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Dossier : 2007-889(IT)I

ENTRE :

BRUCE W. HARNISH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 28 août 2007 à Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Carole Benoit

 

 

JUGEMENT

          L’appel relatif à l’inclusion de la somme de 43 774,48 $ dans le revenu de l’appelant pour l’année d’imposition 2004 est accueilli en partie, sans frais, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant pour acquis qu’il faut retrancher 2 705,22 $ de cette somme.

 

 

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de septembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27 e jour de septembre 2007.

 

 

 

 

Ghislaine Poitras, LL.L. Trad.a.

 


 

 

 

Référence : 2007CCI546

Date : 20070911

Dossier : 2007-889(IT)I

 

ENTRE :

BRUCE W. HARNISH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Webb

 

[1]              Il s’agit en l’espèce de déterminer s’il convient d’inclure dans le revenu de l’appelant pour l’année d’imposition 2004 la somme de 43 774,48 $ qui lui a été versée en 2004 par Sun Life du Canada, Compagnie d'Assurance-Vie (« Sun Life ») en application d’un régime d’assurance‑invalidité de longue durée, même si, lorsqu’il a perçu ces prestations, l’appelant était assujetti à une condition prévoyant qu’il pouvait être appelé à rembourser l’argent reçu.

 

[2]              L’appelant a été blessé dans un accident de la route survenu le 27 septembre 2003 lorsqu’un véhicule a percuté l’arrière de son automobile. Ses blessures l’ont empêché de retourner au travail. Jusqu’à la fin de l’année 2003, il a pris les congés de maladie auxquels il avait droit, mais comme il n’était pas en mesure de retourner au travail à l’expiration de ces congés, il a fait une demande de prestations d’assurance-invalidité longue durée en vertu du régime souscrit auprès de Sun Life.

 

[3]              L’employeur de l’appelant ainsi que l’appelant avaient cotisé à ce régime. Les primes payées par l’appelant s’élevaient à 2 705,22 $. Le montant total des prestations versées par Sun Life à l’appelant en 2004, en application du régime d’assurance-invalidité de longue durée, était de 43 774,48 $. L’appelant a reçu un nouvel avis de cotisation incluant cette somme dans son revenu, fondé sur l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« la Loi »), lequel prévoit notamment ce qui suit :

 

6(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

f) le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

 

(i)              un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

 

(ii)             un régime d’assurance-invalidité,

 

(iii) un régime d'assurance de sécurité du revenu;

 

 

le total ne peut toutefois dépasser l'excédent éventuel du total visé au sous‑alinéa (iv) sur le total visé au sous-alinéa (v) :

 

(iv)            le total des sommes qu'il a ainsi reçues avant la fin de l'année et:

 

(v)             le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l'année. [...]

 

[4]              Les sommes que Sun Life devait verser à l’appelant ont été payées périodiquement, puisque les prestations étaient servies mensuellement. En outre, ces sommes ont été versées par suite de la perte du revenu afférent à la charge ou l’emploi de l’appelant, puisque ce dernier était incapable de travailler à temps plein en 2004. Il a commencé à effectuer un retour graduel au travail le 1er novembre 2004, et il a pu reprendre son travail à temps plein en 2005. Pendant la totalité de l’année 2004, cependant, il a été incapable de travailler à temps plein.

 

[5]              Avant de toucher ses prestations l’appelant a signé une reconnaissance de subrogation à Sun Life, comme condition du versement des indemnités. Cette reconnaissance prévoyait notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

Dans le cas où des prestations ont été versées ou peuvent être payables au salarié en vertu du présent contrat et où le salarié a le droit d’intenter à un tiers une action en vue d’obtenir réparation pour la perte du salaire qui lui aurait normalement été versé durant la totalité ou une partie de la période au cours de laquelle des prestations lui sont versées ou peuvent lui être payables en vertu du présent contrat,

 

1.      toute somme que le salarié obtient du tiers (notamment à titre de dommages‑intérêts pour tout préjudice, de dommages-intérêts pour pertes de revenu, d’intérêts et de frais juridiques, qu’elle soit obtenue par le biais d’une entente ou d’un procès), diminuée des frais juridiques engagés par le salarié à cet effet, constitue l’indemnité nette obtenue du tiers;

 

2.      le salarié verse à la Sun Life une somme égale à 75 % de l’indemnité nette obtenue du tiers jusqu’à concurrence des prestations qu’il a reçues en vertu du présent contrat) et il conserve cette somme en fidéicommis au profit de la Sun Life jusqu’à ce qu’elle soit réglée à celle‑ci.

 

[6]              L’appelant prétend que, parce que le versement des sommes en cause était subordonné à la signature de la reconnaissance de subrogation, les paiements reçus de Sun Life constituaient un prêt et non un revenu. Je suis toutefois d’avis qu’il ne s’agissait pas d’un prêt, étant donné que les sommes étaient versées en application d’un régime d’assurance-invalidité de longue durée qui faisait obligation à Sun Life de servir ces prestations en raison de l’incapacité de l’appelant de travailler. En outre, Sun Life ayant remis à l’appelant un feuillet T4A pour la totalité des versements effectués, il est évident qu’elle ne pensait pas avoir consenti un prêt.

 

[7]              La Cour doit déterminer si les sommes versées étaient de la nature d’un revenu au sens de la Loi. Dans l’arrêt Commonwealth Construction Company c. Sa Majesté la Reine, [1984] C.T.C. 338, 56 NR 309, 84 DTC 6420, A.C.F. no 416 (QL), la Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires suivants :

 

21        L'expression « nature de revenu » apparaît dans un arrêt invoqué tant par l'appelante que par l'intimée, à savoir, Kenneth B.S. Robertson Limited v. Minister of National Revenue (1944) 2 DTC 655. À la page 660 de son rapport, le juge Thorson (tel était alors son titre), après avoir tranché un argument selon lequel l'appelante dans cette affaire avait droit à établir des provisions relativement à certains types de commissions qu'elle avait payées sur des primes d'assurance encaissées, a fait la déclaration suivante :

 

            [traduction]

            Toutefois, cela ne règle pas le présent appel, car la question demeure de savoir si toutes les sommes reçues par l'appelante pendant une année déterminée l'ont été à titre de revenus ou sont devenues des revenus pendant l'année. Est-ce que ces sommes possédaient, au moment où elles ont été reçues, ou ont acquis au cours de l'année de leur réception, la nature d'un revenu, pour reprendre l'expression du juge Brandeis dans l'affaire précitée Brown v. Helvering. À mon avis, l'expression qu'il a employée et que j'ai déjà citée, établi un critère important quant à la question de savoir si un montant reçu par un contribuable procède de la nature d'un revenu. Est-ce que son droit à ce montant est absolu et sans aucune restriction, contractuelle ou autre, quant à sa disposition, son usage ou sa jouissance? En d'autres termes, un montant qui se trouve entre les mains d'un contribuable peut-il être considéré comme un élément des bénéfices provenant de son entreprise tant qu'il est assujetti à des conditions précises et non exécutées et que le droit de ce contribuable de garder le montant et de l'appliquer à son propre usage n'a pas encore été réalisé et ne le sera peut-être jamais?

22        Si l'on applique les expressions, de ces citations au cas de l'espèce, le dossier révèle que les droits de l'appelante sur les montants qui lui avaient été payés en 1974 et 1975 étaient « absolus et sans aucune restriction, contractuelle ou autre, quant à sa disposition, son usage ou sa jouissance ». Ils n'étaient assujettis à aucune condition précise et non exécutée. Une fois les conditions suspensives stipulées dans les lettres-contrats précitées échangées entre les parties exécutées, comme elles l'ont été, le droit de recevoir les fonds et de les garder s'était réalisé et était absolu. Il est exact qu'il pourrait être nécessaire de restituer les fonds en tout ou en partie si l'appel est accueilli. Mais, à mon avis, il s'agit là d'une condition résolutoire qui n'influe pas sur le droit absolu de l'appelante de les utiliser jusqu'à ce que cette condition se réalise. Selon moi, elle ne porte pas atteinte à leur caractère de revenu au moment de leur réception.

23        Quant à la différence entre les effets d'une condition suspensive et ceux d'une condition résolutoire sur la question de la comptabilisation d'un revenu, le savant juge de première instance s'est appuyé sur une citation tirée de l'affaire Meteor Homes Ltd. v. Minister of National Revenue, 61 DTC 1001, p. 1007 et 1008 qui justifie l'opinion que j'ai formulée plus haut :

[...] Mertens, Law of Federal Income Taxation, vol. 2, chap. 12, p. 127, examine « le problème du moment où les montants constituent [...] des déductions pour le contribuable dans une comptabilité d'exercices ». Il en a parlé à la p. 132 dans les termes suivants :

            Ce ne sont pas toutes les conditions qui empêchent la comptabilisation du revenu; l'éventualité doit être réelle et valable. Une condition qui suspend la création d'un droit légal de demander paiement exclut effectivement la comptabilisation du revenu jusqu'à ce que lu condition se soit réalisée, mais la réalisation possible d'une condition résolutoire (qui entraîne la résolution d'une obligation) ne peut donner lieu à la remise à plus tard de la comptabilisation. (Les italiques sont de moi.)

24        Par conséquent, la possibilité d'un succès en appel ne semble pas déroger à la nature du caractère des paiements en question au moment de la réception des fonds.

 

[8]              Dans l’affaire Commonwealth Construction Company Limited, les conditions suspensives stipulées dans les lettres-contrats concernaient la signature de divers documents et, en cela, elles ressemblent à la condition imposée à l’appelant en l’espèce à l’égard de la reconnaissance de subrogation. Une fois qu’il avait signé cette reconnaissance, l’appelant avait droit aux fonds versés par Sun Life, et aucune condition ne lui était imposée relativement à l’emploi de ces fonds. Comme il l’a admis, il était libre de dépenser cet argent comme il le voulait. J’en conclus donc que la condition à laquelle l’appelant était assujetti et selon laquelle il pouvait avoir à rembourser à Sun Life les sommes qu’il en avait reçues était une condition résolutoire.

 

[9]              Dans Théberge c. Sa Majesté la Reine, 2003 CarswellNat 5426, 2003 CCI 97, le juge Archambault examinait le cas d’un employé qui, pendant une période où il était incapable de travailler, avait reçu de son employeur une somme versée en application de la convention collective, laquelle exigeait également que l’employé rembourse l’équivalent de toute somme perçue en compensation de traitement par l'application de la Loi des accidents du travail du Québec. Le juge Archambault a résumé ainsi les faits :

 

2          Monsieur Théberge travaille pour la ville de Montréal depuis vingt-cinq ans. En 1997, soit l'année d'imposition pertinente, il était agent de stationnement. Le 9 septembre 1997, après avoir reçu une contravention de monsieur Théberge, un citoyen l'a poursuivi en conduisant dangereusement sa voiture, puis en est descendu, a montré ses poings à monsieur Théberge et l'a menacé de le tuer.

3          Quelques jours plus tard, soit le 23 septembre 1997, monsieur Théberge commençait un congé de maladie. Dans son témoignage, monsieur Théberge a affirmé avoir fait une dépression nerveuse qui l'a éloigné de son travail jusqu'au mois de février 1998. Après un retour de courte durée, monsieur Théberge a de nouveau pris congé pour la même raison de mars à août 1998.

4          Selon la convention collective régissant ses conditions de travail, monsieur Théberge avait droit à un montant égal au traitement net pour des heures de travail normales qu'il aurait reçu s'il était demeuré au travail. Voici, de façon plus précise, ce que stipulent les paragraphes 25.01 et 25.02 de cette convention :

25.01 a)           Dans le cas de blessures subies ou de maladie résultant de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire reçoit un montant égal au traitement net en temps régulier qu'il aurait reçu s'il était demeuré au travail. Cependant, le fonctionnaire rembourse à l'Employeur toute somme d'argent qu'il perçoit en compensation de traitement par l'application de la Loi sur l'assurance automobile du Québec ou des règlements adoptés sous l'autorité de cette loi. De même, le fonctionnaire rembourse à l'Employeur toute somme d'argent qu'il perçoit en compensation de traitement par l'application de la Loi des accidents du travail ou des règlements adoptés sous l'autorité de cette loi.

b)      Quant au reste, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.A. - 3.001) et ses modifications s'appliquent.

25.02   Pour les fins de l'interprétation du présent article, le montant net du traitement en temps régulier est égal à l'indemnité payable selon la Loi des accidents du travail augmentée d'une somme suffisante pour maintenir le traitement net, exclusion faite de toute prime sauf celle prévue au paragraphe G-8.01 après déduction des contributions régulières au régime supplémentaire de rente de l'Employeur, des retenues d'impôt sur le revenu et des contributions aux régimes publics applicables à cette somme. Les calculs afférents sont effectués sur une base annuelle.

[Je souligne.]

 

[10]         Après avoir analysé la jurisprudence relative aux attributs du revenu, le juge Archambault a conclu que le salaire versé au contribuable pendant son congé de maladie en 1997 devait être inclus dans son revenu même si le contribuable était assujetti à une condition prévoyant le remboursement possible des montants ainsi reçus s’il touchait une indemnité suffisante sous le régime de Loi des accidents du travail. Dans l’affaire Théberge, comme en l’espèce, des sommes ont été versées au contribuable pendant une période où il était incapable de travailler (dans Théberge, les sommes ont été versées en application d’une convention collective, tandis qu’en l’espèce elles l’ont été en application d’un régime d’assurance‑invalidité de longue durée) et, dans chaque cas, le contribuable était assujetti à une condition prévoyant qu’il pouvait devoir rembourser les sommes reçues. Dans Théberge, la condition était prévue par la convention collective et avait trait aux montants que le contribuable pouvait percevoir sous le régime de la Loi des accidents du travail; en l’espèce, la condition est énoncée dans la reconnaissance de subrogation et elle vise les sommes que l’appelant pouvait recouvrer de tiers ou de leur assureur.

 

[11]         Vu la décision rendue par le juge Archambault dans Théberge et ma conclusion que la condition imposée à l’appelant à l’égard du remboursement des sommes versées par Sun Life était une condition résolutoire ne portant pas atteinte à sa capacité d’employer les fonds à son gré, je suis d’avis que les sommes que l’appelant a reçues de Sun Life en 2004 participaient de la nature d’un revenu au sens de la Loi et qu’elles devaient être incluses dans son revenu conformément à l’alinéa 6(1)f) de la Loi.

 

[12]         L’alinéa 6(1)f) énonce que le montant à inclure dans le revenu est le montant reçu dont on retranche le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l'année. Puisque le total des sommes ainsi payées par le contribuable était de 2 705,22 $, le montant inclus dans son revenu pour l’année d’imposition 2004 doit être réduit d’autant.

 

[13]         En conséquence, l’appel est accueilli en partie, sans frais, et le montant inclus dans son revenu pour l’année d’imposition 2004 doit être réduit de 2 705,22 $.

 

          Signé à Toronto (Ontario), le 11e jour de septembre 2007.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27 e jour de septembre 2007.

 

 

 

 

Ghislaine Poitras, LL.L. Trad. a.

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI546

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-889(IT)I

 

INTITULÉ :                                       BRUCE W. HARNISH ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’Honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 11 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Carole Benoit

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                   

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

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