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Dossier : 2003-4033(EI)

ENTRE :

ISADORE CAPLAN PARIFSKY,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 25 novembre 2004 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Ed Robert

 

Avocate de l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est accueilli, la décision du ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25jour de janvier, 2005.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


 

 

 

Référence : 2005CCI84  

Date : 20050125

Dossier : 2003-4033(EI)

ENTRE :

ISADORE CAPLAN PARIFSKY,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

 

[1]     L'appelant, monsieur Isadore Caplan Parifsky, en appelle d'une décision rendue le 26 février 2003, par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (maintenant « ARC ») qui établissait que madame Elizabeta Vrdoljak a occupé un emploi assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi[1] (« Loi ») durant la période du 4 juin 2001 au 29 août 2002.

 

[2]     Le présent appel consiste donc à déterminer la nature juridique de la relation entre monsieur Isadore Caplan Parifsky et madame Elizabeta Vrdoljak.

 

[3]     Les faits menant au présent appel sont quelques peu troublants. La femme de l'appelant, madame Rose Caplan Parifsky, est maintenant décédée. Elle a souffert pendant plusieurs années de terribles douleurs qui l'empêchaient de subvenir à ses propres besoins élémentaires. Plus récemment, madame Parifsky a subi une fracture de la hanche. Incapable de marcher en raison de son état de santé précaire, elle fut hospitalisée pendant plusieurs mois à l'Hôpital Général Juif de Montréal afin d'y recevoir des traitements pouvant l'aider à se rétablir. Elle fut par la suite transférée à la résidence Griffith-McConnell. De plus, mentionnons que madame Parifsky souffrait de troubles de la mémoire pouvant nuire grandement à son autonomie.

 

[4]     Le mari de madame Parifsky, c'est-à-dire l'appelant lui-même, est maintenant âgé de 85 ans. Son état de santé est à tout le moins fragile. Il souffre de problèmes rénaux et est présentement hospitalisé à l'Hôpital Elizabeth Bruyère à Ottawa. Nul n'est besoin d'ajouter que le présent appel constitue en soi un élément supplémentaire pouvant nuire à l'état de santé de l'appelant. La Cour a donc permis, dans ces circonstances, que l'appelant témoigne par affidavit.

 

[5]     Étant donné qu'il était lui-même incapable de s'acquitter des tâches reliées aux conditions médicales de sa femme, l'appelant a dû avoir recours aux services de madame Elizabeta Vrdoljak, cette dernière lui étant référée par madame Victoria Bergeron, mère de madame Vrdoljak, qui elle même avait auparavant agit à titre de soignante de madame Parifsky.  

 

[6]     Les principales fonctions de madame Vrdoljak étaient d'agir à titre de soignante personnelle et de compagne de madame Parifsky. À ce titre, madame Vrdoljak pouvait notamment être appelée à changer le lit de madame Parifsky, l'aider à manger, lui faire prendre l'air à l'extérieur de l'hôpital et de veiller à son bien être général. Madame Vrdoljak travaillait à partir de l'Hôpital Juif et de la résidence Griffith-McConnell sous la supervision des employés de ces établissements et il fut toujours établi que seulement madame Vrdoljak pouvait agir à titre de soignante de madame Parifsky étant donné la nature des soins personnels pouvant être rendus.

 

[7]     Ayant un doute quant à savoir si elle occupait un emploi assurable, madame Vrdoljak a demandé une décision de la part du ministre du Revenu national (le « Ministre ») en vertu du formulaire prescrit à cette fin. C'est suite à cette demande que le Ministre en est venu à la conclusion que l'appelant était, entre le 4 juin 2001 et le 29 août 2002, l'employeur de madame Vrdoljak. Par conséquent, en vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi, le travail de madame Vrdoljak constituait un « emploi assurable ».

 

[8]     Dans sa lettre à l'attention de l'appelant datée du 26 février 2003, le Ministre a retenu comme facteur déterminant l'élément de contrôle afin de conclure à un emploi assurable. Il a inféré ce contrôle du fait que :

 

a)       l'appelant établissait les heures de travail;

b)      madame Vrdoljak devait rendre les services personnellement;

c)       madame Vrdoljak devait suivre les instructions quant au travail à exécuter ainsi que la méthode à employer; et

d)      madame Vrdoljak ne pouvait pas engager d'autres personnes pour la remplacer.

 

[9]     Avec égards, je ne peux être d'accord avec les prétentions du Ministre. Je suis d'avis qu'il y a eu méprise sur la nature juridique de la relation entre monsieur Parifsky et madame Vrdoljak.

 

[10]    Afin d'appuyer mon raisonnement, j'aimerais citer la décision Poulin c. Canada[2] de la Cour d'appel fédérale où le juge Létourneau avait à décider une question similaire au présent cas. Au paragraphe 12 de la décision, le juge Létourneau est d'avis qu'il ne faut pas négliger de porter attention à l'intention des parties dans la détermination de la relation globale qu'elles entretiennent entre elles :

 

[12]      [...]   Cette méprise découle d'une mauvaise application de certains des critères de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., précitée, ainsi que du défaut de prêter suffisamment attention à l'intention des parties dans la détermination de la relation globale qu'elles entretiennent entre elles : 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, aux paragraphes 46 et 47. Je débuterai mes remarques par le critère du contrôle et du lien de subordination retenu par la Cour canadienne de l'impôt.

 

[11]    Il me faut donc suivre l'analyse suivie par la Cour d'appel fédérale et pour ce faire, j'aimerais analyser en premier lieu le critère du contrôle et du lien de subordination.

 

a)       l'existence d'un contrôle et d'un lien de subordination

 

[12]    L'article 2085 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») détermine le droit applicable en l'espèce puisque le contrat doit être interprété conformément aux lois de la province de Québec. Cet article énonce ce qui suit :

 

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[13]    L'opposé au contrat de travail est le contrat de services ou d'entreprise. Ce dernier n'implique aucun lien de subordination quant à son exécution et laisse au prestataire le libre choix des moyens d'exécution. Les articles 2098 et 2099 C.c.Q. se lisent comme suit :

 

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[14]    Malgré toute l'importance qu'il faut accorder à la notion de contrôle, cette dernière n'est pas toujours en soi concluante. Sur ce point, le juge Létourneau s'exprimait ainsi au paragraphe 15 de l'affaire Poulin:

 

[15]      Ce qu'il faut retenir de ces définitions des deux contrats, c'est que la notion de contrôle est un élément important de la détermination juridique de la nature des relations entre les parties. Cependant, cette notion de contrôle n'est pas toujours en soi concluante malgré l'importance qu'il faut lui prêter. Comme le disait notre collègue, Madame le juge Desjardins, dans l'affaire Wolf, précitée, au paragraphe 76, « bien que le critère de contrôle soit le critère traditionnel de l'emploi en droit civil, il est souvent inadéquat à cause de la spécialisation accrue de la main d'oeuvre » : voir aussi Wiebe Door Services Ltd., précitée, aux pages 558‑559 où notre collègue, le juge MacGuigan, indique que le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour les professionnels et travailleurs hautement qualifiés qui possèdent des aptitudes supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

 

 

[15]    En l'espèce, madame Vrdoljak prodiguait des soins à madame Parifsky sans que l'appelant n'ait véritablement de contrôle à cet égard. Les heures de madame Vrdoljak étaient établies en fonction des besoins de madame Parifsky. Son horaire du temps pouvait donc varier en conséquence. Les services de madame Vrdoljak étaient habituellement requis entre midi et 20 h, soit jusqu'au moment où madame Parifsky devait aller au lit, et ce, pour un total d'environ 32 heures par semaine à un taux de 9 $ l'heure. Le total d'heures de services pouvait donc grandement varier de semaines en semaines puisqu'il était fonction des besoins de madame Parifsky. Néanmoins, comme le mentionnait le juge Létourneau dans Poulin au paragraphe 19, le fait que les tâches l'aient été selon un horaire et une rémunération déterminée à l'heure ne conduit pas nécessairement à l'existence d'un lien de subordination entre les parties :

 

[19]      Enfin, le fait que les tâches exécutées l'aient été selon un horaire et une rémunération déterminés à l'heure ne conduit pas nécessairement, comme semble l'avoir fait la Cour canadienne de l'impôt, à l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Il est fréquent de voir des entrepreneurs, par exemple en plomberie, en chauffage ou en électricité, travailler et facturer selon des tarifs horaires établis et, comme pour les salariés, majorés les jours fériés. De même, il n'est pas rare pour un client de déterminer les heures auxquelles les services doivent être fournis par l'entrepreneur avec lequel il a contracté.

 

[16]    De plus, madame Vrdoljak poursuivait durant cette période, un cours en soins infirmiers à temps plein. Elle était donc maître de son temps et pouvait établir son propre horaire en fonction de ses disponibilités.

 

[17]    Il est clair que madame Vrdoljak avait l'habilité de décider ce qui devait être fait comme soins pour madame Parifsky. Elle était dans une position où elle jouissait d'une grande indépendance quant aux services à offrir à madame Parifsky. L'appelant, ayant également un état de santé précaire, n'était aucunement dans une position pouvant lui permettre de donner des directives à madame Vrdoljak sur comment offrir les soins. L'appelant ne pouvait donc jouer qu'un rôle passif dans tous ces évènements, lui laissant seulement la possibilité de s'enquérir quotidiennement auprès de madame Vrdoljak de l'état de santé de sa femme.

 

[18]    Le fait que madame Vrdoljak rendait les services personnellement et qu'elle ne pouvait déléguer son travail ne fait pas d'elle automatiquement une employée de l'appelant. Dans la décision Poulin, le juge Létourneau fait référence aux propos de la juge Desjardins dans l'affaire Wolf[3] et il s'exprime ainsi aux paragraphes 20 et 21 de la décision :

 

[20]      Le défendeur a également grandement fait état du fait que les travailleurs devaient rendre les services personnellement. Je suis d'accord avec Madame le juge Desjardins que le fait qu'une personne ne puisse déléguer son travail à quelqu'un ne veut pas dire nécessairement que celle-ci est une employée : Wolf c. Sa Majesté la Reine, supra, au paragraphe 80. [...]

 

[21]      Dans le cas présent, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi le demandeur tenait à ce que les soins médicaux très intimes et très personnalisés que requérait son état de santé lui soient donnés par l'infirmière avec laquelle il avait contracté et en laquelle il avait confiance. La même remarque vaut pour beaucoup des services rendus par le préposé aux bénéficiaires et l'auxiliaire familiale suite aux carences neurologiques du demandeur. La preuve révèle que ces deux travailleurs s'occupaient de la personne du demandeur et des lieux de sa résidence : voir Dossier du demandeur, transcription des témoignages, pages 52 et 108-109. La pénible condition physique dans laquelle le demandeur s'est retrouvé n'a pas eu pour effet de le priver de ses droits à la dignité humaine et à l'intimité, et de ses attentes à cet égard.

 

[19]    Les propos du juge Létourneau prennent tous leurs sens dans le cas présent. Il est tout à fait normal, étant donné les soins personnalisés que nécessitait l'état de santé de madame Parifsky, que l'appelant tienne à ce que seulement madame Vrdoljak puisse offrir les services contractés.

 

[20]    Par conséquent, je suis d'avis que les notions de contrôle et de lien de subordination tendent à indiquer que la nature de l'entente entre les parties est celle d'un contrat de services.

 

b)      la propriété des instruments de travail nécessaires à l'exécution du travail

 

[21]    Ce critère n'est aucunement pertinent afin de nous éclairer sur la nature de l'entente juridique intervenue entre les parties. La preuve a révélé que la vaste majorité du temps, madame Vrdoljak utilisait les équipements appartenant à l'Hôpital Juif ou à la résidence Griffith-McConnell. Je suis donc d'avis que l'on ne doit pas accorder beaucoup de poids à ce facteur.

 

c)       les chances de profits et les risques de perte

 

[22]    Ce critère n'est d'aucune utilité en l'espèce. Il a été démontré que si madame Vrdoljak devait manquer à ses obligations durant une partie de la semaine, elle ne recevrait qu'une somme représentant les services réellement rendus. Cependant, cette indication à elle seule ne peut être d'une grande utilité afin de nous éclairer sur la nature juridique de l'entente entre les parties.

 

[23]    Selon moi, même si deux des critères développés par la jurisprudence pour différencier un contrat de travail d'un contrat de services ne sont pas déterminants, il n'en reste pas moins que le premier de ces critères, soit l'existence d'un contrôle et d'un lien de subordination, semble clairement indiquer que la nature juridique de la relation entre l'appelant et madame Vrdoljak était celle d'un contrat de services.

 

[24]    De plus, l'intention des parties dans le présent cas laisse peu de place à interprétation. Dans l'hypothèse où le critère de l'existence d'un contrôle et d'un lien de subordination n'aurait pas permis de tirer une conclusion claire, je suis d'avis que cela n'aurait pas modifié la conclusion de cette Cour à l'effet que la nature juridique de la relation des parties est celle d'un contrat de services. Je suis d'accord avec les propos du juge Létourneau dans l'affaire Poulin (précitée), au paragraphe 30. Même s'il n'y existait pas de convention écrite, je ne crois pas, compte tenu de la condition physique de l'appelant et de madame Parifsky ainsi que des conséquences qui découlent du statut d'employeur, qu'il soit raisonnable d'inférer que l'appelant avait l'intention de conclure avec madame Vrdoljak un contrat de travail faisant de lui son employeur. L'appelant est clair à l'effet qu'il a toujours considéré madame Vrdoljak comme étant une travailleuse indépendante. Je retiens donc la version de l'appelant.

 

[25]    Par conséquent, l'appel est accueilli, la décision du Ministre est annulée et l'emploi de madame Vrdoljak déclaré un emploi non-assurable.   

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de janvier 2005.

 

 

« C.H. McArthur » 

Juge McArthur

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI84

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-4033(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Isadore Caplan Parifsky et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 25 novembre 2004

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :

le 25 janvier 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Ed Robert

 

Pour l'intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Ed Robert

 

Étude :

Spiegel Sohmer, Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé(e) :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           R.S.C. (1996) ch.23

[2]           [2003] A.C.F. no 141 (Q.L.).

[3]           [2002] F.C.J. No. 375 (Q.L.).

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