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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2004-4449(IT)G

ENTRE :

ROY GOULD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Requête entendue le 24 juin 2005 à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :      Me Joel A. Nitikman

 

Avocates de l'intimée :     Me Lynn M. Burch

                                      Me Susan Wong

____________________________________________________________________

ORDONNANCE

 

          Vu la requête de l'appelant afin de faire radier des passages de la Réponse à l'avis d'appel;

 

          La requête est rejetée.

 

          Les dépens de la requête pourront être déterminés par le juge du procès.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de septembre 2005.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de novembre 2005.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Référence : 2005CCI556

Date : 20050902

Dossier : 2004-4449(IT)G

 

ENTRE :

 

ROY GOULD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge en chef Bowman, C.C.I.

 

[1]     La présente requête vise la radiation de passages de la Réponse à l'avis d'appel. L'appel est interjeté à l'encontre de cotisations pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002 de l'appelant.

 

[2]     En établissant les cotisations d'impôt à l'égard de l'appelant pour ces années‑là, le ministre du Revenu national a admis les crédits d'impôt pour dons de bienfaisance réclamés par l'appelant en se fondant sur seulement 20 % de certains dons de bienfaisance que l'appelant disait avoir effectués. Dans la Réponse, déposée le 8 avril 2005, l'intimée affirme que le ministre aurait dû rejeter l'ensemble des demandes et non pas simplement 80 % de celles‑ci.

 

[3]     Ainsi, le 18 juin 2005, le ministre a établi pour 2001 et 2002 de nouvelles cotisations rejetant l'ensemble des demandes de crédits d'impôt pour dons de bienfaisance. De toute évidence, l'année 2000 était frappée de prescription, sinon elle aurait fait l'objet d'une nouvelle cotisation semblable.

 

 

[4]     Je n'ai donc qu'à me prononcer au sujet des passages de la Réponse qui se rapportent à l'année 2000. Les nouvelles cotisations pour 2001 et 2002 ont été remplacées. Si l'appelant désire contester les nouvelles cotisations pour 2001 et 2002, il peut modifier les avis d'appel existants, en vertu du paragraphe 165(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de manière à renvoyer aux nouvelles cotisations, ou il peut déposer un nouvel avis d'appel ou une nouvelle opposition.

 

[5]     Les avocates de la Couronne me demandaient d'ajourner la requête de l'appelant, d'annuler les appels pour 2001 et 2002 et de radier le passage de la requête se rapportant à 2001 et à 2002. Je demeure saisi de la Réponse pour l'année 2000 et, si l'appelant conteste les nouvelles cotisations pour 2001 et 2002 et que l'intimée établit des réponses semblables aux réponses existantes, bon nombre des objections de l'appelant à la Réponse s'appliqueront et devront être examinées tôt ou tard.

 

[6]     L'avis d'appel soulève comme point litigieux le traitement de dons qui ont été faits à l'organisme de bienfaisance enregistré IDEAS Canada Foundation (« IDEAS ») et sur lesquels l'appelant a basé une demande de crédits d'impôt.

 

[7]     La Réponse se compose d'un document de 29 pages et d'une annexe intitulée [TRADUCTION] « RÉGIME DE DONS PAR EMPRUNT UTILISÉ PAR IDEAS ».

 

[8]     L'appelant s'oppose tout d'abord à un extrait qui figure au début de la Réponse et qui est intitulé [TRADUCTION] « APERÇU ». Cet aperçu se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

1.         L'organisme Ideas Canada Foundation (« IDEAS ») est l'un des premiers régimes de dons de bienfaisance par emprunt au Canada (le « régime »). Pour chaque montant de 100 $ prétendument donné, un montant de 20 $ provient de l'argent du participant au régime lui‑même et un montant de 80 $ provient d'un prêt sans intérêt sur 25 ans consenti par le promoteur du régime, l'argent du prêt retournant au promoteur le même jour que le prêt a été consenti, tout cela suivant un flux circulaire.

 

2.         En échange du montant de 20 $ qu'il débourse, le participant au régime obtient un prêt sans intérêt sur 25 ans, ainsi qu'un reçu pour don de bienfaisance d'un montant représentant cinq fois le paiement comptant réel.

 

3.         Les opérations effectuées par l'appelant (« M. Gould ») sont représentatives des opérations effectuées par tous les particuliers qui participent au régime (les « participants au régime »).

 

4.         Pour ses années d'imposition 2000, 2001 et 2002 respectivement, M. Gould a fait à IDEAS des paiements comptant de 100 000 $, 20 000 $ et 10 000 $ (soit 20 % du total de son prétendu don) afin d'obtenir des reçus pour dons de bienfaisance de 500 000 $, 100 000 $ et 50 000 $ respectivement.

 

5.         Se fondant sur les reçus d'impôt gonflés que l'organisme IDEAS avait établis, M. Gould a eu des crédits d'impôt fédéral et provincial gonflés, de 216 750 $, d'environ 43 525 $ et de 21 850 $, lesquels crédits dépassaient de 115 750 $, 23 525 $ et 11 850 $ ses paiements comptant réels, pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002 respectivement.

 

[9]     L'avocat de l'appelant a déclaré que cet aperçu n'est pas conforme à l'article 49 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Le paragraphe 49(1) de ces Règles se lit comme suit :

 

49. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), la réponse indique :

a) les faits admis;

b) les faits niés;

c) les faits que l'intimée ne connaît pas et qu'elle n'admet pas;

d) les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé en établissant sa cotisation;

e) tout autre fait pertinent;

f) les points en litige;

g) les dispositions législatives invoquées;

h) les moyens sur lesquels l'intimée entend se fonder;

i) les conclusions recherchées.

 

49. (1) Subject to subsection (1.1), every reply shall state

(a) the facts that are admitted,

(b) the facts that are denied,

(c) the facts of which the respondent has no knowledge and puts in issue,

(d) the findings or assumptions of fact made by the Minister when making the assessment,

(e) any other material fact,

(f) the issues to be decided,

(g) the statutory provisions relied on,

(h) the reasons the respondent intends to rely on, and

(i) the relief sought.

 

 

[10]    L'avocat soutient que l'aperçu en cause ne fait rien de ces choses. De plus, l'avocat affirme que les paragraphes 1 à 3 ne se rapportent pas au cas précis de M. Gould et devraient être radiés.

 

[11]    Je ne vois rien d'erroné dans l'aperçu en cause. Celui‑ci décrit de façon générale la combine à laquelle le ministre dit que l'appelant a participé. Je pense que l'on peut arguer que le fait que les dons de bienfaisance de l'appelant représentent non pas un phénomène isolé mais font partie d'un plan d'ensemble est un fait pertinent. La question du poids à y accorder sera déterminée par le juge chargé d'entendre l'appel. Il serait prématuré et en fait inapproprié que, siégeant comme juge des requêtes et sans avoir eu l'avantage d'entendre quelque preuve que ce soit, je décide de la pertinence d'une si vaste description d'une prétendue combine. Me prononcer là‑dessus, ce serait usurper la fonction du juge du procès.

 

[12]    Il ne faut pas oublier que, dans un litige en matière fiscale, les actes de procédure servent à plusieurs fins. Par exemple, la réponse à l'avis d'appel doit faire pleinement état de la position de la partie intimée. Elle doit indiquer avec honnêteté et exhaustivité les hypothèses sur lesquelles se fonde la cotisation. Elle doit être informative pour le juge, de sorte qu'il connaisse la thèse de la Couronne, les questions à trancher, les points en litige et les faits que la Couronne a supposés ou qu'elle entend prouver. Elle doit également indiquer à l'appelant la thèse qu'il devra réfuter. La fonction essentielle des actes de procédure dans un litige est une fonction pratique consistant à donner de l'information sur la thèse de chacune des parties.

 

[13]    L'appelant s'oppose à la deuxième phrase du paragraphe 4 de la Réponse, au motif qu'elle contredit la première phrase. Dans la première phrase, on admet qu'IDEAS était un organisme de bienfaisance enregistré, tandis que, dans la deuxième phrase, on allègue que cet organisme ne réalisait pas un objectif de bienfaisance. La question de la contradiction pouvant exister entre ces deux phrases doit être résolue par le juge du procès et non par un juge des requêtes, avant le procès, à partir d'une analyse des actes de procédure.

 

[14]    Je ne considère pas que les énoncés figurant au paragraphe 4 sont scandaleux ou vexatoires ou qu'ils compromettront ou retarderont l'instruction équitable de l'appel. Le temps affecté à la présente requête serait mieux utilisé si l'appelant le consacrait à essayer de s'avancer dans la tâche consistant à prouver au juge du procès que les actes de procédure de la Couronne sont incohérents ou se contredisent et qu'il conviendrait d'en tirer une conclusion favorable à l'appelant.

 

[15]    Au paragraphe 21 de la Réponse, on allègue que M. Gould a accepté de maintenir la confidentialité de tous les renseignements sur le don à IDEAS. L'avocat de l'appelant soutient que cette allégation n'est pas pertinente et devrait être radiée. Elle n'est peut‑être pas pertinente. Si j'étais le juge du procès, je pourrais bien considérer cette allégation comme peu pertinente et ne pas en tenir compte. Je présume que le juge présidant le procès sera capable de déterminer s'il convient de faire fi de cette allégation ou de considérer le prétendu caractère dissimulé du régime comme une preuve de l'existence de quelque objectif fiscal répréhensible.

 

[16]    L'appelant affirme que le paragraphe 35 de la Réponse ne peut demeurer tel quel, parce que l'intimée ne peut faire valoir un nouveau fondement à l'égard de la cotisation pour l'année 2000 refusant une déduction pour 100 % du don au lieu de 80 %. De la manière que je comprends la décision de la Cour d'appel fédérale dans R. c. Charles B. Loewen, no A‑156‑03, 6 avril 2004, 2004 D.T.C. 6321 (C.A.F.), il n'y a pratiquement aucune restriction au sujet de ce que la Couronne peut alléguer dans une réponse à un avis d'appel et il n'y a aucune distinction entre un nouveau fondement à l'égard d'une cotisation (Continental Bank Leasing Corporation c. La Reine, [1998] 2 R.C.S. 298, 98 D.T.C. 6505) et un nouvel argument à l'appui de la cotisation (par. 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu).

 

[17]    L'appelant s'oppose au paragraphe 26 de la Réponse, au motif qu'il y est allégué que les dons de bienfaisance de M. Gould pour d'autres années ont été moins élevés que pour l'année 2000. Je reconnais que la pertinence de ce point est discutable. Cela ne justifie toutefois pas une requête préalable au procès. Le juge du procès est sans aucun doute capable d'en faire fi s'il considère que ce n'est pas pertinent. Après tout, les juges présidant un procès sont censés être capables de ne pas tenir compte de facteurs non pertinents.

 

[18]    L'appelant s'oppose au paragraphe 27 de la Réponse, au motif que l'allégation selon laquelle M. Gould était mandataire d'un mandataire du promoteur du régime n'est pas pertinente. Il ne m'apparaît pas clairement que ce ne soit pas pertinent qu'un appelant ait de quelque manière participé à la promotion de ce que la Couronne considère comme une combine. Quoi qu'il en soit, il appartient au juge du procès de déterminer, dans le contexte de l'ensemble de la preuve, si cet élément de preuve est pertinent.

 

[19]    Je passe maintenant à l'objection générale finale à un certain nombre d'autres paragraphes. Je ferai intégralement état de l'argumentation écrite de l'appelant sur ce point. La principale objection est que ces paragraphes traitent d'opérations de tiers sans qu'il soit allégué que l'appelant était partie à ces opérations ou au courant de ces opérations et que par conséquent, sur la foi de Status‑One Investments Inc. c. La Reine, 2004 D.T.C. 3042, conf. par 2005 D.T.C. 5224, ces paragraphes devraient être radiés.

 

[20]    L'argumentation écrite se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

           Le reste des paragraphes contestés de la Réponse

 

10.      Le reste des paragraphes contestés de la Réponse (y compris l'aperçu) traite du régime dont la Réponse dit qu'il était une combine. Pour l'essentiel, l'intimée pose comme principe que, après que M. Gould eut emprunté de l'argent afin de faire une partie du don pour l'année 2000 à l'organisme IDEAS, ce dernier a fait en sorte que, suivant un flux circulaire, l'argent retourne au prêteur, dans le cadre d'une série complexe d'opérations. Il est allégué que ces opérations concernent de nombreux tiers et des centaines d'autres contribuables, dont aucun n'est partie au présent appel.

 

11.      Il est particulièrement à noter que nulle part dans la Réponse il n'est expressément allégué que M. Gould était partie à ces opérations de tiers. Ce que l'on peut conclure en lisant la Réponse, c'est qu'il s'agit d'opérations de tiers que la Réponse ne lie pas directement à M. Gould en tant que partie. Le nom de M. Gould est mentionné exactement deux fois au paragraphe 25 (le paragraphe des hypothèses) : à 25(f) et à 25(pppp). Il n'est présumé dans ni l'un ni l'autre de ces alinéas que M. Gould était partie à la prétendue combine.

 

12.      Le paragraphe 30 de la Réponse dit que M. Gould [TRADUCTION] « a participé » au régime, mais il ne s'agit pas d'une hypothèse de fait (paragraphe 25) ou d'un fait distinct invoqué par le ministre (paragraphes 26 et 27). Il s'agit simplement d'un motif qui est invoqué. Quoi qu'il en soit, il ressort du reste de la Réponse que la « participation » de M. Gould s'est limitée à emprunter de l'argent et à effectuer les dons. Il n'est pas allégué que, dans le cadre de sa « participation », M. Gould était partie aux opérations de tiers constituant la prétendue combine ou même qu'il était au courant de ces opérations.

 

13.      Il est à noter que, lors de ce qui a conduit au présent appel, M. Gould a dit expressément à l'ARC qu'il ne savait rien de ces opérations (affidavit de M. Leong, pièces B, C (paragraphe 6), G et I). Monsieur Gould ne sachant rien des opérations, l'ARC a dû recueillir de l'information auprès d'autres parties (pièce D). Malgré la demande de M. Gould qui figure dans la pièce I et vise à ce que l'ARC lui dise exactement quel était le fondement de la nouvelle cotisation, la pièce J traite seulement du prêt sans intérêt. Elle n'indique nullement que M. Gould était partie aux opérations de tiers.

 

14.      Il était donc parfaitement clair pour l'intimée, quand elle a déposé la Réponse, que la position de M. Gould était qu'il s'agissait d'opérations de tiers auxquelles il n'était pas partie et à propos desquelles il ne savait rien. Si l'intimée croyait autre chose, il lui incombait de l'indiquer expressément dans la Réponse et d'indiquer exactement quels faits le ministre supposait ou invoquait pour démontrer que M. Gould était au courant de ces opérations de tiers ou y était partie. Comme l'intimée n'a pas indiqué cela, les paragraphes contestés de la Réponse sont contraires à l'article 53 des Règles.

 

Status-One Investments Inc. c. La Reine, 2004 DTC 3042 (CCI), avec traduction anglaise officielle,

onglet 8.

 

La Reine c. Status-One Investments Inc., 2005 DTC 5224 (CAF), avec traduction anglaise non officielle,

onglet 9.

 

[21]    En toute déférence, je ne peux attribuer à la décision Status‑One — ni à la décision qu'elle suivait, R. c. Global Communications Limited, no A‑147‑97, 7 avril 1997, 97 D.T.C. 5194 (C.A.F.) — l'effet invoqué par l'avocat de l'appelant. Un élément central de la cotisation par laquelle n'ont pas été admis les dons de bienfaisance est l'existence d'une combine à laquelle on allègue que l'appelant a participé et qui a permis aux participants d'obtenir ce que la Couronne considère comme des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance artificiels ou gonflés. Cette combine impliquait nécessairement des tiers et, si l'existence d'une combine est essentielle pour la thèse de la Couronne, cette dernière devrait pouvoir invoquer et prouver tous les éléments de cette combine. C'est aller trop loin que de prétendre, comme le fait l'appelant, que les décisions Global et Status‑One empêchent toute mention d'opérations de tiers, à moins que l'appelant n'ait été au courant de ces opérations ou y ait participé. Si l'existence d'une combine est liée au fait que les dons de bienfaisance n'ont pas été admis, on ne peut en faire fi, que le ministre ait supposé ou non que l'appelant était au courant d'opérations de tiers qui, d'après la Réponse, faisaient partie intégrante de la combine, ou qu'il y ait participé. Si l'un quelconque des faits supposés n'est réellement connu que de la Couronne, celle‑ci a probablement la charge de le prouver, bien que ce soit en définitive au juge du procès d'en décider.

 

[22]    Je pourrais faire observer que la plainte habituellement formulée est que la Couronne n'a pas invoqué toutes les hypothèses pertinentes ou n'a pas invoqué certaines hypothèses qui seraient favorables à la partie appelante. Ici, c'est plutôt l'inverse. L'appelant se plaint que trop d'hypothèses sont invoquées. Il me semble que si une cotisation est basée sur des hypothèses non pertinentes, contradictoires ou illogiques, comme l'allègue l'appelant, on pourrait arguer que c'est un fondement solide pour attaquer la cotisation. Si ces hypothèses sont supprimées de la Réponse, l'appelant se prive d'une des armes de son arsenal. La raison pour laquelle il souhaiterait agir de la sorte m'échappe. En s'absorbant trop dans de menus détails techniques, on risque de perdre de vue l'avantage tactique important qu'il y a à obliger la Couronne à composer avec ses propres allégations. Il y a beaucoup à dire en faveur de la règle respectable consistant à ne pas renseigner son adversaire.

 

[23]    De manière générale, la radiation de passages d'un acte de procédure en vertu de l'article 53 des Règles devrait se limiter aux cas les plus évidents. Il convient davantage que les questions de poids et de pertinence soient déterminées par le juge du procès, qui aura entendu l'ensemble de la preuve. Souvent, l'importance d'un élément de preuve n'apparaît clairement qu'à la fin de l'audition d'une cause. Je réitère ce qui a été dit dans l'affaire Niagara Helicopters Limited c. La Reine, C.C.I., no 2002‑3603(IT)G, 31 janvier 2003, 2003 D.T.C. 513 :

 

[6]        À mon avis, il est prématuré à ce stade du procès de déterminer que les faits que l'avocat de l'appelante considère comme pertinents et partie intégrante de la cause de l'appelante sont dénués de pertinence. Selon la jurisprudence et la doctrine, il est incontestable que seul peut être radié un acte de procédure clairement et manifestement scandaleux, frivole ou vexatoire ou constituant un recours abusif au tribunal (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980; Erasmus c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., no T‑148‑91, le 7 juin 1991 (91 DTC 5415, à la page 5416)).

 

[7]        Il n'est certainement pas manifeste et évident que les paragraphes mis en cause soient scandaleux, vexatoires ou frivoles ou qu'ils constituent un recours abusif au tribunal. Le recours consistant à radier certains passages de l'acte de procédure pour ces motifs est réservé aux cas les plus manifestes, tels que Davitt c. Canada, [2001] A.C.I. no 360 (2001 DTC 702) à titre d'exemple.

 

[8]        Il appartient au juge d'instance de trancher la question de savoir si une allégation est dénuée de pertinence, compte tenu de l'ensemble de la preuve présentée au procès. Lors d'une requête préliminaire, il ne serait pas approprié qu'un juge saisi de la requête, qui n'a pas entendu la preuve, décide qu'une allégation est dénuée de pertinence, privant une partie de la chance de présenter la question devant le juge qui présidera au procès afin de le laisser y accorder le poids qu'il jugera bon.

 

[9]        Je ne perçois aucun mérite à l'argument que les paragraphes contestés puissent prolonger indûment le procès. La préparation de la requête et de la réponse à celle‑ci a certainement demandé des heures de travail pour les avocats des deux parties. L'examen de cette requête a également demandé du temps à la Cour. Le temps consacré à cette requête est sans doute plusieurs fois plus long que le temps qui sera consacré à ces paragraphes si l'affaire est instruite. L'appelante n'aura besoin que d'une quinzaine de minutes pour prouver les allégations contenues dans les paragraphes en question, et l'avocat de l'intimée aura besoin de moins de temps encore pour demander au juge de ne pas en tenir compte s'il les trouve dénués de pertinence. Les juges d'instance sont habitués à ignorer les documents non pertinents qui leur sont présentés. Cela fait partie de leurs responsabilités. Si le juge d'instance décide que l'appelante a encombré le dossier de façon indue en y ajoutant des documents non pertinents, il en tiendra compte au moment d'adjuger les dépens.

 

[10]      Comme je l'ai dit à d'autres occasions, je ne veux pas que cette cour devienne une arène de querelles procédurales menées à coup de requêtes inutiles par les parties. Ce genre d'agissement produit un gaspillage de temps et d'argent (Satin Finish Hardwood Flooring (Ontario) Limited c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., no 95‑30(IT)G, le 1er avril 1997 (96 DTC 1402, aux pages 1404-5)).

 

[24]    Il y a un dernier point qui mérite d'être mentionné. L'article 8 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) se lit comme suit :

 

Irrégularité

Attacking Irregularity

8. La requête qui vise à contester, pour cause d'irrégularité, une instance ou une mesure prise, un document donné ou une directive rendue dans le cadre de celle‑ci, ne peut être présentée, sauf avec l'autorisation de la Cour :

a) après l'expiration d'un délai raisonnable après que l'auteur de la requête a pris ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance de l'irrégularité, ou

b) si l'auteur de la requête a pris une autre mesure dans le cadre de l'instance après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

8. A motion to attack a proceeding or a step, document or direction in a proceeding for irregularity shall not be made,

(a) after the expiry of a reasonable time after the moving party knows or ought reasonably to have known of the irregularity, or

(b) if the moving party has taken any further step in the proceeding after obtaining knowledge of the irregularity,

except with leave of the Court.

 

[25]    L'avocat de l'appelant est dans un dilemme en raison de cet article. Il a présenté une requête pour contester la Réponse avec la célérité nécessaire. S'il avait tardé à le faire, il aurait pu devoir composer avec la disposition de l'article 8 concernant une nouvelle mesure. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que, s'il y a une valeur aux objections à cette réponse quelque peu écrasante, la contestation à cette étape‑ci est prématurée et pourrait peut‑être être plus opportune à une étape ultérieure de la procédure. C'est pour cette raison que l'article 8 des Règles accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire de permettre à une partie de présenter une requête à l'encontre d'un acte de procédure à une étape ultérieure de la procédure.

 

[26]    La requête est rejetée. J'estime qu'il convient de laisser au juge du procès le soin de décider de la question des dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de septembre 2005.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de novembre 2005.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

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