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Dossier : 2002-184(EI)

ENTRE :

CABANONS MARCEL VÉZINA INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Martin Vézina (2002‑179(EI)), Denise Vézina (2002-180(EI)) et Réjean Vézina (2002-183(EI)),

le 29 janvier 2003 à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge suppléant J.F. Somers

 

Comparutions :

 

Représentante de l'appelante :

Lyne Poirier

 

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée selon les motifs de jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 2003.

 

 

 

 

 

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI231

Date : 20030417

Dossier : 2002-184(EI)

ENTRE :

CABANONS MARCEL VÉZINA INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

ET

Dossier :  2002-179(EI)

MARTIN VÉZINA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

ET

Dossier :  2002-180(EI)

DENISE VÉZINA,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossier :  2002-183(EI)

RÉJEAN VÉZINA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

 

[1]     Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Québec (Québec), le 29 janvier 2003.

 

[2]     Les appelants interjettent appel, des décisions du ministre du Revenu national (le « Ministre ») selon lesquelles les emplois exercés par Réjean Vézina, Martin Vézina et Denise Vézina, les travailleurs, au cours de la période en litige, soit du 1er janvier 2000 au 15 juin 2001, auprès de Cabanons Marcel Vézina Inc., l'appelante, étaient assurables parce qu'ils rencontraient les exigences d'un contrat de louages de service et qu'il y avait une relation employeur-employé entre eux et le payeur.

 

[3]     Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi ») se lit en partie comme suit :

 

5.(1)     Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[...]

 

[4]     Les paragraphes 5(2) et (3) de la Loi se lisent en partie comme suit :

 

(2) N'est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[...]

 

(3)        Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

 

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

b)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[5]     L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

 

Article 251 : Lien de dépendance.

 

(1)        Pour l’application de la présente loi :

 

a)         des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[...]

 

(2) Définition de lien «personnes liées».

 

Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

 

a)         des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

 

b)         une société et :

 

            (i)  une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

            (ii)  une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

            (iii)  toute personne liée à une personne visée au sous‑alinéa (i) ou (ii);

 

c)         deux sociétés :

 

(i)  si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes,

            (ii)  si chacune des sociétés est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l'une des sociétés est liée à la personne qui contrôle l'autre société,

            (iii)  si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à un membre d'un groupe lié qui contrôle l'autre société,

(iv)  si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à chaque membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société,

            (v)  si l'un des membres d'un groupe lié contrôlant une des sociétés est lié à chaque membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société,

            (vi)  si chaque membre d'un groupe non lié contrôlant une des sociétés est lié à au moins un membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société.

 

[6]     Le fardeau de la preuve incombe aux appelants. Ces derniers se doivent d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que les décisions du Ministre sont mal fondées en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

 

[7]     En rendant ses décisions le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel dans le dossier 2002-184(EI), lesquelles ont été admises ou niées:

 

a)         l'appelante a été constituée en société le 6 novembre 1987, mais l'entreprise est en exploitation depuis 30 ans; (admis)

 

b)         durant la période en litige, les actionnaires de l'appelante étaient : (admis)

            Marcel Vézina              55 % des actions

            Réjean Vézina              25 % des actions

            Denise Vézina               10 % des actions

            Martin Vézina               10 % des actions

 

c)         Marcel Vézina est le conjoint de Denise et le père de Réjean et de Martin, Denise est la mère de Réjean et de Martin Vézina; (admis)

 

d)         Marcel Vézina est le seul actionnaire à avoir investi financièrement dans l'entreprise; (admis sauf à parfaire)

 

e)         Marcel Vézina a donné les actions de l'appelante à Réjean, à Denise et à Martin Vézina sans aucune contrepartie; (admis)

 

f)          les décisions importantes de l'appelante sont prises par l'ensemble des quatre actionnaires; (nié)

 

g)         le financement de l'appelante est garanti par les actifs de l'entreprise; (nié)

 

h)         l'appelante exploitait une entreprise de vente de cabanons, de déneigement et de génie civil; (admis sauf à parfaire)

 

i)          l'appelante était en activité à l'année longue; (admis)

 

j)          l'appelante possédait une dizaine de camions et une vingtaine de machineries diverses; (admis)

 

Réjean Vézina

 

k)         Réjean est opérateur de machinerie lourde; (nié)

 

l)          Réjean avait ses cartes de compétence de la Commission de la construction Québec; (admis)

 

m)        durant la période en litige, Réjean travaillait pour l'appelante à l'année longue; (admis)

 

n)         les tâches de Réjean consistaient au déneigement au Complexe Desjardins, à entretenir la machinerie et à superviser les employés du garage de l'appelante; (admis sauf à parfaire)

 

o)         Réjean avait un horaire de travail variable qui tenait compte de ses responsabilités; (admis)

 

p)         Réjean ne pouvait pas s'absenter sans permission; (nié)

 

q)         Réjean travaillait 50 heures en moyenne par semaine pour l'appelante; (nié)

 

r)          Réjean était payé selon les normes de la Commission de la construction du Québec lorsqu'il travaillait comme opérateur de machinerie; (admis sauf à parfaire)

 

s)         durant l'année 2000, Réjean a reçu une rémunération hebdomadaire fixe de 636 $ pour 37 semaines; (admis)

 

t)          durant l'année 2000, Réjean a reçu une rémunération hebdomadaire variable de 1 063 $ ou 1 329 $ selon le taux de rémunération de la construction pour 15 semaines; (admis sauf à parfaire)

 

u)         durant l'année 2000, Réjean avait  reçu de plus un boni de 10 000 $ de l'appelante; (admis)

 

v)         durant l'année 2001, Réjean a reçu une rémunération hebdomadaire de 1 000 $ pour 16 semaines; admis

 

w)        durant l'année 2001, Réjean a reçu une rémunération hebdomadaire variable de 952 $ ou 1 191 $ selon le taux de rémunération de la construction pour 7 semaines; (admis ou à parfaire)

 

x)         Réjean était rémunéré par chèque à chaque semaine; (admis sauf à parfaire)

 

y)         Réjean n'a pas investi d'argent dans l'entreprise; (admis sauf à parfaire)

 

z)         Réjean n'a pas cautionné le payeur pour des prêts ou des marges de crédit; (nié)

 

aa)       Réjean n'avait aucune dépense à assumer dans le cadre de son travail; (nié)

 

bb)       dans le cadre de son travail, Réjean n'assumait pas de risque de perte, ni de chance de profit; (nié)

 

cc)       tous les outils et équipements utilisés dans le cadre du travail de Réjean appartiennent à l'appelante; (nié)

 

dd)       le travail de Réjean faisait partie intégrante des activités  de l'appelante; (admis)

 

Denise Vézina

 

ee)       Denise est secrétaire; (nié)

 

ff)         durant la période en litige, Denise travaillait pour l'appelante à l'année longue; (admis)

 

gg)       les tâches de Denise consistaient à s'occuper du secrétariat de l'appelante, à tenir les livres comptables et à faire la vente de cabanons; (admis sauf à parfaire)

 

hh)       Denise avait un horaire de travail variable; (admis)

 

ii)         Denise travaillait dans le bureau de l'appelante; (admis sauf à parfaire)

 

jj)         Denise travaillait 40 heures en moyenne par semaine pour l'appelante; (nié)

 

kk)       durant la période en litige, Denise était rémunérée 600 $ par semaine; (admis)

 

ll)         Denise était rémunérée par chèque à chaque semaine; (nié)

 

mm)     Denise n'a pas investi d'argent dans l'entreprise; (admis)

 

nn)       Denise n'avait aucune dépense à assumer dans le cadre de son travail; (nié)

 

oo)       dans le cadre de son travail, Denise n'assumait pas de risque de perte, ni de chance de profit; (nié)

 

pp)       tous les outils et équipements utilisés dans le cadre du travail de Denise appartiennent à l'appelante; (nié)

 

qq)       le travail de Denise faisait partie intégrante des activités de l'appelante; (admis)

 

 

Martin Vézina

 

rr)        Martin est technicien en génie civil; (admis)

 

ss)        durant la période en litige, Martin travaillait pour l'appelante à l'année longue; (admis)

 

tt)         les tâches de Martin consistaient à préparer les soumissions en génie civil, à gérer les projets, à superviser les employés et à faire le déneigement chez Ultramar; (admis sauf à parfaire)

 

uu)       Martin avait un horaire de travail variable qui tenait compte de ses responsabilités; (admis)

 

vv)       Martin ne pouvait pas s'absenter sans raison; (nié)

 

ww)     Martin travaillait 60 heures en moyenne par semaine pour l'appelante; (nié)

 

xx)       durant l'année 2000, Martin a reçu une rémunération horaire de 10,40 $; (admis)

 

yy)       durant l'année 2000, Martin a reçu une rémunération hebdomadaire de 624 $ pendant 37 semaines et 582,40 $ pendant 8 semaines;  (admis)

 

zz)        durant l'année 2000, Martin a reçu une rémunération hebdomadaire variable de 896,22 $ au taux de rémunération de la construction pour 4 semaines (admis)

 

aaa)      durant l'année 2000, Martin a reçu de plus un boni de 10 000 $ de l'appelante; (admis)

 

bbb)     Martin a reçu une rémunération hebdomadaire de 1 000 $ pour 22 semaines de l'année 2001; (admis)

 

ccc)      Martin était rémunéré par chèque à chaque semaine; (admis sauf à parfaire)

 

ddd)     Martin n'a pas investi d'argent dans l'entreprise; (admis sauf à parfaire)

 

eee)      Martin n'a pas cautionné l'appelante pour des prêts ou des marges de crédit; (nié)

 

fff)        Martin n'avait aucune dépense à assumer dans le cadre de son travail; (nié)

 

ggg)      dans le cadre de son travail, Martin n'assumait pas de risque de perte, ni de chance de profit; (nié)

 

hhh)      tous les outils et équipements utilisés dans le cadre du travail de Martin appartiennent à l'appelante; (nié)

 

iii)         le travail de Martin faisait partie intégrante des activités de l'appelante. (admis)

 

[8]      L'appelante a été incorporée le 6 novembre 1987, mais l' entreprise existe depuis 30 ans. L'appelante fabrique et vend des cabanons, exécute des contrats de déneigement et d'ingénierie (routes et aqueduc).

 

[9]     Durant la période en litige, les actionnaires de l'appelante étaient Marcel Vézina, Réjean Vézina, Denise Vézina et Martin Vézina détenant respectivement 55 % , 25 %, 10 % et 10 % des actions.

 

[10]    Marcel Vézina est le conjoint de Denise Vézina, et ces derniers sont les parents de Réjean et de Martin Vézina.

 

[11]    Marcel Vézina est le seul actionnaire à avoir investi financièrement dans l'entreprise et a donné des actions de l'appelante à sa conjointe et ses deux fils, sans contrepartie.

 

[12]    Les décisions importantes de l'appelante étaient faites de façon informelle par les quatre actionnaires.

 

[13]    L'entreprise, ayant environ 40 employés, était en activité à l'année longue. L'appelante possédait une dizaine de camions et une vingtaine de machineries diverses. Le chiffre d'affaires annuel serait environ de 5 000 000 $.

 

[14]    Denise Vézina s'occupait de la comptabilité, secrétariat et la vente aux clients, et reçevait une rémunération hebdomadaire de 600,00 $ par semaine.

 

 

[15]    Réjean Vézina s'occupait du garage, de la mécanique sur la machinerie et du travail sur la machinerie pour les travaux de route et avait la responsabilité du déneigement et il reçevait une rémunération hebdomadaire entre 636,00 $ et 1 329 00 $.

 

[16]    Martin Vézina s'occupait de l'ingénierie, des soumissions pour les travaux de route et aqueduc et également du déménagement et reçevait une rémunération entre 624,00 $ et 1 000,00 $.

 

[17]    Les trois travailleurs oeuvraient à l'année longue selon des heures variables, alors que les travailleurs n'ayant pas de lien de dépendance avaient des heures régulières, soit environ 40 heures par semaine et étaient payés pour tout temps supplémentaire.

 

[18]    Les trois travailleurs avaient un salaire hebdomadaire fixe peu importe les heures supplémentaires.

 

[19]    Réjean Vézina et Martin Vézina ont reçu chacun un bonus de 10 000 $ pour l'année 2000.

 

[20]    Les trois travailleurs avaient beaucoup d'autorité dans l'entreprise; ils prenaient les décisions dans leur secteur de responsabilités respectif. Ils avaient droit individuellement d'embaucher et de congédier des employés, de faire des achats. Par contre lorsqu'il y avait des achats de machinerie lourde, les quatre actionnaires se consultaient.

 

[21]    Martin Vézina s'occupait des soumissions et des contrats et pouvait prendre des décisions sans consulter les autres actionnaires sauf si les montants impliqués étaient très élevés.

 

[22]    La preuve n'a pas dévoilé que les appelants ont cautionné l'appelante pour des prêts ou marges de crédit. Lorsque Martin Vézina a signé des contrats il l'a fait à titre de représentant de l'entreprise et non en son nom personnel; il n'y avait donc pas d'engagement personnel en signant ceux-ci.

 

[23]    Les travailleurs ont retardé, à l'occasion, l'encaissement de leurs chèques de paie hebdomadaire à cause de périodes d'activités plus lentes de l'entreprise.

 

[24]    Les travailleurs pouvaient prendre des vacances sans demander la permission, ils ne faisaient qu'en aviser les autres actionnaires et s'assuraient que leur absence ne causait aucun inconvénient au bon fonctionnement de l'entreprise.

 

[25]    Le juge Tardif de cette Cour dans l'affaire Roxboro Excavation Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 32, dont les faits sont similaires aux causes sous étude, a conclu que les emplois exercés par les co-actionnaires et travailleurs étaient assurables malgré qu'il y avait un lien de dépendance entre eux et l'employeur. Cette décision du juge Tardif a été confirmée par la Cour d'appel fédérale ([2000] A.C.F. no 799).

 

[26]    Le juge Tardif dans la cause Roxboro, précitée, s'est exprimé ainsi :

 

            La preuve a démontré que la compagnie Roxboro avait principalement deux vocations : l'excavation industrielle et commerciale et le déneigement durant la période hivernale.

 

[...]

 

Il a été établi que chacun des frères Théorêt avait une responsabilité précise et définie au sein de la compagnie Roxboro. Chacun des intervenants y consacrait la majeure partie de sa disponibilité, étant aussi marginalement impliqué dans la bonne marche des autres compagnies.

 

            À l'intérieur de leurs responsabilités respectives, les frères Théorêt étaient assez autonomes et dirigeaient assez librement leur domaine d'activités propres. Ils n'avaient pas à demander de permission pour décider de leur période de vacances; ils pouvaient s'absenter sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit...

 

[...]

 

            L'intimé a prétendu que les frères Théorêt n'exploitaient pas leur propre entreprise et qu'ils étaient, de ce fait, ou par voie de conséquence, les employés de l'entreprise qui leur versait un salaire.

 

[...]

 

            La pierre angulaire de ce dossier est essentiellement de savoir s'il existait en 1996, un lien de subordination entre la compagnie qui payait la rémunération et les intervenants. En d'autres termes, la compagnie avait-elle le pouvoir de contrôler et d'intervenir sur le travail exécuté par les frères Théorêt?

 

            À cet égard, je crois important de rappeler que les tribunaux ont souvent répété qu'il n'était pas obligatoire ou nécessaire que le pouvoir de contrôler se soit manifesté dans les faits; en d'autres termes, un employeur qui n'exerce pas son droit de contrôle ne perd pas pour autant ce pouvoir tout à fait essentiel pour l'existence d'un contrat de louage de services.

 

            Le pouvoir de contrôle ou le droit d'intervention sur l'exécution d'un travail s'avère être la principale constituante du lien de subordination à l'origine d'un véritable contrat de louage de services.

 

            L'évaluation de la présence ou non d'un lien de subordination est un exercice difficile lorsque les personnes détenant l'autorité découlant de leur statut d'actionnaires et/ou d'administrateurs sont les mêmes personnes physiques qui, pour un travail donné, sont assujetties au pouvoir de contrôle ou à l'autorité. Exprimé différemment, il est pénible de faire une démarcation lorsqu'une personne est salariée et en partie patron en même temps.

 

            Il est alors essentiel de faire une distinction très nette entre les faits et gestes exécutés ès-qualité d'actionnaires et/ou d'administrateurs et ceux effectués à titre de travailleurs ou d'exécutants. En l'espèce, cette démarcation est particulièrement importante.

 

            Bien que la jurisprudence ait identifié quatre critères pour faciliter la qualification d'un contrat de travail, le critère relatif au pouvoir de contrôle est le plus important; il est même essentiel.

 

[...]

 

            Je ne crois pas qu'il soit objectivement raisonnable d'exiger une rupture totale et absolue entre les responsabilités découlant du statut d'actionnaires et celles découlant du statut de travailleurs. Le cumul des deux chapeaux crée normalement, ce qui est tout à fait légitime, une plus grande tolérance, flexibilité dans les rapports découlant des deux fonctions...

 

            En l'espèce, le fait que l'autorité ne semblait pas opposable aux frères Théorêt et le fait que les décisions ayant trait à la compagnie étaient prises dans le consensualisme et la collégialité n'enlevaient pas pour autant à la compagnie son autorité sur le travail exécuté par les intervenants. La preuve n'a pas démontré que la compagnie avait renoncé à son pouvoir d'intervention ou que ce droit avait été soit réduit, soit limité ou même annulé.

 

[...]

 

            En l'espèce toutes les circonstances et les modalités de l'emploi militent pour l'existence d'un véritable contrat de louage de services aucunement affecté par le lien de dépendance; en d'autres termes, la compagnie n'a attribué aucun avantage ou bénéfice qu'elle n'aurait pas alloué à des actionnaires sans lien. Inversement, les frères Théorêt n'ont pas été pénalisés à cause de leur statut familial.

 

[...]

 

            ...Leur statut d'actionnaire explique plutôt certaines différences, qui ne sont d'ailleurs pas importances au point de vicier les composantes fondamentales et essentielles à l'existence d'un véritable contrat de louage de services.

 

            D'ailleurs, il est assez fréquent de voir des co‑actionnaires qui, de par leur statut, s'auto-disciplinent pour l'intérêt de la compagnie dans laquelle ils sont actionnaires.

 

[...]

 

            ...Chaque dossier est un cas d'espèce d'une part, et d'autre part, il s'agit d'évaluer, d'apprécier et d'analyser si les empiètements des pouvoirs découlant du statut d'actionnaire ont altéré de façon significative les éléments essentiels à la formation du contrat de louage de services.

 

[27]    Le Ministre s'appuie sur le paragraphe 5(3) et l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

 

[28]    Dans la cause Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, la Cour d'appel fédérale a énuméré quatre éléments de base pour déterminer s'il existe un contrat de louage de services : a) le degré ou l'absence de contrôle exercé par l'employeur; b) la propriété des outils; c) les chances de profit ou les risques de perte; et d) le degré d'intégration.

 

a)       le degré ou l'absence de contrôle exercé par l'employeur

 

[29]    Dans les causes sous étude, Marcel Vézina est l'actionnaire majoritaire et détient 55 % des actions de l'entreprise. Dans les faits, il n'a jamais renoncé à son droit de regard ni à son pouvoir de contrôle. Il n'a pas non plus renoncé à son droit attaché à ses actions.

 

[30]    La preuve a démontré que Marcel Vézina est demeuré, pendant la période en litige, l'actionnaire majoritaire avec 55 % des actions et surtout, l'administrateur principal de la compagnie.

 

[31]    La preuve entendue a démontré que Marcel Vézina, principal administrateur, participait aux réunions des actionnaires, entre autres, les soirs de semaine. Le Ministre soutient que le fait que ces réunions se tenaient de façon informelle et le fait que les décisions importantes ainsi que les nouvelles orientations de l'entreprise étaient discutées par les quatre actionnaires ensemble, n'enlève pas pour autant l'autorité de l'appelante sur les travailleurs.

 

[32]    Dans la cause Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 572, le juge Noël de la Cour d'appel fédérale s'est exprimé ainsi :

 

            Le premier juge, en concluant à l'absence d'un lien de subordination entre les travailleurs et la défenderesse, semble ne pas avoir tenu compte du principe bien établi à l'effet que la société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires et que par voie de conséquence, les travailleurs étaient assujettis au pouvoir de contrôle de la défenderesse.

 

            La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soit pas senti assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

 

            Nous ajouterions que le premier juge ne pouvait conclure à l'absence de lien de subordination entre la défenderesse et les travailleurs du seul fait qu'ils accomplissaient leurs tâches journalières de façon autonome et sans supervision. Le contrôle exercé par une société sur ses employés cadres est évidemment moindre que celui qu'elle exerce sur ses employés subalternes.

 

            Si le premier juge avait reconnu la personnalité juridique distincte de la défenderesse comme il devait le faire et analysé la preuve à la lumière des principes applicables ..., il n'aurait eu d'autre choix que de conclure à l'existence d'un contrat de louage de services entre la défenderesse et les travailleurs.

 

b)      la propriété des outils

 

[33]    Les témoignages des trois travailleurs démontrent que la majorité des outils étaient fournis par l'appelante. Denise Vézina a fourni une cafetière, Réjean Vézina une scie mécanique dont l'entretien était assuré par l'entreprise de l'appelante et Martin Vézina a fourni sa table à dessin sur laquelle il prépare ses soumissions pour l'entreprise.

 

[34]    Il est important de rappeler qu'au début de son interrogatoire principal, Marcel Vézina a mentionné très clairement, en réponse à une question de sa représentante, que tous les équipements étaient fournis par la compagnie, Cabanons Marcel Vézina Inc.

 

c)       les chances de profit ou les risques de perte

 

[35]    En tant qu'actionnaires, les chances de profit ou les risques de perte des trois travailleurs étaient limités à la participation de chacun dans la compagnie, soit 25 % pour Réjean Vézina, 10 % pour Martin Vézina et 10 % pour Denise Vézina.

 

[36]    En tant qu'employés, ils n'assumaient aucun risque de perte et n'avaient aucune chance de profit. Aucun d'eux n'a financièrement investi dans l'entreprise, ni fait d'emprunt bancaire pour l'entreprise ou encore, fourni de caution personnelle pour l'entreprise de l'appelante.

 

[37]    Les trois travailleurs recevaient un salaire fixe et étaient payés par chèque à toutes les semaines.

 

[38]    Selon la preuve, les travailleurs n'avaient, en tant qu'employés, aucune chance de profit ni risque de perte.

 

d)      l'intégration

 

[39]    Les travailleurs étaient de par leurs activités et fonctions intégrés dans les opérations de l'entreprise.

 

[40]    Il a été démontré que les travailleurs étaient liés à l'appelante selon un contrat de louage de services.

 

[41]    Puisqu'il existe un lien de dépendance entre les travailleurs et l'appelante, il s'agit de déterminer s'il est raisonnable de conclure qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre eux sans ce lien.

 

[42]    Les travailleurs exerçaient leurs tâches respectives à l'année longue et avaient à coeur la réussite de la compagnie. Ils étaient libres d'organiser leurs horaires selon les besoins de l'entreprise et leurs responsabilités respectives. Ils oeuvraient entre 60 et 80 heures par semaine. Les travailleurs n'avaient pas les mêmes conditions de travail que les autres employés qui oeuvraient environ 40 heures par semaine et étaient rémunérés un montant additionnel pour tout temps supplémentaire. Les travailleurs, à cause de leur statut dans l'entreprise, ne pouvaient pas être restreints à un horaire fixe.

 

[43]    Les travailleurs étaient payés un salaire fixe selon le genre de travail exécuté et ce salaire était raisonnable dans les circonstances. De plus, à la fin de l'année les travailleurs Réjean et Martin Vézina one reçu chacun un bonus de 10 000 $ basé sur leur compétence et la performance de l'entreprise; ce bonus pourrait être considéré comme un supplément à leur rémunération en compensation des longues heures travaillées.

 

[44]    Les trois travailleurs pouvaient prendre des vacances sans demander la permission à qui que ce soit, mais ils en avisaient les autres actionnaires et s'assuraient que leur absence ne causait aucun problème à la bonne marche de l'entreprise. Ces modalités d'emploi étaient particulières au statut qu'ils avaient dans la compagnie.

 

[45]    Le Ministre a conclu à bon droit que l'appelante aurait engagé d'autres travailleurs aux mêmes conditions même s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux.

 

[46]    Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour est convaincue que le Ministre a bien exercé sa discrétion.

 

[47]    En conséquence, les travailleurs occupaient des emplois assurables pendant la période en litige puisqu'ils rencontraient les exigences de contrats de louage de services.

 

[48]    Les appels sont rejetés et les décisions du Ministre sont confirmées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'avril 2003.

 

 

 

 

 

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI231

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-184(EI), 2002-179(EI), 2002‑180(EI) et 2002-183(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Cabanons Marcel Vézina Inc. c. M.R.N., Martin Vézina c. M.R.N., Denise Vézina c. M.R.N. et Réjean Vézina c. M.R.N.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 29 janvier 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant J.F. Somers

 

DATE DU JUGEMENT :

le 17 avril 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

Lyne Poirier (représentante)

 

Pour l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

 

 

Étude :

 

 

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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