oblige le juge non seulement à se demander s'il existe des mesures raisonnables autres que l'ordonnance de confidentialité, mais aussi à restreindre l'ordonnance autant qu'il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l'intérêt commercial en question.

 

[8]     En l'espèce, l'appelante ne demande plus que soit rendue une ordonnance qui empêcherait que ses renseignements commerciaux soient communiqués simplement en raison d'une atteinte possible à son intérêt commercial, peut‑être parce qu'il était évident pour les avocats que la preuve exigée par l'arrêt Sierra Club pour justifier une telle ordonnance était absente. À mon avis, cependant, l'appelante a droit à une ordonnance qui fera en sorte que les ébauches des exposés conjoints des faits annexées à la déclaration sous serment de l'intimée conservent leur caractère essentiellement privé. Dans l'arrêt Sierra Club, le juge Iacobucci a pris soin de ne pas tout simplement limiter les motifs possibles d'une ordonnance de confidentialité en matière civile à la protection des renseignements commerciaux qui pourraient être utiles aux concurrents. Il est clair qu'il y a d'autres intérêts publics dont la protection pourrait être assez importante pour exiger une certaine abrogation du droit d'accès du public aux instances judiciaires. Selon moi, le règlement rapide et efficace des différends fait partie de ces intérêts publics. Depuis au moins deux décennies, la promotion du règlement des litiges avant l'instruction de l'affaire fait partie des objectifs des tribunaux de tous les niveaux partout au Canada. Les juges, les avocats et le grand public reconnaissent maintenant l'importance de réduire le coût du règlement des différends non seulement en ce qui concerne les ressources monétaires, mais aussi en ce qui concerne les ressources humaines.

 

[9]     Les effets bénéfiques du maintien de la confidentialité des ébauches des exposés conjoints des faits l'emportent-ils sur les effets préjudiciables du fait d'empêcher le public d'avoir accès à une partie de la preuve en fonction de laquelle la requête principale sera tranchée? Je dirais que oui. Monsieur Winterborn insiste sur le fait que l'appelante ne se serait pas engagée dans le processus d'établissement des exposés conjoints des faits si elle n'avait pas pu s'attendre à ce que les ébauches restent confidentielles. En fait, les parties ont conclu une entente visant à limiter l'utilisation des exposés conjoints des faits aux besoins de la conférence préparatoire, sur laquelle les deux parties comptaient pour les aider à régler le litige. Rien dans le contre-interrogatoire de M. Winterborn ne laisse entendre le contraire. Il est clair que si les parties ne sont pas d'accord sur le fond de bon nombre des questions de fait soulevées par les actes de procédure, aucune conférence de règlement ne sera probablement bien utile.

 

[10]    Les avocates de l'intimée ont cherché à qualifier le processus d'élaboration de ces exposés conjoints des faits de simple exercice de synthèse de l'information obtenue pendant les interrogatoires préalables. Selon moi, il s'agit là d'une simplification exagérée et non fondée de l'exercice. En réalité, au fur et à mesure que les parties ont échangé des ébauches, les libellés ont été analysés, les aveux ont été négociés et des compromis ont été faits par les deux parties dans le cadre d'un processus dynamique. De plus, il faut se rappeler que l'information contenue dans la transcription des interrogatoires préalables ne fait pas partie du domaine public[4]. Cette information reste confidentielle à moins d'être incluse dans la preuve en étant consignée dans le dossier lors du procès ou, comme en l'espèce, en étant ajoutée à la preuve par affidavit présentée à l'appui d'une requête.

 

[11]    Avant de rendre une ordonnance comme celle qui est demandée en l'espèce, je dois déterminer s'il existe d'autres façons de faire qui pourraient suffire. À mon avis, il n'en existe pas. La crainte légitime de l'appelante est que les aveux qu'elle aurait envisagé de faire à des fins restreintes et dans des conditions contrôlées risqueraient d'être rendus publics. L'intérêt public qu'il faut opposer à l'intérêt relatif à la publicité des débats judiciaires et au droit constitutionnel à la liberté d'expression est fondé sur la création d'un milieu qui est propice à des négociations fructueuses en vue d'arriver à un règlement et qui permet aux plaideurs de négocier en privé des ententes sur les faits. Toutefois, selon le critère de l'atteinte minimale, il faut que l'ordonnance que je rends n'empêche l'accès qu'aux documents à l'égard desquels je suis convaincu, au vu de la preuve, que leur communication au public aurait fort probablement des effets préjudiciables sur le processus préparatoire à l'audience. Je n'ai aucun doute que si les parties devaient négocier les faits de leur litige en public, elles seraient beaucoup moins disposées à conclure des ententes utiles que si elles négociaient en privé. Les chances de tenir avant l'audience des conférences préparatoires utiles visant à régler le différend seraient considérablement diminuées.

 

[12]    Je rendrai donc une ordonnance qui empêche les tiers d'examiner les parties de la déclaration sous serment signée par Marla McKitrick le 20 juillet 2004 et de la déclaration sous serment signée par Ian Winterborn le 10 août 2004 (y compris les pièces annexées à ces déclarations) qui divulgueraient des éléments des exposés conjoints des faits ou de leurs ébauches. Le reste des déclarations sous serment pourra être examiné, à l'exception de quelques documents déjà visés par des ordonnances de confidentialité rendues il y a un certain temps. Tous ces documents doivent demeurer scellés jusqu'à ce qu'une nouvelle ordonnance soit rendue.

 

[13]    L'ordonnance provisoire que j'ai rendue le 4 août 2004 sera annulée.

 

[14]    Les dépens relatifs à cette requête suivront l'issue de la cause.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2005.

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d'avril 2006.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI120

 

NO DU DOSSIER :

98-712(IT)G

 

INTITULÉ :

GlaxoSmithKline Inc. et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 26 août 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 1er mars 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Pierre Barsalou et Me Eleni Kouros

 

Avocates de l'intimée :

Me Myra Yuzak, Me Karen Janke

et Me Naomi Goldstein

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Me Pierre Barsalou et Me Sebastien Rheault

 

Cabinet :

Barsalou Lawson

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 



[1]           Wigmore on Evidence, 3e éd. (McNaughton Revision, 1961), vol. 8, par. 2285.

[2]           [1976] 1 R.C.S. 254.

[3]           [2002] 2 R.C.S. 522.

[4]           Sherman c. La Reine, no 91‑1811(IT)G, 10 mars 2000, [2000] 2 C.T.C. 2670.

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