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Dossier : 2003-2598(IT)G

 

ENTRE :

LES ENTREPRISES BERNARD MARCEAU INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Requête entendue le 29 septembre 2005 à Sherbrooke (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Richard Généreux

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

          Vu la requête de l’intimée afin d'obtenir l'autorisation de la Cour de déposer une réponse modifiée à l’avis d’appel conformément à l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale);

 

          Et vu les allégations des parties;

 

          La requête est accueillie.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2005.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2005CCI729

Date : 20051116

Dossier : 2003-2598(IT)G

 

ENTRE :

LES ENTREPRISES BERNARD MARCEAU INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]     Il s’agit d’une requête faite par l’intimée visant à obtenir l’autorisation de la Cour de déposer une réponse modifiée à l’avis d’appel conformément à l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). La requête est présentée après la clôture des actes de procédure.

 

[2]     L’appelante s’oppose à cette requête aux motifs que, dans un premier temps, la modification constitue une rétractation d’aveu, et que, dans un deuxième temps, elle permet à l’intimée de changer le fondement de la cotisation en appel après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Les parties, à l’audition de la requête, s’entendent que la période normale de cotisation est expirée.

 

[3]     De son côté, l’intimée soutient qu’il ne s’agit pas d’une rétractation d’aveu puisque sa modification vise à mieux refléter la situation de faits en soumettant l’interprétation des conventions intervenues entre l’appelante et un tiers à la Cour. Quant à l’allégation voulant qu’il s’agissait d’une modification visant le fondement de la cotisation, l’intimée soutient qu’il s’agit simplement d’un nouvel argument à l’appui de la cotisation et qu’il lui est possible de l’avancer après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 152(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») qui se lit comme suit :

 

Nouvel argument à l'appui d'une cotisation — Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

 

a)         d'une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;

 

b)         d'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

 

[4]     La question en litige dans cet appel vise le traitement fiscal d’un montant d’argent (contrepartie) obtenu par l’appelante en échange de la vente de droits de propriété intellectuelle assortie d’engagements de confidentialité, de non-concurrence et d’exclusivité en ce qui concerne la nature de cette contrepartie. La position de l’intimée, qui constitue le fondement de la cotisation en appel, est qu’il s’agit d’un revenu tiré d’une entreprise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi puisque cette vente fait partie de la sphère d’activités de l’appelante. À l’appui de sa prétention, l’intimée invoque les articles 3, 9, 14, 38 et 39 et l’alinéa 12(1)(b) de la Loi. De son côté, l’appelante soutient que ce qui a été vendu sont des biens en immobilisation admissibles et qu’en l’espèce, il s’agit d’une disposition de tous ses droits de cette nature, qu’il s’agit d’un contrat unique et qu’il s’agit donc d’une disposition de nature capitale. Elle invoque les articles 3, 14, 39, 54, 89 et 248 de la Loi.

 

[5]     Au paragraphe 9 de sa réponse à l’avis d’appel, l’intimée a admis les faits allégués aux paragraphes 14 et 15 de l’avis d’appel qui se lisent comme suit :

 

14)       L’appelante est également intervenue dans ladite entente à des engagements de confidentialité, de non-concurrence et d’exclusivité;

 

15)       En considération de la cession de ses droits de propriété intellectuelle et des engagements de confidentialité, de non-concurrence et d’exclusivité, l’appelante a reçu la somme de 450 000 $ dont un montant de 100 000 $ a été payé au cours de l’année 2000 et un montant de 350 000 $ a été payé au cours de l’année 2001.

 

[6]     L’intimée, dans sa réponse modifiée à l’avis d’appel, demande que son paragraphe 9 soit maintenant modifié comme suit :

 

Quant aux paragraphes 14 et 15 de l’avis d’appel, il s’en remet aux conventions intervenues entre l’appelante et Technologie Estrie (le tiers) et nie tout ce qui n’y est pas conforme.

 

[7]     L’intimée demande aussi l’ajout de deux nouveaux sous-paragraphes à celui qui décrit les faits sur lesquels se fonde sa cotisation et d’un tout nouveau paragraphe, comme suit :

 

            n)         l’appelante a vendu à Technologie Estrie (le tiers) les services de Bernard Marceau à titre de conseiller en recherche et développement et il était prévu, dès le départ, que le procédé à être conçu et developpé le serait pour le compte de Technologie Estrie qui en serait par conséquent l’unique propriétaire;

 

            o)         la rémunération de l’appelante comportait une partie qui était conditionnelle à la fonctionnalité du procédé, soit la somme de 450 000 $, mais cette rémunération se rattachait néanmoins aux services de conseiller en recherche et développement qui faisaient l’objet du contrat intervenu entre Technologie Estrie et l’appelante;

 

17.       À ce stade-ci des procédures, il ajoute que :

 

            a)         l’appelante n’a jamais eu l’intention d’utiliser dans son entreprise le procédé conçu et developpé pour Technologie Estrie;

 

            b)         si l’appelante a pu croire à la détention de quelque droit de propriété que ce soit dans ce procédé, ce qu’il nie, elle avait l’intention de spéculer sur la revente desdits droits de propriété.

 

[8]     Est-ce que les modifications que veut apporter l’intimée à sa réponse à l’avis d’appel sont de nature à modifier le fondement de la cotisation ou s’agit-il simplement de nouveaux arguments? Y a-t-il rétraction d’un aveu comme le prétend l’appelante?

 

[9]     L’importance de la première question repose sur le fait que le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin. Cette affirmation provient de l’arrêt Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358, dans lequel la juge McLachlin s’est exprimée ainsi :

 

[…] Le ministre ne peut prétendre que la Banque ne pouvait pas transférer sa participation à cette étape.  Il doit reconnaître que le transfert a eu lieu parce que la cotisation qu'il a établie à l'égard de la Banque reposait sur l'hypothèse que cette dernière avait disposé de sa participation dans la société en nom collectif.  Je suis d'accord avec le juge Bastarache pour dire que ne peut être retenu l'argument du ministre — soulevé pour la première fois devant notre Cour — que la Banque a vendu des éléments d'actif de crédit-bail amortissables ou encore que celle-ci était par ailleurs imposable à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement en application du par. 88(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications.  Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin.

 

[10]    À mon avis et selon ce que les plaidoiries révèlent, le conflit qui oppose les parties repose sur la question de savoir s’il s’agit en l’espèce d’un revenu d’entreprise tiré des activités et des démarches de l’appelante ou d’un revenu provenant de la vente de tous les biens en immobilisation admissibles de l’appelante. Dans cette deuxième hypothèse, puisqu’il s’agit d’un contrat unique, le revenu serait de nature capitale et ferait ainsi l’objet d’une inclusion à 50% selon le paragraphe 14(1) de la Loi pour l’année d’imposition en cause.

 

[11]    L’intimée, dans ses modifications, soutient toujours qu’il s’agit d’un revenu d’entreprise. À mon avis, les modifications qu’elle apporte ne changent pas le fondement de la cotisation. Il s’agit plutôt d’un argument additionnel appuyant la thèse du revenu d’entreprise tiré des activités et des démarches de l’appelante, cette thèse étant établie en conformité avec ce que la Loi définit comme faisant partie d’une entreprise. Le terme « entreprise » est défini au paragraphe 248(1) comme suit :

 

« entreprise »  Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou d'un emploi.

 

[12] Dans une toute récente décision de la Cour canadienne de l’impôt, soit la décision Réal Beaulieu c. Sa Majesté la Reine, 2005CCI605, le juge Dussault a fait une analyse détaillée de la jurisprudence sur la question de savoir si une modification par le ministre à sa procédure constitue un nouveau fondement pour une cotisation ou s’il s’agit d’un nouvel argument. Il est arrivé à la conclusion qu’il s’agit d’une distinction très difficile à faire et qu’elle demeure imprécise. Il s’est exprimé ainsi aux paragraphes 50 et 51 de sa décision :

 

Comme on peut le constater, la distinction entre ce qui constitue un changement dans le fondement d'une cotisation et ce qui peut être considéré comme de nouveaux arguments à l'appui d'une cotisation s'avère très difficile à établir et demeure imprécise. Toutefois, on ne peut manquer de constater que les tribunaux ont traditionnellement reconnu qu'une cotisation est essentiellement le résultat d'un processus, résultat qui exprime le montant de l'impôt, de l'intérêt et des pénalités dont un contribuable est redevable, et que c'est ce résultat qui est fondamentalement contesté dans un appel d'une cotisation.

 

La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Banque Continentale, précitée, a sanctionné le principe selon lequel le ministre ne peut, après l'expiration du délai de prescription, avancer un argument qui équivaut à modifier l'hypothèse fondamentale sur laquelle repose la cotisation ou, si l'on veut, « sa base » ou « son fondement » de sorte que l'objet d'un appel deviendrait une cotisation fondamentalement différente de celle qui a été établie. Toutefois, dans la mesure où l'on considère qu'une cotisation représente essentiellement « un montant », comme l'ont si souvent affirmé les tribunaux, j'estime que le paragraphe 298(6.1) de la Loi — tout comme le paragraphe 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu — permet au ministre, sous réserve des restrictions qui y sont mentionnées, d'avancer après l'expiration du délai de prescription tout argument fondé sur les faits ou le droit pour défendre, en totalité ou en partie, le montant de la cotisation. Évidemment, la restriction demeure que le ministre ne peut, après l'expiration du délai de prescription, tenter, de quelque façon que ce soit, d'augmenter le montant de la cotisation, ce qui équivaudrait à lui permettre d'en appeler de sa propre cotisation.

 

[13] En l’espèce, le fondement de la cotisation est qu’il s’agit ici d’un revenu tiré d’une entreprise. L’intimée, à mon avis, ne fait que soulever un argument additionnel voulant que ce revenu d’entreprise puisse consister en une opération à caractère commercial ou comportant un risque, mais que, dans tous les cas, il s’agit d’un revenu tiré d’une entreprise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi. Les modifications qu’elle apporte ne changent en rien la question en litige qui est de savoir s’il s’agit d’une vente qui entre dans le cadre des activités d’une entreprise ou s’il s’agit d’une vente de biens en immobilisation admissibles.

 

[14] Il me paraît donc évident en l’espèce que les modifications que veut apporter l’intimée ne visent pas à augmenter le montant de la cotisation. L’hypothèse fondamentale sur laquelle repose la cotisation n’est pas modifiée, de sorte qu’il est permis à l’intimée, en l’espèce, d’avancer de nouveaux arguments comme le permet le paragraphe 152(9) de la Loi. Il s’agit donc d’un nouvel argument au soutien de la cotisation.

 

[15] L’appelante soutient que, si la modification de la réponse à l’avis d’appel est admise, elle aurait pour effet d’accorder à l’intimée une rétractation de l’aveu qu’elle a fait en admettant le contenu des paragraphes 14 et 15 reproduits ci-haut. L’intimée ne voit pas ça comme étant une rétractation d’un aveu puisqu’elle s’en remet simplement aux conventions intervenues entre l’appelante et un tiers et que ces conventions devraient faire la lumière sur ce que les parties ont conclu.

 

[16] Je n’ai pas entendu la preuve ni analysé de façon définitive les conventions intervenues entre les parties. Cette question va relever de la compétence du juge qui entendra la cause. Il m’est toutefois possible de croire que la contrepartie versée par le tiers visait l’acquisition de la propriété intellectuelle et l’obtention d’engagements de non-concurrence et de confidentialité. Pour cette raison, il me semble que la modification apportée à la réponse à l’avis d’appel ne change pas le caractère de ce qui a été vendu de sorte qu’il ne s’agit pas d’une rétractation d’aveu en soi. L’intimé, à mon avis, tente plutôt de s’assurer que la question en litige porte sur l’interprétation des ententes, laquelle pourra sans doute permettre de déterminer la nature de cette opération et son traitement fiscal. Je ne suis donc pas convaincu que les modifications que veut apporter l’intimée sur cette question constituent une rétractation d’aveu comme telle.

 

[17] Pour ces motifs, la requête de l’intimée est accueillie et j’autorise le dépôt de la réponse modifiée à l’avis d’appel en date du 20 septembre 2005 conformément à l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2005.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI729

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-2598(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Les Entreprises Bernard Marceau Inc. et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 29 septembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 novembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Richard Généreux

 

Avocat de l'intimée :

Me Nathalie Lessard

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante:

 

                   Nom :                             Me Richard Généreux

 

                   Étude :                            Généreux Côté

                                                          Avocats

                                                          Drummondville (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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