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Dossier : 2001-4200(EI)

ENTRE :

NORMAND BÉRUBÉ,

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 29 octobre 2002 à Matane (Québec),

 

Devant : L'honorable juge suppléant S.J. Savoie

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Alain Tremblay

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 28e jour de mars 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI125

Date : 20030328

Dossier : 2001-4200(EI)

ENTRE :

NORMAND BÉRUBÉ,

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie, C.C.I.

 

[1]     Cet appel a été entendu à Matane (Québec), le 29 octobre 2002.

 

[2]     Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant auprès de Construction Goscobec Inc., le payeur, durant les périodes en litige, soit du 5 juillet au 25 août 1995, du 11 septembre 1995 au 19 avril 1996, du 9 septembre 1996 au 23 mai 1997, du 7 juillet au 25 juillet 1997 et du 18 août au 21 août 1998.

 

Le 26 septembre 2001, le ministre du Revenu national (le « Ministre ») informa l'appelant de sa décision selon laquelle cet emploi n'était pas assurable parce qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »); il n'existait pas de relation employeur‑employé entre le payeur et lui durant les périodes en litige.

 

[3]     En rendant sa décision, le Ministre s'est basé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel :

 

a)         Le payeur, constitué en société le 13 novembre 1974, exploite une entreprise de fabrication de maisons en usine.

 

b)         Le payeur embauchait de 70 à 80 employés, liés par une convention collective de travail, dans son usine.

 

c)         En décembre 1998, les livres comptables du payeur ont été saisis par la GRC de Rimouski car on soupçonnait un système de cumul d'heures chez le payeur.

 

d)         Durant les périodes en litige, l'appelant a rendu des services au payeur comme installateur de revêtements de plancher (tapis, prélarts et bois) dans des maisons vendues par le payeur et déjà installées sur leur fondation.

 

e)         L'appelant était le seul à faire ce genre de travail pour le payeur; il ne se rendait à son lieu de travail que lorsque ses services étaient requis par le payeur.

 

f)          L'appelant ne travaillait pas en usine.

 

g)         Contrairement aux travailleurs du payeur, l'appelant n'était pas syndiqué.

 

h)         Durant les périodes en litige, l'appelant pouvait rendre des services à d'autres contracteurs; il pouvait retarder le travail à faire pour le payeur afin de compléter un travail entrepris ailleurs.

 

i)          De 1985 à 1993, l'appelant faisait le même travail en exploitant sa propre entreprise (installateur et poseur de revêtements de plancher).

 

j)          L'appelant facturait le payeur pour le temps consacré à son travail dans les maisons du payeur.

 

k)         Sur ses factures, l'appelant inscrivait « un homme ou deux hommes » alors qu'il travaillait toujours seul mais modifiait son tarif horaire selon les outils qu'il fournissait au payeur.

 

l)          L'appelant fournissait certains outils de travail (sableuse et autres) qu'il évaluait à environ 10 000 $.

 

m)        L'appelant a été occasionnellement inscrit comme employé de bureau dans les livres de salaires du payeur; il ne savait pas pourquoi.

 

n)         Les heures et les semaines de travail inscrites sur les relevés d'emploi de l'appelant ne concordaient pas avec les heures de travail retrouvées sur les feuilles de temps complétées au nom de l'appelant.

 

o)         Certains documents saisis par la GRC confirment que des heures étaient « banquées » pour l'appelant lorsqu'il travaillait pour le payeur.

 

p)         Durant les périodes en litige, l'appelant exploitait sa propre entreprise.

 

[4]     L'appelant a admis les présomptions énoncées aux alinéas a) à c) et l). Quant aux autres présomptions il les a soit niées telles qu'énoncées ou a voulu y apporter certaines précisions.

 

[5]     Il est à noter toutefois que l'ensemble de la preuve a établi l'exactitude de la totalité des présomptions du Ministre. Il faut ajouter que, lorsque confrontée à l'ensemble des faits recueillis, la preuve de l'appelant a été contradictoire, peu convaincante et même suspecte.

 

[6]     En plus des témoignages recueillis, la preuve est constituée de l'ensemble des documents produits, dont le rapport sur un appel complété par l'agent des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (pièce I-8), lequel contient l'essentiel des déclarations statutaires de l'appelant et des autres personnes concernées dans cette affaire.

 

[7]     Le payeur a été l'objet d'une vérification, suivie d'une enquête menée par le Développement des ressources humaines Canada (DRH) et la GRC; on soupçonnait l'existence chez le payeur d'un système de cumul d'heures. Au cours de cette enquête, les livres du payeur ont été saisis par la GRC. Au terme de l'enquête, une poursuite comprenant 237 chefs d'accusation a été déposée contre le payeur et l'un de ses administrateurs. Pendant cette enquête, les travailleurs et les représentants du payeur ont été convoqués par les enquêteurs de DRH et de la GRC, mais la plupart ne se sont pas présentés et ont refusé de fournir une déclaration.

 

[8]     Par contre, les travailleurs interrogés ont confirmé le système de cumul d'heures chez le payeur et ont admis que les relevés d'emploi émis par ce dernier ne reflétaient pas la réalité quant au nombre de semaines d'emploi assurable et quant aux gains réels. Ce système permettait de comptabiliser les heures avec celles des semaines suivantes ou précédentes pour permettre aux travailleurs d'avoir de « grosses semaines assurables » ou de bénéficier de matériaux de construction dont le coût d'achat était déduit à même leur banque d'heures.

 

[9]     Parmi les employés du payeur qui ont fourni une déclaration figure les noms de Jocelyn Aubut, Raymond Viel, Nelson Dubé (contremaître à l'usine), Louis Bernatchez, Denis Houle, René Bérubé, Gérard Paradis et l'appelant. Leurs déclarations révèlent que le surtemps était gardé en banque à taux simple. Les employés avait reçu la consigne d'inscrire leurs heures de surtemps sur une « feuille à part », de couleur bleue; celle-ci était déposée dans le casier avec la feuille blanche - pour les heures régulières - à chaque semaine. Les heures supplémentaires étaient accumulées et les secrétaires en tenaient compte. Ces heures servaient à combler des semaines plus « petites », assurant ainsi des paies égales et des semaines assurables plus avantageuses.

 

[10]    Nelson Dubé, contremaître à l'usine du payeur, a déclaré qu'après un certain temps, il s'est aperçu que les feuilles bleues servaient à « banquer du temps ». Il a ajouté que « cela se faisait surtout avec les plus anciens », comme si cela se faisait avec ceux qui avaient la confiance de l'entreprise. Certains travailleurs ont déclaré qu'à leur embauche il avait été convenu que leurs heures seraient accumulées et qu'ils recevraient des paies de 42 heures par semaine.

 

[11]    Pour sa part, l'appelant a affirmé dans sa déclaration statutaire qu'il cumulait des heures à la demande du payeur. En outre, il a déclaré que lorsqu'il avait besoin de revêtement il prenait son matériel du payeur car c'était beaucoup moins dispendieux. Par la suite, le payeur le facturait pour ces achats et il réglait la facture avec sa banque d'heures ou en argent.

 

[12]    Le payeur et l'appelant ont tous deux admis qu'il existait une « banque d'heures » dans l'entreprise.

 

[13]    La preuve a révélé que l'appelant n'était pas à l'emploi du payeur sur une base régulière. Certains clients préféraient poser leur revêtement eux-mêmes; le payeur faisait donc appel aux services de l'appelant au besoin. Le contremaître appelait l'appelant, lui indiquait le genre de travail à exécuter et vérifiait son travail lorsque les travaux étaient complétés. Le contremaître a avoué que l'appelant était très compétent et que le payeur n'était pas qualifié pour juger de la qualité de son travail; il s'agissait donc, comme le décrivait la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1996] A.C.F. no 1337, d'un « contrôle de résultat » qui ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

 

[14]    Contrairement aux autres travailleurs, l'appelant n'était pas syndiqué. Au livre des salaires, l'appelant apparaissait, à son insu, comme un employé de bureau; il ne bénéficiait d'aucun pourcentage de vacances, d'aucune assurance collective et il n'était pas payé pour les jours fériés.

 

[15]    Cette Cour est d'avis que dans de telles circonstances l'appelant n'était pas contrôlé par le payeur au sens du critère établi dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Quant à ses chances de bénéfice et ses risques de perte, il a été établi que le taux horaire de l'appelant était ajusté en fonction du matériel qu'il fournissait. L'appelant remettait au payeur des factures pour son travail et ses dépenses de voyage, ce qui amène à conclure que l'appelant jouissait de conditions de travail différentes de celles d'un salarié.

 

[16]    Dans le cadre de son travail pour le payeur, l'appelant fournissait son propre équipement dont une sableuse d'une valeur d'environ 10 000 $; il ne s'agit pas ici d'une pièce d'équipement normalement fournie par un travailleur engagé dans le cadre d'un contrat de louage de services. De plus, l'appelant travaillait souvent avec un assistant.

 

[17]    Il a été établi que l'appelant a exploité sa propre entreprise entre 1985 et 1993. Déjà à cette époque, il était engagé par le payeur. Il possède toujours son numéro d'entreprise. L'appelant n'était pas au service exclusif du payeur et admet avoir travaillé pour trois employeurs différents dans une même semaine. Le payeur lui accordait le droit de retarder son travail afin de lui permettre de compléter un contrat ailleurs. La Cour suprême du Canada dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] CSC 59, se penchant sur une situation semblable à celle sous étude, s'est exprimée en ces termes :

 

  Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigation, ... est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

 

[18]    Dans le contexte des faits établis en l'espèce, il convient de s'inspirer des paroles du juge Tardif de cette Cour dans l'arrêt Duplin c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2001] A.C.I. no 136, aux paragraphes 31 et 32 de sa décision :

 

  Les composantes fondamentales d'un contrat de louage de services sont d'ordre essentiellement économique. Les registres établis, tels livres de salaires, modalités de paye, etc. doivent être réels et correspondre également à la réalité. À titre d'exemple, le livre de salaires doit consigner les heures travaillées correspondant à la paye émise. Un livre des salaires qui consigne des heures non travaillées ou ne consigne pas des heures travaillées pour la période indiquée est une indication sérieuse qu'il y a eu falsification. Il en est ainsi d'une paye qui ne correspond pas aux heures travaillées. Dans un cas comme dans l'autre, cela crée une très forte présomption que les parties ont convenu d'un scénario faux et mensonger dans le but d'en tirer divers avantages dont notamment sur le plan fiscal et assurance-emploi.

 

  Il est possible qu'un arrangement soit plus profitable à l'une des parties qu'à l'autre, mais il s'agit là d'un effet secondaire et non pertinent à la qualification au contrat de louage de services, puisque dès qu'un contrat de travail est façonné par des données fausses, inexactes ou mensongères, il ne répond plus aux conditions essentielles pour être qualifié de contrat de louage de services; ainsi lorsque la preuve est à l'effet que les registres consignant les données essentielles à l'existence d'un véritable contrat de travail sont mensongères et incomplètes, il devient alors essentiel de faire la preuve d'une façon déterminante que les faits réels soutiennent l'existence d'un véritable contrat de louage de services.

 

[19]    De plus, le juge Tardif dans l'arrêt Laverdière c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I. no 124, a tranché une question semblable en utilisant, inter alia, les paroles suivantes :

 

  Il en est ainsi au niveau de toute entente ou arrangement dont le but et objectif est d'étaler ou cumuler la rémunération due ou être due de manière à tirer avantage des dispositions de la Loi. Toute planification ou entente qui maquille ou altère les faits relatifs à la rétribution, dans le but de maximiser les bénéfices de la Loi, disqualifie le contrat de louage de services.

 

  La Loi n'assure que les véritables contrats de louage de services; un contrat de travail dont la rétribution n'est pas fonction de la période d'exécution du travail ne peut être définie comme un véritable contrat de louage de services. Il s'agit d’une entente ou d'un arrangement qui discrédite la qualité d'un véritable contrat de louage à ce qu'il associe des éléments étrangers à la réalité contractuelle exigée par la Loi.

 

[20]    Pour ces motifs, la décision du Ministre selon laquelle l'emploi de l'appelant n'était pas assurable parce qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services est confirmée et l'appel est, en conséquence, rejeté.

 

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 28e jour de mars 2003.

 

 

 

 

« S.J. Savoie »

J.S.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI125

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-4200(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Normand Bérubé et M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Matane (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 29 octobre 2002

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant S.J. Savoie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 mars 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Alain Tremblay

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Alain Tremblay

 

Étude :

Me Alain Tremblay

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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