Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2007CCI452

Date : 20070830

Dossier : 2006-2066(IT)G

ENTRE :

DELANE PATE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(rendus oralement à l’audience

à Toronto (Ontario), le 13 juillet 2007)

 

Le juge suppléant Mogan

 

[1]     Pendant l’année 2000, l’appelant habitait à Burlington (Ontario) et était cadre supérieur à la société Laurel Steel. Pour l’année d’imposition 2000, l’appelant a produit une déclaration de revenus au Canada dans laquelle il a déclaré d’importants revenus, dans la tranche des 700 000 $. L’appelant a reçu un avis de cotisation initial daté du 29 mars 2001 pour son année d’imposition 2000. Dans un avis de nouvelle cotisation daté du 21 octobre 2005, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ajouté 498 131 $ aux revenus déclarés par l’appelant pour l’année 2000.

 

[2]     L’avis de nouvelle cotisation a été produit après la période normale de nouvelle cotisation prévue au paragraphe 152(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et la nouvelle cotisation est couramment qualifiée comme étant frappée de prescription. Parce que la nouvelle cotisation est frappée de prescription, c’est le ministre qui porte le fardeau de prouver que l’appelant a fait une représentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou qu’il a commis quelque fraude en produisant sa déclaration pour l’année d’imposition 2000.  

 

[3]     Selon la nouvelle cotisation, l’impôt à payer par l’appelant était augmenté de  238 403 $. Le ministre a aussi imposé à l’appelant une pénalité de 119 201 $ et des intérêts s’élevant à 137 799 $. L’appelant a appelé de la nouvelle cotisation auprès de la Cour. L’avocat de l’intimée a accepté le fardeau de la preuve et a appelé l’appelant à témoigner en premier. Ce qui suit est un résumé du témoignage de l’appelant.

 

[4]     L’appelant a pris sa retraite en 2004 ou en 2005, environ, mais avant cela, il a passé 35 ans à travailler dans le domaine de l’acier. La société Laurel Steel produisait des barres en acier fini à froid, du grillage métallique et autres produits d’acier fini à froid du même genre. Chaque deux ans, en avril ou en mai, un salon professionnel se tenait en Allemagne pour les sociétés travaillant dans le domaine de la fabrication de produits de l’acier comme les produits fabriqués par Laurel Steel. En 2000, cela faisait 20 ans que l’appelant participait au salon. Il s’était donc rendu en Allemagne au moins 10 fois. Dans le cadre de ces salons professionnels, l’appelant a rencontré Terry Paraskevas, le fondateur d’une petite société privée allemande portant la dénomination EJP qui fabrique de l’équipement utilisé pour fabriquer des produits de l’acier à froid. 

 

[5]     L’appelant et Terry Paraskevas se sont liés d’amitié. L’appelant a déjà invité M. Paraskevas à sa demeure à Oakville (Ontario) à un moment donné au début des années 1990. En 1999 ou en 2000, Terry Paraskevas a demandé à l’appelant la permission d’utiliser son nom comme canalisateur pour le transfert de certaines sommes d’argent à un homme en Chine. M. Paraskevas a expliqué qu’il avait besoin du nom de l’appelant pour ouvrir un compte bancaire au Luxembourg afin de recevoir et de transmettre les fonds. L’appelant a demandé à son comptable à Hamilton (Ontario) si des fonds reçus de cette façon en Europe pouvaient être divulgués à son employeur, Laurel Steel, ou aux autorités de Revenu Canada. Peu importe la réponse qu’il a reçue de son comptable, il a dû se sentir soulagé parce qu’il a donné à Terry Paraskevas la permission d’utiliser son nom et de lui accorder une procuration pour ouvrir un compte bancaire à la Banque Baumann au Luxembourg.

 

[6]     Terry Paraskevas a ouvert un compte bancaire à la Banque Baumann avec le nom de l’appelant, « Lane Pate », soit le nom que lui donnent ses parents et amis, une abréviation du prénom « DeLane ». L’adresse de l’appelant qui a été donnée à la Banque Baumann est le 100, chemin Bronte, Philipsburg, Saint‑Martin, Antilles néerlandaises. Dans son témoignage, l’appelant a admis qu’il s’agissait d’une fausse adresse. En 2000, il n’habitait plus au 100, chemin Bronte, mais c’est l’adresse municipale de la résidence qu’il occupait au début des années 1990, à Oakville (Ontario). De plus, la partie de l’adresse donnant Philipsburg, Saint‑Martin, Antilles néerlandaises comme lieu de résidence a été utilisée parce que l’appelant avait déjà visité les Antilles néerlandaises avec son épouse et qu’ils avaient envisagé la possibilité d’acheter une unité de multipropriétés à cet endroit. Quoi qu’il en soit, la Banque Baumann n’avait pas d’adresse correcte pour le compte ouvert au nom de Lane Pate. Il est donc inutile de dire que l’appelant n’a reçu aucune lettre de la Banque Baumann.

 

[7]     L’appelant n’était pas à l’aise avec l’idée du compte bancaire au Luxembourg, mais il avait entièrement confiance en l’intégrité de Terry Paraskevas, alors il a laissé les choses aller. Il a décrit M. Paraskevas comme un homme honnête et digne de confiance. L’appelant connaissait également Jacques Paraskevas, le fils de Terry. Jacques Paraskevas a témoigné à l’audience et j’aborderai son témoignage plus loin dans les présents motifs. Pour le moment, je veux simplement souligner que Jacques Paraskevas a décrit son père et lui‑même comme étant les co‑directeurs généraux de la société EJP Maschinen GmbH, une petite société familiale exploitant une entreprise en Allemagne.

 

[8]     En mars 2000, Jacques Paraskevas a établi une facture de l’appelant à EJP imputant une commission de 254 250 $ pour une vente faite à la société Niagara Steel Buffalo, comme elle est nommée sur la facture. Cette facture déposée en preuve est la pièce R‑1, à l’onglet 1. Jacques Paraskevas a télécopié la facture à l’appelant. Celle‑ci, datée du 6 mars 2000, porte la mention dactylographiée [traduction] « cordialement » à la toute fin. L’appelant avait donné à Jacques Paraskevas la permission d’écrire son nom à lui sous la mention [traduction] « cordialement » à titre de signature. 

 

[9]     En avril 2000, l’appelant était en Allemagne dans le cadre du salon professionnel du grillage métallique. À la demande de Jacques Paraskevas, l’appelant et son épouse se sont rendus au Luxembourg avec M. Paraskevas, à environ deux heures de voiture de l’endroit où se tenait le salon, et sont allés à la Banque Baumann. C’était le 26 avril 2000. Encore une fois à la demande de Jacques Paraskevas, l’appelant a retiré en espèces tout l’argent qui était dans le compte en espèces (en deutsch marks) et l’a remis à M. Paraskevas. La pièce A-1 est un document de la Banque Baumann qui indique qu’un dépôt de 214 888 euros a été fait par EJP Maschinen GmbH le 31 mars 2000 dans le compte n° 16 de l’appelant. L’appelant a admis que le document de la banque concernait son compte parce que le mot « Noah » y figurait. « Noah » est le nom du petit‑fils de l’appelant et c’est le mot qu’il a donné à Terry Paraskevas comme mot de passe  pour accéder à son compte bancaire.

 

[10]    La pièce A-2 est aussi un document de la Banque Baumann qui indique un retrait de 380 570, tout en espèces, le 26 avril 2000, mais rien n’indique clairement s’il s’agissait d’euros ou de deutsch marks. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien de l’argent que l’appelant prétend avoir remis à Jacques Paraskevas lorsqu’ils étaient à la Banque Baumann ou sur le trottoir à l’extérieur de la banque.

 

[11]    Ils se sont ensuite rendus à une autre banque au Luxembourg qui était, selon ce dont l’appelant se souvenait, une succursale de la Banque HSBC, une importante banque mondiale. L’appelant a affirmé que Jacques Paraskevas était entré dans l’autre banque et qu’il y était resté pendant plusieurs minutes. Pendant qu’ils attendaient Jacques Paraskevas, l’appelant et son épouse sont sortis de la voiture et sont allés se promener dans le quartier du Luxembourg où ils se trouvaient. Selon l’appelant, M. Paraskevas était en train, d’une manière ou d’une autre, de transférer l’argent qu’il venait de lui remettre dans le compte du destinataire non nommé en Chine. Quand Jacques Paraskevas est sorti de l’autre banque, les trois personnes sont retournées au salon professionnel qui avait lieu en Allemagne.

 

[12]    Pour ce qui est de la suite du résumé du témoignage de l’appelant, en novembre 2000, Jacques Paraskevas a établi une deuxième facture de l’appelant à EJP Maschinen GmbH pour un montant de 190 933 deutsch marks. Cette facture, datée du 28 novembre 2000, est la pièce R-1, onglet 2. Elle indique des commissions pour des ventes faites à trois sociétés identifiées comme Carpenter, Nucor et Niagara. Jacques Paraskevas a télécopié la facture à l’appelant et lui a une fois de plus demandé la permission d’écrire le nom de celui‑ci à titre de signature sous la mention [traduction] « cordialement ». L’appelant lui a accordé sa permission. 

 

[13]    En mai 2002, l’appelant et son épouse se sont une fois de plus rendus en Allemagne pour participer au salon professionnel du grillage métallique. Le 16 mai 2002, Jacques Paraskevas a demandé à l’appelant de se rendre avec lui à la banque située au Luxembourg. L’appelant et son épouse ont accompagné M. Paraskevas au Luxembourg. La pièce A-3 est un document de la VP Bank indiquant qu’un dépôt de 97 582 euros a été fait le 28 mars 2002 dans le compte de l’appelant. Il semble que la VP Bank avait acheté la Banque Baumann et s’y était fusionnée après l’année 2000, et que le compte bancaire de l’appelant se trouvait maintenant à la VP Bank.

 

[14]    La pièce A-4 est un document de la VP Bank indiquant qu’un retrait de  185 499,67 euros a été fait à partir du compte de l’appelant le 16 mai 2002. L’appelant admet avoir retiré ce montant d’argent le 16 mai 2002. Toutefois, il soutient qu’il a tout remis à M. Paraskevas, comme il l’avait fait deux ans plus tôt. Il a affirmé qu’ils étaient sortis de la banque et que M. Paraskevas lui avait demandé de l’attendre un instant. L’appelant a vu Jacques Paraskevas traverser la rue, parler à un homme qui semblait être chinois. Il a observé Jacques Paraskevas remettre un contenant d’argent à l’homme chinois, puis traverser la rue de nouveau pour venir le rejoindre. Les deux hommes se sont ensuite dirigés vers la voiture de M. Paraskevas pour rejoindre l’épouse de l’appelant, et les trois sont ensuite retournés ensemble au salon professionnel.

 

[15]    La pièce R-1, onglet 3, est un document manuscrit intitulé [traduction] « Confirmation ». Il est très court, alors je vais le consigner au dossier. Il comporte une seule page.

 

[traduction]

 

Confirmation : Je confirme par la présente avoir reçu les paiements suivants dans mon compte bancaire personnel à la Banque Baumann au Luxembourg.

 

Le 6 mars 2000, 420 285 deutsch marks, reçus en mars 2000.

 

Le 28 novembre 2000, 190 933,35 deutsch marks, reçus en novembre 2000.

 

Cordialement, Lane Pate.

 

L’appelant admet qu’il s’agit bien de son écriture. Il affirme avoir écrit cette note en 2003 ou en 2004, environ, à la demande de Jacques Paraskevas, et il croit que EJP avait besoin de cette confirmation pour justifier auprès des autorités fiscales allemandes que les sorties de fonds de la Banque Baumann avaient été faites à des fins professionnelles pour EJP.

 

[16]    Ceci conclut le résumé de témoignage de M. Pate. Cependant, j’y reviendrai pour examiner sa crédibilité et son lien avec d’autres témoignages.

 

[17]    Me Sood a appelé comme témoin M. D’Ippolito, le vérificateur de Revenu Canada qui a communiqué avec M. Pate à l’été 2005 et qui a par la suite établi la nouvelle cotisation dont il est question en l’espèce. Je vais toutefois déférer mon résumé du témoignage de M. D’Ippolito et en traiter plus loin. Il s’agit donc des deux témoins appelés par l’intimée pour s’acquitter du fardeau incombant au ministre de prouver qu’il était en droit d’établir la nouvelle cotisation visée par le présent appel. 

 

[18]    L’avocat de l’appelant a appelé Jacques Paraskevas comme premier témoin. Il a aussi appelé un certain M. Liang, de Shanghai en Chine, comme deuxième témoin. Je vais donc résumer les témoignages offerts par les deux témoins s’étant présentés au nom de l’appelant.

 

[19]    Dans son témoignage, Jacques Paraskevas a corroboré d’importants éléments du témoignage de l’appelant. Il a affirmé que son père avait demandé à l’appelant la permission d’utiliser le nom de ce dernier pour ouvrir un compte à la banque au Luxembourg. Il a expliqué sa participation à l’opération en disant qu’il aidait son père à titre de co‑directeur général de EJP et que son père l’avait chargé de s’occuper des opérations avec M. Pate et l’homme de Shanghai (M. Liang). En ce qui concerne le témoignage de M. Pate, M. Paraskevas en a confirmé le fond. Plus précisément, M. Paraskevas a affirmé avoir établi les deux factures précitées, soit les onglets 1 et 2 de la pièce R-1.

 

[20]    M. Pate a fait l’objet d’un contre‑interrogatoire rigoureux au sujet des factures, à savoir si elles avaient pu être établies par lui plutôt que par M. Paraskevas, parce qu’elles semblent contenir des erreurs qu’on pourrait qualifier d’erreurs d’orthographe qui pourraient être commises par une personne qui ne connaît pas très bien l’allemand, mais pas par une personne qui connaît bien cette langue. M. Paraskevas est resté fidèle à sa position selon laquelle il avait bel et bien établi les factures et demandé à M. Pate, l’appelant, la permission d’y inscrire son nom. Il a aussi reconnu avoir demandé à l’appelant de signer la confirmation, présenté en pièce R-1, à l’onglet 3, et a admis que cette confirmation avait probablement été rédigée à des fins fiscales en Allemagne.

 

[21]    Jacques Paraskevas a confirmé qu’il y avait eu deux voyages à la banque au Luxembourg, que lors du premier voyage, il avait pris l’argent et était allé à une autre banque afin d’effectuer un transfert à l’homme à Shanghai, et que lors du deuxième voyage, il avait vraiment remis l’argent à M. Liang au Luxembourg. Ce qui est difficile à saisir en l’espèce ce sont les conditions selon lesquelles l’argent a été remis au bénéficiaire en Chine, si l’argent lui a vraiment été remis, et la contrepartie qui a été donnée.

 

[22]    D’après le témoignage de M. Paraskevas, que M. Liang a d’ailleurs corroboré dans son propre témoignage, M. Liang pouvait fournir de précieux services à EJP en lui fournissant : i) le nom de clients potentiels aux États‑Unis; ii) le type de produits dont pouvaient avoir besoin ces clients potentiels; iii) les prix proposés à ces clients par une société en Italie (Danieli) qui semble être un concurrent important de EJP. Il semble donc que les commissions en question aient été gagnées par M. Liang.

 

[23]    Je vais maintenant examiner le témoignage de M. Paraskevas et celui de M. Liang afin d’établir quelle était leur relation. Je vais, pendant un instant, mettre de côté le témoignage de M. Pate pour ce qui est de sa participation à l’opération.

 

[24]    M. Liang a affirmé avoir téléphoné à Terry Paraskevas en 1999, environ, ou au début de l’année 2000. En raison du type de travail qu’il faisait – à l’époque, M. Liang travaillait auprès d’une société nommée Noblewell, qui était apparemment une société commerciale dans le domaine des produits de l’acier à Shanghai – il a dit à Terry Paraskevas qu’il serait peut-être en mesure de l’aider à effectuer plus de ventes. Terry Paraskevas s’est donc rendu en Chine à un certain moment pendant la période entre 1999 et 2000 et a rencontré M. Liang dans un bar. Ils ont eu une conversation de nature commerciale qui, en grande partie, a porté sur le fait que M. Liang deviendrait un agent résident en Chine et aidant EJP à effectuer des ventes ou à fournir des renseignements aidant à EJP à effectuer des ventes ou à augmenter sa part de marché. M. Liang a dit qu’ils s’étaient entendus sur le fait qu’il recevrait une commission de sept et demi pourcent pour toute vente qu’il réussissait à faire pour EJP, et que cette commission serait versée en espèces.

 

[25]    M. Liang ne pouvait pas être payé d’une façon qui aurait laissé de trace écrite parce que si son employeur avait vent du fait qu’il effectuait des ventes à l’extérieur de son travail et qu’il gagnait une commission, il aurait perdu son emploi. C’est donc la raison pour laquelle il a insisté pour qu’il n’y ait aucun document consignant l’entente entre lui‑même et EJP et que toute contrepartie donnée à EJP soit en espèces.

 

[26]    Il semble que Terry Paraskevas ait accepté les conditions posées par M. Liang, même s’il n’y avait pas d’élément de preuve directe à cet effet. Ce serait donc ce qui expliquerait pourquoi il est retourné en Allemagne et a téléphoné à l’appelant pour lui demander la permission d’utiliser son nom pour transférer des fonds à un homme à Shanghai. Cette partie‑là de l’histoire (soit l’entente entre Terry Paraskevas et M. Liang) rejoint les témoignages de M. Liang et de Jacques Paraskevas. Cette partie de l’histoire est donc crédible, mais les conditions (décrites par les deux hommes) selon lesquelles l’argent a été versé par EJP à M. Liang ne le sont pas.

 

[27]    Ces deux témoins (soit MM. Paraskevas et Liang) demandent à la Cour d’accepter le fait qu’un homme à Shanghai, qui ne parle que très peu d’anglais, pouvait gagner des commissions pour des ventes effectuées par une société allemande auprès de clients en Amérique du Nord. Le témoignage de M. Liang s’est effectué en grande partie grâce à un interprète du mandarin. Bien que M. Liang possède un minimum de connaissances de l’anglais (assez pour parler au téléphone avec quelqu’un en Allemagne), sont anglais est assez limité pour justifier le fait que l’avocat de l’appelant qui l’avait appelé à témoigner lui demande souvent de répondre en mandarin pour que sa réponse soit plus compréhensible et complète. C’est ce que faisait M. Liang quand l’avocat de l’appelant le lui demandait.

 

[28]    Un des problèmes en l’espèce est que, en écoutant les témoignages, j’ai constaté qu’ils étaient constitués en partie de faits et en partie de fiction. À mon avis, il n’est pas crédible de penser que M. Liang a permis à EJP d’effectuer des ventes à trois sociétés américaines qui ont plus tard été identifiées comme étant : i) Niagara‑La Salle à Buffalo (New York); ii) Carpenter Technology Corporation à Redding (Pennsylvanie); iii) Nucor Cold Finish à Norfolk (Nebraska). M. Liang a affirmé avoir été en mesure de savoir quels étaient les besoins de ces sociétés en matière d’équipement que EJP pouvait fabriquer et leur vendre. Il avait été en mesure d’obtenir les spécifications pour l’équipement. Il avait été en mesure de connaître le prix proposé par au moins un concurrent important de EJP afin que EJP puisse non seulement fabriquer l’équipement selon les spécifications précises, mais aussi proposer le même prix que son concurrent.

 

[29]    Me Sood a contre‑interrogé M. Liang rigoureusement sur cette question, à savoir comment il pouvait, par téléphone, communiquer de l’information technique à Terry Paraskevas ou à son fils, Jacques Paraskevas, ou même à n’importe qui d’autre en Allemagne agissant au nom de EJP. Étant donné l’usage limité de l’anglais qu’a M. Liang, comment quiconque à EJP aurait pu recevoir de l’information de lui de façon à ce que EJP puisse proposer un prix pour de l’équipement à vendre à trois sociétés aux États‑Unis, dont deux dans l’Est des États‑Unis et l’autre dans le Mid West, et permettre à M. Liang de gagner des commissions s’élevant à 498 000 $? Pendant les années 1999, 2000 et 2001, M. Liang habitait en Chine.

 

[30]    Honnêtement, je ne crois pas cette partie du témoignage. Je ne crois pas que l’argent soit allé à M. Liang pour ces raisons, mais le fond de l’appel ne réside pas là. Le fond de l’appel réside dans la question de savoir si l’argent est même allé à M. Liang ou s’il est resté entre les mains de M. Pate.  

 

[31]    M. Pate est sans défense en l’espèce parce qu’il admet avoir établi de faux documents afin de permettre l’ouverture d’un compte bancaire à son nom au Luxembourg. Il admet être allé à la banque deux fois et d’y avoir retiré d’importantes sommes d’argent, soit une valeur de 498 000 $ en argent canadien. Il soutient qu’aussitôt qu’il a retiré l’argent, il l’a remis à son ami Jacques Paraskevas pour que celui‑ci puisse le transférer à une personne inconnue de l’appelant, à ce moment‑là, et qui était désignée simplement comme un homme de Shanghai.

 

[32]    Je vais examiner brièvement le témoignage du vérificateur de Revenu Canada plus tard. Cependant, mon analyse des témoignages des trois personnes ayant participé le plus près à l’échange d’argent, soit : i) le témoignage de Jacques Paraskevas, qui était la source initiale de l’argent; ii) le témoignage de l’appelant, qui a reçu l’argent directement de EJP; iii) le témoignage de M. Liang, qui admet, en fin de compte, avoir reçu l’argent, me porte à conclure que le témoignage de l’appelant, tout bien pesé, m’apparaît véridique. Voici donc les motifs de cette conclusion.

 

[33]    En 2000, cela a fait 30 ans que l’appelant travaillait dans le domaine de l’acier. Il connaissait tout le monde dans l’industrie de l’acier en Amérique du Nord. Me Sood lui a mentionné le nom de personnes qui travaillaient auprès des sociétés Niagara‑La Salle, Nucor ou Carpenter Technologies. M. Pate a admis connaître ces personnes. Ils travaillaient dans la même industrie. Il avait déjà travaillé auprès de Nucor dans un poste supérieur, un poste de gestion. Comme c’est le cas dans plusieurs domaines d’affaires, les gens qui travaillent dans la fabrication dans une certaine industrie font partie d’un même groupe et se connaissent tous. D’une certaine façon, ils sont des concurrents, mais d’un autre côté, ils collaborent à l’évolution de la technologie.

 

[34]    J’ai de la difficulté à croire qu’un homme qui a gagné un salaire et des primes dans les 700 000 $ en l’an 2000, et qui semble avoir un dossier sans tache dans l’industrie de l’acier, pourrait risquer sa réputation à la toute fin de sa carrière avec des transactions d’agences pour un fabriquant allemand afin de gagner des commissions pour avoir aidé à la vente d’équipement allemand à des gens issus de la même industrie, en Amérique du Nord.

 

[35]    S’il avait communiqué avec ces sociétés, Niagara‑La Salle, Carpenter Technologies et Nucor, son ancien employeur en aurait eu vent (peut-être pas directement) et aurait présumé qu’il avait participé à faciliter la vente des produits allemands qu’il avait achetés, et il se serait bien douté que l’appelant aurait gagné secrètement une commission ou reçu subrepticement un quelconque paiement. Sa réputation était à risque. Il y a cependant la question de l’avarice de l’humain. Certaines personnes qui ont beaucoup d’argent en veulent toujours plus. J’ai toutefois observé de près le comportement de M. Pate à la barre des témoins. Le contre‑interrogatoire de Me Sood était intense, mais l’appelant est demeuré très confiant.

 

[36]    Il a admis avoir signé des documents trompeurs ou avoir participé à l’établissement de documents trompeurs, mais, en fin de compte, il s’en est tenu à sa version des faits, soit qu’il s’est rendu deux fois au Luxembourg, il a retiré l’argent, l’a remis à Jacques Paraskevas et ne l’a plus jamais revu. Comme je l’ai déjà mentionné, le témoignage de l’appelant apparaît véridique.

 

[37]    Le témoignage de Jacques Paraskevas apparaît lui aussi véridique, en partie. C’est‑à‑dire que je crois qu’il s'est rendu à la banque du Luxembourg avec l’appelant, qu’il a reçu l’argent et qu’il l’a remis à M. Liang. Cependant, je ne crois pas la partie de son témoignage où il prétend expliquer la raison pour laquelle il a remis l’argent à M. Liang. Je suis convaincu que M. Liang a reçu l’argent, mais je ne conviens pas des motifs donnés par Jacques Paraskevas.

 

[38]    En ce qui concerne le témoignage de M. Liang, j’accepte les éléments qui recoupent le témoignage de Jacques Paraskevas. Je crois que M. Liang a bel et bien reçu l’argent. Cependant, je ne crois pas le motif évoqué pour le lui remettre. Comme je l’ai déjà affirmé, je trouve difficile de croire qu’un homme dans la position de M. Liang, qui réside à Shanghai et qui ne s’est jamais rendu aux États‑Unis, puisse gagner des commissions sur des ventes auprès de trois entreprises américaines dans le domaine de l’acier.

 

[39]    Pour une raison ou une autre, peut‑être à cause de l’ouverture du marché chinois, je suis convaincu que EJP avait de bons motifs pour que l’argent en question soit entre les mains de M. Liang à titre de rétribution pour des services précieux rendus par M. Liang à EJP. Cependant, les prétendues raisons derrière le paiement de l’argent est le seul élément qui donne au présent appel un air trompeur. À mon avis, l’argent représentait une contrepartie toute autre.

 

[40]    Ce n’est cependant pas une question que je dois examiner, parce que les motifs ayant poussé EJP à verser l’argent à M. Liang ne pèsent aucunement dans la balance pour ce qui est de trancher la question en litige. La seule question qu’il importe d’examiner est celle de savoir si l’argent a abouti entre les mains de l’appelant ou d’une autre personne. Tout bien pesé, je suis convaincu que l’appelant était seulement le canalisateur. En tenant compte de tous les témoignages, je conclus que l’appelant n’a pas conservé l’argent en question.

 

[41]    Les témoignages avaient quelques éléments qui corroboraient, fortuitement, la version des faits de l’appelant. Je vais en citer deux en particulier. D’abord, MSood a appelé M. D’Ippolito (vérificateur à Revenu Canada) à témoigner comme deuxième témoin. Ce dernier a expliqué les circonstances dans lesquelles on lui avait confié le dossier de l’appelant. À ce qu’il paraît, les autorités fiscales de l’Allemagne ont envoyé un message aux autorités fiscales du Canada leur disant : [traduction] « Vous devriez peut-être interroger M. Lane Pate au sujet d’importants montants d’argent qu’il semble avoir reçu d’une société allemande par des dépôts dans une banque du Luxembourg ». Il s’agit‑là de renseignements qui sont souvent communiqués d’un pays à l’autre, parce qu’en application de la plupart des conventions fiscales, les pays sont tenus de communiquer ce type de renseignement.

 

[42]    M. D’Ippolito a affirmé avoir été chargé du dossier à la fin du printemps 2005. Il a essayé de retracer l’appelant et l’a finalement joint par téléphone à sa maison de  Palm Desert (Californie). Les témoignages de M. D’Ippolito et de l’appelant se rejoignent en ce qui concerne l’appel téléphonique de juillet 2005. M. D’Ippolito a dit que lorsqu’il a finalement pu parler à M. Pate au téléphone, il lui a posé avec circonspection certaines questions sur les supposées transactions en Europe, et de son  côté, M. Pate a répondu avec autant de circonspection. M. D’Ippolito en est finalement venu à poser des questions plus directes et a dit : [traduction] « En fait, je vous appelle au sujet d’un compte que vous détenez au Luxembourg », ou quelque chose dans le même sens. Aussitôt que ce fait a été mentionné, selon M. D’Ippolito, l’appelant a dit : [traduction] « Je sais qui m’a piégé ».

 

[43]    Cette réponse est un peu comme une manœuvre d’évitement ou bien une réaction spontanée, comme s’il avait dit : « Oh, non! J’ai voulu rendre service et je me suis fait prendre au jeu ». Je considère la réaction spontanée de l’appelant comme indiquant qu’il a bel et bien voulu rendre service à Terry Paraskevas, et non comme une admission de culpabilité, comme s’il avait dit : « Ça y est, je me suis fait prendre ».

 

[44]    À la fin de la conversation téléphonique, l’appelant a dit à M. D’Ippolito : [traduction] « Si vous voulez des renseignements, envoyez-moi une lettre ». La pièce R‑1, onglet 4, est la lettre que M. D’Ippolito a envoyée à l’appelant le 11 juillet 2005 (soit le même jour que la conversation téléphonique a eu lieu) lui demandant des renseignements. Dans son témoignage, M. D’Ippolito a renvoyé à cette lettre dans laquelle il avait parlé des 611 218 deutsch marks qui avaient été déposés dans un compte d’une banque étrangère, comme la Banque Baumann au Luxembourg, et il demande : [traduction] « Qu’en est-il? ». La pièce R‑1, onglet 5, est la réponse de l’appelant à la lettre de M. D’Ippolito.

 

[45]    La réponse de l’appelant est véridique, en partie. Je n’ai pas à trancher la question de savoir si elle est entièrement véridique, mais il y indique que, pour rendre service à la société allemande EJP Maschinen GmbH, il a reçu d’elle, dans un compte à la Banque Baumann au Luxembourg, certains montants d’argent. La lettre se poursuit :

 

[traduction]

 

J’ai ensuite transféré ces montants à M. Liang (voir la confirmation ci‑jointe).

À ce moment‑là, M. Liang aurait été en position de conflit d’intérêts s’il avait reçu ces montants directement de EJP. Peu après, ce n’était plus le cas.

 

[46]    De toute évidence, certaines des affirmations faites par l’appelant dans sa réponse (pièce R-1, onglet 5) sont fausses. Il affirme avoir reçu l’argent en 2000. Cependant, selon son propre témoignage et le témoignage de M. Paraskevas, ce n’est pas le cas. Il a reçu les deux montants à deux ans d’intervalle. Dans sa réponse, il explique que l’adresse postale à l’étranger qui avait été utilisée devait initialement servir pour un autre compte bancaire qu’il prévoyait ouvrir aux Antilles. Ceci est tout à fait faux. J’ai déjà expliqué comment il en était venu à utiliser cette adresse. Toutefois, le reste de ses explications rejoint ce qu’il a affirmé lors de son témoignage crédible, effectué sous serment, soit qu’il n’a pas conservé l’argent.

 

[47]    Dans le contre‑interrogatoire de Jacques Paraskevas, j’ai décelé quelques éléments qui me semblaient véridiques et qui viendraient corroborer la version des faits de l’appelant. M. Paraskevas devait admettre qu’avec son père, il avait dû prendre des arrangements entièrement verbaux, aucunement appuyés par des documents, avec M. Liang afin de lui verser d’importants montants d’argent dans des circonstances qui ne sont pas conformes aux pratiques normales d’exploitation d’entreprise. Lorsque Me Sood lui a demandé d’expliquer pourquoi il aurait voulu prendre de tels arrangements et pourquoi il était prêt à venir au Canada, à ses propres frais, pour venir témoigner, il a répondu : [traduction] « Je suis venu pour redresser un tort ». Il a dit n’avoir reçu aucune rétribution pour son témoignage, qu’il était venu au Canada à ses propres frais pour participer à l’audience.

 

[48]    À mon avis, cette réaction spontanée de la part de Jacques Paraskevas dans son contre‑interrogatoire vient appuyer le fait que l’appelant ait accepté de laisser Terry Paraskevas utiliser son nom. Un homme d’affaires émérite comme l’appelant ne laisserait pas n’importe qui utiliser son nom pour ouvrir un compte bancaire au Luxembourg, à moins qu’il n’ait complètement confiance en la personne à qui il accorde une procuration pour ouvrir un compte bancaire. Il faut vraiment avoir confiance en un tiers pour faire ce genre de chose. Je conclus donc qu’il existait une relation de confiance entre l’appelant et Terry Paraskevas, et je crois que cette confiance s’étendait aussi à Jacques Paraskevas.

 

[49]    Je conclus que lorsque Terry et Jacques Paraskevas (père et fils) se sont rendus compte que, parce qu’ils avaient demandé à l’appelant de leur rendre ce service (ils ont grandement intérêt à cultiver leur relation avec M. Liang en Chine), ce dernier avait eu des problèmes au Canada : des cotisations d’impôt supplémentaire, des pénalités et des intérêts à payer presque équivalents au montant qui avait été ajouté à ses revenus avaient été établis à son égard, ils ont ressenti une certaine obligation morale de venir au Canada pour expliquer à la Cour les circonstances de cette affaire et pour confirmer que l’appelant n’avait pas reçu l’argent. J’accepte donc les parties les plus pertinentes du témoignage de Jacques Paraskevas.

 

[50]    Compte tenu de ce qui précède, je vais accueillir l’appel en entier et adjuger les dépens à l’appelant.  

 

[51]    Je tiens cependant à souligner une chose, en guise de conclusion. Il s’agit en l’espèce d’un appel qui devait faire l’objet d’un procès. Autrement dit, je crois qu’on ne peut pas critiquer Revenu Canada pour avoir établi la nouvelle cotisation. Tous les documents que détenait Revenu Canada portaient à penser que l’argent était entre les mains de l’appelant. En fait, d’après son propre témoignage, l’appelant a vraiment eu l’argent entre ses mains alors qu’il attendait devant la banque au Luxembourg.

 

[52]    Comme l’a fait valoir Me Sood, tous les documents menaient à cette conclusion. C’est seulement après avoir entendu et accepté les témoignages qu’on peut peut-être donner gain de cause à l’appelant. Comme la nouvelle cotisation est frappée de prescription, c’est au ministre qu’il incombe de prouver que la nouvelle cotisation peut être établie en application du 152(4) de la Loi.

 

[53]    Après avoir entendu le témoignage des quatre témoins, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, M. Pate n’a pas conservé l’argent à son propre avantage. Même si, comme je l’ai déjà souligné, j’ai de sérieux doutes au sujet de certains éléments présentés parallèlement à la principale question en litige, soit celle de savoir si l’appelant a conservé l’argent, ces doutes ne changent en rien la conclusion que j’ai tirée, à savoir que les témoignages de l’appelant et de Jacques Paraskevas, en ce qui concerne la principale question en litige, sont vraisemblables et j’y crois. 

 

[54]    Pour ces motifs, l’appel est accueilli. Je vais prononcer mon jugement d’ici deux ou trois semaines, quand j’aurai eu l’occasion de revoir, de réviser et d’améliorer, au besoin, les motifs énoncés ce matin.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’août 2007.

 

 

 

« M.A. Mogan »

Juge suppléant Mogan

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’octobre 2007.

 

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI452

 

N° DU DOSSIER :                             2006-2066(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Delane Pate et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 11 et 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge M.A. Mogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me David C. Nathanson, c.r. et MJohn Sorensen

Avocat de l’intimée :

Me Bobby Sood

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

         Pour l’appelant :                       

 

                         Nom :                       Me David C. Nathanson, c.r.

 

                     Cabinet :                       Lerners

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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