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Référence : 2005CCI461

Date : 20051109

Dossier : 2004-582(EI)

ENTRE :

CORPORATION TEACH & EMBRACE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l'audience le 31 mai 2005, à Montréal (Québec),

puis modifiés à des fins d’exhaustivité.)

 

Le juge Archambault

 

[1]     La Corporation Teach & Embrace (le « payeur ») interjette appel à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») qui a conclu que Mme Catherine Stathopoulos (la « tutrice ») occupait un emploi assurable pendant la période allant du 9 janvier 2003 au 30 mai 2003 (la « période pertinente »). La question fondamentale à trancher est la suivante : quelle était la véritable nature de la relation contractuelle entre le payeur et la tutrice? S’agissait-il d’un contrat de travail ou d’un contrat de service?

 

Les faits

 

[2]     Au début de l’audition, le payeur a admis les faits suivants, décrits aux alinéas 5a), b), d) à i), k), m) à p) et r) à w) de la réponse à l’avis d’appel :

 

[traduction]

 

a)         l’appelante s’est constituée en société le 7 décembre 1998;

 

b)         l’appelante offrait un service de tutorat à des élèves du primaire et du secondaire;

 

[...]

 

d)         l’appelante inscrivait les élèves après avoir conclu une entente avec leurs parents;

 

e)         la travailleuse était étudiante de la faculté d’éducation d’une université;

 

f)          la travailleuse a été embauchée par l’appelante à titre de tutrice;

 

g)         le 1er janvier 2003, l’appelante et la travailleuse ont signé un contrat de service;

 

h)         la travailleuse avait pour tâche de préparer et de fournir des activités académiques aux élèves sous sa responsabilité;

 

i)          la travailleuse a fait part de ses disponibilités à l’appelante;

 

[...]

 

k)         la travailleuse enseignait à des groupes de 1 à 3 élèves;

 

[...]

 

m)        la travailleuse travaillait environ 6 à 8 heures par semaine pour l’appelante;

 

n)         la travailleuse devait informer l’appelante de tout changement à l’horaire de travail proposé;

 

o)         si elle devait s’absenter, la travailleuse devait contacter l’appelante afin d’être remplacée;

 

p)         la travailleuse devait fournir des rapports de situation à l’appelante montrant les progrès académiques des élèves;

 

[...]

 

r)          la travailleuse était payée par l’appelante 18 $ l’heure;

 

s)         la travailleuse recevait sa rémunération tous les mois;

 

t)          la travailleuse devait émettre une facture pour recevoir un salaire de l’appelante;

 

u)         les clients étaient les clients de l’appelante;

 

v)         la travailleuse travaillait dans les locaux d’établissements scolaires;

 

w)        la travailleuse utilisait le matériel et l’équipement des écoles ou des clients de l’appelante pour accomplir son travail.

 

[3]     Le président du payeur, M. Kuperhause, et la tutrice ont tous deux témoigné lors de l’audition. Les faits en soi ne sont pas contestés. La question à trancher touche plutôt l’interprétation de ces faits.

 

[4]     M. Kuperhause a décrit la manière dont le commerce du payeur a été établi. Il travaillait pour la Commission scolaire English-Montréal à titre d’enseignant de la maternelle. Il a commencé à fournir des services de tutorat à son compte, à titre d’activité professionnelle supplémentaire. Étant donné le succès de l’entreprise, il a commencé à embaucher des gens pour l’aider. Au début, les services étaient le plus souvent fournis au domicile des élèves. Pour recruter des clients, le payeur distribuait des dépliants à tous les parents d’élèves d’une école donnée après avoir été dûment autorisé à ce faire.

 

[5]     Le payeur a embauché la tutrice en vue de fournir des services de tutorat à ses clients. Le contrat écrit, intitulé [traduction] « contrat de services de tutorat de la Corporation Teach & Embrace », a été conclu le 1er janvier 2003 (le « contrat »). Il se lit comme suit :

 

          [traduction]

 

CORPORATION TEACH & EMBRACE

Contrat de service

 

Contrat de services de tutorat de la Corporation Teach & Embrace

avec           Catherine Stathopoulos             

 

CONCLU ENTRE

 

Corporation Teach & Embrace

8341, rue Rejane

LaSalle (Québec) H8N 3C3

ET

Catherine Stathopoulos

 

Adresse

         [non publié]

           

Téléphone [non publié] Cellulaire [non publié]

Courriel

(le Tuteur/la Tutrice)

La Corporation Teach & Embrace retient les services du Tuteur/de la Tutrice en vue de fournir des services de tutorat aux élèves inscrits aux programmes de tutorat parascolaires de la Corporation.

 

La Corporation versera une rémunération pour les services de tutorat, qui sera uniquement fondée sur le nombre d’heures de tutorat. Le taux de rémunération sera établi d’après le barème de l’annexe A. Le Tuteur/la Tutrice fournira des factures mensuelles détaillées au plus tard 72 heures après le dernier jour du mois facturé. Les factures reçues dans le délai susmentionné seront acquittées par la Corporation dans les quinze (15) jours suivant ce délai. Les factures présentées après l’expiration du délai seront payées au cours du mois de facturation suivant.

 

Le Tuteur/la Tutrice déclare qu’il ou elle respectera ses engagements ainsi que le code de déontologie présenté à l’annexe B.

 

Le Tuteur/la Tutrice reconnaît, comprend et accepte qu’il ou qu’elle ne doit d’aucune façon entrer en concurrence avec la Corporation en prenant ou volant ses clients ou en retenant leurs services de quelque manière que ce soit. Le Tuteur/la Tutrice déclare qu’il ou elle n’entrera pas en concurrence avec la Corporation, de manière directe ou indirecte, ni au moyen d’un intermédiaire, d’une compagnie ou d’une société, ni à titre d’investisseur, d’employé, de représentant, de consultant ou d’administrateur d’un organisme identique ou similaire à celui de la Corporation, pour toute la période pendant laquelle le Tuteur/la Tutrice sera au service de la Corporation et pour une période de deux (2) ans suivant la résiliation ou l’annulation du présent Contrat. La présente disposition ne s’applique pas aux commissions scolaires, aux CÉGEPS et aux universités.

 

Les parties reconnaissent expressément que la disposition relative à la non-concurrence constitue une condition essentielle du présent Contrat de service et qu’elle s’applique à tous les produits, à tout le matériel et à tous les services appartenant à la Corporation ou offerts par celle-ci.

 

Toutes et chacune des tentatives de sollicitation ou formes de sollicitation d’un client de la Corporation Teach & Embrace pendant la période prévue dans le présent contrat seront considérée comme étant une violation du contrat causant à la Corporation des dommages équivalents à la valeur courante des affaires avec le client en cause; en outre, en plus de la valeur courante des affaires avec ledit client, des dommages-intérêts de cent dollars (100 $) par jour pendant la durée de la violation du contrat seront reclamés auprès du Tuteur/de la Tutrice ayant omis de respecter les dispositions de non-concurrence contenues dans les présentes. Lesdits montants des dommages-intérêts accumulés en plus des dommages précédemments mentionnés seront réclamés devant un tribunal compétent afin d’obtenir une ordonnance à l’encontre du Tuteur/de la Tutrice pour faire cesser la violation des dispositions de non-concurrence du contrat, sous réserve des autres recours.

 

 

 

Sous l’autorité de la Corporation, le Tuteur/la Tutrice est tenue d’accomplir les résultats suivants :

 

1.   Préparer et dispenser des activités scolaires appropriées aux élèves sous sa responsabilité.

2.   Respecter les heures de tutorat assignées par la Corporation.

3.   Obtenir le consentement de la Corporation pour modifier les horaires de tutorat.

4.   Fournir des services de tutorat indivuel ou de groupe fondé sur les Continuums et les ressources fournis par la Corporation.

5.   Préparer et fournir des plans d’étude.

6.   Préparer et fournir des rapports de progression scolaire établis d’après les Continuums de la Corporation.

7.   Converser avec les élèves dans la langue d’enseignement.

8.   Assurer constamment la satisfaction des clients et résoudre tout cas d’insatisfaction.

 

Le Tuteur/la Tutrice peut résilier le présent contrat en donnant un préavis écrit d’au moins trente (30) jours. Cependant, le Tuteur/la Tutrice déclare qu’il ou elle remplira les engagements énoncés dans les présentes jusqu’à son départ. Toute violation de la présente disposition entraînera des dommages pour la Corporation équivalents à cent dollars (100 $) par jour pendant toute la durée de la violation par le Tuteur/la Tutrice. Ces dommages, plus les intérêts accumulés, seront déduits de toute facture impayée du Tuteur/de la Tutrice, sous réserve des autres recours.

 

Par les présentes, le Tuteur/la Tutrice assume toutes les responsabilités qu’il ou elle a d’établir et de remettre lui-même/elle-même toutes les cotisatioins provinciales et fédérales, y compris l’impôt sur le revenu, les cotisations d’assurance-emploi, les primes de régime de retraite ainsi que toute autre cotisation. Le Tuteur/la Tutrice déclare qu’il ou elle préfère et souhaite fournir les services de tutorat à titre de travailleur autonome, entrepreneur indépendant ou sous-traitant.

 

En foi de quoi, le présent contrat a été signé ce 1er jour de janvier 2003, à Montréal (Québec).

 

Signature du Tuteur/de la Tutrice

 

  (signature)            

 

Nom en lettres moulées :   Catherine Stathopoulos  

 

Signature du représentant habilité de la Société

          (signature)                                         

 

Nom du représentant en lettre moulées :   Karim Kuperhause      

Poste du représentant :        Président                     

 

Annexe A

Année du contrat

1

2

3

4

Taux courant

Taux horaire

15,00 $

16,00 $

17,00 $

18,00 $

18,00 $

 

Nom du Tuteur/de la Tutrice

 

Taux horaire

 

Catherine (Kathy) Stathopoulos

 

18,00 $

 

Annexe B

Code de déontologie et politiques

Politique de tutorat

 

·        En cas d’absence, le tuteur doit contacter un tuteur autorisé de Teach & Embrace afin d’être remplacé. En outre, le tuteur et son substitut doivent téléphoner au coordonnateur d’études pour lui faire part du changement.

·        Les élèves ne doivent jamais être laissés sans surveillance. Par conséquent :

o       Les retards ne seront pas tolérés.

o       Les élèves ne seront autorisés à utiliser les toilettes qu’avant et après la séance de tutorat. La même règle s’applique aux tuteurs. En cas d’urgence, les élèves devront être confiés à la garde d’un autre tuteur.

o       À la fin de la séance de tutorat, veuillez vous assurer que les élèves qui vont à la garderie de l’école soient pris en charge par un superviseur de ce service.

·        Pour des raisons de sécurité, les tuteurs doivent porter leur insigne d’identité en tout temps lorsqu’ils se trouvent sur la propriété d’une école (y compris à l’extérieur).

·        Les cinq dernières minutes de tutorat sont réservées à une récapitulation de la séance. Les fiches d’apprentissage doivent être remplies avec les élèves. Il s’agit d’un excellent moyen de renforcer les leçons.

·        Des rapports d’avancement devront être préparés en temps oppotun. Ils devront être remis vers la même époque que les fiches de rendement scolaire, sauf indication contraire.

·        Veuillez porter une tenue professionnelle. Le port de jeans est interdit. Vous devrez interagir avec le personnel des écoles et des parents, et il est de votre meilleur intérêt de conserver une allure et un comportement professionnel en tout temps. L’école (et la commission scolaire) dans laquelle vous offrez vos services de tutorat pourrait être votre futur employeur!

Un coordonnateur d’études est assigné à votre lieu de tutorat. Son rôle est de soutenir vos activités et de superviser les activités des programmes de tutorat. À ce titre, il s’agit du lien de Teach & Embrace entre les élèves, les écoles et les parents. Le coordonnateur d’études relève directement du président de Teach & Embrace.

 

Politique relative à la discipline

 

Teach & Embrace offre des programmes dans de nombreuses écoles. Chaque école possède sa propre politique en matière de discipline. Cela dit, Teach & Embrace a adopté une politique normalisée sur la discipline. Il faut toutefois noter que, en raison des politiques propres à certaines écoles, les règles ci-dessous pourraient être modifiées.

 

·   Les tuteurs doivent se montrer fermes, mais justes.

·   Teach & Embrace n’est pas une institution publique et, par conséquent, elle se réserve le droit de retirer n’importe quel élève de n’importe quel programme à n’importe quel moment en raison d’un comportement perturbateur ou indiscipliné.

·   L’agressivité physique et verbale ne sera tolérée dans aucune circonstance. La présente règle s’applique aux tuteurs aussi bien qu’aux élèves.

·   Les problèmes de comportement doivent être réglés de façon immédiate. En outre, ces problèmes doivent être indiqués sur les fiches d’apprentissage et le coordonnateur d’études doit être informé de la situation. Les élèves qui font preuve d’un comportement indiscipliné à plusieurs reprises seront exclus du programme.

 

Politiques relatives au paiement

 

Teach & Embrace retient les services de ses tuteurs à titre de professeurs indépendants. Pour ce motif, aucune déduction à la source ne sera prélevée. Vous être réputé recevoir un revenu de profession libérale aux fins de la loi de l’impôt sur le revenu. Cela signifie que vous conservez la totalité du montant de vos chèques de paie. Cela veut également dire que vous pourriez réclamer tous les frais déductibles (voir ci-dessous) liés à l’exercice de vos activités de tutorat. Par conséquent, vous devez émettre une facture à l’intention de Teach & Embrace qui, en échange, vous paiera le montant qui y figure. Pour simplifier les choses, Teach & Embrace a établi son propres modèle de facture que vous pouvez utiliser (ce modèle est joint aux présentes). Veuillez noter que :

 

·   Les factures doivent être reçues au plus tard le dernier jour du mois. Les factures qui ne sont pas reçues le dernier jour du mois ne seront traitées que le mois suivant. Vous pouvez envoyer votre facture avant le dernier jour du mois si vous avez terminé les séances de tutorat prévues à votre horaire.  

·   Vous ne facturerez Teach & Embrace que pour les heures de tutorat prévues à l’horaire. La préparation et les déplacements sont à vos frais (il s’agit de frais déductibles).

·   Si vous facturez séparément chacune des séances de tutorat que vous avez réalisées au domicile d’un client, veuillez vous assurer qu’un parent ou le tuteur légal de l’élève ait signé la feuille de présence. En cas d’indication contraire, la feuille de présence servira de document officiel (et doit être jointe à votre facture).

·   Les factures sont habituellement traitées et postées dans les 72 heures suivant le dernier jour du mois.

·   Veuillez conserver une copie de votre facture et de la feuille de présence pour vos dossiers.

·   Comme vous gagnez un revenu de profession libérale, vous ne recevrez pas de formulaire T4 à la fin de l’année d’imposition. Cependant, Teach & Embrace conserve une copie de toutes les factures et de tous les paiements.

·   Pour en savoir plus sur les revenus de profession libérale et sur les frais déductibles, consultez le site de Revenu Canada à l’adresse http://www.cra-arc.gc.ca et recherchez la publication T4002 – Revenus d'entreprise ou de profession libérale. Revenu Québec a établi des normes semblables que vous pouvez consulter à l’adresse http://www.mrq.gouv.qc.ca.

[Je souligne.]

 

[6]     La lecture du contrat fait clairement ressortir l’intention du payeur : la tutrice était embauchée à titre de travailleur autonome, entrepreneur indépendant ou sous-traitant en vertu d’un contrat de service. Au cours de son témoignage, la tutrice a cependant indiquée qu’elle ne comprenait pas le sens technique de l’expression « travailleur autonome, entrepreneur indépendant ou sous-traitant » et que, pour sa part, elle considérait avoir été embauchée comme employée. Cela est plutôt surprenant si l’on considère que la tutrice avait auparavant travaillé comme enseignante pendant dix ans.

 

[7]     Lorsqu’elle a conclu le contrat, la tutrice avait décidé de retourner à l’université. Elle a informé le payeur des heures pendant lesquelles elle serait disponible pendant l’année scolaire afin de fournir les services aux clients de celui-ci. Le payeur a ensuite établi un horaire de tutorat hebdomadaire avec quatre groupes d’élèves différents. Les séances de tutorat pouvaient avoir lieu soit dans les locaux de l’école ou, comme c’était principalement le cas ici, au centre d’apprentissage du payeur, situé à Saint-Léonard. La tutrice devait assumer le coût de ses déplacements entre son domicile et le centre d’apprentissage ou l’école. Le payeur n’assumait les frais de taxi qu’en cas d’urgence, c’est-à-dire dans les situations hors du contrôle des tuteurs.

 

[8]     Les tuteurs étaient tenus de suivre les lignes directrices énoncées dans un document intitulé « Continuum », qui décrivait en fait le niveau de connaissances devant être atteint par chaque étudiant pour un niveau d’étude donné, et il était entendu que les tuteurs proposeraient des activités visant à atteindre ces objectifs. Ils bénéficiaient d’une assez grande liberté quant au matériel utilisé et aux activités réalisées pendant leurs séances de tutorat. Le Continuum servait aussi à préparer les bulletins d’élèves qui, selon la tutrice, étaient émis quatre fois par année. Les tuteurs devaient, à la fin de chaque classe, fournir une description des activités réalisées. La tutrice a déclaré que ces rapports quotidiens étaient surveillés par le payeur car elle a vu des annotations qui y avaient été faites par le coordonnateur d’études du payeur.

 

[9]     En termes de ressources, la tutrice avait accès à la bibliothèque de jeux et de ressources du payeur. Puisque trois heures de tutorat sur quatre avaient lieu dans les locaux du payeur, elle a fait usage de ces ressources, bien qu’elle eût pu librement utiliser son propre matériel, ce qu’elle a également fait.

 

[10]    Le coordonnateur d’études du payeur, qui remplissait un rôle de supervision, se rendait normalement dans les écoles où les tuteurs fournissaient leurs services afin de s’assurer que ceux-ci se présentaient aux leçons et d’éviter ainsi que les élèves ne soient laissés sans surveillance adéquate. La supervision des tuteurs pouvait être de nature très restreinte, telle une simple vérification visuelle de leur présence, ou plus rigoureuse, de manière à permettre au payeur d’évaluer le déroulement des séances de tutorat. Au besoin, le coordonnateur d’études rencontrait les tuteurs pour discuter de leurs faiblesses et leur suggérer des moyens d’améliorer leur rendement.

 

[11]    M. Kuperhause a reconnu que chaque fois que des plaintes étaient présentées   celles-ci étaient normalement adressées au payeur il rencontrait les parents et faisait un suivi auprès du tuteur afin de déterminer la meilleure mesure à prendre pour améliorer ses techniques ou déterminer si la cause du problème résidait dans l’état psychologique de l’élève ou dans le milieu scolaire dans lequel avait lieu l’enseignement régulier. Si un tuteur avait besoin d’assistance, il avait accès aux ressources professionnelles du payeur, en fait les salariés du payeur, qui suggéraient diverses méthodes afin de faire face aux situations difficiles.

 

[12]    Mentionnons que le payeur était satisfait du travail accompli par la tutrice. Aucune plainte n’a jamais été présentée concernant son travail. Elle n’a pas renouvelé son contrat parce que son taux de rémunération est passé de 18 $ à 10 $ de l’heure. Comme elle habitait à Brossard et devait se rendre au centre d’apprentissage du payeur situé à Saint-Léonard, elle a considéré que ce salaire ne valait pas le déplacement.

 

Analyse

 

[13]    La disposition législative pertinente est le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») qui définit un emploi assurable comme étant un emploi « aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite ». Comme l’a mentionné l’avocat du Ministre, puisque la Loi ne définit pas ce qu’est un contrat de louage de services, je me dois de recourir au Code civil du Québec (le « Code civil »), en application du principe de complémentarité en matière d’interprétation[1]. S’il est nécessaire pour interpréter une loi fédérale de recourir à un concept de droit civil d’une province, à un contrat nommé par exemple, il faut avoir recours aux concepts en vigueur dans cette province. Dans le cas qui nous occupe, comme le contrat a été conclu au Québec, nous devons recourir au Code civil. Depuis 1994, le Code civil comprend une définition de « contrat de travail » et de « contrat de service ». Les dispositions pertinentes sont l’article 2085 pour le premier terme et les articles 2098 et 2099 pour le second. Ces articles sont ainsi rédigés :

 

2085    Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2098    Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099    L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[Je souligne.]

 

[14]    Les trois éléments essentiels d’un contrat de travail sont : i) un travail; ii) une rémuneration; et iii) la direction ou le contrôle d’un employeur. Pour ce qui est du contrat de service, des services doivent être fournis en échange d’une rémunération, le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe aucun lien de subordination entre les parties. Comme l’a souligné l’avocat du Ministre, il appert clairement que le facteur distinctif entre un contrat de travail et un contrat de service est l’existence ou l’absence d’un lien de subordination, c’est-à-dire si le contrat a été exécuté ou non sous la direction ou le contrôle d’un employeur.

 

[15]    Cet avis est épousé par les érudits du Québec, y compris Robert P. Gagnon dans Le droit du travail du Québec, 5e éd. (Cowansville, Québec : Les éditions Yvon Blais Inc., 2003), au paragraphe 90 :

 

Facteur distinctifL’élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C’est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d’autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d’une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d’entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l’entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l’article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l’employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

Au paragraphe 92, Gagnon décrit la notion de subordination :

 

92Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions [...] Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

 

[16]    Lorsque le ministre de la Justice du Québec a présenté le nouveau Code civil qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994, il a déclaré :

 

    Cet article indique le caractère essentiellement temporaire du contrat de travail, consacrant ainsi le premier alinéa de l’article 1667 C.C.B.C., et met en relief l’attribut principal du contrat de travail : le lien de préposition caractérisé par le pouvoir de contrôle, autre que le contrôle économique, de l’employeur sur le salarié, tant dans la fin recherchée que dans les moyens utilisés. Il importe peu que ce contrôle soit ou non effectivement exercé par son titulaire ; il importe peu également que le travail soit matériel ou intellectuel.

[Je souligne]

 

[17]    Cet avis du ministre de la Justice du Québec s’accorde avec celui émis par la Cour d’appel fédérale dans Gallant c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] A.C.F. no 330, dont la décision a été rendue en 1986, avant l’adoption du nouveau Code civil.

 

[18]    La distinction entre un contrat de travail et un contrat de service n’est pas facile à faire. La ligne de démarcation entre ces deux types de contrats peut ne pas être très claire, et le fait que cette question soit souvent soulevée devant cette Cour est certainement un indicateur de sa difficulté. Dans un article[2], j’ai décrit la démarche qui devrait être suivie devant cette Cour. J’y expose que le fardeau de la preuve dans un appel entendu au Québec ce qui est d’ailleurs également le cas dans une province canadienne de common law repose sur les appelants : ceux-ci doivent prouver que la décision du Ministre doit être infirmée[3]. En l’espèce, il appartient donc au payeur de prouver qu’il n’existait pas de contrat de travail.

 

[19]    Dans le présent appel, le fait que le travail a été effectué et rémunéré n’est pas remis en cause. La difficulté consiste à déterminer si le travail du tuteur a été exécuté sous la direction ou le contrôle du payeur. Pour ce faire, une démarche en deux étapes doit être utilisée. Il faut d’abord déterminer quel type d’entente a été conclue par les parties, puis vérifier si cette entente correspond à la réalité, c’est-à-dire si l’entente a été exécutée comme telle. Autrement dit, le contrat a-t-il été exécuté conformément aux conditions qui y étaient énoncées et en accord avec les dispositions pertinentes du Code civil?

 

[20]    Nous sommes en présence d’un contrat écrit qui indique qu’il s’agit d’un contrat de service et que la tutrice devait fournir ses services à titre de « travailleur autonome, entrepreneur indépendant ou sous-traitant ». Néanmoins, la tutrice déclare ne pas avoir compris la portée de cette stipulation. Elle croyait qu’il s’agissait d’un contrat de travail. D’ailleurs, le contrat ne mentionne pas expressément qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail. Si cela avait été écrit noir sur blanc, il aurait été plus difficile pour la tutrice d’alléguer qu’elle ne comprenait pas la nature du contrat. Il existe donc un élément de doute concernant l’intention commune des parties. Afin de trancher cette question, il nous faut recourir aux dispositions générales du Code civil applicables à tous les contrats. Parmi ces dispositions, celles qui suivent portent sur l’interprétation des contrats :

 

1425.  Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

1427.  Les clauses s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble du contrat.

 

1432.  Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur.

 

[Je souligne.]

 

[21]    Je crois que nous sommes ici en présence d’un « contrat d’adhésion » puisque le contrat a non seulement été rédigé par le payeur mais qu’il s’agit d’un formulaire imprimé qui devait être rempli manuellement par les parties. Le nom et l’adresse de la tutrice ainsi que le taux horaire applicable sont manuscrits. En outre, la déclaration qui figure dans le contrat selon laquelle « le Tuteur/la Tutrice déclare qu’il ou elle préfère et souhaite travailler à titre de travailleur autonome, entrepreneur indépendant ou sous-traitant » est inexact. Il s’agit plutôt d’une déclaration intéressée établie à l’avantage du payeur. Comme le prévoit l’article 1432 du Code civil, le contrat doit être interprété en faveur de la partie adhérente.

 

[22]    Pour interpréter un contrat comme celui intervenu entre le payeur et la tutrice, les tribunaux ont le devoir de déterminer la véritable nature du contrat et de s’assurer qu’il remplit les exigences du Code civil. C’est ce que j’ai écrit dans mon article : [4]

 

            [traduction]

 

2.3.       Preuve d’exécution d’un contrat de travail

 

[97]      Même si les parties contractantes ont manifesté leur intention verbalement ou par écrit ou que l’on peut déduire leur intention à partir de leur conduite, cela ne signifie pas à coup sûr que les tribunaux décideront que cette intention est déterminante. Comme l’a indiqué le juge Décary dans Wolf, précité, l’exécution du contrat doit être en accord avec cette intention. Ainsi, même si les parties ont désigné leur contrat de « contrat de service », qu’elles ont stipulé que le travail serait effectué par un « entrepreneur indépendant » et qu’il n’existerait aucun lien employeur-employé, cela ne signifie pas forcément qu’il s’agit d’un contrat de service. Il pourrait s’agir en fait d’un contrat de travail. Comme le prévoit l’article 1425 C.c.Q., on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés dans le contrat. Les tribunaux doivent en outre vérifier si la conduite des parties respecte les règles législatives d’ordre public applicables aux contrats. Selon Robert P. Gagnon :

 

91 – Appréciation factuelle – La subordination se vérifie dans les faits. À cet égard, la jurisprudence s’est toujours refusée à retenir la qualification donnée au contrat par les parties :

 

Dans le contrat, le distributeur reconnaît lui-même qu’il agit à son compte à titre d’entrepreneur indépendant. Il n’y aura pas lieu de revenir sur ce point, puisque cela ne changerait rien à la réalité; d’ailleurs ce que l’on prétend être est souvent ce que l’on n’est pas.

 

[Je souligne.]

 

[98]      Dans D & J Driveway, Le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale a écrit : 

 

2          Nous reconnaissons d'emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d'examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, [2003] 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l'interrogatoire des parties sur la question peuvent s'avérer un instrument utile d'interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

 

[Je souligne]

 

[99]      Les juges peuvent donc requalifier un contrat afin que son nom reflète la réalité. En France, la requalification d’un contrat se fait à partir de l’application du principe de réalité. La Cour de cassation a adopté une démarche similaire à la démarche canadienne :

 

Attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs [...]

 

[100]    À mon avis, pour interpréter un contrat de travail, il est nécessaire de vérifier si la relation réelle entre les parties et la description qu’elles en font sont cohérentes, car il se peut que les parties aient intérêt à camoufler la véritable nature de la relation contractuelle entre le payeur et le travailleur. L’expérience montre en effet que certains employeurs, voulant réduire leur fardeau fiscal à l’égard de leurs employés, décident parfois de traiter ces derniers comme des entrepreneurs indépendants. Cette décision peut être prise au début de la relation contractuelle ou plus tard. De même, certains employés peuvent avoir intérêt à déguiser leur contrat de travail en contrat de service s’ils ne prévoient pas avoir besoin de prestations d’assurance-emploi et veulent éviter d’avoir à verser les cotisations au régime à titre d’employé, ou encore s’ils souhaitent une plus grande liberté pour déduire certaines dépenses dans le calcul de leur revenu en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[101]    Comme la LAE n’autorise de manière générale le versement de prestations d’assurance-emploi qu’aux seuls employés ayant perdu leur emploi, les tribunaux doivent faire preuve de vigilance afin de démasquer les faux travailleurs autonomes. Les tribunaux doivent en outre veiller à ce que le fonds d’assurance-emploi, à la source de ces prestations, soient alimentés par les cotisations de tous ceux qui sont tenus d’en payer, y compris les faux travailleurs autonomes et leurs employeurs.

 

[102]    Il est nécessaire de prouver que le contrat a été exécuté, non seulement lorsque les parties ont implicitement ou explicitement manifesté leur intention de conclure un contrat de travail ou un contrat de service, mais également dans tous les cas où il n’existe aucune preuve de leur intention ou que les éléments de preuve sont insuffisants. La preuve selon laquelle le contrat a été exécuté doit comprendre les trois composantes essentielles à l’existence d’un contrat de travail. En général, les deux premiers éléments (le travail et la rémunération) ne posent pas de problème puisqu’il s’agit de faits matériels pouvant être établis assez facilement. Par contre, fournir la preuve de l’existence d’un lien juridique de subordination, c’est-à-dire du pouvoir de direction ou de contrôle qu’un employeur a exercé ou aurait pu exercer, constitue à l’inverse une tâche très délicate. Cette difficulté croît si l’employeur n’a exercé qu’une faible direction ou un faible contrôle ou n’a pas exercé de direction ni de contrôle du tout.

 

[23]    Dans la présente affaire, un examen minutieux des dispositions du contrat me font conclure que sa véritable nature est celle d’un contrat de travail. Bien que l’intention du payeur soit claire (il voulait conclure un contrat de service), un grand nombre de dispositions touchant les conditions dans lesquelles le travail allait être exécuté sont plus en accord avec la définition du contrat de travail. Tout d’abord, les dispositions du contrat révèlent que le payeur avait le pouvoir de diriger et de contrôler le travail exécuté par la tutrice. À mon avis, l’une des formulations qui dénotent le plus fortement un tel pouvoir est la suivante : « sous l’autorité de la Corporation[5], le Tuteur/la Tutrice est tenue d’accomplir les activités suivantes » (je souligne).

 

[24]    À cet énoncé général, il faut ajouter les suivants :

— les tuteurs devaient « respecter les heures de tutorat assignées »  par le payeur;

— les tuteurs ne pouvaient modifier les horaires de tutorat qu’avec « le consentement » du payeur;

— les tuteurs devaient fournirs leurs services de tutorat en se fondant sur « les Continuums et les ressources fournis par » le payeur;

— les tuteurs devaient fournir des rapports de progression scolaire « établis d’après les Continuums » du payeur;

— les tuteurs devaient contacter un des tuteurs autorisés du payeur afin d’être remplacés, puis téléphoner à l’un des coordonnateurs d’études du Payeur pour confirmer le changement;

— les tuteurs devaient porter un insigne d’identité en tout temps lorsqu’ils se trouvaient sur la propriété d’une école;

— « les cinq dernières minutes de tutorat [devaient être] réservées à une récapitulation de la séance »;

— « des rapports d’avancement [devaient être préparés] en temps opportun »;

— « le port de jeans [était] interdit »;

— un coordonnateur d’études était assigné au lieu de tutorat et son rôle était de superviser les activités des programmes de tutorat;

— l’agressivité physique et verbale [des tuteurs n’était pas] tolérée dans aucune circonstance. »

[Je souligne.]

 

[25]    En plus de ces dispositions contractuelles, il existe une preuve directe de ce pouvoir de direction et de contrôle du payeur. M. Kuperhause a reconnu que les parents pouvaient se plaindre de la qualité des services offerts par les tuteurs et que lui-même exerçait une direction et un contrôle sur les tuteurs en leur donnant des directives quant à la façon d’améliorer leur travail. Étant donné qu’il n’a jamais reçu de plaintes concernant le travail de la tutrice, le payeur n’a jamais exercé ce pouvoir à son égard. Toutefois, il détenait un tel pouvoir et aurait pu l’exercer en cas de plaintes, comme ce fut le cas pour d’autres tuteurs.

 

[26]    Une autre preuve du pouvoir de direction et de contrôle exercé par le payeur sur la tutrice est que le coordonnateur d’études vérifiait la présence de la tutrice et effectuait des annotations sur ses rapports quotidiens. Lorsqu’un travailleur s’en remet à son superviseur pour trouver une solution à un problème particulier et suit l’orientation donnée par son superviseur, il s’agit d’un élément probant additionnel du pouvoir exercé par un payeur sur un travailleur, comme dans l’affaire Hôpital juif de réadaptation c. M.R.N., 2005 CCI 260 (une de mes décisions).

 

[27]    En plus du susdit élément de preuve directe de la direction et du contrôle exercés par le payeur sur le travail de la tutrice, il existe des éléments de preuve circonstancielle qui révèlent de nombreux indices de subordination[6]. Un de ces indices est l’intégration du travail de la tutrice dans les activités du payeur : les trois quarts des services de la tutrice étaient fournis dans les locaux du payeur. Tout le matériel nécessaire pour accomplir son travail avait été mis à sa disposition puisqu’elle avait accès à ce qu’elle a décrit comme étant une « bibliothèque de jeux et de ressources ». S’il est vrai que la tutrice avait le droit d’utiliser ses propres jeux et ressources, ce qu’elle a également fait, il n’en demeure pas moins que le payeur avait mis à sa disposition une bibliothèque de jeux et de ressources, ce qui montre que la tutrice était intégrée aux activités de la société.

 

[28]    Le fait que les clients étaient ceux du payeur est un autre indice d’intégration et par le fait même de subordination. De plus, la tutrice était assujettie à une clause de non-concurrence, et les tribunaux ont décidé dans d’autres affaires qu’il s’agit là d’un indice de l’existence d’un contrat de travail[7].

 

[29]    Il est vrai que la tutrice ne travaillait pas 35 heures par semaine pour le payeur puisqu’elle étudiait à l’université. Aucun élément n’indique qu’elle travaillait pour quelqu’un d’autre. En droit, vous pouvez être un employé à temps partiel et ne travailler que pendant de courtes périodes.

 

[30]    En conclusion, le payeur ne s’est pas acquitté du fardeau qu’il avait de prouver que la décision du Ministre était erronée. Au contraire, le Ministre a eu raison de conclure que le payeur et la tutrice avaient conclu un contrat de travail et que cette dernière occupait un emploi assurable pendant la période pertinente. Par conséquent, l’appel du payeur est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2005.

 

« Pierre Archambault »

Le juge Archambault

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mars 2006

 

 

Jean Pierre Koch, LL.B., traducteur



[1]           Voir le paragraphe 8.1 de la Loi d’interprétationt, L.R.1985, ch. I‑21.

 

[2] « Contract of Employment: Why Wiebe Door Services Ltd. Does Not Apply in Quebec and What Should Replace It », in L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, deuxième publication, Association de planification fiscale et financière et ministère de la Justice du Canada, 2005, p. 2:1

[3]           Ibid., p. 2:54,  par. 80 et 81.

 

[4]           Ibid., p. 2:62, les notes de bas de page ont été omises.

 

[5]           Il faut noter que je n’ai pas soulevé ce point particulier dans les motifs que j’ai rendus oralement.

 

[6]           Pour une analyse plus poussée de la preuve circonstancielle, voir mon article (précité), par. 106 ff.

 

[7]           Ibid., p. 2:77, par. 110.

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