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Dossier : 2003-688(EI)

ENTRE :

HENRY IVAN PERON,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CHEERS BAR SERVICES INC.,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Montréal (Québec),

les 20 août 2004 et 2 février 2005

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me James Murphy

Avocate de l’intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

Avocat de l’intervenante :

Me Christopher R. Mostovac

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L’appel interjeté conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli sans frais et la décision rendue le 20 novembre 2002 par le ministre du Revenu national est modifiée aux motifs que l’appelant travaillait aux termes d’un contrat de travail conclu avec Cheers Bar Services Inc. pendant la période allant du 7 mars 2001 au 7 mars 2002, qu’il avait accumulé 1 688 heures assurables et qu’il avait reçu une rémunération assurable d’un montant de 46 156,25 $ pendant cette période.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 21e jour de décembre 2005.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’octobre 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


 

 

 

 

Référence : 2005CCI800

Date : 20051221

Dossier : 2003-688(EI)

ENTRE :

HENRY IVAN PERON,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CHEERS BAR SERVICES INC.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une décision par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a conclu, le 20 novembre 2002, que l’appelant exerçait un emploi assurable alors qu’il travaillait chez Cheers Bar Services Inc. (« Cheers ») pendant la période allant du 7 mars 2001 au 7 mars 2002, qu’il avait reçu une rémunération assurable de 5 306 $ pour les 14 dernières périodes de paie et qu’il avait accumulé 440 heures assurables pendant la période en question. Cette décision annulait une décision antérieure rendue par une agente autorisée de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») le 28 juin 2002, selon laquelle l’appelant avait accumulé 1 688 heures assurables et avait reçu une rémunération assurable de 46 156,25 $ pour la même période alors qu’il travaillait chez Cheers.

 

[2]     L’appelant demande à la Cour de rétablir la première décision, rendue le 28 juin 2002, et de confirmer qu’il a accumulé 1 688 heures assurables et qu’il a reçu un montant de 46 156,25 $ au titre de la rémunération assurable pendant la période en question. Cheers, l’employeur et l’intervenante dans le présent appel, appuie la seconde décision (celle du 20 novembre 2002) ainsi que la position prise par l’intimé dans le présent appel et demande à la Cour de confirmer que l’appelant a accumulé 440 heures assurables et qu’il a reçu 5 306 $ au titre de la rémunération assurable pendant la même période, ce qui est conforme au relevé d’emploi délivré par Cheers le 25 avril 2002 (pièce A‑14). La première décision (celle du 28 juin 2002) était fondée sur la prémisse selon laquelle l’appelant avait reçu les montants suivants sur une base hebdomadaire à titre d’employé de Cheers : 200 $ au titre du salaire, 400 $ au titre de commissions, ainsi que des pourboires s’élevant à environ 275 $, soit un montant de 46 156,25 $ en tout au titre de la rémunération assurable et 1 688 heures assurables sur une période de 49 semaines (selon le témoignage de Suzanne Cloutier, agente des décisions à l’ADRC (transcription, premier jour de l’audience, 20 août 2004, pages 20 à 26) pendant la période en question. Quant à la seconde décision (celle du 20 novembre 2002), il était uniquement tenu compte du montant de 200 $ par semaine et on a considéré que l’appelant avait reçu le montant de 400 $ par semaine à titre d’entrepreneur indépendant, et que les pourboires en question ne constituaient pas une rémunération assurable aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « RRAPC »).

 

Les points en litige

 

[3]     Les questions qui se posent dans le présent appel peuvent donc être résumées comme suit :

 

a)       L’appelant a‑t‑il reçu le montant de 400 $ par semaine qu’il a gagné à titre d’employé de Cheers ou à titre d’entrepreneur indépendant?

 

b)      Les pourboires en question constituent‑ils une rémunération assurable aux termes du paragraphe 2(1) du RRAPC?

 

Les faits

 

[4]     Cheers exploite des bars et des boîtes de nuit. Cette entreprise appartient à Dayton Investment Limited, qui appartient à 100 p. 100 à M. William Wolfstein (voir l’alinéa 8b) de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), lequel n’est pas contesté). L’appelant a initialement commencé à travailler chez Cheers comme barman au mois de septembre 1990, à [TRADUCTION] l’« emplacement de la rue MacKay », à Montréal. Au mois d’octobre 1993, l’appelant a été muté à l’emplacement de la payeuse situé à Brossard, au Québec. À l’automne 1995, l’appelant assumait les tâches de barman et de gérant de nuit intérimaire. Au mois de février 1998, il est devenu gérant de nuit permanent et il a cessé de travailler comme barman.

 

[5]     En sa qualité de gérant de nuit, l’appelant était responsable du personnel (barmen, barmaids, serveurs, serveuses et aides‑serveurs); il avait des entrevues avec eux, il vérifiait leurs références et il les embauchait; il assurait ensuite leur formation et il organisait leurs horaires de travail et leurs vacances.

 

[6]     Toutefois, l’appelant affirme que, s’il fallait plus de personnel, ou s’il fallait réduire le personnel, il en parlait au propriétaire, M. Wolfstein, qui était celui qui, en fin de compte, prenait la décision.

 

[7]     L’appelant lui‑même travaillait habituellement quatre jours par semaine, de 20 h jusqu’à la fermeture du bar, à 3 h ou 4 h. Lorsqu’il y avait beaucoup de clients, il arrivait parfois que l’appelant travaillait cinq jours par semaine. L’horaire de travail de l’appelant était fixé par M. Wolfstein.

 

[8]     Il n’y avait pas de livre de règlements, mais certaines lignes directrices énonçaient les responsabilités du gérant.

 

[9]     Le gérant de nuit inscrivait, dans un registre qui était conservé dans le bureau, tout ce qui était important pour l’entreprise (comme le fait qu’il n’y avait pas assez de verres ou de bière, ou les problèmes qui s’étaient posés un soir donné).

 

[10]    M. Wolfstein se présentait rarement au bar le soir, mais il s’y rendait une fois par semaine pendant la journée et il donnait des ordres qui étaient consignés par le gérant de jour dans le registre du gérant, à l’attention de l’appelant. Des caméras vidéo couvrant chaque partie du bar étaient installées. Les caméras fonctionnaient 24 heures sur 24 avec transmission en direct chez M. Wolfstein. L’appelant a déclaré qu’il représentait M. Wolfstein en son absence et qu’il rendait compte directement à celui‑ci.

 

[11]    L’une des tâches du gérant de nuit consistait également à promouvoir l’entreprise. L’appelant organisait différentes activités qui, selon ce qu’il a dit, étaient directement proposées par M. Wolfstein ou par MMi Media Marketing Inc., une société représentée par M. Randolph Bickerton, dont les services avaient été retenus par Cheers pour faire du travail de promotion.

 

[12]    L’appelant n’avait pas son mot à dire au sujet du prix des boissons alcooliques et autres qui étaient vendues dans les locaux du bar. M. Wolfstein était responsable des fluctuations de prix et il décidait également des marques à vendre et des fournisseurs avec qui il traitait.

 

[13]    Quant à la question de la rémunération, l’appelant a d’abord reçu un salaire hebdomadaire de 600 $ de Cheers lorsqu’il est devenu gérant de nuit à plein temps. Il existait également chez Cheers une politique selon laquelle le gérant de nuit avait droit à un pour cent du montant brut des ventes conclues par le personnel de service, le montant étant directement remis à l’appelant par le personnel de service à l’aide des pourboires. Après chaque poste de nuit, l’appelant inscrivait les noms des employés qui avaient travaillé, la date, le montant des ventes qu’ils avaient conclues et le montant représentant un pour cent des ventes que ces employés lui avaient versé. Cela aidait également l’appelant à juger du rendement du personnel quant aux ventes. Des copies de ces documents ont été produites en preuve sous la cote A‑3. Les soirs où l’appelant ne travaillait pas, ces renseignements et le montant représentant un pour cent des ventes étaient reçus du gérant adjoint de nuit par le gérant de jour et ils étaient par la suite remis à l’appelant.

 

[14]    Selon la pièce A‑3, l’appelant a perçu un montant de 14 718 $ sur les pourboires des employés pour la période allant du mois de février 2001 au mois de janvier 2002, ce montant représentant un pour cent des ventes conclues par le personnel de service pendant cette période.

 

[15]    Toutefois, l’appelant a expliqué que M. Wolfstein exerçait un contrôle sur son droit de percevoir le montant représentant un pour cent des ventes. L’appelant a cité comme exemple un cas, tiré du registre du gérant (pièces A‑4 et A‑5), dans lequel le propriétaire n’était pas satisfait de sa décision de modifier l’horaire du personnel de jour. M. Wolfstein a décidé unilatéralement de suspendre temporairement, pour une période de trois mois, le droit de l’appelant de percevoir le montant représentant un pour cent sur les ventes conclues pendant la journée.

 

[16]    L’appelant n’a jamais déclaré, dans ses déclarations de revenus, le montant représentant un pour cent des ventes conclues par les employés à titre de revenu.

 

[17]    Quant au salaire hebdomadaire de 600 $, l’appelant s’est vite rendu compte, après avoir été nommé gérant à plein temps, au mois de février 1998, qu’il faisait moins d’argent que lorsqu’il travaillait comme barman, même si ses responsabilités étaient plus lourdes. L’appelant a expliqué qu’il gagnait un montant net de 850 à 1 000 $ par semaine lorsqu’il travaillait simplement comme barman. Il s’est donc plaint à M. Wolfstein et il a demandé une augmentation. L’appelant a proposé de toucher un salaire hebdomadaire de 200 $ qui serait inscrit sur la liste de paie de l’employeur ainsi qu’un montant en espèces de 400 $ par semaine. M. Wolfstein, dont l’entreprise était régulièrement vérifiée par le gouvernement, n’a pas accepté la proposition de l’appelant. Selon la version donnée par l’appelant, M. Wolfstein a plutôt proposé un système à deux niveaux selon lequel le salaire hebdomadaire de l’appelant serait ramené à 200 $, celui‑ci devant fournir des services de promotion à Cheers sur une base contractuelle et recevoir en échange un montant hebdomadaire de 400 $. En d’autres termes, l’appelant devait remettre à Cheers une facture d’un montant de 400 $ par semaine pour ses services de gérant‑conseiller. Cela était justifié par les fonctions de promotion assumées par le gérant de nuit. En plus de ce montant, l’appelant continuerait à recevoir le montant représentant un pour cent des ventes conclues par les employés. Comme l’appelant l’a noté, ses tâches n’avaient pas changé par la suite. Seules les modalités de rémunération avaient changé. Apparemment, M. Wolfstein avait expliqué à l’appelant, à ce moment‑là, que pour qu’un tel changement puisse être effectué dans le livre de paie, celui‑ci devrait s’inscrire sous un nom commercial, avoir plusieurs sources de revenu et obtenir un numéro d’inscription aux fins de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») et de la taxe de vente provinciale (la « TVP »). Si je comprends bien, cet arrangement convenait à l’appelant à ce moment‑là, étant donné que Cheers ne retenait à la source aucun montant au titre de l’impôt sur le revenu et à d’autres fins sur ce paiement hebdomadaire de 400 $. Je crois également comprendre que l’appelant n’a jamais déclaré ce montant dans ses déclarations de revenus et qu’il n’a donc pas payé d’impôt sur ce montant.

 

[18]    L’appelant a commencé à toucher un salaire hebdomadaire de 200 $ le 6 mai 1998. À compter de cette date, les talons des chèques de paie qui ont été produits sous la cote A‑2 indiquent un salaire de 400 $ et 20 heures assurables pour chaque période de paie de deux semaines.

 

[19]    Si je comprends bien, c’est à ce moment‑là que l’appelant a commencé à remettre à Cheers des factures d’un montant de 400 $ par semaine. Toutefois, les seules factures qui ont été produites en preuve étaient celles qui avaient été établies pour les années 2000 et 2001 à l’égard d’événements promotionnels (pièce A‑6).

 

[20]    Toutefois, ce n’est qu’au mois d’août 2001 que M. Wolfstein a insisté pour que l’appelant établisse ses factures sous un nom commercial et pour qu’il s’inscrive aux fins de la TPS et de la TVP. Le 10 août 2001, l’appelant s’est donc inscrit auprès de l’Inspecteur général des institutions financières à titre d’homme d’affaires individuel sous le nom I. Peron (voir la pièce A‑7). Il a également demandé un certificat d’inscription aux fins de la taxe de vente du Québec et il a reçu ce certificat le 27 août 2001 (voir la pièce A‑8). De plus, l’appelant a attesté, dans un document daté du 28 août 2001, que I. Peron (inscrit aux fins de la TPS et de la TVP) faisait affaire avec Cheers ainsi qu’avec d’autres entreprises (pièce A‑9).

 

[21]    L’appelant a expliqué qu’il avait rédigé ce document (pièce A‑9) à la demande de M. Wolfstein, mais qu’en fait, il n’avait jamais fait affaire avec qui que ce soit d’autre. Il travaillait uniquement pour Cheers. L’appelant affirme qu’on lui a dit qu’en l’absence de ce document, M. Wolfstein ne le laisserait pas travailler.

 

[22]    L’appelant a également reconnu avoir d’abord essayé de facturer Cheers en utilisant de faux numéros de TPS et de TVP (voir la facture datée du 26 août, numéro 599484, qui est le troisième document produit sous la cote I‑3). Apparemment, l’appelant l’avait fait parce que M. Wolfstein exerçait des pressions sur lui pour qu’il exige la TPS et la TVP et qu’il menaçait de le renvoyer s’il ne fournissait pas de numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVP. Puisqu’il n’avait pas encore demandé ces numéros, l’appelant avait donné de faux numéros afin d’essayer de satisfaire M. Wolfstein. L’appelant a obtenu ses certificats aux fins de la TPS et de la TVP deux jours plus tard.

 

[23]    Par la suite, même s’il exigeait la TPS et la TVP et même s’il percevait ces taxes (selon la copie du carnet de la Caisse populaire Desjardins qui a été produite sous la cote A‑12), l’appelant n’a jamais versé au fisc la taxe ainsi perçue.

 

[24]    L’appelant a été renvoyé le 11 mars 2002. Par la suite, il s’est rendu aux bureaux de l’ADRC, il a rencontré un enquêteur et il a divulgué sa situation personnelle. L’appelant a affirmé qu’il voulait tout avouer, dans l’intention, comme je le suppose, d’être en mesure de demander des prestations d’assurance‑emploi. Le 13 novembre 2002, l’appelant a annulé l’enregistrement de l’entreprise sous le nom d’I. Peron auprès de l’Inspecteur général des institutions financières (pièce A‑7).

 

[25]    M. Wolfstein a dit à Yvan Brisebois, un agent d’assurance‑emploi, que l’appelant avait été renvoyé, parce qu’il manquait du matériel d’une valeur approximative de 100 000 $. M. Brisebois a procédé à son enquête aux fins de l’assurance‑emploi entre le 23 avril et le 2 mai 2002. Dans un affidavit signé par M. Wolfstein le 29 avril 2002 (pièce A‑13) à l’appui d’une requête présentée devant la Cour supérieure du Québec pour qu’une saisie avant jugement soit effectuée à l’encontre de l’appelant, M. Wolfstein a également accusé l’appelant de vol et de détournement de fonds aux dépens de Cheers. M. Brisebois n’a pas été mis au courant de ces allégations dont l’appelant faisait l’objet.

 

[26]    En rendant la première décision de l’ADRC en date du 28 juin 2002, Suzanne Cloutier, agente des décisions, est arrivée à la conclusion selon laquelle le travail effectué par l’appelant à titre de gérant de nuit pendant la période en question était entièrement un emploi assurable, qu’il avait accumulé 1 688 heures assurables et qu’il avait reçu une rémunération assurable de 46 156,25 $. Pour arriver à cette décision, l’agente s’est fondée sur une lettre datée du 1er juin 2001, signée par Mme Sheree Jackson, gérante de bureau et agente de la paie chez Cheers, et adressée à l’agent des services bancaires personnels de l’appelant, laquelle visait à confirmer le revenu de l’appelant aux fins de l’approbation d’un prêt (pièce I‑1). Cette lettre disait que l’appelant travaillait chez Cheers depuis le mois de septembre 1990. La lettre mentionnait, entre autres choses, que depuis 1995, l’appelant travaillait comme gérant général, ce qui était un poste à plein temps. Mme Jackson a déclaré que le revenu que l’appelant tirait de Cheers était le suivant :

 

            [TRADUCTION]

 

PAIE

200 $ par semaine

 

10 000 $ par année

 

FACTURÉ

100 $ par jour

400 $ par semaine

20 800 $ par année

 

OPTIONS D’ACHAT D’ACTIONS

275 $ par semaine

14 330 $ par année

 

Les salaire, honoraires et rendements prévus pour l’année 2001 s’élèvent à 45 500 $.

 

[27]    Dans un second affidavit, signé par M. Wolfstein le 14 juin 2002 et produit sous la cote A‑13, celui‑ci a déclaré ce qui suit au paragraphe 22 :

 

[TRADUCTION]

 

22.       Le 1er juin 2001, sans que je le sache et sans que j’y consente, j’ai été informé par Mme Jackson que le défendeur [M. Peron] lui avait demandé de signer une lettre adressée à sa banque pour confirmer son revenu, de façon qu’il puisse faire approuver un prêt, cette lettre contenant des renseignements faux et trompeurs qui donnaient à entendre que le défendeur détenait des « options d’achat d’actions » d’une valeur de 14 330 $ par année, comme le tout apparaît plus en détails sur une copie de cette lettre datée du 25 avril 2001, communiquée par le demandeur avec les présentes sous la cote P‑2A, alors qu’en fait, il n’y avait pas d’options d’achat d’actions et que je n’ai jamais versé d’argent au défendeur en sus de son salaire hebdomadaire et des montants facturés par « I. Peron ».

 

[28]    Dans un affidavit qu’elle a signé le 29 avril 2002, Mme Sheree Jackson a reconnu que M. Wolfstein ne l’avait pas autorisée à signer cette lettre et que M. Wolfstein n’avait pas été mis au courant de l’existence de la lettre. Dans son affidavit, Mme Jackson a également mentionné que la lettre du 1er juin 2001 avait été entièrement préparée par l’appelant uniquement en vue de l’obtention d’un prêt personnel (pièce I‑2)[1]. L’appelant lui‑même a produit en preuve une autre lettre, datée du 8 mars 2000, signée par Mme Jackson à titre d’administratrice de bureau et d’agente de la paie chez Cheers et adressée à l’agent des services bancaires personnels de l’appelant (pièce A‑10), dans laquelle il est déclaré que le revenu que l’appelant avait tiré de Cheers était le suivant :

 

[TRADUCTION] Les revenus que M. Peron a tirés de CHEERS BAR SERVICE sont les suivants :

 

PAIE                salaire actuel de 200 $ par semaine

                        salaire annuel de 10 400 $

 

FACTURÉ       honoraires de gérant, 100 $ par jour

                        400 $ par semaine

                        20 800 $ par année

 

Les salaires et honoraires prévus pour l’année 2000 s’élèvent à 31 200 $.

 

[29]    Cette lettre a été signée en l’an 2000 en vue de permettre à l’appelant d’obtenir un prêt antérieur. Il n’est pas fait mention d’options d’achat d’actions et l’appelant a expliqué que le revenu reconnu par Cheers en l’an 2000 était suffisant pour ses fins à ce moment‑là.

 

[30]    L’appelant a également dit que c’était Sheree Jackson qui avait proposé de parler des « options d’achat d’actions » dans la seconde lettre en date du 1er juin 2001 (pièce I‑1) en vue d’indiquer son droit au montant représentant un pour cent des ventes. L’appelant a affirmé que, contrairement à ce qu’elle avait déclaré dans son affidavit (pièce I‑2), Mme Jackson avait elle‑même composé la lettre et qu’elle avait inscrit le revenu qu’il avait tiré de Cheers en 2001 comme s’élevant à 45 500 $. L’appelant a également témoigné que c’était l’idée de M. Wolfstein de ne pas déclarer dans ses déclarations de revenu le revenu qu’il avait reçu en facturant Cheers (400 $ par semaine) ni le montant représentant un pour cent des ventes qu’il avait reçu du personnel sur les pourboires et de ne pas verser la TPS ni la TVP au gouvernement. Apparemment, M. Wolfstein avait demandé à l’appelant de [TRADUCTION] « se taire » au sujet du montant représentant un pour cent des ventes qu’il recevait sur les pourboires du personnel et du montant de 400 $ facturé chaque semaine. L’appelant a déclaré que son employeur considérait que les économies d’impôt sur le revenu non déclaré étaient l’équivalent d’une augmentation. De toute évidence, M. Wolfstein ne souscrit pas à cette déclaration. M. Wolfstein a affirmé que tout est inscrit dans les livres de Cheers, y compris les pourboires mentionnés par les employés sur une feuille de pourboires fournie par le gouvernement.

 

[31]    L’appelant a expliqué qu’il estimait que le montant représentant un pour cent des ventes quotidiennes conclues par le personnel qui lui était remis sur les pourboires faisait partie intégrante de son salaire, parce que c’était une condition imposée par Cheers à tous ses employés, ceux‑ci devant remettre ce montant. L’appelant lui‑même avait eu à payer le montant représentant un pour cent au gérant lorsqu’il avait commencé à travailler pour Cheers comme barman. L’appelant a dit que ce système était en place lorsqu’il avait commencé à travailler et que c’était une condition d’emploi. Cela a été confirmé par un autre témoin, M. Brian Loyer, qui avait travaillé chez Cheers en 1998 et en 1999. Ce témoin a dit que [TRADUCTION] c’« était la règle du bar, si l’on voulait travailler; il fallait payer le un pour cent (1 %) au gérant à la fin de la soirée » (voir la page 11 de la transcription, premier jour de l’audience, 20 août 2004). Toutefois, l’appelant a reconnu que cette rémunération de un pour cent ne figurait pas sur les feuillets T4 à titre de revenu d’emploi.

 

[32]    En ce qui concerne les congés et les vacances, l’appelant a témoigné qu’il était remplacé par un gérant adjoint qui travaillait déjà chez Cheers. Il ne pouvait pas embaucher quelqu’un de l’extérieur pour le remplacer et il ne payait jamais le remplaçant de sa poche. Il ne touchait lui‑même aucun salaire et il ne facturait pas Cheers pour les jours où il ne travaillait pas.

 

[33]    L’avocat de l’intervenante a essayé de contredire l’appelant sur ce point. De fait, M. Wolfstein a témoigné que, pendant ses vacances, l’appelant était remplacé par M. Mike Gauthier, qui était barman et gérant adjoint chez Cheers. M. Wolfstein a affirmé que c’était à la demande de l’appelant que M. Gauthier l’avait remplacé et que Cheers ne payait pas M. Gauthier comme gérant adjoint lorsqu’il remplaçait l’appelant, mais qu’on lui payait uniquement son salaire de barman. Toutefois, M. Wolfstein n’avait pas avec lui le registre de paie de M. Gauthier pour confirmer cette allégation. En outre, je note qu’au paragraphe 17 de l’affidavit qu’il a signé le 29 avril 2002 (pièce A‑13), M. Wolfstein accusait l’appelant de s’être absenté des locaux sans autorisation à un moment où il devait accomplir son travail de gérant de nuit. Cela donne à entendre que l’appelant avait besoin d’une telle autorisation afin de prendre congé et de désigner quelqu’un pour le remplacer. En fait, pendant le contre‑interrogatoire, M. Wolfstein a reconnu que la personne qui remplaçait le gérant soumettait normalement ses heures au bureau et qu’elle était rémunérée en conséquence. Toutefois, M. Wolfstein a ajouté que si l’appelant prenait ses propres dispositions avec cette personne, le remplaçant n’était pas rémunéré de cette façon.

 

[34]    Quant à la facturation, l’avocat de l’intervenante a essayé de contredire la déclaration de l’appelant selon laquelle il ne facturait pas Cheers lorsqu’il ne travaillait pas. L’appelant a reconnu avoir pris trois semaines de vacances juste avant d’être renvoyé, au mois de mars 2002. L’avocat de l’intervenante a mis le témoin en présence de trois factures datées des 16 et 23 février ainsi que du 2 mars 2002 (pièce I‑6), soit une période pendant laquelle l’appelant prenait ses vacances. L’appelant a expliqué qu’il ne se rappelait pas à quel moment il avait remis ces factures à Cheers, mais il croyait qu’on lui avait demandé de les produire lorsqu’il était revenu de ses vacances. Il a affirmé qu’on lui disait quelle date inscrire sur chaque facture (ce qui expliquerait la raison pour laquelle ces trois factures portent des numéros consécutifs) et que les factures se rapportaient à du travail passé qui n’était pas encore inscrit dans les livres de l’employeur.

 

[35]    L’appelant était catégorique : il n’avait pas reçu de chèque de paie après la période qui a pris fin le 27 janvier 2002 (et tel semble de fait être le cas, selon les talons de chèques de paie produits sous la cote A‑2). En fait, l’appelant n’a jamais reçu de paiement pour les factures susmentionnées dont est composée la pièce I‑6, comme les chèques nuls produits sous la cote I‑8 permettent de le constater. Selon M. Wolfstein, l’appelant a préparé ces factures avant de partir en vacances au mois de février 2002 et les chèques ont été préparés à l’avance pour être remis à l’appelant à son retour. Comme M. Wolfstein l’a souligné, les chèques que Cheers avait préparés pour l’appelant ne portent pas de numéros consécutifs et n’auraient pas pu être rédigés en même temps après le retour de l’appelant. Il affirme que cela montre qu’il a préparé toutes les factures avant d’aller en vacances. Selon M. Wolfstein, les chèques devaient être remis à l’appelant à son retour, mais ils ont été annulés lorsque l’appelant a été renvoyé. Le paiement a été ajourné en attendant une entente éventuelle, mais en fait il n’y a jamais eu d’entente. Les deux parties débattent encore l’affaire en justice devant les tribunaux civils.

 

[36]    En outre, l’avocat de l’intervenante a introduit un document de Ceridian, le cabinet comptable produisant la paie pour Cheers (pièce I‑7), en vue d’essayer d’établir que l’appelant avait reçu un paiement pour la période postérieure au 27 janvier 2002, contrairement à ce que l’appelant avait déclaré. Ce document est un registre de paie concernant l’appelant, en date du 14 février 2002. Il indique qu’un paiement de 345,02 $ a été effectué en faveur de l’appelant. Toutefois, le document n’indique pas à quelle période ce paiement se rapporte. De plus, une lettre de l’avocat de M. Wolfstein en date du 6 novembre 2002 (pièce A‑2) semble indiquer que deux paiements se rapportant au salaire, l’un pour la période allant du 29 janvier au 11 février 2002 et l’autre pour la période allant du 12 février au 25 février 2002, aux montants nets de 345,02 $ et de 376,36 $ respectivement, sont encore non réglés. Ce document semble confirmer qu’en fait, l’appelant n’a pas été rémunéré pour quelque période de travail ayant pris fin après le 27 janvier 2002.

 

Analyse

 

[37]    Il n’est pas contesté en l’espèce que l’appelant travaillait aux termes d’un contrat de louage de services chez Cheers en ce qui concerne une partie du moins de son travail. C’est le montant de la rémunération assurable et le nombre d’heures assurables qui sont ici en litige.

 

[38]    L’intimé a accepté la version de Cheers selon laquelle l’appelant travaillait pour Cheers pendant une partie du temps comme employé et pendant une partie du temps comme contractuel. Bien qu’il ait fait une déclaration contraire dans la pièce A‑9, l’appelant a soutenu qu’il travaillait uniquement pour Cheers pendant la période en question et qu’il le faisait uniquement à titre d’employé. L’appelant affirme que la rémunération totale qu’il a reçue de Cheers était un revenu d’emploi et que l’intimé a tort de considérer une partie de cette rémunération comme un revenu tiré d’un contrat. L’appelant a avancé le même argument au sujet du nombre d’heures assurables qu’il avait effectuées pendant cette période. Étant donné qu’il estime que le travail qu’il a effectué chez Cheers a été accompli aux termes d’un contrat de travail seulement, et non d’un contrat hybride dans le cadre duquel il aurait été employé pendant une partie du temps et contractuel pendant le reste du temps, l’appelant maintient que toutes les heures qu’il a effectuées chez Cheers devraient être considérées comme des heures assurables.

 

[39]    L’intimé s’est fondé sur le relevé d’emploi en adoptant la position de Cheers.

 

[40]    Il s’agit ici de déterminer la nature de la relation contractuelle qui existait entre l’appelant et Cheers pendant la période en question. Il n’y a pas de contrat écrit, mais les deux parties ont conclu une entente verbale de fourniture de services à rendre au Québec et leurs relations sont donc assujetties au droit applicable dans la province de Québec.

 

[41]    La Cour doit déterminer ce qu’était la relation contractuelle véritable entre les parties. Ce faisant, elle se fondera sur le Code civil du Québec (le « CCQ ») et, plus précisément, sur les dispositions suivantes :

 

 

1378Le contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.

1378A contract is an agreement of wills by which one or several persons obligate themselves to one or several other persons to perform a prestation.

 

[...]

[...]

 

1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1425. The common intention of the parties rather than adherence to the literal meaning of the words shall be sought in interpreting a contract.

 

 

1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

1426. In interpreting a contract, the nature of the contract, the circumstances in which it was formed, the interpretation which has already been given to it by the parties or which it may have received, and usage, are all taken into account.

 

[...]

 

[...]

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2085. A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer

 

[...]

 

 

[...]

 

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2098. A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

 

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

2099. The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

[42]    Par conséquent, la nature du contrat, les circonstances dans lesquelles il a été conclu, l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue ainsi que les usages doivent tous être pris en compte. Et parmi les circonstances dans lesquelles la relation contractuelle a été établie se trouve l’intention légitime déclarée des parties, un facteur important retenu par la jurisprudence (voir l’arrêt 9041‑6868 Québec Inc. c. M.R.N., 2005 CAF 334, mentionnant au paragraphe 9 les arrêts Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, 2002 CAF 96, paragraphes 119 et 122; Productions Petit Bonhomme Inc. c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.F. no 238 (QL), 2004 CAF 54; Livreur Plus Inc. c. Canada, (M.R.N.), [2004] A.C.F. no 267 (QL), 2004 CAF 68; Poulin c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.F. no 141 (QL), 2003 CAF 50; Tremblay c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.F. no 802 (QL), 2004 CAF 175).

 

[43]    En l’espèce, l’appelant a initialement travaillé comme barman et, par la suite, comme gérant de nuit. Dans l’exercice de ses fonctions de gérant de nuit, il supervisait le personnel et organisait des événements promotionnels. L’appelant était responsable de l’exploitation du bar pendant son poste. Il n’est pas nié que l’horaire de l’appelant était établi par M. Wolfstein. Il ressort également clairement de la preuve que l’appelant rendait compte à M. Wolfstein, directement ou par l’entremise du registre du gérant, de tout problème lié à l’exploitation du bar. Le bar était muni de caméras couvrant tous les secteurs des locaux, avec transmission en direct chez M. Wolfstein. L’appelant avait notamment pour tâche d’embaucher les employés ou d’effectuer des réductions de personnel, et il le faisait sous la direction de M. Wolfstein. Les autres fonctions de l’appelant se rapportaient à des activités de promotion, mais l’appelant n’avait pas la latitude voulue pour changer les prix ou pour vendre des marques autres que celles dont M. Wolfstein avait décidé. Il n’est pas nié que Cheers avait conclu un contrat avec une société particulière, MMi Media Marketing Inc., pour les activités de promotion. Dans son témoignage, M. Wolfstein a mentionné que l’appelant avait manifesté un intérêt direct, lorsqu’il s’agissait de promouvoir le bar, en portant à un moment donné le chiffre d’affaires de 15 000 $ par semaine à 30 000 $ par semaine, mais la preuve révélait que le rôle de promotion de l’appelant était en fait restreint et qu’il se limitait aux activités approuvées par M. Wolfstein. M. Wolfstein examinait même les modifications apportées aux horaires du personnel, comme le montre le seul incident qui a coûté à l’appelant une réduction du montant qu’il recevait sur les pourboires, réduction qui pouvait être imposée à la seule discrétion de M. Wolfstein.

 

[44]    Selon le droit civil québécois, le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur. En déterminant la nature d’un contrat de travail, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt 9041‑6868 Québec Inc., précité, s’est fondée sur les remarques de Robert P. Gagnon dans l’ouvrage intitulé Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2003, aux pages 66 et 67 :

 

90 – Facteur distinctif – L’élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. […] Ainsi, alors que l’entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l’article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l’employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

91 – Appréciation factuelle – La subordination se vérifie dans les faits. À cet égard, la jurisprudence s’est toujours refusée à retenir la qualification donnée au contrat par les parties…

 

92        […] Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. […] On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise. [Non souligné dans l’original.]

 

[45]    Si nous appliquons ces indices au présent appel, il n’est pas très difficile de conclure, malgré certaines contradictions dans la preuve, que l’appelant travaillait chez Cheers uniquement aux termes d’un contrat de travail. De fait, sa présence sur les lieux était obligatoire (voir l’affidavit de M. Wolfstein en date du 29 avril 2002, paragraphe 17, pièce A‑13). Certains faits n’ont pas été contredits ou ont été corroborés par la preuve documentaire : M. Wolfstein exerçait un contrôle sur l’horaire de l’appelant et sur son travail; l’appelant rendait compte à M. Wolfstein directement ou par l’entremise du registre du gérant; l’appelant n’avait pas beaucoup de latitude en prenant des décisions pendant son poste de travail et, dans certains cas, on avait même menacé de réduire le montant de sa rémunération (voir le registre du gérant, pièces A‑4, A‑5 et A‑15); M. Wolfstein avait dans le bar un système de caméra avec transmission en direct chez lui 24 heures sur 24; l’appelant n’avait aucune discrétion quant au prix de vente des boissons ou quant aux marques vendues et, par conséquent, ses activités de promotion étaient sérieusement limitées, puisqu’elles se restreignaient aux activités approuvées par M. Wolfstein (voir par exemple la pièce A‑18, qui montre qu’un événement spécial devait être justifié devant M. Wolfstein); l’appelant ne pouvait pas quitter les lieux sans se faire remplacer par quelqu’un qui travaillait déjà chez Cheers (M. Wolfstein n’a pas pu démontrer que l’appelant rémunérait de sa poche la personne qui le remplaçait. De fait, le témoignage de M. Wolfstein révèle plutôt que quiconque remplaçait l’appelant était normalement rémunéré par Cheers pour les responsabilités plus lourdes ainsi assumées).

 

[46]    Même si, en ce qui concerne la rémunération de l’appelant, les parties sont arrivées à une entente qui tend à indiquer, en soi, que l’appelant effectuait en partie son travail sur une base contractuelle, il n’est pas nié que le travail était le même tant avant qu’après le changement des modalités de rémunération. Il importe de noter également que ce n’est qu’au mois d’août 2001 que l’appelant a fait enregistrer un nom commercial et qu’il a commencé à exiger la TPS et la TVP, même s’il facturait Cheers depuis le printemps 1998 selon le système à deux niveaux. Il faut se rappeler ici que M. Wolfstein a témoigné que, selon une condition préalable à la conclusion d’un contrat avec Cheers, l’entrepreneur devait être inscrit sous un nom commercial et qu’il devait être inscrit afin d’être en mesure de percevoir la TPS et la TVP. Selon M. Wolfstein, la discussion avec l’appelant sur ce point est survenue en 1998, lorsque l’appelant a demandé une augmentation. Il est passablement important de noter que, pendant trois ans, Cheers a accepté les factures de l’appelant sans que la TPS ni la TVP y soient perçues.

 

[47]    À mon avis, même si l’appelant envoyait des factures de 400 $ par semaine, cela ne change rien au fait qu’il travaillait encore sous la direction et sous la supervision de M. Wolfstein. Il est vrai que l’appelant ne suscite pas beaucoup de compassion si l’on considère que c’est lui qui a fait le premier pas en vue de faire changer les modalités de sa rémunération. L’appelant n’était pas satisfait du revenu net qu’il recevait sur son salaire régulier (600 $ par semaine) en sa qualité de gérant de nuit. L’appelant soutient que c’est M. Wolfstein qui a proposé le prétendu système à deux niveaux, mais c’est l’appelant qui a d’abord proposé de recevoir des paiements en espèces non déclarés au lieu d’un plein salaire inscrit dans le livre de paie. L’appelant était également parfaitement satisfait du système de facturation, étant donné qu’aucun montant n’était retenu à la source et qu’il ne déclarait pas le revenu reçu de cette façon. Peu importe que l’idée de ne pas déclarer le revenu ait été celle de M. Wolfstein ou non, il reste que l’appelant n’a pas contesté cette façon de faire les choses tant qu’il n’a pas été renvoyé et tant qu’il ne s’est pas rendu compte, comme je le suppose, qu’il ne serait pas couvert par le régime d’assurance‑emploi du gouvernement.

 

[48]    Je puis uniquement réprouver l’attitude de l’appelant et celle de M. Wolfstein en ce qui concerne leurs responsabilités civiles en tant que contribuables canadiens, mais mon rôle est ici de décider si l’appelant travaillait pour Cheers entièrement aux termes d’un contrat de travail. Selon la preuve mise à ma disposition, je puis dire sans hésitation que l’appelant travaillait pour Cheers uniquement aux termes d’un contrat de travail et que sa rémunération était composée à la fois du salaire hebdomadaire de 200 $ inscrit dans le livre de paie de Cheers et du montant hebdomadaire de 400 $ qui était facturé. Dans son affidavit (pièce I‑2), Mme Jackson a déclaré que M. Wolfstein ne l’avait pas autorisée à signer la lettre, produite sous la cote I‑1, attestant le revenu de l’appelant, mais M. Wolfstein n’est pas, en fait, en désaccord avec le revenu qui y est indiqué; il conteste uniquement la déclaration selon laquelle l’appelant bénéficiait d’options d’achat d’actions. En outre, M. Wolfstein ne considère pas les pourboires comme faisant partie de la rémunération que Cheers versait à l’appelant. À cet égard, les explications données par l’appelant, par M. Brian Loyer et par Mme Suzanne Cloutier me satisfont lorsqu’ils disent que le montant de 275 $ versé chaque semaine à l’appelant et désigné comme se rapportant à des « options d’achat d’actions » était en fait l’argent que l’appelant recevait sur les pourboires du personnel, ce qui correspondait à un pour cent de leurs ventes.

 

[49]    Je dois donc décider si ces pourboires peuvent être inclus dans la rémunération assurable de l’appelant, conformément au paragraphe 2(1) du RRAPC, qui est rédigé comme suit :

 

PARTIE I

RÉMUNÉRATION ASSURABLE

 

Rémunération provenant d’un emploi assurable

 

          2. (1) Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

 

a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi;

 

b) le montant de tout pourboire que l’assuré doit déclarer à l’employeur aux termes de la législation provinciale.

 

[…]

 

[50]    Cette disposition a été incluse dans les dispositions législatives invoquées par l’intimé dans la réponse, mais aucun argument n’a été avancé dans la réponse ni à l’instruction au sujet de son application. L’intervenante n’a pas non plus débattu la question. J’ai moi‑même déjà décidé dans une affaire antérieure que les pourboires qu’un employeur verse à un employé doivent être considérés comme une rémunération assurable (voir la décision Union of Saskatchewan Gaming Employees Local 40005 c. Canada (M.R.N.), 2004 CCI 799, où je me suis fondée sur l’arrêt Canadien Pacifique Limitée c. P.G. (Canada), [1986] 1 R.C.S. 678).

 

[51]    En l’espèce, Cheers perçoit sur les pourboires un pour cent des ventes conclues par le personnel pour le poste pendant lequel l’appelant ne travaille pas et conserve cet argent dans une enveloppe expressément à l’intention de l’appelant. Pendant son poste, l’appelant perçoit lui‑même du personnel ce montant représentant un pour cent et il l’inscrit dans un livre qui est conservé dans le bureau de l’employeur. À mon avis, la preuve révélait clairement que, c’était la politique de Cheers de demander au personnel de partager les pourboires avec le gérant de nuit. La preuve révélait même que M. Wolfstein avait unilatéralement décidé à un moment donné de priver temporairement l’appelant de cette source de revenu tirée des ventes conclues pendant la journée. Cela montre certes que les pourboires qui étaient remis au gérant de nuit étaient sous le contrôle de l’employeur et qu’ils étaient assujettis à la discrétion de l’employeur. À mon avis, ces pourboires faisaient partie de la rémunération assurable de l’appelant, étant donné qu’en pratique, ils étaient remis à l’appelant sous la direction de l’employeur. M. Wolfstein a également reconnu que les employés étaient tenus de déclarer leurs pourboires à l’employeur aux termes de la législation provinciale. Enfin, les montants provenant de ces pourboires étaient faciles à calculer, vu qu’ils représentaient un pour cent des ventes conclues par le personnel. Ils étaient tous enregistrés par l’appelant (pièce A‑3) et ils étaient reconnus par Mme Jackson dans la pièce I‑1 sous la rubrique « options d’achat d’actions » susmentionnée. Mme Jackson n’était pas présente afin d’expliquer pourquoi elle avait indiqué que ces montants se rapportaient à des « options d’achat d’actions ». Il régnait une certaine controverse au sujet de cette lettre, qu’elle avait rédigée au profit de la banque de l’appelant. Néanmoins, M. Wolfstein n’a pas nié le fait que l’appelant avait droit, en sa qualité de gérant de nuit, à un pour cent des ventes conclues par le personnel. L’appelant a expliqué que le montant indiqué au titre des options d’achat d’actions dans la pièce I‑1 correspondait aux paiements qu’il avait reçus sur les pourboires pendant la période en question, et ce chiffre se rapproche énormément de son propre calcul, figurant dans la pièce A‑3.

 

[52]    Pour tous ces motifs, je conclus que l’appelant travaillait aux termes d’un contrat de travail et je n’ai aucune raison de ne pas croire qu’il a effectué 1 688 heures assurables et qu’il a reçu 46 156,25 $ au titre de la rémunération assurable pendant la période en question.

 

[53]    L’appel est accueilli sans frais et la décision rendue par Mme Suzanne Cloutier, au nom de l’ADRC, le 28 juin 2002 est rétablie.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 21e jour de décembre 2005.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’octobre 2006.

 

Christian Laroche, LL.B.

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI800

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-688(EI)

 

INTITULÉ :                                       HENRY IVAN PERON

                                                          c. M.R.N.

                                                          et CHEERS BAR SERVICES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 20 août 2004 et 2 février 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 décembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me James Murphy

Avocate de l’intimé :

Me Emmanuelle Faulkner

Avocat de l’intervenante :

Me Christopher R. Mostovac

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

                   Nom :                             James Murphy

                   Cabinet :                         Pearl et associés

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intervenante :           Christopher R. Mostovac

                   Cabinet :                         Starnino Mostovac



[1]               L’avocat de l’appelant s’est opposé au dépôt de cet affidavit pour le motif qu’il n’était pas en mesure de contre‑interroger Mme Jackson, qui n’était pas présente à l’audience. À l’instruction, j’ai accepté ce document sous réserve de la décision que je rendrais par la suite au sujet de son admissibilité. J’admets maintenant ce document, étant donné que, dans un appel en matière d’assurance‑emploi, je ne suis pas lié par les règles de preuve (voir le paragraphe 18.15(4) et l’alinéa 18.29(1)b) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt). En outre, puisque le premier document signé par Mme Jackson (pièce I‑1) a été déposé sans qu’une objection ait été formulée et puisque l’appelant avait lui‑même introduit, comme nous le verrons plus loin, un autre document signé par Mme Jackson (pièce A‑10), j’estime que l’intervenante pouvait à bon droit déposer l’affidavit de Mme Jackson, même si cette dernière n’était pas présente à l’instruction pour être contre‑interrogée à son égard. Dans l’arrêt Ainsley c. Canada, [1997] A.C.F. no 701 (QL), une affaire d’assurance‑chômage, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, pour qu’une lettre soit admise en preuve, il n’est pas nécessaire que son auteur soit cité comme témoin. Un tel document peut être admis, mais le juge Christie (alors juge en chef adjoint) a dit, dans la décision Yakubu c. Canada, [1997] A.C.I. no 890 (QL), rendue sous le régime de la procédure informelle, que l’exactitude du document doit néanmoins être évaluée et que la Cour doit attribuer au document la valeur probante qu’il faut à son avis lui accorder compte tenu de l’ensemble de la preuve, tout en tenant compte du fait que les énoncés de faits figurant dans le document constituent du ouï‑dire.

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