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Dossier : 2002-3474(EI)

 

ENTRE :

 

ÉMILE VIENNEAU,

appelant,

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

 

Appel entendu le 19 décembre 2002 à Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

_______________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour de février 2003.

 

 

 

 

« François Angers »

J.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI57

Date : 20030224

Dossier : 2002-3474(EI)

 

ENTRE :

 

 

ÉMILE VIENNEAU,

appelant,

 

et

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers, C.C.I.

 

[1]     L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle l'emploi que l'appelant occupait pour Gabriel Haché Limitée (la « payeuse ») du 30 juillet au 3 novembre 2001 n'était pas un emploi assurable puisque l'appelant et la payeuse ont entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi »).

 

[2]     En prenant sa décision, le ministre s'est basé sur les hypothèses de fait suivantes, qui ont été admises ou niées par l'appelant, selon le cas :

 

a)         la payeuse est une personne morale dont l'unique actionnaire est Paul Haché, le beau-frère de l'appelant; (admis)

 


b)         l'entreprise de la payeuse consiste en une station service, un lave-auto, un dépanneur ainsi qu'en la livraison d'huile de chauffage (mazout) et diesel; la payeuse fait aussi la vente de gravelle; (nié)

 

c)         l'appelant est engagé par la payeuse comme homme à tout faire pendant quelques semaines par année et ce depuis plusieurs années; (admis)

 

d)         les tâches de l'appelant consistent en travaux d'entretien et quelquefois de livraison; (admis)

 

e)         les travaux s'accumulent à chaque année jusqu'à l'emploi de l'appelant; (admis)

 

f)          la date du début d'emploi de l'appelant à chaque année est régie par la fin de ses prestations d'assurance-emploi; (nié)

 

g)         la date de fin d'emploi de l'appelant après 14 semaines coïncide avec le nombre de semaines dont le Développement des ressources humaines du Canada se servent pour calculer les prestations d'assurance-emploi; (nié)

 

h)         pendant la période en litige l'appelant recevait un salaire horaire de 12,00$ et travaillait 60 heures par semaine ce qui permettait à l'appelant de recevoir le maximum de prestations d'assurance-emploi; (nié)

 

i)          les conditions d'emploi de l'appelant étaient établies selon les besoins de l'appelant concernant l'assurance-emploi et non selon les besoins de la payeuse; (nié)

 

j)          l'appelant et la payeuse sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; (admis)

 

k)         l'appelant et la payeuse ont entre eux un lien de dépendance; (admis)

 

l)          compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable, s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. (nié)

 

[3]     L'appelant reconnaît qu'il est une personne liée à la payeuse au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'il existe donc entre eux un lien de dépendance. Il s'agit donc de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance tel que prévu à l'alinéa 5(3)b) de la Loi.

 

[4]     Cet exercice doit se faire dans le contexte établi par la jurisprudence, notamment l'arrêt Jencan de la Cour d'appel fédérale auquel je ferai référence plus tard dans mes motifs.

 

[5]     L'appelant a témoigné que son travail chez la payeuse consistait à faire l'entretien du dépanneur et des camions de livraison, faire la livraison de produits pétroliers, entretenir le lave-auto et exécuter toutes les tâches qu'on lui demandait de faire.

 

[6]     Il a travaillé pour la payeuse pendant dix-sept semaines en 1999, huit semaines en 2000, vingt semaines en 2001 et dix semaines en 2002. En 2001, il y a eu deux périodes de travail, dont la première allait du début janvier au 10 février inclusivement et la deuxième, qui est la période en litige, allait du 30 juillet au 3 novembre. L'appelant a déposé en preuve une lettre du 11 octobre 2002 provenant de Développement des ressources humaines Canada établissant que sa dernière demande de prestations avait débuté le 11 février 2001 et s'était terminée le 8 février 2002, permettant ainsi à l'appelant de démontrer qu'après sa mise à pied le 3 novembre 2001, il a continué à recevoir des prestations d'assurance‑emploi gagnées au cours de la période d'emploi antérieure à celle en litige.

 

[7]     L'appelant travaille six jours par semaine à raison de dix heures par jour. Son salaire horaire est de 12 $. Il reçoit le même taux horaire depuis quatre ans, sauf que le nombre d'heures de travail au cours de chaque semaine a augmenté graduellement avec les années, passant de quarante-quatre heures à cinquante heures pour atteindre soixante heures par semaine.

 

[8]     Selon l'appelant, son salaire horaire n'est pas excessif. Il a produit un document (A‑3) qui provient de Développement des ressources humaines Canada et qui est une demande de renseignements sur les conditions de travail, notamment le salaire horaire, pour des postes semblables à celui de l'appelant. L'information recueillie porte sur un seul employeur qui embauche un journalier à temps partiel, pendant sept à huit semaines par année, au salaire de 13 $ à 14 $ l'heure. Le même document indique un salaire médian de 9 $ l'heure pour les emplois d'entretien. L'appelant soutient que c'est la payeuse qui a fixé son taux horaire et le nombre d'heures de travail.

 

[9]     Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a reconnu que son lieu de travail principal était le dépanneur de la payeuse. Il a aussi reconnu qu'en 2001, il a effectué du travail à la résidence de l'actionnaire unique de la payeuse alors qu'il était payé par cette dernière. Il explique que, étant homme à tout faire, il faisait ce qu'on lui demandait de faire. Il ne connaît pas le nom du propriétaire de la maison où habite l'actionnaire unique de la payeuse.

 

[10]    L'intimé a fait témoigner Martial McLaughlin, agent d'enquête et de contrôle. Monsieur McLaughlin a rencontré l'appelant le 23 mai 2002. L'appelant lui a alors expliqué avoir commencé à travailler pour la payeuse en 1995. Ses tâches consistaient à faire de l'entretien général, tondre la pelouse, réparer la toiture et s'occuper du lave‑auto. Ce sont les mêmes tâches à chaque année. En 1996, l'appelant n'aurait pas travaillé en raison d'un mal de dos. Pour ce qui est du salaire, l'appelant lui a déclaré qu'au lieu d'obtenir une augmentation de son taux horaire, la payeuse avait augmenté ses heures de travail.

 

[11]    L'appelant est le seul employé de la payeuse qui travaille soixante heures par semaine et qui ne travaille pas toute l'année. Son travail consiste à faire l'entretien au commerce de la payeuse, qui est exploité pendant toute l'année. En 2001, il a travaillé pendant quatorze semaines. Il a passé deux semaines à creuser une tranchée pour y installer les câbles souterrains pour les pompes à essence et a passé les dix autres semaines à faire différents travaux tels que peinturer le châssis des camions, faire des livraisons, et autres. Monsieur McLaughlin s'est demandé si les travaux étaient si urgents que l'appelant devait travailler soixante heures par semaine, étant donné que le fait de travailler soixante heures par semaine au taux de 12 $ l'heure lui permettait de recevoir le montant maximal en prestations d'assurance–emploi en 2001.

 

[12]    Madame Barbara Comeau, agente d'enquête et de contrôle, s'est rendue sur les lieux de travail de l'appelant et a rencontré Léo Paul Robichaud, contrôleur de la payeuse depuis vingt-six ans. Elle a reconstitué les périodes d'emploi et les périodes de chômage de l'appelant sur un tableau (I‑1). Par exemple, l'emploi de l'appelant en l'an 2000 a commencé le 14 octobre et s'est terminé le 10 février 2001. En 2001, il a commencé le 4 août et s'est terminé le 3 novembre 2001. Elle s'est demandée si les tâches de l'appelant et son travail correspondaient aux besoins de l'entreprise. Elle a posé cette question au contrôleur en lui demandant de préciser davantage la période d'emploi. Ce dernier a été incapable de la justifier, en expliquant toutefois que lorsque l'appelant n'était pas là, son travail était effectué par les autres employés ou que, parfois, le travail ne se faisait pas du tout en attendant le retour de l'appelant, comme c'était le cas par exemple lors du nettoyage du printemps. Selon madame Comeau, l'entretien et le nettoyage devaient normalement se faire en avril et en mai, alors que l'appelant recevait des prestations d'assurance‑emploi pendant ces périodes. Elle confirme que les semaines de prestations d'assurance‑emploi auxquelles l'appelant avaient droit lui ont toutes été payées.

 

[13]    Lors du contre-interrogatoire, madame Comeau a confirmé que la payeuse avait dix-neuf employés, dont certains gagnaient moins de 12 $ l'heure et d'autres plus, sans donner de chiffres. Elle a confirmé que le propriétaire et le contrôleur gagnaient plus que l'appelant bien qu'ils travaillaient quarante heures par semaine. Jean Victor, un camionneur à temps plein à l'emploi de la payeuse depuis vingt-cinq ans, gagne 13,06 $ l'heure et travaille quarante-quatre heures par semaine.

 

[14]    Louise Gauthier Boudreau est agente des appels pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Elle a déposé en preuve son rapport (I‑2) qui comprend un résumé des faits et l'analyse dont le ministre s'est servi dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le fait que l'emploi soit régi par un contrat de louage de service n'est pas en litige. L'appelant a admis l'existence du lien de dépendance.

 

[15]    Le témoin a examiné chaque élément du contrat afin de déterminer si un contrat semblable aurait pu être conclu entre des personnes non liées.

 

[16]    Pour ce qui est de la rémunération, et en se basant sur la moyenne des salaires pour ce genre de travail, soit 9 $ l'heure, elle conclut que le taux horaire est déjà supérieur à la moyenne alors que l'appelant ne travaille pour la payeuse que depuis 1995. L'employé Jean Victor, qui est à l'emploi de la payeuse comme camionneur depuis vingt-cinq ans reçoit un taux horaire de 13,06 $. La payeuse ne peut non plus expliquer pourquoi l'appelant devait travailler soixante heures par semaine lorsqu'il travaillait et encore moins pourquoi elle n'avait pas besoin d'un homme à tout faire pendant le reste de l'année.

 

[17]    Quant aux modalités de l'emploi, l'appelant est le seul employé qui travaille soixante heures par semaine. La durée de l'emploi est discutable. Les quatorze semaines de travail pendant la période en litige ont permis à l'appelant d'avoir droit au montant maximal en prestations d'assurance‑emploi. L'entrevue de madame Boudreau avec la payeuse n'a pas apporté d'explications au sujet de la durée de l'emploi de l'appelant, et les tâches qu'il avait à accomplir auraient dû s'effectuer davantage au printemps et au début de l'été que pendant la période en question.

 

[18]    Vu la nature et l'importance de cet emploi, l'agente des appels a conclu que la payeuse n'aurait pas embauché une personne non liée pour effectuer ces tâches pour un emploi avec la même durée. La payeuse a admis devoir laisser des travaux s'accumuler pour que l'appelant puisse les exécuter durant sa période d'emploi. L'appelant et la payeuse n'étaient pas parfaitement en accord au sujet des heures de travail, ce qui laisse planer un doute. En effet, l'appelant a décrit son horaire comme étant de 8 h à 20 h du lundi au vendredi, et parfois le samedi, alors que la payeuse affirme qu'il était de 8 h à 21 h du lundi au vendredi.

 

[19]    Avant d'examiner le bien-fondé de la décision du ministre, je dois me poser la question de savoir si elle résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. A-t-il agi de mauvaise foi ou dans un but illicite? A-t-il tenu compte de toutes les circonstances pertinentes ou a-t-il tenu compte d'un facteur non pertinent? À moins d'arriver à la conclusion que le ministre a fait un usage inapproprié de son pouvoir discrétionnaire, je ne suis pas habilité à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance (voir Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (C.A.)).

 

[20]    Il incombe à l'appelant de présenter la preuve qui me permettra de passer à la deuxième étape, soit celle du procès de novo. En l'espèce, l'appelant n'a pas satisfait à ce fardeau. Il n'y a rien dans la preuve qui me permet de conclure que
le ministre a omis de tenir compte de certains faits ou a tenu compte de faits non pertinents. Le fait que l'appelant, lors de sa mise à pied, ait reçu des prestations d'assurance-emploi déjà acquises ne change pas le fait qu'il a eu droit à des prestations supplémentaires. Cela, à mon avis, n'est pas un facteur me permettant de conclure que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire. Toutes les hypothèses de fait du ministre ont été établies et s'avèrent véridiques, de sorte qu'il ne m'est pas possible d'intervenir. Pour ces raisons, je ne suis pas habilité à modifier la décision du ministre et je dois donc la confirmer. L'appel est en conséquence rejeté.

 

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 24e jour de février 2003.

 

 

 

 

 

« François Angers »

J.C.C.I.


 

RÉFÉRENCE :

2003CCI57

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-3474(EI)

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ÉMILE VIENNEAU

et Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE

19 décembre 2002

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :

24 février 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Pour l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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