Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2001-4494(EI)

ENTRE :

CENTRE DE LANGUES DE TROIS-RIVIÈRES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 février 2003 à Trois-Rivières (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Représentante de l'appelante :

Jocelyne Beaulieu

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2003.

 

 

 

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI81

Date  20030331

Dossier : 2001-4494(EI)

ENTRE :

 

CENTRE DE LANGUES DE TROIS-RIVIÈRES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif, C.C.I.

 

 

[1]     Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 21 septembre 2001; aux termes de la décision, l'intimé a conclu que le travail exécuté par plusieurs personnes, comme professeurs de langue, au cours des années 1998, 1999 et 2000 constituait un travail assurable au sens de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi »).

 

[2]     Madame Jocelyne Beaulieu représentait la compagnie appelante en sa qualité d'actionnaire majoritaire. Elle a admis les faits suivants :

 

 

a)         l'appelante a été incorporée le 8 octobre 1997;

 

b)         l'actionnaire majoritaire de l'appelante est madame Jocelyne Beaulieu;

 

c)         la place d'affaires de l'appelante est située au 1385, rue Notre‑Dame à Trois-Rivières;

 

d)         au cours des années en litige, l'appelante exploitait une entreprise offrant des cours de langue, notamment l'anglais et l'espagnol ainsi que des services de traduction;

 

e)         madame Jocelyne Beaulieu dirigeait les opérations de l'appelante;

 

...

 

i)          les heures travaillées étaient contrôlées et comptabilisées par l'appelante;

 

...

 

k)         les travailleurs étaient généralement rémunérés par chèque aux deux semaines;

 

...

 

m)        durant les années en litige, l'appelante n'a effectué, à l'égard des travailleurs, aucune retenue à la source relativement aux cotisations d'assurance-emploi ni n'a versé à l'intimé de telles cotisations.

 

 

[3]     Elle a expliqué que la compagnie appelante avait mis sur pied une nouvelle entreprise, dont les activités commerciales étaient principalement l'enseignement de l'anglais et de l'espagnol, en plus d'offrir les services de traduction.

 

[4]     Dès les débuts de l'entreprise, madame Beaulieu a fait les démarches pour obtenir toutes les informations pertinentes aux conditions requises pour que les personnes agissant comme enseignants et traducteurs exécutent leur travail à titre de travailleurs autonomes et non pas comme salariés. Après avoir obtenu les renseignements, l'entreprise a pris pour acquis que les enseignants et traducteurs étaient des travailleurs autonomes.

 

[5]     Les enseignants étaient recrutés à partir d'annonces, mais aussi et principalement, par le biais du bouche à oreilles. Madame Beaulieu les interviewait et leur expliquait ses attentes quant à la façon et aux modalités dont devait être exécuté le travail d'enseignant.

 

[6]     Il est ressorti que madame Beaulieu manifestait un très grand respect pour les ressources humaines sur lesquelles l'appelante devait compter. Ces sentiments de haut respect étaient, en outre, véhiculés dans un encadrement où il existait une grande volonté de collaboration de part et d'autre.

 

[7]     L'omniprésence des notions de respect et de collaboration a eu pour effet de créer un milieu de travail idéal pour toutes les parties impliquées dans les activités reliées à la vocation de l'entreprise.

 

[8]     Madame Beaulieu a expliqué, ce qui a d'ailleurs été confirmé par les témoignages de mesdames Jennifer Carley et Karine Brière, toutes deux directement concernées en ce qu'elles avaient agi lors des périodes en litige comme professeurs d'anglais, que les relations entre les chargés de cours et l'appelante étaient excellentes.

 

[9]     La règle était à l'effet que tous y trouvaient leur profit en ce que rien n'était imposé et tous et toutes étaient mis à contribution; il était ainsi tenu compte de la disponibilité, du goût et des affinités des chargés de cours. Les chargés de cours pouvaient manifester leurs contraintes et réserves quant au choix des étudiants à qui ils voulaient enseigner.

 

[10]    Cette liberté et grande latitude se manifestaient également au niveau de l'endroit où se donnaient les cours privés et quant aux outils de travail nécessaires. Les professeurs pouvaient utiliser leur propre matériel ou prendre celui disponible et offert par l'appelante. Les enseignants pouvaient également s'entendre avec leurs étudiants, lors des cours privés, sur l'endroit de la rencontre.

 

[11]    Une relation juridique caractérisée par des notions de collaboration, de liberté et de grande latitude complique l'exercice de déterminer s'il s'agit d'un contrat d'entreprise ou d'un contrat de louage de services puisque ce sont des qualités plutôt propres et usuelles à une relation où les parties négocient d'égal à égal.

 

[12]    En l'espèce, tous les témoignages ont été cohérents. Les seules différences se situent au niveau de l'interprétation de certaines situations. La prépondérance de la preuve est à l'effet que madame Beaulieu donnait priorité aux relations harmonieuses avec ceux et celles qui agissaient comme enseignant ou traducteur.

 

[13]    Pour déterminer si un travail a été exécuté dans le cadre d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise, il est cependant essentiel d'analyser les faits dans leur contexte, de manière à bien cerner les droits et obligations des parties en cause. D'ailleurs, les tribunaux ont rappelé à maintes reprises qu'il fallait tenir compte des droits et pouvoirs de l'entité responsable du paiement de la considération.

 

[14]    Dans le cas d'un contrat de louage de services, il n'est pas essentiel que l'employeur ait utilisé son pouvoir de contrôle. Il suffit que ce pouvoir existe et que l'employeur n'y ait pas renoncé. Il en est ainsi au niveau du lien de subordination. Un employeur qui pratique une politique de respect exemplaire peut donner l'impression qu'il a abdiqué ou renoncé à son autorité. Inversement, une relation caractérisée par un très grand respect peut donner l'impression qu'il n'existe pas de lien de subordination. Cela peut s'avérer encore plus compliqué d'apprécier une situation où il n'y a aucun exemple concret d'une manifestation d'autorité.

 

[15]    En l'espèce, la compagnie appelante pratiquait une politique de respect, de collaboration et de concertation. Par contre, rien de la preuve dont l'appelante avait le fardeau n'a établi qu'elle n'avait aucun pouvoir de contrôle ou qu'elle avait renoncé à ce pouvoir sur les personnes qu'elle rétribuait.

 

[16]    L'appelante exploitait une entreprise dont le succès était étroitement lié aux performances et aux talents des personnes qui dispensaient les différents cours de langue. Pour atteindre cet objectif et assurer le développement de l'entreprise, elle misait sur la satisfaction des enseignants et clients et la qualité des services offerts.

 

[17]    Sur le plan pratique, la preuve a cependant établi que l'entreprise avait un contrôle serré et un suivi continu sur les activités des enseignants qu'elle rémunérait. Ces derniers avaient certes beaucoup de discrétion quant à l'endroit où étaient dispensés les cours, mais ils devaient préparer et soumettre un compte‑rendu à l'appelante. Il est clairement ressorti du témoignage de mesdames Jennifer Carley et Karine Brière que madame Jocelyne Beaulieu était bel et bien la patronne, et ce bien qu'elles aient manifestement beaucoup d'estime, d'appréciation et de respect à son endroit, faisait sans doute de cette dernière un employeur modèle.

 

[18]    De fait, il s'agissait d'une organisation très flexible pour répondre aux besoins et attentes des clients. Cette flexibilité ne les libérait pas pour autant de l'obligation de fournir le service, et à défaut de ce faire, ils devaient aviser l'appelante aux fins qu'elle mandate un ou une remplaçante.

 

[19]    Théoriquement, les professeurs auraient pu convenir entre eux d'une entente, mais le tout était assujetti à l'accord ou au consentement de l'appelante qui voyait à la coordination des activités.

 

[20]    Mesdames Jennifer Carley et Karine Brière ont également reconnu qu'il ne s'agissait pas de leurs propres affaires, mais qu'elles s'affichaient et se représentaient comme étant des préposées de l'appelante. Bien qu'elles aient eu d'excellentes relations avec les clients qui leur étaient confiés, toutes deux ont reconnu qu'il ne s'agissait pas de leurs clients, mais des clients du Centre de langues de Trois-Rivières inc. D'ailleurs, tous les clients devaient payer le coût des cours au Centre de langues de Trois-Rivières inc. Une rémunération fixe et définie était payée aux enseignants suite à un rapport d'activités qui devait être complété de façon périodique.

 

[21]    L'appelante exigeait également un compte-rendu pour l'émission des chèques de rémunération généralement déboursés aux deux semaines. Il n'y a aucun doute, bien qu'il semble que cela ne se soit jamais produit, que dans l'hypothèse où un enseignant aurait manqué aux standards de qualité d'assiduité et d'appréciation de l'appelante, il aurait eu droit à des réprimandes, voire même à son renvoi.

 

[22]    Globalement, il n'y a aucun doute que l'appelante avait la main mise sur la planification et le développement de l'entreprise. Les enseignants étaient étroitement associés sa bonne marche, mais ils n'en constituaient pas un maillon indépendant.

 

[23]    Ils étaient pleinement intégrés et devaient respecter les pratiques mises en place par l'appelante, dont notamment au niveau des comptes-rendus des particularités de certains contrats où ils devaient vérifier les présences des étudiants lors des cours qu'ils dispensaient.

 

[24]    Les enseignants étaient rémunérés sur une base horaire à savoir 10 $/l'heure lorsqu'il s'agissait de cours privés et 15 $/l'heure lorsqu'il s'agissait de cours de groupe. Il pouvait y avoir certaines variables, mais l'appelante avait toujours le mot de la fin ou le dernier mot. De façon générale, tous les enseignants avaient sensiblement les mêmes conditions de travail.

 

[25]    Les frais de déplacement étaient également remboursés dépendamment des endroits où se donnaient les cours.

 

[26]    Quant à la propriété des outils pour l'exécution du travail, autre critère nécessaire à la qualification d'un contrat de travail, ils étaient fournis par l'appelante. Certes, l'appelante acceptait que les enseignants utilisent leur propre matériel, mais rendait disponible les outils requis.

 

[27]    Il est cependant important à ce stade de rappeler qu'il s'agissait d'un travail exigeant des compétences particulières d'où il était essentiel que les enseignants puissent disposer d'une latitude eu égard au fait qu'ils étaient les mieux placés pour apprécier les différents niveaux d'apprentissage et de développement des élèves.

 

[28]    À ce chapitre, il appert de la preuve que l'appelante n'exigeait pas que les enseignants dont elle retenait les services fournissent quelque matériel que ce soit. D'autre part, à maintes reprises, il a été énoncé lors d'un jugement de cette Cour, qu'un travail exigeant des compétences particulières fait normalement en sorte que le pouvoir de contrôle s'exprime plus au niveau du résultat du travail exécuté qu'au niveau des moyens pris pour atteindre le résultat.

 

[29]    Finalement, quant au critère de risques de perte et chances de profit, la preuve a été déterminante à cet égard; les personnes visées par la détermination à l'origine de l'appel n'avaient aucune chance de profit ni risque de pertes lors de l'exécution de leur travail. Ils enseignaient et recevaient une rémunération horaire établie lors de leur embauche avec des variables connues selon qu'ils donnaient des cours privés ou des cours collectifs. Leurs frais de déplacement étaient également remboursés.

 

[30]    En conclusion, madame Beaulieu a mis sur pied une entreprise où les relations de travail étaient manifestement très bonnes.

 

[31]    Le Tribunal a aussi remarqué que madame Beaulieu était profondément préoccupée par le statut des enseignants. Elle avait pris des informations et voulait s'assurer que le travail à être exécuté le soit par le biais d'une relation de travailleur autonome.

 

[32]    Bien que l'employeur ait désiré et voulu qu'il en soit ainsi, cela n'avait manifestement aucun effet sur la qualité de la relation juridique des parties. D'ailleurs, cette notion semblait beaucoup plus préoccupante et omniprésente dans la volonté de madame Beaulieu qu'au niveau des enseignants, du moins à partir de celles qui ont témoigné. Seuls les faits dégagés, lors de l'exécution du travail, avaient une signification pour la détermination de la nature du contrat.

 

[33]    En l'espèce, certains éléments pouvaient laisser croire que les enseignants avaient une latitude et une liberté propre au travailleur autonome, mais la prépondérance de la preuve est à l'effet que le travail exécuté l'a été dans le cadre d'un contrat de louage de services, puisque tous les critères requis pour un tel contrat étaient présents et respectés.

 

[34]    Pour ces raisons, l'appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2003.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI81

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-4494(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Centre de langues de Trois-Rivières

et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 18 février 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable Juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :

le 31 mars 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Représentante de l'appelante :

Jocelyne Beaulieu

 

Avocate de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.